Et sans fin s’unissent et renaissent.
Entré en dépendance entière
Je sais le tremblement de l’être
L’hésitation à disparaître
Le soleil qui frappe en lisière
Et l’amour, où tout est facile,
Où tout est donné dans l’instant
Il existe, au milieu du temps,
La possibilité d’une île.
Je suis dans un tunnel fait de roches compactes
VOCATION RELIGIEUSE
Je suis dans un tunnel fait de roches compactes;
Sur ma gauche à deux pas un homme sans paupières
M’enveloppe des yeux; il se dit libre et fier.
Très loin, plus loin que tout, gronde une cataracte.
C’est le déclin des monts et la dernière halte;
L’autre homme a disparu. Je continuerai seul;
Les parois du tunnel me semblent de basalte,
Il fait froid. Je repense au pays des glaïeuls.
Le lendemain matin l’air avait goût de sel;
Alors je ressentis une double présence.
Sur le sol gris serpente un trait profond et dense,
Comme l’arc aboli d’un ancien rituel.
J’ai toujours eu l’impression que nous étions proches, comme deux fruits issus de la même branche. Le jour se lève au moment où je t’écris, le tonnerre gronde doucement; la journée sera pluvieuse. Je t’imagine te redressant dans ton lit. Cette angoisse que tu ressens, je la ressens également.
La nuit nous abandonne,
La lumière délimite
À nouveau les personnes,
Les personnes toutes petites.
Couché sur la moquette, j’observe avec résignation la montée de la lumière. Je vois des cheveux sur la moquette; ces cheveux ne sont pas les tiens. Un insecte solitaire escalade les tiges de laine. Ma tête s’abat, se relève; j’ai envie de fermer vraiment les yeux. Je n’ai pas dormi depuis trois jours; je n’ai pas travaillé depuis trois mois. Je pense à toi.
NOUVELLE DONNE
à Michel Bulteau
Nous étions arrivés à un moment de notre vie où se faisait sentir l’impérieuse nécessité de négocier une nouvelle donne,
Ou simplement de crever.
Quand nous étions face à face avec nous-mêmes sur la banquette arrière dans le fond du garage il n’y avait plus personne,
On aimait se chercher.
Le sol légèrement huileux où nous glissions une bouteille de bière à la main
Et ta robe de satin,
Mon ange
Nous avons traversé des moments bien étranges
Où les amis disparaissaient un par un et où les plus gentils devenaient les plus durs,
S’installaient dans une espèce de fissure
Entre les longs murs blancs de la dépendance pharmaceutique
Ils devenaient des pantins ironiques,
Pathétiques.
Le lyrisme et la passion nous les avons connus mieux que personne,
Beaucoup mieux que personne
Car nous avons creusé jusqu’au fond de nos organes pour
essayer de les transformer de l’intérieur
Pour trouver un chemin écarter les poumons pénétrer jusqu’au cœur
Et nous avons perdu,
Nos corps étaient si nus.
Répétition des morts et des abandons et les plus purs montaient vers leur calvaire,
Je me souviens de ton cousin le matin où il s’était teint les cheveux en vert
Avant de sauter dans le fleuve,
Sa vie était si neuve.
Nous n’aimons plus beaucoup maintenant les gens qui viennent critiquer nos rêves,
Nous nous laissons lentement investir par une ambiance de trêve,
Nous ne croyons plus beaucoup maintenant aux plaisanteries sur le sens du cosmos
Nous savons qu’il existe un espace de liberté entre la chair et l’os
Où les répétitions les plaintes
Parviennent atténuées
Un espace d’étreintes,
Un corps transfiguré.
Quand il fait froid,
Ou plutôt quand on a froid
Quand un centre de froid s’installe avec un mouvement mou
Au fond de la poitrine
Et saute lourdement entre les poumons
Comme un gros animal stupide;
Quand les membres battent faiblement
De plus en plus faiblement
Avant de s’immobiliser sur le canapé
De manière apparemment définitive;
Quand les années tournent en clignotant
Dans une atmosphère enfumée
On ne se souvient plus de la rivière parfumée,
La rivière de la première enfance
Je l’appelle, conformément à une ancienne tradition: la rivière d’innocence.
Maintenant que nous vivons dans la lumière,
Maintenant que nous vivons à proximité immédiate de la lumière,
Dans des après-midi inépuisables
Maintenant que la lumière autour de nos corps est devenue palpable
Nous pouvons dire que nous sommes parvenus à destination
Les étoiles se réunissent chaque nuit pour célébrer nos souffrances et leur transfiguration
En des figures indéfiniment mystérieuses
Et cette nuit de notre arrivée ici, entre toutes les nuits, nous demeure infiniment précieuse.
Traces de la nuit.
Une étoile brille, seule,
Préparée pour de lointaines eucharisties.
Des destins se rassemblent, perplexes,
Immobiles.
Nous marchons je le sais vers des matins étranges.
Comme un plant de maïs déplanté de sa terre
Une vieille coquille oubliée par la mer
À côté de la vie
Je me tourne vers toi qui as osé m’aimer;
Viens avec moi, partons, je voudrais retrouver
Les traces de la nuit.
Je suis comme un enfant qui n’a plus droit aux larmes,
Conduis-moi au pays où vivent les braves gens
Conduis-moi dans la nuit, entoure-moi d’un charme,
Je voudrais rencontrer des êtres différents.
Je porte au fond de moi une ancienne espérance
Comme ces vieillards noirs, princes dans leur pays,
Qui balaient le métro avec indifférence;
Comme moi ils sont seuls, comme moi ils sourient.
Dehors il y a la nuit
La violence, le carnage
Viens près de moi, sans bruit,
Je distingue une image
Mouvante
Et les contours se brouillent,
La lumière est tremblante
Mon regard se dépouille
Je suis là, dans l’attente,
Sereine.
Nous avons traversé
Des époques de haine,
Des temps controversés
Sans dimension humaine
Et le monde a pris forme,
Le monde est apparu
Dans sa présence nue,
Le monde.
Doucement, nous glissions vers un palais fictif
Environné de larmes.
L’azur se soulevait comme un ballon captif;
Les hommes étaient en armes.
La texture fine et délicate des nuages
Disparaît derrière les arbres
Et soudain c’est le flou qui précède un orage:
Le ciel est beau, hermétique comme un marbre.
Les informations se mélangent comme des aiguilles
Versées dans ma cervelle
Par la main aveugle du commentateur;
J’ai peur.
Depuis huit heures, les déclarations cruelles
Se succèdent dans mon récepteur;
Très haut, le soleil brille.
Le ciel est légèrement vert,
Com
me un éclairage de piscine;
Le café est amer,
Partout on assassine;
Le ciel n’éclaire plus que des ruines.
Je tournais en rond dans ma chambre,
Des cadavres se battaient dans ma mémoire;
Il n’y avait plus vraiment d’espoir.
En bas, quelques femmes s’insultaient
Tout près du Monoprix fermé depuis décembre.
Ce jour-là il faisait grand calme,
Les bandes s’étaient repliées dans les faubourgs;
J’ai senti l’odeur du napalm,
Le monde est devenu très lourd.
Les informations se sont arrêtées vers six heures,
J’ai senti s’accélérer les mouvements de mon cœur;
Le monde est devenu solide,
Silencieux, les rues étaient vides
Et j’ai senti venir la mort.
Ce jour-là, il a plu très fort.
Une gare dans les Yvelines
Que n’avait pas atteint la guerre
Au bout du quai, un chien urine
Le chef de train est en prières.
Les tôles d’un wagon-couchettes
Rouillaient parmi les herbes maigres
Un aveugle vendait des chaussettes,
Il appartenait à la pègre.
L’espoir a déserté la ville
Le lendemain de l’explosion,
Nous avons été trop subtils
(Une question de génération).
Le soleil se noie, flaque verte
Sur l’horizon couperosé
Je ne crois plus aux cotes d’alerte,
L’avenir s’est ankylosé.
Quand disparaît le sens des choses
Au milieu de l’après-midi,
Dans la douceur d’un samedi,
Quand on est cloué par l’arthrose.
La disparition des traverses
Au milieu de la voie ferrée
Se produit juste avant l’averse,
Les souvenirs sont déterrés.
Je pense à mon signal d’appel
Oublié au bord de l’étang
Je me souviens du monde réel
Où j’ai vécu, il y a longtemps.
Avant, mais bien avant, il y a eu des êtres
Qui se mettaient en rond pour échapper aux loups
Et sentir leur chaleur; ils devaient disparaître,
Ils ressemblaient à nous.
Nous sommes réunis, nos derniers mots s’éteignent,
La mer a disparu
Une dernière fois quelques amants s’étreignent,
Le paysage est nu.
Au-dessus de nos corps glissent les ondes hertziennes,
Elles font le tour du monde
Nos corps sont presque froids, il faut que la mort vienne,
La mort douce et profonde;
Bientôt les êtres humains s’enfuiront hors du monde.
Alors s’établira le dialogue des machines
Et l’informationnel remplira, triomphant,
Le cadavre vidé de la structure divine;
Puis il fonctionnera jusqu’à la fin des temps.
Les hommages à l’humanité
Se multiplient sur la pelouse
Ils étaient au nombre de douze,
Leur vie était très limitée.
Ils fabriquaient des vêtements
Des objets, des petites choses,
Leur vie était plutôt morose,
Ils fabriquaient des revêtements
Des abris pour leur descendance,
Ils n’avaient que cent ans à vivre
Mais ils savaient écrire des livres
Et ils nourrissaient des croyances.
Ils alimentaient la douleur
Et ils modifiaient la nature
Leur univers était si dur;
Ils avaient eu si faim, si peur.
LA DISPARITION
Nous marchons dans la ville, nous croisons des regards
Et ceci définit notre présence humaine;
Dans le calme absolu de la fin de semaine,
Nous marchons lentement aux abords de la gare.
Nos vêtements trop larges abritent des chairs grises
À peu près immobiles dans la fin de journée
Notre âme minuscule, à demi condamnée,
S’agite entre les plis, et puis s’immobilise.
Nous avons existé, telle est notre légende
Certains de nos désirs ont construit cette ville
Nous avons combattu des puissances hostiles,
Puis nos bras amaigris ont lâché les commandes
Et nous avons flotté loin de tous les possibles;
La vie s’est refroidie, la vie nous a laissés,
Nous contemplons nos corps à demi effacés,
Dans le silence émergent quelques data sensibles.
Nous roulons protégés dans l’égale lumière
Au milieu de collines remodelées par l’homme
Et le train vient d’atteindre sa vitesse de croisière
Nous roulons dans le calme, dans un wagon Alsthom,
Dans la géométrie des parcelles de la Terre
Nous roulons protégés par les cristaux liquides
Par les cloisons parfaites, par le métal, le verre,
Nous roulons lentement et nous rêvons du vide.
À chacun ses ennuis, à chacun ses affaires;
Une respiration dense et demi-sociale
Traverse le wagon; certains voisins se flairent,
Ils semblent écartelés par leur part animale.
Nous roulons lentement au milieu de la Terre
Et nos corps se resserrent dans les coquilles du vide
Au milieu du voyage nos corps sont solidaires,
Je veux me rapprocher de ta partie humide.
Des immeubles et des gens, un camion solitaire:
Nous entrons dans la ville et l’air devient plus vif;
Nous rejoignons enfin le mystère productif,
Dans le calme apaisant d’usines célibataires.
C’est comme une veine qui court sous la peau, et que l’aiguille cherche à atteindre,
C’est comme un incendie si beau qu’on n’a pas envie de l’éteindre,
La peau est endurcie, par endroits presque bleue, et pourtant c’est un bain de fraîcheur au moment où pénètre l’aiguille,
Nous marchons dans la nuit et nos mains tremblent un peu, pourtant nos doigts se cherchent et pourtant nos yeux brillent.
C’est le matin dans la cuisine et les choses sont à leur place habituelle,
Par la fenêtre on voit les ruines et dans l’évier traîne une vague vaisselle,
Cependant tout est différent, la nouveauté de la situation est proprement incommensurable,
Hier en milieu de soirée tu le sais nous avons basculé dans le domaine de l’inéluctable.
Au moment où tes doigts tendres petites bêtes ont accroché les miens et ont commencé à les presser doucement
J’ai su qu’il importait très peu que je sois à tel moment où à tel autre ton amant
J’ai vu quelque chose se former, qui ne pouvait être compris dans les catégories ordinaires,
Après certaines révolutions biologiques il y a vraiment de nouveaux cieux, il y a vraiment une nouvelle Terre.
Il ne s’est à peu près rien passé et pourtant il nous est impossible de nous délivrer du vertige
Quelque chose s’est mis en mouvement, des puissances avec lesquelles il n’est pas question qu’on transige,
Comme celles de l’opium ou du Christ, les victimes de l’amour sont d’abord des victimes bienheureuses
Et la vie qui circule en nous ce matin vient d’être augmentée dans des proportions prodigieuses.
C’est pourtant la même lumière, dans le matin, qui s’installe et qui augmente
Mais le monde perçu à deux a une signification entièrement différente;
Je ne sais plus vraiment si nous sommes dans l’amour
ou dans l’action révolutionnaire,
Après que nous en avons parlé tous les deux, tu as acheté une biographie de Maximilien Robespierre.
Je sais que la résignation vient de partir avec la facilité d’une peau morte,
Je sais que son départ me remplit d’une joie incroyablement forte
Je sais que vient de s’ouvrir un pan d’histoire absolument inédit
Aujourd’hui et pour un temps indéterminé nous pénétrons dans un autre monde, et je sais que, dans cet autre monde, tout pourra être reconstruit.
Il est vrai que ce monde où nous respirons mal
N’inspire plus en nous qu’un dégoût manifeste,
Une envie de s’enfuir sans demander son reste,
Et nous ne lisons plus les titres du journal.
Nous voulons retourner dans l’ancienne demeure
Où nos pères ont vécu sous l’aile d’un archange,
Nous voulons retrouver cette morale étrange
Qui sanctifiait la vie jusqu’à la dernière heure.
Nous voulons quelque chose comme une fidélité,
Comme un enlacement de douces dépendances,
Quelque chose qui dépasse et contienne l’existence;
Nous ne pouvons plus vivre loin de l’éternité.
LE SENS DU COMBAT
Il y a eu des nuits où nous avions perdu jusqu’au sens du
combat;
Nous frissonnions de peur, seuls dans la plaine immense,
Nous avions mal aux bras;
Il y a eu des nuits incertaines et très denses.
Comme un oiseau blessé tournoie dans l’atmosphère
Avant de s’écraser sur le sol du chemin
Tu titubais, disant des mots élémentaires,
Avant de t’effondrer sur le sol de poussière;
Je te prenais la main.
Nous devions décider d’un autre angle d’attaque,
Décrocher vers le Bien;
Je me souviens de nos pistolets tchécoslovaques,
Achetés pour presque rien.
Libres, et conditionnés par nos douleurs anciennes
Nous traversions la plaine
Et les mottes gercées résonnaient sous nos pieds;
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