Cheri

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Cheri Page 2

by Colette


  * * *

  1. This English version of the title fails to convey the connotation of the French, which refers to a proverbial saying warning against eating one’s grain stalks while they are still green (“in grass”).

  2. The self-characterization of Chéri and Edmée as “orphans” may be an anachronism, because a fashionable feeling of orphelinisme was a postwar phenomenon in Paris.

  3. A flagrant instance occurs at the very end of the novel Mitsou, when Mitsou, a naïve and uneducated performer in a cheap theater, writes a letter so worldly-wise and eloquent that it could have been signed by Simone de Beauvoir!

  Chéri

  “LÉA! Donne-le-moi, ton collier de perles! Tu m’entends, Léa? Donne-moi ton collier!”

  Aucune réponse ne vint du grand lit de fer forgé et de cuivre ciselé, qui brillait dans l’ombre comme une armure.

  “Pourquoi ne me le donnerais-tu pas, ton collier? Il me va aussi bien qu’à toi, et même mieux!”

  Au claquement du fermoir, les dentelles du lit s’agitèrent, deux bras nus, magnifiques, fins au poignet, élevèrent deux belles mains paresseuses.

  “Laisse ça, Chéri, tu as assez joué avec ce collier.

  — Je m’amuse. . . . Tu as peur que je te le vole?”

  Devant les rideaux roses traversés de soleil, il dansait, tout noir, comme un gracieux diable sur fond de fournaise. Mais quand il recula vers le lit, il redevint tout blanc, du pyjama de soie aux babouches de daim.

  “Je n’ai pas peur, répondit du lit la voix douce et basse. Mais tu fatigues le fil du collier. Les perles sont lourdes.

  — Elles le sont, dit Chéri avec considération. Il ne s’est pas moqué de toi, celui qui t’a donné ce meuble.”

  Il se tenait devant un miroir long, appliqué au mur entre les deux fenêtres, et contemplait son image de très beau et très jeune homme, ni grand ni petit, le cheveu bleuté comme un plumage de merle. Il ouvrit son vêtement de nuit sur une poitrine mate et dure, bombée en bouclier, et la même étincelle rose joua sur ses dents, sur le blanc de ses yeux sombres et sur les perles du collier.

  “Ote ce collier, insista la voix féminine. Tu entends ce que je te dis?”

  Immobile devant son image, le jeune homme riait tout bas:

  “Oui, oui, j’entends. Je sais si bien que tu as peur que je te le prenne!

  — Non. Mais si je te le donnais, tu serais capable de l’accepter.”

  Il courut au lit, s’y jeta en boule:

  “LÉA! Let me have this pearl necklace of yours! Are you listening, Léa? Let me have your necklace!”

  No reply came from the large wrought-iron and chased-copper bed, which was gleaming in the shadows like a suit of armor.

  “Why won’t you let me have your necklace? It looks as good on me as it does on you, if not more so!”

  When the clasp clicked, the lace on the bed stirred, and two splendid bare arms with delicate wrists extended two beautiful, slothful hands.

  “Stop it, Chéri. You’ve played with that necklace long enough.”

  “I’m having fun . . . Afraid I’ll steal it from you?”

  In front of the sun-drenched pink curtains his dark silhouette was dancing, like a graceful devil with a furnace behind him. But when he stepped backwards toward the bed, he became all white again, from his silk pajamas to his buckskin Turkish slippers.

  “I’m not afraid,” replied the gentle, deep voice from the bed. “But you’re wearing out the string of the necklace. The pearls are heavy.”

  “They are,” said Chéri with respect. “The man who gave you this article sure didn’t fool you.”

  He was standing in front of a long mirror that was attached to the wall between the two windows, and he was observing his image, that of a very handsome, very young man, not too tall and not too short, with hair of a blue sheen like a blackbird’s plumage. He opened his pajama shirt to reveal a firm, mat chest as convex as a buckler, and one and the same rosy spark played on his teeth, the whites of his dark eyes, and the pearls of the necklace.

  “Take off that necklace,” the woman’s voice insisted. “Do you hear what I’m saying to you?”

  Motionless before his image, the young man said very quietly, with a laugh:

  “Yes, yes, I hear. How well I know you’re afraid I’ll take it away from you!”

  “No. But if I made you a present of it, you’d be capable of accepting it.”

  He ran to the bed, leaped onto it, and curled up:

  “Et comment! Je suis au-dessus des conventions, moi. Moi je trouve idiot qu’un homme puisse accepter d’une femme une perle en épingle, ou deux pour des boutons, et se croie déshonoré si elle lui en donne cinquante. . . .

  — Quarante-neuf.

  — Quarante-neuf, je connais le chiffre. Dis-le donc que ça me va mal? Dis-le donc que je suis laid?”

  Il penchait sur la femme couchée un rire provocant qui montrait des dents toutes petites et l’envers mouillé de ses lèvres. Léa s’assit sur le lit:

  “Non, je ne le dirai pas. D’abord parce que tu ne le croirais pas. Mais tu ne peux donc pas rire sans froncer ton nez comme ça? Tu seras bien content quand tu auras trois rides dans le coin du nez, n’estce pas?”

  Il cessa de rire immédiatement, tendit la peau de son front, ravala le dessous de son menton avec une habileté de vieille coquette. Ils se regardaient d’un air hostile; elle, accoudée parmi ses lingeries et ses dentelles, lui, assis en amazone au bord du lit. Il pensait: “Ça lui va bien de me parler des rides que j’aurai.” Et elle: “Pourquoi est-il laid quand il rit, lui qui est la beauté même?” Elle réfléchit un instant et acheva tout haut sa pensée:

  “C’est que tu as l’air si mauvais quand tu es gai. . . . Tu ne ris que par méchanceté ou par moquerie. Ça te rend laid. Tu es souvent laid.

  — Ce n’est pas vrai!” cria Chéri, irrité.

  La colère nouait ses sourcils à la racine du nez, agrandissait les yeux pleins d’une lumière insolente, armés de cils, entrouvrait l’arc dédaigneux et chaste de la bouche. Léa sourit de le voir tel qu’elle l’aimait révolté puis soumis, mal enchaîné, incapable d’être libre; — elle posa une main sur la jeune tête qui secoua impatiemment le joug. Elle murmura, comme on calme une bête:

  “Là . . . là. . . . Qu’est-ce que c’est . . . qu’est-ce que c’est donc. . . .”

  Il s’abattit sur la belle épaule large, poussant du front, du nez, creusant sa place familière, fermant déjà les yeux et cherchant son somme protégé des longs matins, mais Léa le repoussa:

  “Pas de ça, Chéri! Tu déjeunes chez notre Harpie nationale et il est midi moins vingt.

  — Non? je déjeune chez la patronne? Toi aussi?

  Léa glissa paresseusement au fond du lit.

  “Pas moi, j’ai vacances. J’irai prendre le café à deux heures et demie

  “I’ll say I would! I’m above petty conventions. I find it ridiculous that a man can accept one pearl from a woman on a tie pin, or two on cuff-links, but has to consider himself dishonored if she gives him fifty . . .”

  “Forty-nine.”

  “Forty-nine, I know the number. But just tell me it doesn’t look good on me. Just tell me that I’m ugly!”

  He leaned over the recumbent woman with a provoking laugh that showed his very small teeth and the moist inside of his lips. Léa sat up in bed:

  “No, I won’t say that. First of all, because you wouldn’t believe it. But can’t you laugh without wrinkling up your nose like that? You’ll be very happy when you have three creases at the corners of your nose, won’t you?”

  Immediately he stopped laughing, smoothed out the skin on his forehead, and tucked in his chin with the skill of an old coquette. They looked at each other with an air of hostility, she propped up on one elbow amid her night clothes and lace, he seated on the edge of the bed in a sidesaddle position. He was thinking: “She’s one to talk about the wrinkles I’ll get!” And she: “Why is he, the epitome of beauty, so ugly when he laughs?” She reflec
ted for a moment and pronounced her conclusion out loud:

  “It’s because you look so vicious when you’re cheerful . . . You only laugh out of malice or sarcasm. That makes you ugly. You’re often ugly.”

  “That’s not so!” Chéri shouted in his irritation.

  Whenever he was angry, his eyebrows got pinned to the springing of his nose, his heavily lashed eyes, filled with an insolent light, grew large, and the scornful, chaste bow of his lips opened slightly. Léa smiled to see him the way she loved him, first rebellious, then submissive, chained only loosely but incapable of being free. She laid one hand on the youthful head that impatiently tried to shake off its yoke. She murmured, like someone calming an animal:

  “There, there . . . What’s wrong? What’s wrong, now? . . .”

  He plunged at her beautiful broad shoulder, digging into it with his forehead and his nose, burrowing out his customary place there, already shutting his eyes and seeking his sheltered late-morning sleep, but Léa repulsed him:

  “None of that, Chéri! You’re having lunch with our national harpy, and it’s twenty minutes to noon.”

  “No? I’m lunching at the boss-lady’s place? You, too?”

  Léa slid lazily all the way back in bed.

  “Not me, I’m on vacation. I’ll go there for coffee at two-thirty, or tea

  — ou le thé à six heures — ou une cigarette à huit heures moins le quart. . . . Ne t’inquiète pas, elle me verra toujours assez. . . . Et puis, elle ne m’a pas invitée.”

  Chéri, qui boudait debout, s’illumina de malice:

  “Je sais, je sais pourquoi! Nous avons du monde bien! Nous avons la belle Marie-Laure et sa poison d’enfant!”

  Les grands yeux bleus de Léa, qui erraient, se fixèrent:

  “Ah! oui! Charmante, la petite. Moins que sa mère, mais charmante. . . . Ote donc ce collier, à la fin.

  — Dommage, soupira Chéri en le dégrafant. Il ferait bien dans la corbeille.”

  Léa se souleva sur un coude:

  “Quelle corbeille?

  — La mienne, dit Chéri avec une importance bouffonne. MA corbeille de MES bijoux de MON mariage. . . .”

  Il bondit, retomba sur ses pieds après un correct entrechat-six, enfonça la portière d’un coup de tête et disparut en criant:

  “Mon bain, Rose! Tant que ça peut! Je déjeune chez la patronne!

  — C’est ça, songea Léa. Un lac dans la salle de bain, huit serviettes à la nage, et des raclures de rasoir dans la cuvette. Si j’avais deux salles de bains. . . .”

  Mais elle s’avisa, comme les autres fois, qu’il eût fallu supprimer une penderie, rogner sur le boudoir à coiffer, et conclut comme les autres fois:

  “Je patienterai bien jusqu’au mariage de Chéri.”

  Elle se recoucha sur le dos et constata que Chéri avait jeté, la veille, ses chaussettes sur la cheminée, son petit caleçon sur le bonheur-du-jour, sa cravate au cou d’un buste de Léa. Elle sourit malgré elle à ce chaud désordre masculin et referma à demi ses grands yeux tranquilles d’un bleu jeune et qui avaient gardé tous leurs cils châtains. A quarante-neuf ans, Léonie Vallon, dite Léa de Lonval, finissait une carrière heureuse de courtisane bien rentée, et de bonne fille à qui la vie a épargné les catastrophes flatteuses et les nobles chagrins. Elle cachait la date de sa naissance; mais elle avouait volontiers, en laissant tomber sur Chéri un regard de condescendance voluptueuse, qu’elle atteignait l’âge de s’accorder quelques petites douceurs. Elle aimait l’ordre, le beau linge, les vins mûris, la cuisine réfléchie. Sa jeunesse de blonde adulée, puis sa maturité de demi-mondaine riche n’avaient accepté ni l’éclat fâcheux, ni l’équivoque, et ses amis se souvenaient

  at six, or a cigarette at seven forty-five . . . Don’t worry, she’ll get to see enough of me . . . Besides, she didn’t invite me.”

  Chéri, on his feet and sulking, lit up with mischievousness:

  “I know, I know why! There’s going to be a select society! The lovely Marie-Laure and her pesky brat are going to be there!”

  Léa’s big blue eyes, which had been wandering, came to a halt:

  “Yes! Yes! A charming little creature. Not as much so as her mother, but charming . . . Now take off that necklace, won’t you?”

  “Too bad,” Chéri sighed as he undid the clasp. “It would look good among the wedding presents.”

  Léa raised herself up on one elbow:

  “What wedding presents?”

  “Mine,” said Chéri with comical smugness. “MY jewelry, which will be MY presents for MY wedding . . .”

  He leaped into the air, landed on his feet again after a correct entrechat-six, butted the door curtains open with his head, and vanished, shouting:

  “My bath, Rose! A nice big one! I’m lunching with the boss-lady!”

  “There he goes,” thought Léa. “A lake in the bathroom with eight towels floating in it, and whisker shavings in the washstand. If I only had two bathrooms . . .”

  But, like every other time, she recalled that it would mean eliminating one clothes closet and making her dressing room smaller; and, like every other time, she concluded:

  “I’ll just have to be patient till Chéri gets married.”

  She lay down on her back again and observed that, the night before, Chéri had thrown his socks onto the mantelpiece and his drawers onto the escritoire, and had tied his cravat around the neck of a bust of Léa. She smiled despite herself at that hot masculine disorderliness, and once again half-closed her large, calm eyes, which were of a youthful blue and had retained all their chestnut-brown lashes. At forty-nine Léonie Vallon, known as Léa de Lonval, was at the end of a successful career as a well-to-do courtesan, a good-natured woman whom life had spared its flattering catastrophes and its noble sorrows. She concealed the date of her birth, but she freely confessed, whenever she glanced at Chéri with condescending amorousness, that she was reaching the age when she could indulge herself in various small ways. She was fond of orderliness, fine linens, mature wines, and skillful cooking. When a young, highly praised blond, and later as a wealthy, older demi-mondaine, she had never allowed either vexatious notoriety or any ambiguity about her status; and her friends still recalled one

  d’une journée de Drags, vers 1895, où Léa répondit au secrétaire du Gil Blas qui la traitait de “chère artiste”:

  “Artiste? Oh! vraiment, cher ami, mes amants sont bien bavards. . . .”

  Ses contemporaines jalousaient sa santé imperturbable, les jeunes femmes, que la mode de 1912 bombait déjà du dos et du ventre, raillaient le poitrail avantageux de Léa, — celles-ci et celles-là lui enviaient également Chéri.

  “Eh, mon Dieu! disait Léa, il n’y a pas de quoi. Qu’elles le prennent. Je ne l’attache pas, et il sort tout seul.”

  En quoi elle mentait à demi, orgueilleuse d’une liaison, — elle disait quelquefois: adoption, par penchant à la sincérité — qui durait depuis six ans.

  “La corbeille . . . redit Léa. Marier Chéri. . . . Ce n’est pas possible,—ce n’est pas . . . humain. . . . Donner une jeune fille à Chéri,— pourquoi pas jeter une biche aux chiens? Les gens ne savent pas ce que c’est que Chéri.”

  Elle roulait entre ses doigts, comme un rosaire, son collier jeté sur le lit. Elle le quittait la nuit, à présent, car Chéri, amoureux des belles perles et qui les caressait le matin, eût remarqué trop souvent que le cou de Léa, épaissi, perdait sa blancheur et montrait, sous la peau, des muscles détendus. Elle l’agrafa sur sa nuque sans se lever et prit un miroir sur la console de chevet.

  “J’ai l’air d’une jardinière, jugea-t-elle sans ménagement. Une maraîchère. Une maraîchère normande qui s’en irait aux champs de patates avec un collier. Cela me va comme une plume d’autruche dans le nez, — et je suis polie.”

  Elle haussa les épaules, sévère à tout ce qu’elle n’aimait plus en elle: un teint vif, sain, un peu rouge, un teint de plein air, propre à enrichir la franche couleur des prunelles bleues cerclées de bleu
plus sombre. Le nez fier trouvait grâce encore devant Léa; “le nez de Marie-Antoinette!” affirmait la mère de Chéri, qui n’oubliait jamais d’ajouter: “. . . et dans deux ans, cette bonne Léa aura le menton de Louis XVI”. La bouche aux dents serrées, qui n’éclatait presque jamais de rire, souriait souvent, d’accord avec les grands yeux aux clins lents et rares, sourire cents fois loué, chanté, photographié, sourire profond et confiant qui ne pouvait lasser.

  Pour le corps, “on sait bien,” disait Léa, “qu’un corps de bonne qualité dure longtemps.” Elle pouvait le montrer encore, ce grand

  coaching-meet day around 1895 on which Léa had replied to the assistant editor of Gil Blas,1 who was calling her “my dear artist”:

  “Artist? Oh, really, my friend, my lovers are such chatterboxes . . .”

  Her peers were envious of her unshakable good health, while younger women, whose backs and stomachs were already being puffed out by the 1912 fashions, used to laugh at Léa’s ample bosom—both groups joined in envying her for Chéri.

  “Oh, Lord,” Léa would say, “there’s no reason to. Let them take him. I don’t keep him tied up, and he goes out on his own.”

  In saying this she was half-lying, because she prided herself in that liaison (or adoption, as she sometimes called it, in her liking for sincerity), which had lasted six years now.

  “The wedding presents . . .” Léa repeated. “To marry off Chéri . . . It’s impossible . . . it’s hardly human . . . To hand over a girl to Chéri— why not fling a doe to the hounds? People don’t know what Chéri is really like.”

  She was fingering her necklace, which had been tossed onto the bed, as if it were a rosary. She took it off at night nowadays because Chéri, who loved beautiful pearls and caressed them in the morning, would have noticed too frequently that Léa’s throat had thickened, was losing its whiteness, and was revealing flaccid muscles beneath its skin. She closed the clasp behind her neck without getting up, and picked up a mirror from the night table.

 

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