by Maëlle Brun
Un ouvrage proposé par Michel Taubmann
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E-ISBN : 9782809823813
Copyright © L’Archipel, 2018.
SOMMAIRE
Introduction
Un vent de liberté
Notre belle famille
En Marche ! avant l’heure
« Un métier extraordinaire »
Le prix du bonheur
Au cœur du pouvoir
People or not people
« La calomnie, Monsieur… »
Compagne présidentielle
La vie de château
« Un job fait avec plaisir »
Phénomène Brigitte
Conclusion
INTRODUCTION
« Brigitte, Brigitte, Brigitte ! » Nous sommes le 23 avril 2017, il est 22 h 15.
Dans le hall 5 du Parc des expositions, l’atmosphère est survoltée et la musique, « Closer » du groupe norvégien Lemaitre, résonne. Mais un prénom se détache : « Brigitte, Brigitte… » Sur scène, celle qui deviendra première dame dans deux semaines vient de faire son entrée. Elle avance, la mine un peu gênée, à la droite d’un Emmanuel Macron déjà victorieux. En ce soir de premier tour, la foule n’applaudit pas un candidat, mais bien un couple. Une équipe, même, qui s’est imposée au fil des nombreux déplacements, des couvertures de magazines et d’un storytelling rodé. Au micro, le futur président n’oublie d’ailleurs pas de remercier son épouse, « toujours présente et encore davantage ».
Cette fois, Brigitte Macron sait qu’elle risque de prendre bientôt ses quartiers dans l’aile Madame du palais. Elle ne peut plus refuser de se projeter, comme elle s’obstinait à le faire. Elle ne doit plus continuer de prétendre que « Macron, c’est lui », et seulement lui. De toute façon, l’ultra-modestie ne sonne pas tout à fait juste : dans cette campagne, elle n’a jamais joué les figurantes. Elle a même tenu le haut de l’affiche. Qu’elle apparaisse enceinte en couverture de Charlie Hebdo ou façon éminence grise sur celle de L’Express, que l’on moque la longueur de ses jupes ou que son élégance soit louée, qu’on la qualifie de « bimbo » dans la presse anglaise ou de « future Michelle Obama » aux États-Unis : elle a été raillée autant que starifiée. Omniprésente dans les médias, comme auprès de son mari.
« Brigitte, viens me rejoindre », a si souvent lancé l’ex-ministre, pourtant peu enclin à partager les projecteurs. Mais avec elle, il ne rechigne pas. Ce serait d’ailleurs absurde : au-delà de l’amour qui les lie depuis vingt ans, elle sert sa candidature. Elle est rassurante là où on le craignait trop jeune, transgressive quand on le dit bon élève… Elle rassemble pour celui qui voulait abolir les clivages. Chaque fois qu’il l’a sollicitée, elle s’est donc exécutée. « Mon rôle ? Je suis son épouse, c’est tout simple », assenait-elle aux journalistes le 4 octobre 2016, en marge d’un meeting à Strasbourg. « Vous avez toujours l’air étonné que les épouses soient à côté de leurs maris. Il serait temps d’évoluer un peu, c’est notre place. » La définition semble néanmoins bien réductrice dans son cas.
Coach, répétitrice, maîtresse de l’agenda, messagère, chasseuse de têtes, spin doctor… Toutes ces attributions sont, à un moment ou à un autre, devenues siennes. Des couloirs de Bercy aux locaux d’En Marche !, elle a même été l’une des seules femmes d’influence de son entourage. Si Emmanuel Macron se dit féministe, sa garde rappochée a toujours été majoritairement composée d’hommes : les stratèges Alexis Kohler et Ismaël Emelien, le porte-parole Benjamin Griveaux, le directeur de campagne Jean-Marie Girier, le communicant Sylvain Fort, les organisateurs Stéphane Séjourné, Cédric O ou Julien Denormandie… Mais Brigitte Macron n’a pas vraiment eu à jouer des coudes pour s’imposer dans cet entourage très masculin : le titre de « part non négociable » de son époux l’en dispense.
Cela ne signifie pas, loin de là, que tous l’aient accueillie avec joie en première ligne. Nul besoin d’attendre que Valeurs actuelles la taxe en une, en juillet 2017, de redoutable « vice-présidente »… Dès le ministère de l’Économie, certains conseillers se sont chargés de déplorer son pouvoir. Et de la dépeindre comme une sorte de fille cachée de Cécilia Sarkozy et de Claire Underwood, véritable ordonnatrice de la mise en orbite de Jupiter. Faux, s’empressent de nous rétorquer d’une même voix les proches de Brigitte Macron ! Elle ne rêvait nullement d’un destin élyséen. Elle se contentait d’accompagner son mari, sans jamais le pousser.
Est-elle donc co-capitaine ou « petit soldat » ? La réalité se situe sûrement au milieu – au centre, devrions-nous dire. Son rôle demeure constant depuis vingt ans : inspirer et conseiller, comme elle le faisait sur les bancs du lycée La Providence et dans leur quartier chic d’Amiens. Avant qu’elle ne le mette en marche, Emmanuel Macron dit y avoir mené une « vie immobile ».
Ce n’était alors pas le cas de l’enseignante. Lorsqu’ils se rencontrent, au milieu des années 1990, elle est déjà nourrie de ses propres contradictions. Enfant solaire mais indisciplinée, adolescente fracturée derrière les sourires, épouse bourgeoise et indépendante, un rien potache entre deux citations de Leibniz… À chaque étape de son parcours apparaît le « en-même-temptisme » qui deviendra la marque de fabrique de son mari. Cela explique en partie que la première dame reste énigmatique, malgré sa surmédiatisation. Dans ce livre, nous nous sommes efforcés de lever le voile sur une femme aux multiples facettes, dont la vie romanesque est mue par une priorité : la quête permanente de la liberté. L’Élysée n’est pas forcément le lieu où la préserver. Elle a un quinquennat pour déjouer les pronostics.
UN VENT DE LIBERTÉ
« Vous écrivez sur la petite Trogneux ? C’est une vraie star ici. » À Amiens, on est fier d’elle. Et si le Picard est réputé taiseux, évoquer la première dame anime les conversations. « Quel beau parcours, quand même ! », nous dit-on au bar-tabac Le Saint-Claude, dans la rue Gaulthier-de-Rumilly. Quelques mètres plus haut, au cœur du quartier cossu d’Henriville, se trouve la maison des Macron. Là où a grandi le président et où vit toujours son père. Mais ce jour-là comme souvent, beaucoup parlent surtout de Brigitte. Pas Mme Macron donc, ni même Mme Auzière, du nom de son premier mari, mais « la petite Trogneux ». Un patronyme qui en impose dans la région : Brigitte Macron n’a pas attendu d’être épouse de ministre pour y être connue de tous…
La chocolaterie Trogneux est en effet une institution. Six magasins dans les Hauts-de-France – entre Amiens, Lille, Saint-Quentin et Arras –, cinquante-cinq salariés, plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires (3,8 en 2015, mais on parle de 6 pour 2016)… Et une saga qui s’affiche en toutes lettres sur la maison mère amiénoise. « Jean Trogneux, depuis cinq générations », peut-on lire sur la devanture du 1, rue Delambre, tout près de l’hôtel de ville. L’entreprise est actuellement dirigée par le neveu de la première dame, Jean-Alexandre, héritier d’une famille enracinée dans la région. « La lignée des Trogneux a son berceau dans le village de Vaulx, nous révèle le généalogiste Jean-Louis Beaucarnot. C’est une famille paysanne, qui devait être à l’origine relativement aisée et influente, puisque ses membres sont qualifiés de “fermiers propriétaires1”. » Au XVIIIe siècle, sous Louis XV, leur statut social s’effondre néanmoins. « Viennent alors plusieurs générations de manouvriers, des manœuvres agricoles payés à la journée et menant des vies dures. En 1834, on enregistre en quinze jours les actes de décès d’André Trogneux, de sa femme et de leur fils de dix-neuf ans. Ils laissent orpheline une fille de dix ans, qui sera fileuse.
Elle terminera sa vie comme cuisinière à Abbeville, après avoir donné le jour à un fils naturel, en 1852. » Ce garçon, c’est l’arrière-grand-père de Brigitte Macron, Jean-Baptiste Trogneux, fondateur de la confiserie familiale en 1872.
Sa boutique, rue Duméril, propose d’abord soufflés et entremets, avant de relancer le produit qui fera sa renommée : le macaron. Rien à voir avec les créations de Pierre Hermé et de Ladurée… On parle ici d’une spécialité régionale à l’amande et au miel, rapportée par Catherine de Médicis d’un périple italien, et plus tard tombée dans l’oubli. Remettre la recette au goût du jour se révélera une bonne idée ! Le « macaron Trogneux » (on ne dit même plus « macaron d’Amiens ») pèse aujourd’hui encore plus lourd d’un point de vue économique que calorique : la famille de la première dame en vend plus de deux millions chaque année. Gage de qualité, il recueille même le suffrage d’un grand connaisseur de nos régions, l’Amiénois Jean-Pierre Pernaut, client de la maison… L’Élysée avait accueilli Yvonne de Gaulle « des biscuits Vendroux » ; il y règne maintenant Brigitte Macron « des macarons Trogneux ».
Une place à part
Après Jean-Baptiste – et avant Jean-Claude et Jean-Alexandre – il y aura Jean puis Jean, grand-père et père de la première dame… qui voit donc le jour le 13 avril 1953, au sein de cette dynastie amiénoise. Ses parents ? Ils étaient selon elle « indissociables ». Passant tout leur temps ensemble, rue Delambre. À la Libération, ils y ont fait renaître l’entreprise familiale, en partie détruite dans les bombardements de 1940. Et ils se partagent désormais entre la chocolaterie au rez-de-chaussée, où Simone Pujol aide son mari, et leur appartement au-dessus du magasin. Brigitte Marie-Claude Trogneux est la dernière de six enfants, séparée par vingt ans de son frère aîné. Cette position unique lui offre une éducation très différente de celle de ses frères et sœurs. Seule enfant de l’après-guerre, elle n’a connu aucune des privations subies par le reste de la fratrie. De cette période sombre, elle entendra sans doute surtout parler du fait d’armes de la famille, qui aurait refusé de servir des sucreries à Rommel pendant l’Occupation. Mais, pour le reste, ses premières années sont choyées.
La benjamine fait fondre Jean Trogneux, que l’on n’imaginait pas jusque-là en papa gâteau… Notable reconnu, pilier du Rotary local, il laisse à Amiens le souvenir d’un homme très respecté. Mais il va tout passer à cette petite fille qu’il a eue à quarante-quatre ans (sa femme en avait trente-neuf). Et il semble attendri par celle que ses camarades d’enfance décrivent comme très gaie, tout autant que dissipée. Elle a beau rapporter des punitions de l’école, et être parfois contrainte d’y laver les carreaux, il est indulgent. « Je pouvais tout faire, même ramener des mauvaises notes, mais [mes parents] étaient extrêmement stricts sur le respect que nous devions à l’autre2 », se souvient-elle. Des rapports particuliers, qui ont marqué son cercle d’alors. Béatrice Leroux, amie de la première dame pendant sa scolarité, nous le raconte. « En tant que petite dernière d’une grande fratrie, avec un écart d’âge important avec ses aînés, elle jouissait d’une grande liberté. Cela se traduisait notamment dans le ton qu’elle employait avec son père. Elle lui parlait gentiment mais de façon très ouverte, allant parfois assez loin dans ce qu’elle disait. Il y avait entre eux une forme de camaraderie dont il ne prenait pas ombrage. Au contraire, il s’en amusait, et ne la remettait jamais à sa place. Il était évident qu’il avait beaucoup d’admiration pour elle3. » Un lien privilégié que Brigitte Macron invoque toujours, plus de deux décennies après la mort du patriarche. « Je pense à mon père dans les moments importants ou délicats, confiait-elle à son ami Philippe Besson pendant la campagne présidentielle. On fait tous ça, non4 ? »
Avec sa mère, le contact est plus doux. « Il y avait beaucoup de tendresse entre elles », poursuit Béatrice Leroux. Fille d’un marchand de vins originaire de l’Ariège, Jean-Pierre Pujol, Simone Trogneux affiche un tempérament assez réservé. Elle est pour Brigitte une mère attentive, lui laissant toutefois son indépendance. Dans la maison de la rue Delambre, le dernier étage est ainsi son domaine. Elle peut aussi se déplacer à sa guise : pour la féliciter d’avoir obtenu le brevet des collèges, ses parents lui ont offert un cyclomoteur, un Piaggio Ciao ! À la grande surprise de quelques copines qui ont eu, elles, un « bravo » pour seule récompense. « Ses parents étaient généreux avec elle, se souvient l’une d’elles. Pour une bonne note, elle avait un jour reçu toute une parure de bijoux en argent5 ! » Brigitte étant bonne élève, spécialement en français et en latin, les cadeaux seront nombreux. Sa garde-robe fait d’ailleurs l’envie de ses amies, avec notamment une impressionnante collection de vestes shetland : elle en a commandé un modèle de chaque couleur dans une boutique à la mode du centre de la ville.
Le quotidien de la jeune fille est donc très agréable, entre la confortable routine amiénoise et les week-ends au Touquet. En 1950, les Trogneux ont acheté dans cette cité balnéaire du Pas-de-Calais une belle maison de ville, sur trois niveaux, la villa Monéjan (pour Simone et Jean). Si Emmanuel Macron, fils de deux médecins, aime à expliquer qu’il vient d’une classe moyenne embourgeoisée, il serait difficile de déclasser sa future épouse. Aucun doute : celle-ci est issue d’un milieu très favorisé et profite d’une jeunesse préservée. « Elle était sociable et farceuse, se souvient une amie d’enfance. Assez libre aussi6. » Elle le prouve d’ailleurs dès l’adolescence.
La messe est dite
Ses samedis soir ? Hors de question de les passer à la maison. Ses frères et sœurs, adultes, en sont partis de toute façon. Et la jeune fille ne compte pas se morfondre dans sa chambre, à rêver devant ses posters des Rolling Stones et de Clint Eastwood – elle dira un jour du président qu’il est « mieux que Clint Eastwood7 », mais pour l’instant c’est le vrai (le moins bien, donc) qui orne son mur. Chaque week-end, elle sort danser dans des boums où elle connaît ses premiers flirts. Côté look, c’est minijupe sur bloomer, indispensable pour les pirouettes du rock, bottes et nattes blondes. « Elle était déjà très coquette, mais pas dans le genre “fille de bonne famille amiénoise”, nous décrit une connaissance de l’époque. Elle explorait la mode des sixties8 ! » D’autant qu’en semaine, son uniforme a de quoi lui mettre le blues. Jupe plissée, gilet et collant bleu marine, chemise et blouse bleu ciel. Sans oublier le calot marine à rayures rouges pour parfaire le style… Au Sacré-Cœur, on ne manque pas de tenue ! Comme toute jeune fille de la bourgeoisie locale, elle y a passé la majorité de sa scolarité, ne s’en éclipsant que le temps de la 4e et la 3e, à Sainte-Clotilde. Cet autre établissement privé catholique d’Amiens a alors fusionné avec le Sacré-Cœur.
Ses sœurs l’ont précédée dans ce parcours mais Brigitte est plus rebelle que ses aînées. « Je n’étais pas une jeune fille très sage. J’étais souvent collée pour impertinence », admettait-elle dans les colonnes de Elle, en août 2017. « Je ne baissais pas les yeux, jamais. Et l’on ne me faisait pas entrer dans le crâne une chose à laquelle je ne croyais pas. J’ai eu très tôt un esprit critique. » Or dans ce grand établissement du centre, fondé en 1801 par la mère de la Société du Sacré-Cœur de Jésus, Madeleine-Sophie Barat, la discipline est stricte. Les conditions d’apprentissage sont certes très confortables – dans de superbes bâtiments rue de l’Oratoire, ouverts sur un parc avec court de tennis. Et les valeurs prônées sont humanistes : le Sacré-Cœur n’est pas uniquement réservé à la grande bourgeoisie, et accueille gratuitement quelques élèves plus modestes. Mais la rigueur est de mise pour celles qui étudient ici. « J’ai passé ma scolarité à ignorer le dossier des chaises, confiera Brigitte Macron. Il fallait se tenir droite9. » Les bonnes sœurs qui dirigent l’établissement y veillent…
Certains laïcs ont intégré le corps professoral du Sacré-Cœur dans les années 1960, mais l’essentiel des cours est encore assuré par des religieuses. Une mère supérieure, que l’on nous dépeint comme charismatique bien que peu chaleureuse, est à la tête de l’école. Au pr
ogramme, deux séances de confession hebdomadaires, mais surtout une messe quotidienne. Chaque matin, le rituel est immuable : les jeunes filles se retrouvent devant l’immense chapelle de l’école – qui a depuis été transformée en gymnase ! Au premier signal, on se met en rang ; au second, on entre à l’office, la tête recouverte d’un voile gris. Les sœurs sont déjà à leur place, agenouillées. Une éducation que la première dame qualifie de « serrée », et qui l’a oppressée. Elle n’en a bien sûr pas été traumatisée, elle qui a fait ensuite toute sa carrière de prof dans des structures privées et religieuses. Mais elle indique tout de même en porter certains stigmates : « J’ai été élevée dans la religion, donc dans la peur, confesse-t-elle. La peur m’est restée10. » Ainsi, pas de période mystique, comme Emmanuel Macron dit en avoir vécu. Né de parents agnostiques, il avait insisté pour être baptisé à l’âge de douze ans. Brigitte, elle, n’a que peu embrassé la pratique catholique de ses parents, habitués de la messe du dimanche.
Les Macron n’ont de toute façon absolument pas traversé la même adolescence. La fièvre du samedi soir du futur président ? Elle était alors littéraire. Il se montrait sociable, insistent aujourd’hui ses camarades de l’école de La Providence… Mais jamais aussi heureux qu’avec ses bouquins comme principaux compagnons et sa grand-mère « Manette » (dont il a aussi fait sa marraine) pour confidente. Brigitte Trogneux est beaucoup plus liante. Plusieurs amies du Sacré-Cœur évoquent ainsi « la bande à Brigitte », qui s’était formée autour d’elle. « C’est vrai qu’elle attirait et nous fédérait, confirme une proche. Il faut dire qu’elle était dynamique, toujours prête à organiser des sorties11. »
Vivre pour le meilleur
À partir de 1967, toute cette troupe se retrouve notamment chaque semaine à la patinoire d’Amiens, qui vient d’ouvrir ses portes. Pendant trois ans, Brigitte et ses amies vont porter les couleurs – et la jupette rouge – de l’équipe de patinage artistique de la ville. Après le départ de leur professeur vers un autre club, elles ne poursuivront pourtant pas l’expérience, leur niveau ne leur ouvrant pas des perspectives nationales… Populaire, la jeune fille fait aussi profiter son petit groupe de la liberté qui lui est accordée. Les lettres d’amour que ses copines ne peuvent se faire adresser à domicile, parce qu’elles ont des parents stricts ou qu’elles sont pensionnaires, elles les font envoyer chez les Trogneux. Brigitte jouera les facteurs, distribuant en classe les missives qu’elle a réceptionnées. À en croire les témoignages recueillis, elle n’a alors pas de petit ami très sérieux, mais elle s’impose quand même comme avisée en la matière. « Elle donnait beaucoup de conseils amoureux, sourit Béatrice Leroux. Elle bénéficiait sans doute de l’expérience de ses sœurs12. » Dans un monde sans blogueuses beauté, elle apprend aussi à ses amies à se maquiller, comme celles-ci s’en amusent aujourd’hui. « Elle était bonne camarade, souligne l’une d’elles. Et elle gardait le sourire en toutes circonstances13. » Pourtant, derrière la joie de vivre, elle n’apprécie guère cette période. Alourdie par ce qu’elle décrit comme une fêlure. « J’ai été très gâtée. Affectivement, socialement, j’avais tout, je ne pouvais me plaindre de rien et, pourtant, j’ai été une adolescente en souffrance14. » Cette fan de Baudelaire et des Fleurs du Mal explique voir à cette époque « la mort partout ».