Cheri

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Cheri Page 23

by Colette


  “Ce n’est pas la peine d’insister, songeait Léa. Deux fois de suite, ce n’était pas Chéri; la troisième fois ç’aurait été lui. Je connais ces petites embûches-là. Il n’y a rien à faire contre, et aujourd’hui je ne me sens pas d’attaque, je suis molle.”

  Elle se remit, toute la journée, à ses patients essais de solitude. Cigarettes et journaux l’amusèrent, après le déjeuner, et elle accueillit avec une courte joie un coup de téléphone de la baronne de la Berche, puis un autre de Spéleïeff, son ancien amant, le beau maquignon, qui l’avait vue passer la veille et offrit de lui vendre une paire de chevaux.

  Il y eut ensuite une longue heure de silence total à faire peur.

  “Voyons, voyons. . . .”

  Elle marchait, les mains aux hanches, suivie par la traîne magnifique d’une grande chape brodée d’or et de roses qui laissait ses bras nus.

  and forests. Léa went out, with that resolute gait which some shoes and some clothes of a rugged material force upon those who wear them.

  “Ten years ago, I would have risked a walking-stick,” she said to herself. While not far from her house, she heard a light, swift step behind her that she thought she recognized. A numbing fear, which she hadn’t enough time to dispel, nearly froze her to the spot. It was unwillingly that she allowed herself to be overtaken, then left behind, by a hurried young man whom she didn’t know and who didn’t even look at her.

  She sighed with relief:

  “I’m really dumb!”

  She bought a dark carnation for her jacket and set out again. But thirty paces ahead of her, erect in the transparent mist that coated the lawns on the avenue, the silhouette of a man stood waiting for her.

  “This time I recognize the cut of his jacket and the way he twirls his stick . . . Oh, no, thank you, I don’t want him to see me again for the first time with a postman’s shoes and in a jacket that makes me look heavier. If I’ve got to meet him, I prefer him to see me looking different; to begin with, he was never able to abide brown . . . No, no, I’m going back home, I’m . . .”

  At that moment the man who had been waiting hailed an empty taxi, got in, and passed in front of Léa; he was a young blond man with a small, short mustache. But Léa didn’t smile, and this time she didn’t sigh with relief; she turned on her heels and walked back home.

  “One of those fits of laziness, Rose . . . Give me my peach-blossom tea gown, the new one, and the big embroidered sleeveless cape. I’m smothering in all these woolens.”

  “It doesn’t pay to dwell on it,” Léa was thinking. “Twice in a row, it wasn’t Chéri; the third time, it would have been. I know those little traps. There’s no way of helping yourself, and I don’t feel up to it today, I’m flabby.”

  She devoted the rest of the day to her patient lessons in solitude. After lunch her mind was diverted by cigarettes and papers, and brief periods of joy were provided by a phone call from the Baroness de la Berche and another from her former lover Speleyev, the handsome horse trader, who had seen her pass by the day before and now offered her a pair of horses for sale.

  After that there was a long hour of silence so complete that it was frightening.

  “Come on now, come on . . .”

  She was walking, hands on hips, followed by the magnificent train of a large cape, embroidered with gold and roses, that left her arms bare.

  “Voyons, voyons . . . tâchons de nous rendre compte. Ce n’est pas au moment où ce gosse ne me tient plus au cœur que je vais me laisser démoraliser. Il y a six mois que je vis seule. Dans le Midi, je m’en tirais très bien. D’abord, je changeais de place. Et ces relations de Riviera ou des Pyrénées avaient du bon, leur départ me laissait une telle impression de fraîcheur. . . . Des cataplasmes d’amidon sur une brûlure: ça ne guérit pas, mais ça soulage à condition de les renouveler tout le temps. Mes six mois de déplacements, c’est l’histoire de l’horrible Sarah Cohen, qui a épousé un monstre: “Chaque fois que je le regarde, dit-elle, je crois que je suis jolie.”

  “Mais avant ces six mois-là, je savais ce que c’était que de vivre seule. Comment est-ce que j’ai vécu, après que j’ai quitté Spéleïeff, par exemple? Ah oui, on s’est baladés ferme dans des bars et des bistrots avec Patron, et tout de suite j’ai eu Chéri. Mais avant Spéleïeff, le petit Lequellec m’a été arraché par sa famille qui le mariait . . . pauvre petit, ses beaux yeux pleins de larmes. . . . Après lui, je suis restée seule quatre mois, je me rappelle. Le premier mois, j’ai bien pleuré! Ah! non, c’est pour Bacciocchi que j’ai tant pleuré. Mais quand j’ai eu fini de pleurer, on ne pouvait plus me tenir tant j’étais contente d’être seule. Oui! Mais à l’époque de Bacciocchi j’avais vingt-huit ans, et trente après Lequellec, et entre eux, j’ai connu . . . peu importe. Après Spéleïeff, j’étais dégoûtée de tant d’argent mal dépensé. Tandis qu’après Chéri, j’ai . . . j’ai cinquante ans, et j’ai commis l’imprudence de le garder six ans.”

  Elle fronça le front, s’enlaidit par une moue maussade.

  “C’est bien fait pour moi, on ne garde pas un amant six ans à mon âge. Six ans! Il m’a gâché ce qui restait de moi. De ces six ans-là, je pouvais tirer deux ou trois petits bonheurs si commodes, au lieu d’un grand regret. . . . Une liaison de six ans, c’est comme de suivre un mari aux colonies: quand on en revient, personne ne vous reconnaît et on ne sait plus porter la toilette.”

  Pour ménager ses forces, elle sonna Rose et rangea avec elle la petite armoire aux dentelles. La nuit vint, qui fit éclore les lampes et rappela Rose aux soins de la maison.

  “Demain, se dit Léa, je demande l’auto et je file visiter le haras normand de Spéleïeff. J’emmène la mère La Berche si elle veut, ça lui évoquera ses anciens équipages. Et, ma foi, si le cadet Spéleïeff me fait de l’œil je ne dis pas que. . . .”

  Elle se donna la peine de sourire d’un air mystérieux et tentateur, pour abuser les fantômes qui pouvaient errer autour de la coiffeuse et

  “Come now, come now . . . let’s try to take stock. It isn’t now, when that boy doesn’t mean anything to me anymore, that I’m going to let myself lose heart. I’ve been living alone for six months. In the South I got along quite well. For one thing, I kept moving around. And those acquaintances I made on the Riviera or in the Pyrenees were good for me; I had such a comfortable feeling whenever they left . . . Like starch poultices on a burn: they don’t cure you, but they give you relief, provided that you keep changing them. My six months of moving from place to place remind me of the story of that homely Sarah Cohen who married a monster: ‘Every time I look at him,’ she said, ‘I think that I’m pretty.’

  “But even before those six months, I knew what it was like to live alone. For example, how did I live after I left Speleyev? Oh, yes, I kept going to bars and bistros with Patron, then Chéri came along right away. But even before Speleyev, young Lequellec was snatched away from me by his family, who married him off . . . poor boy, his pretty eyes full of tears . . . After him, I remained alone for four months, I remember. The first month, I cried, and how! Oh, no, it was over Bacciocchi that I cried so much. But when my crying was over, no one could hold me down, I was so happy to be alone. Yes! But at the time of Bacciocchi I was twenty-eight, and I was thirty after Lequellec, and in between the two of them, I was with . . . never mind. After Speleyev I became disgusted about squandering so much money. Whereas, after Chéri, I’m . . . I’m fifty, and I was imprudent enough to hold onto him for six years.”

  She wrinkled her brow, and her peevish pout made her look ugly.

  “I deserve what I get, a woman my age doesn’t hold onto a lover for six years. Six years! He ruined whatever I had left. In those six years I could have derived two or three smaller bits of happiness, so conveniently, instead of one big regret . . . A six-year relationship is like following your husband to the colonies: when you get back, no one knows you and you don’t know how to dress anymore.”

  To conserve her strength she rang for Rose, and together they rearra
nged the little armoire where the lace was kept. Night came, lighting the lamps and recalling Rose to her household duties.

  “Tomorrow,” Léa said to herself, “I’ll request the car and I’ll make a flying visit to Speleyev’s stud farm in Normandy. I’ll take along old lady La Berche if she likes; it’ll remind her of her old carriage teams. And, you know, if the younger Speleyev makes eyes at me, I may very well not . . .”

  She took the trouble to smile in a mysterious, provocative way, in order to delude the ghosts that might be straying around the vanity

  du lit formidable qui brillait dans l’ombre. Mais elle se sentait toute froide, et pleine de mépris pour la volupté d’autrui.

  Son dîner de poisson fin et de pâtisseries fut une récréation. Elle remplaça le bordeaux par un champagne sec et fredonna en quittant la table. Onze heures la surprirent comme elle mesurait, avec une canne, la largeur des panneaux entre-fenêtres de sa chambre, où elle projetait de remplacer tous les grands miroirs par des toiles anciennes, peintes de fleurs et de balustres. Elle bâilla, se gratta la tête et sonna pour sa toilette de nuit. Pendant que Rose lui enlevait ses longs bas de soie, Léa considérait sa journée vaincue, effeuillée dans le passé, et qui lui plaisait comme un pensum achevé. Abritée, pour la nuit, du péril de l’oisiveté, elle escomptait les heures de sommeil et celles de l’insomnie, car l’inquiet recouvre, avec la nuit, le droit de bâiller haut, de soupirer, de maudire la voiture du laitier, les boueux et les passereaux.

  Durant sa toilette de nuit, elle agita des projets inoffensifs qu’elle ne réaliserait pas.

  “Aline Mesmacker a pris un bar-restaurant et elle y fait de l’or. . . . Évidemment, c’est une occupation, en même temps qu’un placement. . . . Mais je ne me vois pas à la caisse, et si on prend une gérante, ce n’est plus la peine. Dora et la grosse Fifi tiennent ensemble une boîte de nuit, m’a dit la mère La Berche. C’est tout à fait la mode. Et elles mettent des faux cols et des jaquettes-smoking pour attirer une clientèle spéciale. La grosse Fifi a trois enfants à élever, c’est une excuse. . . . Il y a aussi Kühn qui s’ennuie et qui prendrait bien mes capitaux pour fonder une nouvelle maison de couture. . . .”

  Toute nue et teintée de rose brique par les reflets de sa salle de bains pompéïenne, elle vaporisait sur elle son parfum de santal, et dépliait avec un plaisir inconscient une longue chemise de soie.

  “Tout ça, c’est des phrases. Je sais parfaitement que je n’aime pas travailler. Au lit, Madame! Vous n’aurez jamais d’autre comptoir, et les clients sont partis.”

  Elle s’enveloppa dans une gandoura blanche que sa doublure colorée imprégnait d’une lumière rose insaisissable et retourna à sa coiffeuse. Ses deux bras levés peignèrent et soutinrent ses cheveux durcis par la teinture, et encadrèrent son visage fatigué. Ils demeuraient si beaux, ses bras, de l’aisselle pleine et musclée jusqu’au poignet rond, qu’elle les contempla un moment.

  “Belles anses, pour un si vieux vase!”

  Elle planta d’une main négligente un peigne blond sur sa nuque et

  table and the enormous bed gleaming in the shadows. But she felt aloof and full of scorn for other people’s sensuality.

  Her dinner of fine fish and pastries restored her spirits. Instead of bordeaux, she had a dry champagne, and she was humming when she left the table. The hour of eleven overtook her as she was using a walking-stick to measure the width of the panels between her bedroom windows; she was planning to replace all the tall mirrors with antique canvases painted with flowers and balusters. She yawned, scratched her head, and rang for her night clothes. While Rose was taking off her long silk stockings, Léa thought back on the day she had gotten through successfully; moment after moment, it now lay in the past, and this satisfied her like a chore she had accomplished. Sheltered for the night from the perils of idleness, she was looking forward to the hours of sleep and even to those of sleeplessness, because at night a restless person regains the right to yawn out loud, to sigh, and to curse the milkman’s wagon, the street cleaners, and the awakening sparrows.

  While dressing for the night she let her mind form a number of innocuous plans that she’d never carry out.

  “Aline Mesmacker has taken over a restaurant and bar, where she’s coining money . . . Obviously, it gives you something to do, besides being an investment . . . But I can’t see myself as a cashier, and if I took on some woman as a manager, it wouldn’t be worth it anymore. Dora and big Fifi are running a night spot together, old lady La Berche tells me. That’s all the rage right now. And they wear men’s detachable collars and dinner jackets to attract a special clientele. Big Fifi has three children to bring up, that’s an excuse . . . And then there’s Kühn, who’s getting bored, and who’d gladly accept capital from me to start a new fashion house . . .”

  Naked, and tinged brick-red by the reflections from her Pompeian bathroom, she was spraying on her sandalwood perfume and unfolding a long silk nightgown with unconscious pleasure.

  “All that is just talk. I know perfectly well that I don’t like working. To bed, madame! You’ll never have another sales counter, and your customers have left.”

  She wrapped herself in a white North African tunic which was bathed in a barely perceptible pink light by its colored lining, and she went back to her vanity table. Her two raised arms combed and held up her hair, which the dye made stiff; her arms framed her weary face. Those arms were still so beautiful, from the full, muscular armpit down to the round wrist, that she paused for a minute to study them.

  “Lovely handles for such an old vase!”

  She nonchalantly stuck a pale yellow comb in the hair on her nape,

  choisit sans grand espoir un roman policier sur un rayon, dans un cabinet obscur. Elle n’avait pas le goût des reliures et ne s’était jamais déshabituée de reléguer ses livres au fond des placards, avec les cartons vides et les boîtes de pharmacie.

  Comme elle lissait, penchée, la batiste fine et froide de son grand lit ouvert, le gros timbre de la cour retentit. Ce son grave, rond, insolite, offensa l’heure de minuit.

  “Ça, par exemple . . .” dit-elle tout haut.

  Elle l’écoutait, la bouche entrouverte, en retenant son souffle. Un second coup parut plus ample encore que le premier et Léa courut, dans un geste instinctif de préservation et de pudeur, se poudrer le visage. Elle allait sonner Rose quand elle entendit la porte du perron claquer, un bruit de pas dans le vestibule et dans l’escalier, deux voix mêlées, celle de la femme de chambre et une autre voix. Elle n’eut pas le temps de prendre une résolution, la porte s’ouvrit sous une main brutale: Chéri était devant elle, en pardessus ouvert sur son smoking, le chapeau sur la tête, pâle et l’air mauvais.

  Il s’adossa à la porte refermée et ne bougea pas. Il ne regardait pas particulièrement Léa mais toute la chambre, d’une manière errante et comme un homme que l’on va attaquer.

  Léa, qui avait pourtant tremblé le matin pour une silhouette devinée dans le brouillard, ne ressentait pas encore d’autre trouble que le déplaisir d’une femme surprise à sa toilette. Elle croisa son peignoir, assujettit son peigne, chercha du pied une pantoufle tombée. Elle rougit, mais quand le sang quitta ses joues, elle avait déjà repris l’apparence du calme. Elle releva la tête et parut plus grande que ce jeune homme accoté, tout noir, à la porte blanche.

  “En voilà une manière d’entrer, dit-elle assez haut. Tu pourrais ôter ton chapeau, et dire bonjour.

  — Bonjour”, dit Chéri d’une voix rogue.

  Le son de la voix sembla l’étonner, il regarda plus humainement autour de lui, une sorte de sourire descendit de ses yeux à sa bouche et il répéta avec douceur:

  “Bonjour. . . .”

  Il ôta son chapeau et fit deux ou trois pas.

  “Je peux m’asseoir?

  — Si tu veux”, dit Léa.

  Il s’assit sur un pouf et vit qu’elle restait debout.

  “Tu t’habillais? Tu ne sors pas?”

  Elle fit signe que non, s�
�assit loin de lui, prit un polissoir et ne parla

  and, without expecting too much, she chose a detective story from a shelf in a dark closet. She wasn’t a collector of fine bindings, and had never gotten out of the habit of consigning her books to the back of closets, along with empty cardboard boxes and medicine bottles.

  While she was bent over, smoothing out the delicate, cool cambric of her large bed, turned down for the night, the loud outside bell rang. That deep, full, unusual sound was an affront to the midnight hour.

  “Well, I’ll be . . . ,” she said aloud.

  She listened to it, her mouth slightly open, holding her breath. A second ring seemed even louder than the first, and, with an instinctive urge for preservation of modesty, Léa ran over to powder her face. She was about to ring for Rose when she heard the slamming of the house door and the sound of steps in the vestibule and on the stairs; she heard two voices mingling, her maid’s and someone else’s. She didn’t have the time to face the situation; her bedroom door was opened by a heavy hand: Chéri stood before her, his unbuttoned overcoat revealing his dinner jacket, his hat on his head. He was pale and looked mean.

  Shutting the door, he leaned his back against it and remained motionless. He wasn’t looking especially at Léa, but at the room in its entirety, with the roving gaze of a man about to be attacked.

  Though Léa had trembled that morning because of a man’s form in the fog that she had thought was his, now all that troubled her so far was the annoyance a woman feels when caught by surprise at her toilette. She closed her peignoir, adjusted her comb, and groped with one foot for a fallen slipper. She blushed, but by the time the blood had left her cheeks, she had already taken on a semblance of calm again. She raised her head and looked taller than that young man darkly silhouetted against the white door on which he was leaning.

  “That’s some way to make an entrance,” she said, fairly loudly. “You might take off your hat and say hello.”

 

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