Frontiere Interdite

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Frontiere Interdite Page 3

by Shepard Rifkin


  — A voir la tête de ces messieurs du barreau, je préfère assurer ma défense moi-même, merci infiniment. King Fisher sourit de toutes ses dents.

  — D'accord. Bearclaw, quelles preuves as-tu que Carson s'est introduit sur mes terres ?

  — Son bétail se trouvait près de la source.

  — Vous savez lire ? demanda Fisher à Carson.

  — Ouais.

  — Vous avez vu l’écriteau sur la route?

  — Ouais.

  — Qu'est-ce qu'il y a dessus ?

  — « Route de King Fisher. Prenez l'autre. »

  — Et vous avez ouvert la barrière quand même?

  — Ouais.

  — Bien. Bearclaw, qu'est-ce qui prouve qu'il a coupé mes barbelés et détruit mon bien ?

  Bearclaw montra la pince qu'il avait prise dans les fontes de Carson.

  — Mets ça sur la table et marque-le « pièce à conviction n° 1 ».

  — Quoi ?

  — Rien, Bearclaw, je plaisantais. Donne-la-moi. Bearclaw lança la pince et King Fisher l'attrapa au vol d'une main. Il joua avec tout en parlant.

  — Vous niez ce qu'on vient de dire ?

  — Non.

  King Fisher haussa les sourcils. Il s'était attendu à une défense plus acharnée de la part de Carson et parut déçu.

  — Très bien. Bearclaw, quelles preuves tu apportes à l'accusation d'assassinat?

  Bearclaw posa un index sale au milieu de son front.

  — Un grand trou bleu. En plein milieu.

  — Au milieu ?

  — Carrément au centre.

  King Fisher examina Carson, qui sentait la circulation revenir lentement dans ses doigts engourdis. Il avait l'impression que des milliers de petits couteaux pointus tournaient autour de chaque os, de la paume aux ongles.

  — Vous savez vous servir d'un 45 ? Carson répondit d'un haussement d'épaules.

  — Pas de casier, j'ai vérifié. Vous êtes pas assez important pour qu'on vous ait tiré le portrait. Vous avez dû manquer de bouteilles vides pour tirer dessus.

  — Il m'a menacé avec un fusil à deux canons. King Fisher se tourna vers Bearclaw qui déclara :

  — Pas de fusil.

  — Vous me mentez, mon gars.

  King Fisher regardait fixement Carson. Son expression était faite d'un mélange de colère froide et d'amusement réprimé.

  — Alors, nom de Dieu, qu'est-ce qui a emporté la jambe de mon cheval ?

  — Quel cheval ? s'enquit Bearclaw avec un sourire épanoui. J'ai pas trouvé de cheval.

  Les petits couteaux grattaient les os et les chairs. Carson serra les dents ; sa seule chance était de faire durer le procès le plus longtemps possible, jusqu'à ce qu'il puisse se faire obéir de ses mains qui, pour le moment, lui donnaient l'impression de passer au hachoir à viande.

  — Comment je serais arrivé là ?

  — Tu montais peut-être une de tes vaches, répliqua Bearclaw en riant à l'idée du tableau.

  — On a une autre accusation contre vous, reprit King Fisher. Vol de chevaux. Par chez nous, on rigole pas avec ça. Comment vous l'avez eu, le cheval que vous montiez quand on vous a agrafé au Mexique ?

  — Je l'ai acheté.

  — Où est le reçu ?

  — J'en ai pas demandé.

  — Mais vous l'avez acheté ?

  — Ouais.

  — Honnêtement?

  — Honnêtement.

  — Ah ! Honnêtement, qu'il dit !

  Le rayon de soleil s'était déplacé. La crosse d'ébène et d'argent du colt de King Fisher était à présent dans l'ombre et les petites incrustations luisaient sur le bois sombre comme des lunes minuscules. Silencieusement, Carson pria Dieu de lui accorder encore dix minutes de palabres. Cela suffirait pour que la circulation se rétablisse. King Fisher avait ôté le cigare de sa bouche et en examinait le bout, savourant l'arôme du tabac et l'instant.

  — Honnêtement, hein ?

  — Ouais.

  — Amène-le, Bearclaw. Bearclaw alla à la porte et lança d'une voix brève :

  — Eh toi ! Rapplique ! Le vieux mineur entra.

  — Vous le reconnaissez?

  — Bien sûr ! répondit Carson. Demandez-lui, il le sait bien.

  — Est-ce que cet homme a acheté ton cheval ? demanda King Fisher.

  — Non, murmura le mineur, qui était blême.

  — Non?

  — Il l'a volé.

  — Comment ça ?

  — Il m'a braqué et il l'a pris.

  — Il ne l'a pas payé ?

  — Non.

  — Sûr?

  — Ouais, grommela le mineur, les yeux fixés sur le plancher.

  Malgré sa rage impuissante, Carson avait un peu pitié de lui.

  — Vous avez quelque chose à répondre à ça ? lui demanda King Fisher.

  — Ouais. La voix tranquille de Carson fit dresser la tête de King Fisher. Il regarda Carson avec un regain d'intérêt, tout en retournant la pince coupante entre ses doigts. L'apathie de son prisonnier l'avait agacé.

  — Eh bien ?

  — Je pourrais prendre ce témoin, et prouver que Jésus-Christ a dirigé un bordel au bord du San Miguel. Parfaitement, un bordel au bord du San Miguel.

  King Fisher éclata d'un rire tonitruant, puis il se tourna vers le vieux mineur, devenu écarlate.

  — Qu'est-ce que t'as à répondre à ça ? L'homme ne répondit rien. King Fisher insista :

  — Alors ? On t'accuse de parjure et tu réagis pas ?

  — Je vous l'ai dit, il a volé mon cheval. Et ma selle et ma Winchester.

  — Eh bien, c'est complet ! Destruction de biens, bris de clôture, assassinat et vol de chevaux !

  — Ça ne fait que quatre, fit Carson. Ajoutez le vol de la selle et de la Winchester, vous aurez un full aux as.

  King Fisher rit tout bas. Il considéra presque affectueusement Carson, puis il se tourna vers le jury qui ne partageait pas sa gaieté.

  — Eh bien, l'heure du verdict a sonné. Quelqu'un voit une raison en faveur de son innocence ?

  Deux des jurés étaient mexicains ; ils semblaient avoir pitié de Carson ; leurs visages basanés n'étaient pas fermés et durs comme ceux des autres. Mais ils se turent.

  — Eh bien, dans ce cas, nous sommes obligés de vous pendre, reprit King Fisher. Si vous voulez écrire une lettre à votre famille, je la ferai parvenir.

  — J'ai personne.

  — Bon. Bearclaw...

  Quand Bearclaw fut assez près, Carson lui expédia son poing gauche dans le ventre ; il s'y enfonça jusqu'au poignet. De la main droite il tira le colt à crosse d'ébène hors de l'étui. Mais ses doigts encore engourdis ne purent se refermer, pas plus que son pouce n'eut la force de rabattre le chien. Avant qu'il puisse ramener sa main gauche pour le faire, la droite fut violemment heurtée par la pince que King Fisher avait lancée du hamac. Le choc fit tomber le colt devant Bearclaw qui était tombé à genoux et haletait de douleur. Archie l'envoya valser d'un coup de pied hors de portée de Carson, et lui abattit le canon de son propre revolver sur la tempe. Carson chancela et s'accrocha à une des poutres verticales. Il sentit du sang couler lentement le long de sa joue.

  Il fut traîné dehors et hissé sans ménagement sur le siège d'un chariot, où Archie lui glissa la corde au cou. Il était encore furieux contre sa main qui l'avait trahi et ne songeait pas trop à la mort ; il était plus préoccupé par les fibres éraillées du lasso qui lui grattaient la nuque. Le coup sur sa tempe l'avait étourdi, mais il se rendit tout de même compte qu'on n'avait pas fait un vrai nœud coulant de bourreau ; on voulait qu'il s'étrangle lentement, au lieu d'être tué sur le coup, la nuque brisée. A la seconde tentative, Archie réussit à lancer la corde par-dessus les timons des chariots, et la ramena en sifflotant. Il riait, en découvrant ses dents de loup. Les deux Mexicains se découvrirent et se signèrent. En voyant ce geste, Carson comprit enfin qu'il allait mourir. Il était encore groggy, et deux hommes sautèrent sur le chariot pour aider Archie et soutenir Carson.
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  — Prêts, les enfants ? cria King Fisher.

  Archie plaça la paume de sa main entre les omoplates de Carson et hocha la tête. King Fisher s'approcha lentement.

  Carson l'observait, en espérant qu'il viendrait tout près de lui.

  — Toujours rien à dire ?

  Carson le regarda fixement. Un de ses yeux enflait rapidement. Archie ricana :

  — T'es pas beau à voir non plus. Carson ne lui prêta aucune attention.

  — Si, dit-il à Fisher.

  — Vous allez demander grâce ? s'enquit King Fisher avec un grand sourire.

  Carson regarda la figure levée vers lui, l'expression dure et méprisante. Il cracha, puis il leva les yeux vers la cime du peuplier.

  Le vent emportait le fin duvet cotonneux vers les prés où quelques vieux chevaux broutaient l'herbe grasse, en chassant les mouches de leur longue queue. Au-delà, se dressaient les montagnes bleues. Carson savait qu'il les voyait pour la dernière fois. King Fisher essuya lentement la salive de sa joue ; il riait toujours et paraissait bizarrement content.

  — Coupe la corde et fais-le descendre, ordonna-t-il.

  — Quoi ?

  — Je te dis de le faire descendre. Ne me force pas à le répéter trois fois, Archie. Donne-lui des vêtements propres et prête-lui ton rasoir.

  — Mais le jury l'a déclaré coupable !

  — C'était une erreur judiciaire, déclara King Fisher. Allez, les gars, retournez au boulot.

  Il regagna son hamac, alluma un nouveau cigare sans se soucier des regards venimeux de ses hommes. A travers la fumée bleue de son havane, il contempla son bétail dispersé dans la. vallée. De temps en temps, un petit sourire frémissait aux coins de ses lèvres.

  V

  Carson passa sa main gauche sur sa joue lisse. Il y avait trois semaines qu'il ne s'était pas rasé et il en avait perdu l'habitude. Comme il n'était toujours pas capable de se servir de sa main droite, un des mexicains avait fait office de barbier et avait pris grand soin de ne pas le couper ni d'irriter ses coups de soleil. La blessure de sa tempe avait été soignée, de même que les coupures et les cloques de ses pieds. Il avait bien mangé, et à présent, il était assis dans un fauteuil à l'ombre du grand peuplier tandis que le soir tombait. A côté de lui, King Fisher contemplait trois vieux chevaux qui broutaient de l'herbe près de la barrière.

  — Je mets mes vieux bourrins à la retraite, pour qu'ils profitent en paix de leurs derniers jours, dit-il en se penchant pour verser du bourbon dans le verre de Carson. D'où venez-vous, Carson ?

  — Du Kansas.

  Il était encore un peu alourdi par le bon repas et ahuri d'être toujours en vie. Les deux chariots étaient encore là, devant lui. Il regarda le siège sur lequel il avait attendu la poussée violente d'Archie ; il se frotta la nuque, encore irritée par la corde rêche, puis il but longuement et poussa un soupir de satisfaction.

  — Du Kansas. C'est pas une référence, grommela King Fisher. Ecoutez, je vous ai observé, je me suis renseigné. Alors j'ai une proposition à vous faire. Ne m'interrompez pas avant que j'aie fini de causer. Je suis venu au Texas quand j'étais encore assez petit pour me faire écraser par un poulet, mais l'oncle Asa était déjà là, il était venu tout de suite après la guerre. Dans le temps, c'était un gros planteur, du côté de Tombigbee, il avait plus de trois cents esclaves. Quand la guerre a éclaté, il a juré qu'il boirait tout le sang qui serait versé mais longtemps avant l'arrivée de Sherman, sa fille aînée labourait les champs avec un bœuf et sa femme péchait des poissons-chats dans l'étang. On est de bonne souche. Et vos parents, qu'est-ce qu'ils faisaient, mon gars ?

  — On avait une ferme. Et puis papa a foutu le camp et ma mère s'est mise à laver le linge des voisins. Elle est morte quand j'avais treize ans. Je suis venu par ici, j'ai travaillé dur, à creuser des trous pour des piquets de barrières, à éplucher des patates comme aide cuistot. Et puis j'ai marqué du bétail. En économisant sou par sou, j'ai acheté deux mille hectares dont personne ne voulait. Et puis trente têtes pour démarrer l'élevage. Je les ramenais quand j'ai coupé vos barbelés.

  — Alors je suis ici depuis plus longtemps. On est arrivés en chariot bâché, et on a fait étape près d'une petite source à une dizaine de lieues au nord d'ici, j'avais sept ans. Je me suis éloigné dans les buissons pour faire mes besoins et pendant ce temps-là des Apaches ont attaqué le chariot. J'ai pas fait de bruit, pas si bête. Ils ont tué mes parents vite fait. Y avait dix sacs de café dans le chariot qu'ils ont répandus par terre. Ils ont cassé la caisse qui contenait la porcelaine et l'argenterie de ma mère. Ils ont pris le sabre de mon père, celui qu'il portait pendant la guerre du Mexique, et ils l'ont cassé. Je revois encore ces Apaches en train de briser te sabre et démolir l'argenterie. J'avais assez de bon sens pour pas pleurer. Après leur départ, j'ai recouvert mon père et ma mère avec des pierres pour que les coyotes les bouffent pas et je me suis dit, si ce foutu pays leur appartient, aux Apaches, je vais leur prendre. Et s'ils veulent le défendre, tant mieux ! J'ai pris des biscuits et j'ai marché pendant trois jours avant de rencontrer un convoi de bestiaux qui venait de Santa Fe. Les muletiers ont enterré mes parents et l'un d'eux m'a plus ou moins adopté. A quinze ans je suis parti, tout seul, et j'ai trouvé du boulot dans un ranch du coin, mais le type m'a prévenu qu'il pourrait me payer qu'en bétail. J'ai bossé dur toute une année, et puis j'ai voulu partir. Le type m'a demandé gentiment si j'avais choisi ma marque, mais je n'y avais jamais réfléchi alors j'ai pris mes initiales, K. F., Kirby Fisher. Il a séparé quatre vieilles vaches et trois veaux efflanqués de son troupeau, les a marqués K. F. au fer rouge et les a lancés sur les terrains marécageux en me disant : « Voilà tes gages. » Plus tard, j'ai appris qu'il se vantait partout de m'avoir mis le pied à l'étrier, question leçon d'élevage. Là-dessus, l'hiver est arrivé et ces pauvres vieux bestiaux sont tous morts, en gémissant à faire mal au cœur, tout juste bons à fournir de la carne pour nourrir les chiens. Alors je me suis dit que je savais donner des leçons, moi aussi, et que la mienne ne serait pas élémentaire mais royale, et que je la donnerais à ce type avant de mourir. Et c'est ce que j'ai fait. J'ai dû attendre vingt-quatre ans, mais je lui ai donné sa leçon... Au fait, vous le connaissez.

  — Moi ?

  — Ben voyons. (Fisher leva son verre et regarda froidement Carson.) C'est le gars qui a juré que vous lui aviez volé son cheval.

  Carson resta impassible et ne dit mot.

  — Dans le temps, il a eu jusqu'à dix mille têtes de bétail. Dans sa maison, y avait des glaces que sa femme avait fait venir de Paris, et un piano à queue sur lequel elle tapotait dans des robes qui venaient aussi de Paris. Il avait deux fils. Et maintenant, si je lui disais de me lécher le cul devant la mairie en plein midi, il le ferait ! Je lui laisse garder sa petite mine. Je veux pas le faire crever de faim. Ça lui permet de vivre et je l'ai sous la main. De temps en temps, je le ressors, je l'époussette un peu et je fais voir aux quatre cantons du coin ce que c'est qu'une leçon royale de King Fisher.

  La brise qui caressait les montagnes et couchait l’herbe des pâturages atteignit le peuplier et secoua ses branches, libérant des nuages de duvet blanc qui tombèrent avec légèreté. King Fisher plaça une main sur son verre.

  — Bon, dit-il, voilà ma proposition. Vous m'avez bien plu. Vous avez été élevé à la dure, comme moi. Vous avez l'esprit vif, vous évitez les pépins quand vous le pouvez, et quand vous ne pouvez pas, vous y allez carrément et vous tirez le premier, en visant juste. Et quand la chance tourne, vous ne rampez pas. Vous me ressemblez beaucoup plus qu'aucun membre de ma famille. Bearclaw est si con qu'il ne pourrait pas trouver son nez dans le noir, même à deux mains. Charger Bearclaw ou Archie de régler une affaire délicate, c'est comme d'essayer de verser du beurre fondu avec une cuillère rougie à blanc dans le cul d'un chat sauvage.

  « J'ai un ranch qui s'étend à l'ouest sur près de vingt-cinq lieues en ligne droite. Je suis le premier éleveur du Texas à avoir entouré mes terres de barbelés. J'ai ta
nt de portes entre mes pâturages qu'on a dû m'envoyer un plein wagon de charnières. J'ai des amis à Washington, un domaine immense, mais j'ai besoin de quelqu'un pour me seconder. Je ne peux pas être partout à la fois. J'ai besoin d'un gars qui connaisse le bétail et qui sache se servir d'un revolver. Quelqu'un qui n'a pas peur d'enfreindre la loi quand il le faut. Mais je ne veux pas d'un cinglé qui va au-devant des pépins, comme cet imbécile d'Archie. Il me faut aussi un homme qui connaisse bien l'espagnol, parce que je traite pas mal d'affaires avec le Mexique.

  « Je veux que vous appreniez comment je mène mes affaires. Vous pourrez faire paître vos bêtes avec les miennes. Je les compterai pour vous. Et vous ne perdrez pas de veaux, faites-moi confiance. Je sais que vous ne pouvez pas continuer de vous débrouiller avec votre ranch dans les conditions actuelles... un mauvais hiver, et la banque reprendra tout le bazar. Personne ne va se risquer à prendre d'hypothèques sur votre petit domaine. Votre prochaine traite sera présentée dans deux mois. Vous pourrez la payer ? »

  Carson haussa les épaules.

  — Je me débrouillerai.

  — Comment ? En attaquant un train postal ? Vous n'avez pas un rond à la banque. Vous avez dépensé vos derniers dollars en achetant cette malheureuse rosse à Spencer. Je vous connais, mon gars, je sais tout ce qu'il y a à savoir sur vous. Si les oies sauvages coûtaient dix cents la douzaine, vous ne pourriez pas acheter un croupion d'oiseau-mouche.

  Carson ne put s'empêcher de rire.

  — C'est la première fois que je vous vois sourire, petit, observa Fisher. Je crois qu'on va s'entendre. Le salaire normal d'un régisseur, dans un domaine comme celui-ci, c'est trois cent cinquante dollars par mois. Je vous en offre cinq cents pour commencer.

  Carson ouvrit des yeux ronds. Jamais il n'avait gagné plus d'un dollar par jour quand il travaillait chez les autres.

  — Je vous donnerai aussi une commission de cinq pour cent sur toutes les transactions que vous ferez pour moi, reprit Fisher. Vous rembourserez votre hypothèque les doigts dans le nez. Dans deux ans, vous aurez acheté vos terres et personne ne pourra plus vous les prendre, pas même moi. Deux ans de plus, et vous aurez de quoi acheter des taureaux de concours et d'excellentes génisses, et d'ici cinq ans, vous élèverez les bêtes les plus rentables du Texas, à part les miennes.

 

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