Unreconciled
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Elle a mon avenir dans ses mains de métal
Elle descend sur le monde comme un halo de glace.
Il y aura la mort tu le sais mon amour
Il y aura le malheur et les tout derniers jours
On n’oublie jamais rien, les mots et les visages
Flottent joyeusement jusqu’au dernier rivage
Il y aura le regret, puis un sommeil très lourd.
Un triangle d’acier sectionne le paysage
VARIATION 49: LE DERNIER VOYAGE
Un triangle d’acier sectionne le paysage;
L’avion s’immobilise au-dessus des nuages.
Altitude 8000. Les voyageurs descendent:
Ils dominent du regard la Cordillère des Andes
Et dans l’air raréfié l’ombilic d’un orage
Se développe et se tord;
Il monte des vallées comme un obscur présage,
Comme un souffle de mort.
Nos regards s’entrecroisent, interrogeant en vain
L’épaisseur de l’espace
Dont la blancheur fatale enveloppe nos mains
Comme un halo de glace.
Santiago du Chili, le 11 décembre.
La première fois que j’ai fait l’amour c’était sur une plage,
Quelque part en Grèce
La nuit était tombée
Cela paraît romantique
Un peu exagéré
Mais cependant c’est vrai.
Et il y avait les vagues,
Toujours les vagues
Leur bruit était très doux
Mon destin était flou.
La veille au matin j’avais nagé vers une île
Qui me paraissait proche
Je n’ai pas atteint l’île
Il y avait un courant
Quelque chose de ce genre
Je ne pouvais pas revenir
Et j’ai bien cru mourir,
Je me sentais très triste
À l’idée de me noyer
La vie me semblait longue
Et très ensoleillée
Je n’avais que dix-sept ans,
Mourir sans faire l’amour
Me paraissait bien triste.
Faut-il toucher la mort
Pour atteindre la vie?
Nous avons tous des corps
Fragiles, inassouvis.
17–23
Cette manière qu’avait Patrick Hallali de persuader les filles
De venir dans notre compartiment
On avait dix-sept dix-huit ans
Quand je repense à elles, je vois leurs yeux qui brillent;
Et maintenant pour adresser la parole à une autre personne, à une autre personne humaine
C’est tout un travail, une gêne
(Au sens le plus fort de ces mots, au sens qu’ils ont dans les lettres anciennes).
Solitude de la lumière
Au creux de la montagne,
Alors que le froid gagne
Et ferme les paupières.
Jusqu’au jour de notre mort,
En sera-t-il ainsi?
Le corps vieilli n’en désire pas moins fort
Au milieu de la nuit
Corps tout seul dans la nuit,
Affamé de tendresse,
Le corps presque écrasé sent que renaît en lui une déchirante jeunesse.
Malgré les fatigues physiques,
Malgré la marche d’hier
Malgré le repas ‘gastronomique’,
Malgré les litres de bière
Le corps tendu, affamé de caresses et de sourires
Continue de vibrer dans la lumière du matin
Dans l’éternelle, la miraculeuse lumière du matin
Sur les montagnes.
L’air un peu vif, l’odeur de thym:
Ces montagnes incitent au bonheur
Le regard se pose, va plus loin,
Je m’efforce de chasser la peur.
Je sais que tout mal vient du moi,
Mais le moi vient de l’intérieur
Sous l’air limpide il y a la joie,
Mais sous la peau il y a la peur.
Au milieu de ce paysage
De montagnes moyennes-élevées
Je reprends peu à peu courage,
J’accède à l’ouverture du cœur
Mes mains ne sont plus entravées,
Je me sens prêt pour le bonheur.
Mon ancienne obsession et ma ferveur nouvelle,
Vous frémissez en moi pour un nouveau désir
Paradoxal, léger comme un lointain sourire
Et cependant profond comme l’ombre essentielle.
(L’espace entre les peaux
Quand il peut se réduire
Ouvre un monde aussi beau
Qu’un grand éclat de rire.)
Dans le matin, chaste et tranquille,
L’espoir suspendu sur la ville
Hésite à rejoindre les hommes.
(Une certaine qualité de joie,
Au milieu de la nuit,
Est précieuse.)
DJERBA ‘LA DOUCE’
Un vieillard s’entraînait sur le mini-golf
Et des oiseaux chantaient sans aucune raison:
Était-ce le bonheur d’être au camping du Golfe?
Était-ce la chaleur? Était-ce la saison?
Le soleil projetait ma silhouette noire
Sur une terre grise, remuée récemment;
Il faut interpréter les signes de l’histoire
Et le dessin des fleurs, si semblable au serpent.
Un deuxième vieillard près de son congénère
Observait sans un mot les vagues à l’horizon
Comme un arbre abattu observe sans colère
Le mouvement musclé des bras du bûcheron.
Vers mon ombre avançaient de vives fourmis rousses,
Elles entraient dans la peau sans causer de souffrance;
J’eus soudain le désir d’une vie calme et douce
Où l’on traverserait mon intacte présence.
SÉJOUR-CLUB
Le poète est celui qui se recouvre d’huile
Avant d’avoir usé les masques de survie;
Hier après-midi le monde était docile,
Une brise soufflait sur les palmiers ravis
Et j’étais à la fois ailleurs et dans l’espace,
Je connaissais le Sud et les trois directions
Dans le ciel appauvri se dessinaient des traces,
J’imaginais les cadres assis dans leurs avions
Et les poils de leurs jambes, très similaires aux miens,
Et leurs valeurs morales, et leurs maîtresses hindoues;
Le poète est celui, presque semblable à nous,
Qui frétille de la queue en compagnie des chiens.
J’aurai passé trois ans au bord de la piscine
Sans vraiment distinguer le corps des estivants;
La surface des peaux traverse ma rétine
Sans éveiller en moi aucun désir vivant.
SÉJOUR-CLUB 2
Le soleil tournait sur les eaux
Entre les bords de la piscine;
Lundi matin, désirs nouveaux,
Dans l’air flotte une odeur d’urine.
Tout à côté du club enfants,
Une peluche décapitée
Un vieux Tunisien dépité
Qui blasphème en montrant les dents.
J’étais inscrit pour deux semaines
Dans un parcours relationnel,
Les nuits étaient un long tunnel
Dont je sortais couvert de haine.
Lundi matin, la vie s’installe;
Les cendriers indifférents
Délimitent mes déplacements
Au milieu des zones conviviales.
VACANCES
Un temps mort. Un trou blanc dans la vie qui s’installe.
Des rayons de soleil pivotent sur les dalles,
Le soleil dort; l’après-midi est invariable.
Des reflets métalliques se croisent sur le sable.
Dans un bouillonnement d’air moite et peu mobile,
On entend se croiser les femelles d’insectes;
J’ai envie de me tuer, de rentrer dans une secte;
J’ai envie de bouger, mais ce serait inutile.
Dans cinq heures au plus tard le ciel sera tout noir;
J’attendrai le matin en écrasant des mouches.
Les ténèbres palpitent comme de petites bouches;
Puis le matin revient, sec et blanc, sans espoir.
La lumière évolue à peu près dans les formes;
Je suis toujours couché au niveau du dallage.
Il faudrait que je meure ou que j’aille à la plage;
Il est déjà sept heures. Probablement, ils dorment.
Je sais qu’ils seront là si je sors de l’hôtel,
Je sais qu’ils me verront et qu’ils auront des shorts,
J’ai un schéma du cœur; près de l’artère aorte,
Le sang fait demi-tour. La journée sera belle.
Tout près des parasols, différents mammifères
Dont certains sont en laisse et font bouger leur queue;
Sur la photo j’ai l’air d’être un enfant heureux;
Je voudrais me coucher dans les ombellifères.
Nulle ombre ne répond; les cieux sont bleus et vides
Et cette mongolienne en tee-shirt ‘Predator’
Aligne en vain les mots en gargouillis morbides
Pendant que ses parents soutiennent ses efforts.
Un retraité des postes enfile son cycliste
Avant de s’évertuer en mouvements gymnastiques
À contenir son ventre. Une jeune fille très triste
Suit la ligne des eaux; elle tient un as de pique.
Nul bruit à l’horizon, nul cri dans les nuages;
La journée s’organise en groupes d’habitudes
Et certains retraités ramassent des coquillages;
Tout respire le plat, le blanc, la finitude.
Un Algérien balaie le plancher du ‘Dallas’,
Ouvre les baies vitrées; son regard est pensif.
Sur la plage on retrouve quelques préservatifs;
Une nouvelle journée monte sur Palavas.
Cette envie de ne plus rien faire et surtout ne plus rien éprouver,
Ce besoin subit de se taire et de se détacher
Au jardin du Luxembourg, si calme
Être un vieux sénateur vieillissant sous ses palmes
Et plus rien du tout, ni les enfants, ni leurs bateaux, ni surtout la musique
Ne viendrait troubler cette méditation désenchantée et presque ataraxique;
Ni l’amour surtout, ni la crainte.
Ah! n’avoir aucun souvenir des étreintes.
Un matin de soleil rapide,
Et je veux réussir ma mort.
Je lis dans leurs yeux un effort:
Mon Dieu, que l’homme est insipide!
On n’est jamais assez serein
Pour supporter les jours d’automne,
Dieu que la vie est monotone,
Que les horizons sont lointains!
Un matin d’hiver, doucement,
Loin des habitations des hommes;
Désir d’un rêve, absolument,
D’un souvenir que rien ne gomme.
L’arc aboli de tristesse élancée
Dans une lutte imperceptible, ultime
Se raffermit conjointement, minime;
Les dés sont à demi lancés.
L’épuisement central d’une nuit sans étoiles
Adornée de néant
(L’oubli compatissant a déposé son voile
Sur les choses et les gens).
L’élément bizarre
Dispersé dans l’eau
Réveille la mémoire,
Remonte au cerveau
Comme un vin bulgare.
LA MÉMOIRE DE LA MER
Une lumière bleue s’établit sur la ville;
Il est temps de faire vos jeux.
La circulation tombe. Tout s’arrête. La ville est si tranquille.
Dans un brouillard de plomb, la peur au fond des yeux,
Nous marchons vers la ville,
Nous traversons la ville.
Près des voitures blindées, la troupe des mendiants,
Comme une flaque d’ombre,
Glisse en se tortillant au milieu des décombres;
Ton frère fait partie des mendiants
Il fait partie des errants
Je n’oublie pas ton frère,
Je n’oublie pas le jeu.
On achète du riz dans des passages couverts,
Encerclés par la haine
La nuit est incertaine
La nuit est presque rouge
Traversant les années, au fond de moi, elle bouge,
La mémoire de la mer.
Elle vivait dans une bonbonnière
Avec du fil et des poupées
Le soleil et la pluie passaient sans s’arrêter sur sa petite maison
Il ne se passait rien que le bruit des pendules
Et les petits objets brodés
S’accumulaient pour ses neveux et ses nièces
Car elle avait trois sœurs
Qui avaient des enfants,
Depuis sa peine de cœur
Elle n’avait plus d’amant
Et dans sa bonbonnière
Elle cousait en rêvant.
Autour de sa maison il y avait des champs
Et de grands talus d’herbe,
Des coquelicots superbes
Où elle aimait parfois à marcher très longtemps.
Si calme, dans son coma
Elle avait accepté une certaine prise de risque
(Comme on soutient parfois le soleil, et son disque,
Avant que la douleur devienne trop cruelle),
Supposant que chacun était semblable à elle,
Mais naturellement ce n’était pas le cas.
Elle aurait pu mener une vie douce et pleine
Parmi les animaux et les petits enfants
Mais elle avait choisi la société humaine,
Et elle était si belle à l’âge de dix-neuf ans.
Ses cheveux blonds sur l’oreiller
Formaient une auréole étrange,
Comme un intermédiaire de l’ange
Et du noyé.
Si calme, définitivement belle,
Elle soulevait à peine les draps
En respirant; mais rêvait-elle?
Elle semblait heureuse, en tout cas.
HMT
I. Au fond j’ai toujours su
Que j’atteindrais l’amour
Et que cela serait
Un peu avant ma mort.
J’ai toujours eu confiance,
Je n’ai pas renoncé
Bien avant ta présence,
Tu m’étais annoncée.
Voilà, ce sera toi
Ma présence effective
Je serai dans la joie
De ta peau non fictive
Si douce à la caresse,
Si légère et si fine
Entité non divine,
Animal de tendresse.
II. Pour moi qui fus roi de Bohême
Qui fus animal innocent
Désir de vie, rêve insistant,
Démonstration de théorème
Il n’est pas d’énigme essentielle
Je connais le lieu et l’instant
Le point central, absolument,
De la révélation partielle.
Dans la nuit qui dort sans étoiles,
Aux limites de la matière,
S’installe un état de prière:
Le second secret s’y dévoile.
III. Lorsqu’il faudra quitter ce monde
Fais que ce soit en ta présence
Fais qu’en mes ultimes secondes
Je te regarde avec confiance
Tendre animal au
x seins troublants
Que je tiens au creux de mes paumes;
Je ferme les yeux: ton corps blanc
Est la limite du royaume.
IV. Un matin de grand clair beau temps,
Tout rempli de pensées charnelles
Et puis le grand reflux du sang,
La condamnation essentielle;
La vie qui s’en va en riant
Remplir des entités nouvelles
La vie n’a pas duré longtemps,
La fin de journée est si belle.
V. Un téléphone portable
Oublié sur la plage,
La fin inéluctable
D’un amour de passage
Et la mort qui avance
À petits cris plaintifs,
Dansant sa drôle de danse
Sur mon centre émotif
Qui grimpe dans le lit,
Soulève les couvertures;
Mon amour aboli,
Pourquoi tout est si dur?
VI. Au bout de quelques mois
(Ou de quelques semaines)
Tu t’es lassée de moi,
Toi que j’avais fait reine.
Je connaissais le risque,
En mortel éprouvé;
Le soleil, comme un disque,
Luit sur ma vie crevée.
VII. Il n’y a pas d’amour
(Pas vraiment, pas assez)
Nous vivons sans secours,
Nous mourons délaissés.
L’appel à la pitié
Résonne dans le vide
Nos corps sont estropiés,
Mais nos chairs sont avides.
Disparues les promesses
D’un corps adolescent,
Nous entrons en vieillesse
Où rien ne nous attend
Que la mémoire vaine
De nos jours disparus,
Un soubresaut de haine
Et le désespoir nu.
VIII. Ma vie, ma vie, ma très ancienne
Mon premier vœu mal refermé
Mon premier amour infirmé
Il a fallu que tu reviennes
Il a fallu que je connaisse
Ce que la vie a de meilleur,
Quand deux corps jouent de leur bonheur