Frontiere Interdite

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Frontiere Interdite Page 5

by Shepard Rifkin


  — Bond aura vite fait d'apprendre que ces Mexicains ont disparu de la circulation. Ça lui donnera matière à gamberger. Il aime bien ruminer dans son petit bureau. Il se dira que tôt ou tard vous reviendrez du côté d’Isleta. Et il a pas mal d'amis au Mexique. Ils lui racontent des choses. Je vous préviens, mon gars, vous allez fourrer la patte dans un sacré piège. Vous êtes bien sûr de vouloir foncer ?

  — Bond ne me plaît pas, répliqua Carson. J'ai envie de voir s'il pourra refermer son piège assez vite pour me coincer la patte.

  King Fisher se mit à rire et ouvrit le gros cadenas ; Carson se dit qu'il ne paraissait pas trop affligé pour un homme qui venait de perdre deux bons vaqueros.

  — Vous dites que c'est le chien de la carabine qui vous a réveillé ?

  — Ouais.

  — Vous avez le sommeil léger.

  — Depuis quelque temps, oui.

  — Hum. Faut pas qu'on oublie ça, marmonna King Fisher.

  Il poussa la porte. La pièce était pleine de caisses, des longues et des carrées. Les longues étaient marquées pelles, les carrées burins. King Fisher donna un coup de pied dans une des longues caisses.

  — Des Winchester, dit-il.

  Il désigna une des autres et regarda Carson en haussant les sourcils.

  — C'est pas des burins, je parie.

  — Gagné. C'est des munitions.

  Ils sortirent et Fisher referma la porte au cadenas.

  — J'ai pas l'intention de déclarer une guerre à moi tout seul, mais quelqu'un d'autre s'est mis ça dans la tête. Et il va payer un gros paquet pour ce chargement. Sous forme de bétail. Vous allez le rencontrer à Saragoza.

  — Du côté mexicain ?

  — Ouais. Vous voulez laisser tomber ?

  — J'ai pas dit ça.

  — Si vous avez un pépin, je vous conseille de rejoindre le Rio Grande à bride abattue. Bearclaw vous accompagnera. Son étoile de shérif aura peut-être du poids. Maintenant je vais vous expliquer ce que vous aurez à faire. Et priez le bon Dieu qu'ils découvrent pas que vous avez tué ces deux Mexicains,

  Dans l'après-midi, le chariot fut chargé. Les caisses de cartouches couvraient le fond du lourd camion. On entassa dessus celles qui étaient marquées pelles, et pour finir, deux hommes jetèrent des rouleaux de barbelés sur le tout. King Fisher remit une feuille de papier à Carson.

  C'était une commande sur papier à en-tête de Bond pour livraison de cent cinquante pelles, six caisses de quatre douzaines de burins et cinquante rouleaux de barbelés. La commande était rédigée de la main de King Fisher et l'encre n'était pas encore sèche. Carson l'agita, puis il plia soigneusement le papier et regarda Fisher en riant.

  — Bond est bien plus chic que vous croyez, dit potier. Il m'en a donné tout un tas, de ces feuilles à e0-tête. Le barbelé, c'est pour décourager les curieux, yoyez si vous pouvez vendre la camelote à Bond.

  — Il l'a commandée, après tout.

  King Fisher se claqua la cuisse.

  — Bon Dieu, c'est vrai, ça ! s'exclama-t-il en riant, l'air ravi.

  Bearclaw était perché sur la barrière du corral, et regardait Fisher compter mille dollars en pièces d'or de vingt dollars.

  — Pour les frais, dit Fisher. (Puis il ajouta à mi-voix :) J'ai observé Bearclaw. C'est vraiment marrant de voir ses idées passer sur sa figure en part de tarte. Tout juste si j'entends pas les rouages s'engrener. Il arrive pas à vous piger. Il est comme ça depuis qu'il a appris comment vous aviez descendu Tito et Manuel. Il est un peu plus malin que le reste de ma famille. Faut dire qu'il a pas de mal. Ça me rappelle un vieux proverbe mexicain... En el pais de los ciegos, el de un ojo esta el rey. Vous connaissez?

  — Au pays des aveugles, les borgnes sont rois ?

  — Tout juste. Ma foi, les autres racontent que vous avez tué ces deux vaqueros de sang-froid. Ils veulent votre peau.

  — Qu'est-ce que j'en aurais à foutre, de tuer deux hommes de sang-froid ? Ils n'avaient pas d'argent !

  — Tout le monde sait ça. Mais vous auriez pu vous en débarrasser parce qu'ils m'étaient fidèles.

  Jusqu'au soir où vous les avez surpris à tripoter le chien de leur Winchester. Si c'est ce qui s'est passé.

  — C'est exactement ce qui s'est passé.

  — Bien sûr, dit King Fisher. (Carson se retourna pour le dévisager. Fisher le regardait en souriant.) Bien sûr. C'est ce qui s'est passé. C'est ce que j'ai dit aux garçons. Mais ils voulaient vous descendre, petit. Ils veulent pas croire que vous êtes loyal rien que parce que je vous ai sauvé du collier de chanvre. Qui c'est qu'a mis la corde à votre cou ? Le vieux King Fisher ! Alors pourquoi vous n'iriez pas réfléchir à tout ça au fin fond du Mexique avec tout cet or pour vous aider à réfléchir? Hein? Pourquoi pas? C'est ça qu'ils disaient. Alors qu'est-ce que vous faites ? Vous tuez les deux gars dans leur sommeil. Vous leur dites que vous allez prendre le prochain tour de garde et vous les tuez pendant qu'ils ronflent. Hein, Carson, dites-moi un peu ce qui cloche dans ce raisonnement ?

  — Pourquoi suis-je revenu ?

  — Qui peut savoir ce qui se passe dans le cœur d'un homme ? répliqua sentencieusement King Fisher. Vous vous êtes peut-être dit comme ça que si vous reveniez, personne ne penserait que vous les aviez tués. Peut-être que ça vous dit rien de vivre au Mexique. Vous aimez peut-être pas les frijoles. Merde, j'en sais rien, moi. Je leur ai dit à tous que vous aviez bien fait. Mais à votre place, j'ouvrirais l'œil.

  — Il paraît qu'Archie est bon tireur.

  — C'est vrai. Le meilleur que je connaisse avec une Winchester. Il a peut-être une sale gueule pleine de boutons mais je l'ai vu faire sauter la serrure du bureau de poste en passant au grand galop. Il voulait pas la cambrioler, il avait simplement parié qu'il pourrait le faire. J'ai dû écrire au marshal et au gouverneur pour les obliger à laisser tomber. Ce foutu crétin d'Archie sait pas faire la différence entre un délit fédéral et un truc qui dépend du bureau du cadastre. Aux autres, ils auraient pas fait d'histoire.

  — Je voudrais qu'il m'accompagne. King Fisher parut suffoqué.

  — Je croyais que vous aimiez pas le cousin Archie.

  — Je ne l'aime pas, mais j'ai besoin d'un bon tireur.

  — Faudra le surveiller. Il est crâneur et il essayera de vous provoquer... et il tire vite.

  — J'ai dans l'idée qu'au Mexique il viendra me faire un câlin pour avoir de la compagnie.

  — D'ac. Il ira. Ça va pas lui plaire, mais il ira. Vous voulez partir quand ?

  — A l'aube. J'ai des trucs à acheter en ville d'abord.

  — Bon. Faites gaffe.

  Carson hocha la tête et sauta en selle. Bearclaw le suivit des yeux quand il sortit du corral au trot. King Fisher aussi. Il était satisfait. A son avis, Carson s'en tirait comme un chef.

  IX

  Carson ouvrit les yeux et se passa la main sur le crâne. C'était sa première coupe de cheveux depuis des mois. Le coiffeur lui avait mis de la brillantine qui sentait la pute. L'odeur ne déplaisait pas à Carson, car elle lui rappelait ses très rares visites chez le barbier quand il était petit et qu'on lui donnait une sucette après avoir étalé sur ses cheveux cette même brillantine rose. Le coiffeur lui massa le cuir chevelu. Il referma les yeux.

  Carson était en pleine forme. Il venait de régler une traite ; il portait une chemise et un jean neufs, et le premier sombrero qu'il ait acheté depuis cinq ans était accroché au portemanteau avec son ceinturon alourdi par le colt.

  Des pas retentirent derrière lui et s'arrêtèrent près de son fauteuil.

  — Bon Dieu, qu'est-ce qu'il sent bon ! s'exclama Archie.

  Carson n'ouvrit pas les yeux.

  — Mon revolver est accroché derrière toi, fit-il. Tu peux tirer sans risque.

  — Vous vous croyez fortiche, hein ? brailla Archie en s'étranglant de rage.

  — T'as quelque chose à me dire, petit ? Moi j'ai pas envie de causer, dit paisiblement Carson. Va donc t'amuser à tirer sur des boîtes de conserve comme si c'était des Indiens
.

  — Hé, Archie ! cria quelqu'un du dehors. Il te cherche ! Tu les allonges ou tu le laisses rafler le pot?

  Le coiffeur s'éloignait avec son miroir. Carson l'entendit et rouvrit les yeux.

  — Laissez-moi la glace, je veux voir votre travail.

  Archie avait manifestement annoncé son projet à la ville entière. Carson n'en fut pas surpris ; il y avait foule sur le trottoir et les hommes se bousculaient pour regarder par la vitrine poussiéreuse. Il n'aperçut pas Bearclaw, qui devait jouer au shérif et s'efforcer de maintenir l'ordre. Il referma les yeux.

  — Alors, Archie ? demanda le coiffeur déçu. Tu le vois. Il te regarde même pas quand tu lui causes. C'est pas respectueux.

  — C'est même insolent, murmura Carson. Et vous, vous êtes stupide.

  Archie arracha le peignoir blanc sale drapé sur les épaules de Carson et le jeta par terre. Carson resta impassible et n'ouvrit toujours pas les yeux.

  — Ça vous suffit comme ça, foireux ? glapit Archie, la main toute proche de la crosse de son pistolet.

  Carson se redressa et ouvrit les yeux. Il se regarda dans la glace, sans plus s'occuper d'Archie que s'il n'était pas là, et fit signe au coiffeur de tenir un petit miroir derrière lui. Il examina sa nuque d'un œil critique.

  — Pas mal...

  — Je vais pas vous tirer dans le dos, nom de Dieu ! Tournez-vous ! rugit Archie.

  — ... du tout, acheva Carson paisiblement.

  Il sourit au reflet d'Archie. Il savait qu'il ne se passerait rien de grave devant toute cette foule, du moment qu'il était désarmé. Il ignorait de quoi il serait capable s'il portait son pistolet ; il préférait donc le laisser au portemanteau.

  — Je n'ai pas envie de me retourner, dit-il au reflet d'Archie.

  — Mais qu'est-ce qui faut que je fasse pour vous forcer à dégainer? gémit Archie.

  — Bon, puisque ça te fait plaisir, je vais boucler mon ceinturon. Peut-être. Et peut-être pas. Ça dépend. Si t'es bien gentil, je le bouclerai peut-être. Si tu me parles mal, je pourrais bien sortir à reculons. iAlors un peu de patience, le temps que je me décide.

  Quelques rires fusèrent dans la foule. Archie n'était pas un imbécile. Il comprit que plus Carson ferait traîner les choses, plus il aurait l'air ridicule. Il pivota, décrocha le ceinturon et le lança à Carson.

  — Allez, grouillez-vous, chouchou !

  Carson prit la ceinture de la main gauche et défit très lentement la boucle. Archie tremblait d'impatience.

  — Tu devraistl'asseoir, Archie, lui dit Carson avec beaucoup de sollicitude. Tu risques d'avoir une attaque si tu restes debout. Mon fauteuil est bougrement confortable. Prends ma place, je t'en prie, pendant que je défais cette boucle.

  Carson se leva et s'écarta poliment. Archie avait du mal à maîtriser sa rage.

  — Allez, allez, nom de Dieu ! Elle est défaite, cette foutue boucle !

  — Pas encore.

  Les ricanements de la foule agissaient comme du papier de verre sur les nerfs à vif d'Archie.

  — Grouillez-vous, bon Dieu !

  — J'ai envie de vivre un peu plus longtemps, fit Carson d'une voix plaintive qui suscita de nouveaux rires.

  Très lentement, il détacha la boucle. Archie suivait des yeux ses moindres mouvements, en crispant et décrispant nerveusement la main droite. Carson écarta les bras, tendit la ceinture entre ses deux mains et s'immobilisa.

  — T'es sûr que t'as pas envie de t'asseoir un peu en attendant ? demanda-t-il avec sollicitude.

  Un des spectateurs éclata d'un rire bruyant. Archie pivota sur les talons et foudroya la foule du regard, puis il se retourna vers Carson qui bouclait lentement le ceinturon sur ses hanches. Cela fait, Carson levait les deux mains.

  — J'aimerais poser une question, dit-il aimablement.

  Archie frémissait de rage, il en pleurait presque.

  — La question est la suivante. Si je baisse les mains pour serrer ma ceinture d'un cran, est-ce que ça va t'énerver ?

  — Serrez-la, nom de Dieu !

  Toujours avec lenteur, Carson abaissa les mains et serra sa ceinture en expliquant :

  — J'aime bien la sentir serrée parce que...

  — Je m'en fous ! glapit Archie. Dégainez ! Carson lâcha la boucle, leva les mains à hauteur des épaules, fléchit plusieurs fois les doigts et sourit à Archie.

  — Alors, vous êtes prêt...

  Archie n'alla pas plus loin. Le barbier raconta plus tard la scène à King Fisher :

  — J'ai jamais rien vu de plus rapide. Archie, il avait à peine tiré son arme de l'étui que Carson lui enfonçait déjà le canon de son colt dans l'oreille. Archie, il est resté tout con, sans bouger, la bouche ouverte. Il était tellement surpris qu'il a pas même eu le temps d'avoir la trouille. Et puis il a réfléchi un brin et il a été pris d'une telle frousse que j'ai cru qu'il allait tomber raide. Moi, je rigolais pas : il me devait quatre coupes de cheveux, Archie !

  — Et après, qu'est-ce qui s'est passé ? demanda King Fisher.

  — Carson a chuchoté quelque chose à l'autre oreille d'Archie, et je suis le seul à l'avoir entendu, vu que j'étais tout près de lui. Il lui a dit : « Encore un coup comme ça et t'es mort. » Et puis il a tiré le colt d'Archie de son étui ; il a pris le blaireau et il a regardé toute la mousse de savon et j'ai bien cru qu'il allait barbouiller Archie avec, mais il a rigolé et il a remis le blaireau dans le bol. Ensuite il a vidé le barillet du colt et il l'a remis au ceinturon d'Archie en lui disant : « Tu peux baisser les mains. Et fais-moi plaisir. Ne donne ton flingue à personne en mon absence... » Ma foi, j'ai bien cru que tous les gars allaient se rouler par terre en poussant des cris de joie. Archie, il a foncé dehors, il a sauté sur son cheval et il lui a planté ses gros éperons mexicains qu'il venait de s'acheter dans les flancs, et il a filé comme s'il avait le feu au cul !

  — Archie peut dire qu'il a de la veine, observa King Fisher. Il ferait mieux de se calmer un peu, ce petit fumier. Il n'a qu'une idée dans le crâne, prouver qu'il est un dur, mais Carson a besoin de rien prouver, lui. Si Archie l'asticote encore une fois, j'ai bien peur qu'il soit trop lent à la détente ; comme ce coup-là. Enfin, j'ai une mission pour lui, et j'espère qu'elle l'empêchera de déconner. Et qu'elle lui mettra du plomb dans la cervelle vite fait. Sinon je donne pas cher de sa peau.

  Il fallut deux semaines au lourd chariot pour atteindre Isleta. L'humeur d'Archie ne s'améliora pas pendant le voyage. Tous les soirs, avant de s'endormir, il faisait des patiences avec des cartes crasseuses. Quant à Bearclaw, il chevauchait en avant-garde, et si Carson prenait la tête, Bearclaw passait silencieusement derrière le chariot.

  Un matin, ils constatèrent la disparition d'un des mulets de la remuda ; un vieux mocassin avait été déposé à sa place. Carson comprit le message : le Comanche qui l'avait volé en avait assez d'aller à pied.

  — On reviendra par ici? demanda Archie. Carson lui répondit que c'était le plus court chemin et Archie déclara qu'ils auraient des ennuis. Du coup, il renonça à ses patiences, et passa les soirées à faire le guet.

  Ils arrivèrent enfin à Isleta et Carson trouva Bond assis à son bureau. Sans lui laisser le temps d'ouvrir la bouche, Bond leva une main :

  — Vous apportez les pelles et les burins ?

  — Ouais.

  — Vous avez des hommes pour surveiller la camelote?

  Carson désigna la rue du pouce. Bond se leva, alla jeter un coup d'œil par la fenêtre et vint se rasseoir.

  — Bon Dieu. Ces deux-là, grogna-t-il. Carson faillit éprouver de la sympathie pour lui.

  — Si c'est tout ce que vous avez, faudra s'en contenter, reprit Bond. King Fisher vous a dit ce que vous deviez faire?

  — Ouais. Je vais à Saragoza.

  — C'est tout ?

  — C'est tout.

  — C'est pas fameux. Ces deux Mexicains venaient de Saragoza. Ceux que vous avez vidés, dit Bond en insistant sur le dernier mot. Ils sont jamais retournés chez eux. Ils ont pas donné de nouvelles à leur famille
non plus, depuis qu'ils ont fait ce trajet avec vous. Si vous voulez mon avis, ça serait plutôt malsain pour vous de mettre les pieds au Mexique pendant un petit bout de temps. Vaudrait donc mieux que je m'occupe moi-même de cette affaire.

  — La région est dangereuse ?

  — Pour vous, oui. Pour moi, non. J'ai pas mal d'amis dans le coin.

  — Vous êtes censé me présenter au client de Saragoza. C'est bien ça ?

  — Oui, c'est ça, acquiesça Bond d'une voix traînante.

  — Et vu les circonstances, vous pensez que je ferais mieux de rester ici pendant que vous allez tout régler ?

  — Oui. Ce sera plus sûr.

  — Je vois. Et vous emporterez les pelles et les burins ?

  — Pas si bête ! Le chargement restera au Texas tant que tout ne sera pas réglé. On se retrouvera sur une île au milieu du Rio Grande, à une dizaine de lieues d'ici. Et là, on entamera les négociations. Tant de têtes de bétail, tant de Winchester. Par exemple, il fait passer dix bestiaux au Texas, j'apporte trois carabines au Mexique. Comme ça, s'il leur prend l'idée de nous doubler, y aura pas trop de mal. Vu?

  — Vu. Et si c'est vous qui décidez de le doubler?

  — Par ici, ça se fait pas, si on tient à la vie, Carson. Il y a trop de chênes verts et d'ocotillos pour dresser des embuscades.

  — Hum...

  Carson prit un air inquiet, puis il sourit comme s'il était soulagé.

  — Comme ça, il me semble qu'on ne risque rien. Vous êtes sûr de pouvoir discuter avec cet éleveur ?

  — C'est pas un éleveur ! s'écria Bond, mis en confiance par l'expression admirative de Carson. C'est un général. Doré sur tranche, comme au cirque, avec un grand sombrero chamarré d'or, des pesos d'argent sur la couture du pantalon, et deux cartouchières croisées sur la poitrine. Et il pue.

  — Il pue ?

  — Il se lave jamais. Moi, je me lave pas souvent, mais lui jamais !

  — C'est un vrai général ?

  — Vous rigolez ? C'est qu'un bandido. Je peux m'arranger avec lui. Pour moi c'est facile, mais vous, par exemple, vous connaissez personne, vous vous amenez là tout seul, ou même avec vos deux poids plume. Et alors, quelqu'un risque de vous reconnaître, d'aller raconter qu'il vous a vu avec ces deux Mexicains qu'on a plus jamais revus. Et vous dites que vous les avez vidés. Mais alors, comment ça se fait qu'ils sont pas rentrés chez eux, hein ?

 

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