by Maëlle Brun
L’école du pouvoir
Pourtant, ses déjeuners avec différents ministres – Sophie Cluzel, Marlène Schiappa, Jean-Michel Blanquer et Françoise Nyssen –, quelques jours seulement après leur prise de fonction, semblaient indiquer un engagement politique plus qu’associatif. Renforçant pour certains l’image de cette « vice-présidente » que Valeurs actuelles mettait en couverture le 20 juillet 2017. « La première dame se fait plus discrète depuis qu’elle a pris possession de l’Élysée. Elle n’en est pas moins influente auprès du chef de l’État », affirmait l’hebdomadaire. « Au point d’être crainte des ministres et des conseillers qui redoutent sa liberté. » Le domaine dans lequel son intervention serait la plus grande ? L’éducation bien sûr. Pendant toute la campagne, l’ex-enseignante a distillé ses idées en la matière : le dédoublement des classes de CP et CE1 en zones défavorisées, l’envoi à mi-temps de profs expérimentés dans des lycées difficiles, la réintégration de La Fontaine dans les programmes… « Tout se fait à l’école », a-t-elle l’habitude de rappeler. Et offrir aux jeunes « autre chose que la cage d’escalier » est devenu dans ses rares interviews une vraie priorité du quinquennat. Est-elle l’éminence grise d’Emmanuel Macron sur le sujet ? On peut le penser en effet. Dans l’arrêté du 15 mai 2017 composant le cabinet présidentiel, sur les quarante-trois conseillers nommés, figurait d’ailleurs Thierry Coulhon à l’Enseignement supérieur, la Recherche et l’Innovation… mais personne à l’Éducation.
De son influence intellectuelle sur Emmanuel Macron à son implication dans la campagne, tout porte à croire en son rôle politique. Lorsque la journaliste Laurence Masurel lui adresse son livre, La France est ingouvernable, la première dame donne même du « nous » dans sa réponse. « Vous le savez, nous sommes prêts à relever tous les défis15 », aurait-elle écrit. Un engagement que ses proches mettent parfois en exergue tout naturellement. « Elle est simple, facile d’accès, tout l’opposé de ce que certaines femmes politiques sont16 », juge Patrick Toulmet. Une « femme politique », le mot ne semble pas trop fort au soutien d’Emmanuel Macron. « Elle fait du bien à la classe politique, poursuit-il. C’est une femme de terrain et elle est très cash. Sur le sujet du handicap, elle a parfois pu corriger certaines personnes en disant “voilà ce que l’on compte faire, voilà ce que l’on fera”. Elle va faire bouger les lignes. »
Mais elle se fixe cependant une limite : ne pas gêner celui qu’elle qualifie de « plus beau président de la Ve République ». « Ce que je souhaite plus que tout, c’est ne jamais lui porter préjudice, c’est mon obsession. Si je sens un jour que ma présence est compliquée pour sa présidence, je m’effacerai17 », anticipe-t-elle. « On sent une vraie gravité en elle, une crainte de ne pas réussir et une volonté de ne jamais nuire à son mari18 », explique Ahmed Eddarraz. À ceux qui lui demandent de s’impliquer dans un projet, elle répond d’ailleurs qu’elle doit en parler d’abord à Emmanuel Macron. Elle ne s’engage qu’une fois la « permission » accordée. Mais elle tient ensuite à remplir son rôle, sans se laisser cette fois effacer par les jeunes conseillers présidentiels. Et cela, les ministres d’Édouard Philippe le savent, eux qui parlent si fréquemment de Brigitte Macron lorsque aucun responsable politique n’évoquait par exemple Carla Bruni…
C’est que la nouvelle première dame ressemble peu à la chanteuse. Les deux femmes s’apprécient pourtant. Brigitte a admiré la retenue de Carla à l’Élysée et lui a demandé des conseils pendant la campagne, Carla a envoyé un message de félicitations à Brigitte dès l’élection de son mari et la qualifie de « femme gentille, chaleureuse et humaine, facile à aimer19 »… Mais pour le reste, elles n’ont pas le même style. « Non, Brigitte Macron ne sera pas Carla Bruni, qui a presque disparu en dehors des voyages à l’étranger20 », décrypte l’auteur de Premières Dames, Robert Schneider. Plus proche de Cécilia alors ? Leur influence à Bercy, leur implication, leur côté people… Certaines similitudes existent. L’ex-Mme Sarkozy avait d’ailleurs souhaité avant les autres un statut de la première dame. Mais Brigitte Macron écarte la comparaison : « Elle était chef de cabinet. Elle avait un rôle sur le fond. Avec Emmanuel, ce n’est pas du tout moi qui fais ça21 ! » Robert Schneider propose une autre analyse. « Nicolas Sarkozy avait besoin d’elle, comme Emmanuel Macron recherche la présence de sa femme. Mais la vraie différence est que Brigitte Macron n’a pas envie d’exister en s’opposant. Il est évident qu’elle ne veut pas gêner son mari. » La diplomatie parallèle d’une Danielle Mitterrand, l’ambition électorale d’une Bernadette Chirac ou les tweets embarrassants d’une Valérie Trierweiler ? Peu de chances qu’elle s’y risque… Sans pour autant tomber dans l’ultra-discrétion d’Yvonne de Gaulle, dont les tentatives d’analyses politiques recueillaient inlassablement un « laissez, vous n’y connaissez rien » du Général, ou dans l’invisibilité de Julie Gayet. Pour certains proches, Brigitte Macron serait plutôt « la nouvelle Claude Pompidou », amie des arts et des lettres. Ce n’est sûrement pas un hasard si elle a choisi pour directeur de cabinet Pierre-Olivier Costa qui, avant d’intégrer l’Hôtel de Ville, avait œuvré au Centre Pompidou pendant près de quatre ans puis au CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) huit mois durant. La première dame ne s’en cache pas : elle souhaite faire entrer les artistes à l’Élysée. En y organisant des représentations tout d’abord, comme ce concert donné par Renaud Capuçon le 4 octobre. En appuyant aussi le rôle qu’ils pourraient jouer au sommet de l’État. Elle avait ainsi fait découvrir à Emmanuel Macron la prose de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, devenue depuis sa représentante personnelle pour la francophonie. On dit même que l’auteur de Chanson douce aurait refusé le poste de ministre de la Culture, ce qu’elle ne dément pas.
Avec Claude Pompidou, épouse d’un ancien de la Banque Rothschild, largement critiquée pour ses tenues couture, Brigitte Macron a donc bien des points communs. Comme « Bibiche », « Bibi » entretient surtout une relation très fusionnelle avec son mari. Le couple, très tactile en public, veille à se réserver des plages à deux. L’isolement des débuts leur en a laissé le goût, et ils ont par exemple toujours privilégié les vacances en couple plutôt qu’en bande. De toute façon, la meilleure amie du président, c’est son épouse, comme il le dit lui-même. Le matin, il commence donc sa journée à 9 heures, histoire de partager son petit-déjeuner avec Brigitte. Le soir, il la rejoint vers 22 heures pour dîner, avant de repartir travailler. Et le 20 octobre 2017, il n’envisageait pas d’être loin d’elle pour leurs dix ans de mariage, et écourtait donc sa présence au sommet européen de Bruxelles pour la retrouver à La Lanterne. Un accord conjugal que l’Élysée n’avait plus connu depuis longtemps. Des infidélités souffertes par Anne-Aymone Giscard d’Estaing aux vies séparées des Mitterrand, des disputes des Chirac (qui y avaient chacun son appartement) au divorce puis remariage de Nicolas Sarkozy… Le Château a été le théâtre de toutes sortes de rebondissements sentimentaux. Et l’on ne parle même pas des aventures casquées de François Hollande, puis du portrait assassin fait de lui dans Merci pour ce moment. Dans ce panorama, l’harmonie affichée et revendiquée par les Macron surprend. Elle produit surtout un contraste criant avec les tout premiers instants des précédents quinquennats. Le 7 mai 2017, Brigitte apparaissait sur la scène du Louvre main dans la main avec son mari quand, dans les mêmes circonstances, Cécilia Sarkozy avait menacé de ne pas venir et Valérie Trierweiler quémandait d’être « embrassée sur la bouche » pour marquer sa victoire sur Ségolène Royal. Dès les débuts, la nouvelle première dame formera clairement une équipe avec le président, lorsque d’autres, comme Carla Bruni, revendiquaient de se placer « en retrait ». Brigitte Macron, elle, est sa conseillère et elle se tient donc à ses côtés.
Cette concorde explique en partie l’engouement suscité par Brigitte Macron. Et la condamne à une ouverture de courrier digne d’un épisode de « L’amour est dans le pré ». Chaque jour, elle reçoit en effet cent cinquante lettres, soit quatre fois plus que Carla Bruni à
en croire son entourage. Des missives qu’elle passe la moitié de la journée à traiter, les classant entre celles auxquelles elle répond personnellement, celles qu’elle laisse à son cabinet, et celles qui demandent une étude plus approfondie, parce que révélatrices de défauts dans le système de protection sociale. Autant dire qu’avec cette masse de lettres, elle ne peut assortir ses réponses d’un billet de banque – comme le faisait Anne-Aymone Giscard d’Estaing, qui renvoyait cinq cents francs aux cas les plus difficiles. Mais, à en croire sa popularité, les Français ne semblent pour l’instant pas s’en formaliser…
Entretien avec l’auteur, le 18 août 2017.
Entretien avec l’auteur, le 25 septembre 2017.
Citée dans un article de Paris Match, « Brigitte et Melania, la belle entente », paru le 20 juillet 2017.
Entretien avec l’auteur, le 26 août 2017.
Entretien avec l’auteur, le 17 août 2017.
Entretien avec l’auteur, le 18 septembre 2017.
Joëlle Chevé, op. cit.
Entretien avec l’auteur, le 1er septembre 2017.
Alix Bouilhaguet, op. cit.
Entretien avec l’auteur, le 26 septembre 2017.
Joëlle Chevé, op. cit.
Entretien avec l’auteur, le 15 septembre 2017.
Dans un article du Parisien, « Première dame, premier rôle », paru le 13 août 2017.
Entretien avec l’auteur, le 1er septembre 2017.
D’après un article du Canard enchaîné, « “Nous, Brigitte Macron” », paru le 20 septembre 2017.
Entretien avec l’auteur, le 18 septembre 2017.
Dans une interview parue dans Elle, « Appelez-moi Brigitte », art. cit.
Entretien avec l’auteur, le 1er novembre 2017.
Dans une interview à Version Femina, parue le 9 octobre 2017.
Entretien avec l’auteur, le 25 septembre 2017.
Alix Bouilhaguet, op. cit.
PHÉNOMÈNE BRIGITTE
« Le phénomène Brigitte Macron » en une de L’Obs, « La Brigitte mania » décortiquée par Le Figaro, « L’atout du président » mis en avant par Le Parisien et la « Passion Brigitte » selon Grazia, déclinée dans un dossier de onze pages. Elle a aussi fait la couverture de Valeurs actuelles, Point de vue et L’Express. Et taper son nom sur Google offre plus de dix millions de résultats. Soit deux fois plus que David Beckham, cinq fois plus que Jean Dujardin… et trente fois plus que Valérie Trierweiler ou Julie Gayet ! Depuis des mois, les médias ont un nouveau sujet de prédilection. « C’est un personnage qui intéresse nos lecteurs », confirme Laurence Pieau, directrice de la rédaction de Closer. « Les numéros où elle apparaît en couverture fonctionnent en général bien1. » Même son de cloche du côté de Paris Match. « Le premier numéro où l’on a mis le couple Macron en couverture, en avril 2016, est un numéro historique, avec entre 60 000 et 70 000 ventes supplémentaires2 », se souvient Bruno Jeudy. Il explique qu’une telle hausse n’avait pas été atteinte grâce à l’ascension d’un homme politique depuis Nicolas Sarkozy. « Nous n’avons pas encore fait de une sur Brigitte Macron toute seule mais notre lectorat pourrait bien sûr être intéressé. Si l’on avait eu la primeur de sa première interview en tant que première dame, on y serait allé ! » Un autre magazine du groupe Lagardère, Elle, a obtenu l’exclusivité, avec un long entretien publié le 18 août. Et l’hebdomadaire n’a pu que s’en féliciter, et trinquer aux 530 000 exemplaires écoulés, un record depuis dix ans ! « J’ai fait beaucoup de couvertures parce que je fais vendre. Comme une lessive », disait Emmanuel Macron pendant la campagne3. Son épouse l’a largement rattrapé sur ce terrain.
Cet engouement n’a pas tardé à dépasser nos frontières. À l’étranger, Brigitte Macron a en effet intrigué, et ce avant même l’élection de son mari. Dès février 2017, le très sérieux Frankfurter Allgemeine Zeitung brossait son portrait. « Copine sympa de Jane Fonda », rayonnant « d’une telle joie de vivre qu’on dirait qu’elle a passé les quarante dernières années à faire la fête à Saint-Tropez » : les qualificatifs ne sont alors pas des plus flatteurs, mais la femme du candidat d’En Marche ! est en tout cas présentée comme l’une des clés de son succès. « Les Français les aiment justement à cause de leur écart d’âge inhabituel », explique le quotidien germanique. Notons quand même que quelques Allemands s’intéressent aussi à ce couple atypique : Angela Merkel elle-même serait « fascinée » par les Macron ! « Dans le monde totalitaire de sa jeunesse à l’Est, toute différence était mal vue et réprimée, écrit la journaliste Marion Van Renterghem dans sa biographie de la chancelière. Elle en a gardé une admiration pour ceux qui assument leur différence4. » Et elle a donc évidemment dû se ruer sur cette interview d’un conseiller conjugal publiée fin avril par le Bild et titrée « Lui 39 ans, elle 64 ! Comment un tel mariage fonctionne-t-il ? »
« Briseuse de diktats » pour le New York Times, « bien plus jeune que son mari », dixit le Daily Mail, « attractive, décidée, chaleureuse et vibrante », selon le magazine équatorien Cosas… Quant au Daily Telegraph, il s’extasiait dès le 9 mai sur « ses cheveux blonds savamment brushingués, son sourire ultra-brite et son assurance coquette ». Le tout, dans un article promettant à ses lectrices de les aider à trouver « leur Brigitte Macron intérieure » ! Parmi les six conseils proposés, « ne jamais sortir sous-lookée » et considérer que « son homme est un dieu » aiderait à y parvenir… Avis aux amatrices. Bref, la « future Michelle Obama française » du quotidien argentin Clarín a énormément inspiré les journalistes étrangers. Parmi eux, Ellie Pithers. Auteur d’un long portrait élogieux de la première dame française dans le Vogue britannique, elle nous explique ce qui a piqué son intérêt. « La différence d’âge entre elle et son mari a fait énormément parler au Royaume-Uni. Le couple de notre Première ministre étant très conventionnel, nous sommes attirés par le côté atypique des Macron5 ! » Adam Sage, correspondant du Times à Paris, confirme. « Il n’y a qu’à regarder les commentaires sous les articles pour voir que cette différence d’âge intrigue. Les femmes sont souvent favorables, les hommes, plus sceptiques. Mais leur histoire d’amour intéresse en Angleterre. C’est sans doute la partie d’Emmanuel Macron qui est la plus connue ici6. » Il en va de même au Maroc qui l’a accueillie en « rock star » selon Ahmed Eddarraz, à ses côtés pour le voyage officiel de juin 2017. Et en Grèce, la presse s’est surtout arrêtée sur les faits et gestes de la première dame lors du séjour présidentiel de septembre. « Il se passe d’ailleurs la même chose au Japon ou en Chine ! », conclut Adam Sage.
La première dame fait recette…
L’intérêt chinois pour Brigitte Macron s’est en outre renforcé depuis le 4 août 2017. Ce jour-là, au zoo de Beauval, naissait un bébé panda dont elle allait devenir la marraine. Le rôle revient traditionnellement à la première dame du pays de naissance, mais il n’a rien d’anecdotique, les pandas restant la propriété de l’empire du Milieu. En apprenant, quelques semaines plus tôt, que cette tâche lui incomberait, son cabinet avait déclenché un vrai branle-bas de combat, pour connaître la procédure et éviter tout impair. « Mme Macron semblait heureuse de cette mission dont elle a pris la pleine mesure protocolaire, nous explique Delphine Delord, directrice de la communication du zoo de Beauval. Le jour de la naissance, elle nous a tout de suite appelés, avant même que nous ne lui fassions une demande officielle. Elle nous a dit avoir suivi cette arrivée heure par heure avec son mari depuis l’Élysée et prend régulièrement depuis des nouvelles de son filleul7. » Une implication qui a fait son petit effet à l’ambassade. « La Chine était extrêmement honorée qu’elle prenne la chose aussi à cœur. Pour la cérémonie du prénom, une grande délégation a tout de suite prévu de venir à Beauval, notamment parce que Mme Macron y serait. » Le 4 décembre, les représentants chinois s’étaient en effet déplacés en nombre, ravis d’apprendre que l’ourson s’appellerait désormais Yuan Meng (soit « la réalisation d’un rêve », pour ceux qui auraient quelques lacunes en mandari
n). Mais, ce jour-là, l’assistance voulait surtout entendre la première dame. Elle ne se privait alors pas de donner un léger tour politique à son discours. Pour cette première prise de parole officielle, elle vantait ainsi ce « fruit énergique et vigoureux de l’amitié franco-chinoise, de cette amitié solide où il est possible de confier ce qu’on a de plus cher à quelqu’un dont on sait qu’il en prendra soin comme de lui-même ». Et elle n’oubliait pas de terminer son allocution d’un « je vous remercie », en chinois. Une belle maîtrise de la « diplomatie du panda » qui a semblé réjouir ses interlocuteurs – dont le vice-ministre des Affaires étrangères Zhang Yesui et l’ambassadeur Zhai Jun. Autant dire qu’en Chine – où le hashtag #ilestmariéavecunefemmequia24ansdeplusquelui avait été utilisé plusieurs millions de fois pendant l’élection française – Brigitte Macron a des chances d’être l’objet d’encore quelques articles…