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Unreconciled

Page 10

by Michel Houellebecq


  Elle a mon avenir dans ses mains de métal

  Elle descend sur le monde comme un halo de glace.

  Il y aura la mort tu le sais mon amour

  Il y aura le malheur et les tout derniers jours

  On n’oublie jamais rien, les mots et les visages

  Flottent joyeusement jusqu’au dernier rivage

  Il y aura le regret, puis un sommeil très lourd.

  Un triangle d’acier sectionne le paysage

  VARIATION 49: LE DERNIER VOYAGE

  Un triangle d’acier sectionne le paysage;

  L’avion s’immobilise au-dessus des nuages.

  Altitude 8000. Les voyageurs descendent:

  Ils dominent du regard la Cordillère des Andes

  Et dans l’air raréfié l’ombilic d’un orage

  Se développe et se tord;

  Il monte des vallées comme un obscur présage,

  Comme un souffle de mort.

  Nos regards s’entrecroisent, interrogeant en vain

  L’épaisseur de l’espace

  Dont la blancheur fatale enveloppe nos mains

  Comme un halo de glace.

  Santiago du Chili, le 11 décembre.

  La première fois que j’ai fait l’amour c’était sur une plage,

  Quelque part en Grèce

  La nuit était tombée

  Cela paraît romantique

  Un peu exagéré

  Mais cependant c’est vrai.

  Et il y avait les vagues,

  Toujours les vagues

  Leur bruit était très doux

  Mon destin était flou.

  La veille au matin j’avais nagé vers une île

  Qui me paraissait proche

  Je n’ai pas atteint l’île

  Il y avait un courant

  Quelque chose de ce genre

  Je ne pouvais pas revenir

  Et j’ai bien cru mourir,

  Je me sentais très triste

  À l’idée de me noyer

  La vie me semblait longue

  Et très ensoleillée

  Je n’avais que dix-sept ans,

  Mourir sans faire l’amour

  Me paraissait bien triste.

  Faut-il toucher la mort

  Pour atteindre la vie?

  Nous avons tous des corps

  Fragiles, inassouvis.

  17–23

  Cette manière qu’avait Patrick Hallali de persuader les filles

  De venir dans notre compartiment

  On avait dix-sept dix-huit ans

  Quand je repense à elles, je vois leurs yeux qui brillent;

  Et maintenant pour adresser la parole à une autre personne, à une autre personne humaine

  C’est tout un travail, une gêne

  (Au sens le plus fort de ces mots, au sens qu’ils ont dans les lettres anciennes).

  Solitude de la lumière

  Au creux de la montagne,

  Alors que le froid gagne

  Et ferme les paupières.

  Jusqu’au jour de notre mort,

  En sera-t-il ainsi?

  Le corps vieilli n’en désire pas moins fort

  Au milieu de la nuit

  Corps tout seul dans la nuit,

  Affamé de tendresse,

  Le corps presque écrasé sent que renaît en lui une déchirante jeunesse.

  Malgré les fatigues physiques,

  Malgré la marche d’hier

  Malgré le repas ‘gastronomique’,

  Malgré les litres de bière

  Le corps tendu, affamé de caresses et de sourires

  Continue de vibrer dans la lumière du matin

  Dans l’éternelle, la miraculeuse lumière du matin

  Sur les montagnes.

  L’air un peu vif, l’odeur de thym:

  Ces montagnes incitent au bonheur

  Le regard se pose, va plus loin,

  Je m’efforce de chasser la peur.

  Je sais que tout mal vient du moi,

  Mais le moi vient de l’intérieur

  Sous l’air limpide il y a la joie,

  Mais sous la peau il y a la peur.

  Au milieu de ce paysage

  De montagnes moyennes-élevées

  Je reprends peu à peu courage,

  J’accède à l’ouverture du cœur

  Mes mains ne sont plus entravées,

  Je me sens prêt pour le bonheur.

  Mon ancienne obsession et ma ferveur nouvelle,

  Vous frémissez en moi pour un nouveau désir

  Paradoxal, léger comme un lointain sourire

  Et cependant profond comme l’ombre essentielle.

  (L’espace entre les peaux

  Quand il peut se réduire

  Ouvre un monde aussi beau

  Qu’un grand éclat de rire.)

  Dans le matin, chaste et tranquille,

  L’espoir suspendu sur la ville

  Hésite à rejoindre les hommes.

  (Une certaine qualité de joie,

  Au milieu de la nuit,

  Est précieuse.)

  DJERBA ‘LA DOUCE’

  Un vieillard s’entraînait sur le mini-golf

  Et des oiseaux chantaient sans aucune raison:

  Était-ce le bonheur d’être au camping du Golfe?

  Était-ce la chaleur? Était-ce la saison?

  Le soleil projetait ma silhouette noire

  Sur une terre grise, remuée récemment;

  Il faut interpréter les signes de l’histoire

  Et le dessin des fleurs, si semblable au serpent.

  Un deuxième vieillard près de son congénère

  Observait sans un mot les vagues à l’horizon

  Comme un arbre abattu observe sans colère

  Le mouvement musclé des bras du bûcheron.

  Vers mon ombre avançaient de vives fourmis rousses,

  Elles entraient dans la peau sans causer de souffrance;

  J’eus soudain le désir d’une vie calme et douce

  Où l’on traverserait mon intacte présence.

  SÉJOUR-CLUB

  Le poète est celui qui se recouvre d’huile

  Avant d’avoir usé les masques de survie;

  Hier après-midi le monde était docile,

  Une brise soufflait sur les palmiers ravis

  Et j’étais à la fois ailleurs et dans l’espace,

  Je connaissais le Sud et les trois directions

  Dans le ciel appauvri se dessinaient des traces,

  J’imaginais les cadres assis dans leurs avions

  Et les poils de leurs jambes, très similaires aux miens,

  Et leurs valeurs morales, et leurs maîtresses hindoues;

  Le poète est celui, presque semblable à nous,

  Qui frétille de la queue en compagnie des chiens.

  J’aurai passé trois ans au bord de la piscine

  Sans vraiment distinguer le corps des estivants;

  La surface des peaux traverse ma rétine

  Sans éveiller en moi aucun désir vivant.

  SÉJOUR-CLUB 2

  Le soleil tournait sur les eaux

  Entre les bords de la piscine;

  Lundi matin, désirs nouveaux,

  Dans l’air flotte une odeur d’urine.

  Tout à côté du club enfants,

  Une peluche décapitée

  Un vieux Tunisien dépité

  Qui blasphème en montrant les dents.

  J’étais inscrit pour deux semaines

  Dans un parcours relationnel,

  Les nuits étaient un long tunnel

  Dont je sortais couvert de haine.

  Lundi matin, la vie s’installe;

  Les cendriers indifférents

  Délimitent mes déplacements

  Au milieu des zones conviviales.

  VACANCES

  Un temps mort. Un trou blanc dans la vie qui s’installe.

  Des rayons de soleil pivotent sur les dalles,

  Le soleil dort; l’après-midi est invariable.


  Des reflets métalliques se croisent sur le sable.

  Dans un bouillonnement d’air moite et peu mobile,

  On entend se croiser les femelles d’insectes;

  J’ai envie de me tuer, de rentrer dans une secte;

  J’ai envie de bouger, mais ce serait inutile.

  Dans cinq heures au plus tard le ciel sera tout noir;

  J’attendrai le matin en écrasant des mouches.

  Les ténèbres palpitent comme de petites bouches;

  Puis le matin revient, sec et blanc, sans espoir.

  La lumière évolue à peu près dans les formes;

  Je suis toujours couché au niveau du dallage.

  Il faudrait que je meure ou que j’aille à la plage;

  Il est déjà sept heures. Probablement, ils dorment.

  Je sais qu’ils seront là si je sors de l’hôtel,

  Je sais qu’ils me verront et qu’ils auront des shorts,

  J’ai un schéma du cœur; près de l’artère aorte,

  Le sang fait demi-tour. La journée sera belle.

  Tout près des parasols, différents mammifères

  Dont certains sont en laisse et font bouger leur queue;

  Sur la photo j’ai l’air d’être un enfant heureux;

  Je voudrais me coucher dans les ombellifères.

  Nulle ombre ne répond; les cieux sont bleus et vides

  Et cette mongolienne en tee-shirt ‘Predator’

  Aligne en vain les mots en gargouillis morbides

  Pendant que ses parents soutiennent ses efforts.

  Un retraité des postes enfile son cycliste

  Avant de s’évertuer en mouvements gymnastiques

  À contenir son ventre. Une jeune fille très triste

  Suit la ligne des eaux; elle tient un as de pique.

  Nul bruit à l’horizon, nul cri dans les nuages;

  La journée s’organise en groupes d’habitudes

  Et certains retraités ramassent des coquillages;

  Tout respire le plat, le blanc, la finitude.

  Un Algérien balaie le plancher du ‘Dallas’,

  Ouvre les baies vitrées; son regard est pensif.

  Sur la plage on retrouve quelques préservatifs;

  Une nouvelle journée monte sur Palavas.

  Cette envie de ne plus rien faire et surtout ne plus rien éprouver,

  Ce besoin subit de se taire et de se détacher

  Au jardin du Luxembourg, si calme

  Être un vieux sénateur vieillissant sous ses palmes

  Et plus rien du tout, ni les enfants, ni leurs bateaux, ni surtout la musique

  Ne viendrait troubler cette méditation désenchantée et presque ataraxique;

  Ni l’amour surtout, ni la crainte.

  Ah! n’avoir aucun souvenir des étreintes.

  Un matin de soleil rapide,

  Et je veux réussir ma mort.

  Je lis dans leurs yeux un effort:

  Mon Dieu, que l’homme est insipide!

  On n’est jamais assez serein

  Pour supporter les jours d’automne,

  Dieu que la vie est monotone,

  Que les horizons sont lointains!

  Un matin d’hiver, doucement,

  Loin des habitations des hommes;

  Désir d’un rêve, absolument,

  D’un souvenir que rien ne gomme.

  L’arc aboli de tristesse élancée

  Dans une lutte imperceptible, ultime

  Se raffermit conjointement, minime;

  Les dés sont à demi lancés.

  L’épuisement central d’une nuit sans étoiles

  Adornée de néant

  (L’oubli compatissant a déposé son voile

  Sur les choses et les gens).

  L’élément bizarre

  Dispersé dans l’eau

  Réveille la mémoire,

  Remonte au cerveau

  Comme un vin bulgare.

  LA MÉMOIRE DE LA MER

  Une lumière bleue s’établit sur la ville;

  Il est temps de faire vos jeux.

  La circulation tombe. Tout s’arrête. La ville est si tranquille.

  Dans un brouillard de plomb, la peur au fond des yeux,

  Nous marchons vers la ville,

  Nous traversons la ville.

  Près des voitures blindées, la troupe des mendiants,

  Comme une flaque d’ombre,

  Glisse en se tortillant au milieu des décombres;

  Ton frère fait partie des mendiants

  Il fait partie des errants

  Je n’oublie pas ton frère,

  Je n’oublie pas le jeu.

  On achète du riz dans des passages couverts,

  Encerclés par la haine

  La nuit est incertaine

  La nuit est presque rouge

  Traversant les années, au fond de moi, elle bouge,

  La mémoire de la mer.

  Elle vivait dans une bonbonnière

  Avec du fil et des poupées

  Le soleil et la pluie passaient sans s’arrêter sur sa petite maison

  Il ne se passait rien que le bruit des pendules

  Et les petits objets brodés

  S’accumulaient pour ses neveux et ses nièces

  Car elle avait trois sœurs

  Qui avaient des enfants,

  Depuis sa peine de cœur

  Elle n’avait plus d’amant

  Et dans sa bonbonnière

  Elle cousait en rêvant.

  Autour de sa maison il y avait des champs

  Et de grands talus d’herbe,

  Des coquelicots superbes

  Où elle aimait parfois à marcher très longtemps.

  Si calme, dans son coma

  Elle avait accepté une certaine prise de risque

  (Comme on soutient parfois le soleil, et son disque,

  Avant que la douleur devienne trop cruelle),

  Supposant que chacun était semblable à elle,

  Mais naturellement ce n’était pas le cas.

  Elle aurait pu mener une vie douce et pleine

  Parmi les animaux et les petits enfants

  Mais elle avait choisi la société humaine,

  Et elle était si belle à l’âge de dix-neuf ans.

  Ses cheveux blonds sur l’oreiller

  Formaient une auréole étrange,

  Comme un intermédiaire de l’ange

  Et du noyé.

  Si calme, définitivement belle,

  Elle soulevait à peine les draps

  En respirant; mais rêvait-elle?

  Elle semblait heureuse, en tout cas.

  HMT

  I. Au fond j’ai toujours su

  Que j’atteindrais l’amour

  Et que cela serait

  Un peu avant ma mort.

  J’ai toujours eu confiance,

  Je n’ai pas renoncé

  Bien avant ta présence,

  Tu m’étais annoncée.

  Voilà, ce sera toi

  Ma présence effective

  Je serai dans la joie

  De ta peau non fictive

  Si douce à la caresse,

  Si légère et si fine

  Entité non divine,

  Animal de tendresse.

  II. Pour moi qui fus roi de Bohême

  Qui fus animal innocent

  Désir de vie, rêve insistant,

  Démonstration de théorème

  Il n’est pas d’énigme essentielle

  Je connais le lieu et l’instant

  Le point central, absolument,

  De la révélation partielle.

  Dans la nuit qui dort sans étoiles,

  Aux limites de la matière,

  S’installe un état de prière:

  Le second secret s’y dévoile.

  III. Lorsqu’il faudra quitter ce monde

  Fais que ce soit en ta présence

  Fais qu’en mes ultimes secondes

  Je te regarde avec confiance

  Tendre animal au
x seins troublants

  Que je tiens au creux de mes paumes;

  Je ferme les yeux: ton corps blanc

  Est la limite du royaume.

  IV. Un matin de grand clair beau temps,

  Tout rempli de pensées charnelles

  Et puis le grand reflux du sang,

  La condamnation essentielle;

  La vie qui s’en va en riant

  Remplir des entités nouvelles

  La vie n’a pas duré longtemps,

  La fin de journée est si belle.

  V. Un téléphone portable

  Oublié sur la plage,

  La fin inéluctable

  D’un amour de passage

  Et la mort qui avance

  À petits cris plaintifs,

  Dansant sa drôle de danse

  Sur mon centre émotif

  Qui grimpe dans le lit,

  Soulève les couvertures;

  Mon amour aboli,

  Pourquoi tout est si dur?

  VI. Au bout de quelques mois

  (Ou de quelques semaines)

  Tu t’es lassée de moi,

  Toi que j’avais fait reine.

  Je connaissais le risque,

  En mortel éprouvé;

  Le soleil, comme un disque,

  Luit sur ma vie crevée.

  VII. Il n’y a pas d’amour

  (Pas vraiment, pas assez)

  Nous vivons sans secours,

  Nous mourons délaissés.

  L’appel à la pitié

  Résonne dans le vide

  Nos corps sont estropiés,

  Mais nos chairs sont avides.

  Disparues les promesses

  D’un corps adolescent,

  Nous entrons en vieillesse

  Où rien ne nous attend

  Que la mémoire vaine

  De nos jours disparus,

  Un soubresaut de haine

  Et le désespoir nu.

  VIII. Ma vie, ma vie, ma très ancienne

  Mon premier vœu mal refermé

  Mon premier amour infirmé

  Il a fallu que tu reviennes

  Il a fallu que je connaisse

  Ce que la vie a de meilleur,

  Quand deux corps jouent de leur bonheur

 

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