The Penguin Book of French Poetry

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The Penguin Book of French Poetry Page 49

by Various


  A partir d’Irkoutsk le voyage devint beaucoup trop lent

  Beaucoup trop long

  Nous étions dans le premier train qui contournait le lac Baïkal

  On avait orné la locomotive de drapeaux et de lampions

  Et nous avions quitté la gare aux accents tristes de l’hymne au Tzar.

  Si j’étais peintre je déverserais beaucoup de rouge, beaucoup de jaune sur la fin de ce voyage

  Car je crois bien que nous étions tous un peu fous

  Et qu’un délire immense ensanglantait les faces énervées de mes compagnons de voyage

  Comme nous approchions de la Mongolie

  Qui ronflait comme un incendie.

  Le train avait ralenti son allure

  Et je percevais dans le grincement perpétuel des roues

  Les accents fous et les sanglots

  D’une éternelle liturgie

  From Irkutsk the journey became much too slow Much too long We were in the first train around Lake Baikal The engine was adorned with flags and Chinese lanterns And we had left the station to the sad strains of the hymn to the Tsar. If I were a painter I would spread lots of red, lots of yellow over the end of this journey For I believe we were all a little crazy And that a huge delirium bloodied the sapped faces of my travelling companions As we approached Mongolia Which was roaring like a fire The train had slowed its pace And I could make out in the perpetual grinding of the wheels The wild strains and the sobs Of an eternal liturgy

  J’ai vu

  J’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient de l’Extrême-Orient et qui passaient en fantômes

  Et mon œil, comme le fanal d’arrière, court encore derrière ces trains

  A Talga 100,000 blessés agonisaient faute de soins

  J’ai visité les hôpitaux de Krasnoïarsk

  Et à Khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous

  J’ai vu dans les lazarets des plaies béantes des blessures qui saignaient à pleines orgues

  Et les membres amputés dansaient autour ou s’envolaient dans l’air rauque

  L’incendie était sur toutes les faces dans tous les coeurs

  Des doigts idiots tambourinaient sur toutes les vitres

  Et sous la pression de la peur les regards crevaient comme des abcès

  Dans toutes les gares on brÛlait tous les wagons

  Et j’ai vu

  J’ai vu des trains de 60 locomotives qui s’enfuyaient à toute

  I saw I saw the silent trains the black trains returning from the Far East and passing like phantoms And my eye, like the rear signal-light, is still running behind those trains At Talga 100,000 wounded were dying for lack of treatment I visited the Krasnoyarsk hospitals And at Khilok we came across a long convoy of insane soldiers In the quarantine stations I saw gaping wounds lacerations that were bleeding full blast And amputated limbs danced about or flew into the raucous air Fire was on all faces in all hearts Idiot fingers drummed on all the windowpanes And under the pressure of fear gazes burst open like abscesses In all the stations waggons were being burned And I saw I saw trains with 60 engines fleeing at top speed pursued by rutting horizons and bands of crows desperately taking flight behind Disappearing In the direction of Port Arthur.

  vapeur pourchassées par les horizons en rut et des bandes

  de corbeaux qui s’envolaient désespérément après

  Disparaître

  Dans la direction de Port-Arthur.

  A Tchita nous eÛmes quelques jours de répit

  Arrêt de cinq jours vu l’encombrement de la voie

  Nous le passâmes chez Monsieur Iankéléwitch qui voulait me donner sa fille unique en mariage

  Puis le train repartit.

  Maintenant c’était moi qui avais pris place au piano et j’avais mal aux dents

  Je revois quand je veux cet intérieur si calme le magasin du père et les yeux de la fille qui venait le soir dans mon lit

  Moussorgsky

  Et les lieder de Hugo Wolf

  Et les sables du Gobi

  Et à Khaïlar une caravane de chameaux blancs

  Je crois bien que j’étais ivre durant plus de 500 kilomètres

  Mais j’étais au piano et c’est tout ce que je vis

  At Chita we had a few days’ respite A five-day stop in view of the blocked track We spent it with Monsieur Iankelevich who wanted to give me his only daughter in marriage Then the train set off again. Now it was I who was seated at the piano and I had toothache I can see again when I want to that interior that was so calm the father’s shop and the eyes of the daughter who came each evening into my bed Mussorgsky And Hugo Wolf lieder And the sands of the Gobi And at Hailar a caravan of white camels I believe I was drunk for more than 500 kilometres But I was at the piano and that’s all I saw When you travel you should shut your eyes Sleep I would have liked so much to sleep I recognize all countries with my eyes shut by their odour And I recognize all the trains by the sound they make European trains run in four-four time whereas those of Asia run in five - or seven-four Others go muted they are lullabies And there are some which in the monotonous sound of their wheels recall Maeterlinck’s heavy prose I have deciphered all the disordered texts of the wheels and assembled the scattered elements of a violent beauty Which I possess And which takes me by storm.

  Quand on voyage on devrait fermer les yeux

  Dormir

  J’aurais tant voulu dormir

  Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur

  Et je reconnais tous les trains au bruit qu’ils font

  Les trains d’Europe sont à quatre temps tandis que ceux d’Asie sont à cinq ou sept temps

  D’autres vont en sourdine sont des berceuses

  Et il y en a qui dans le bruit monotone des roues me rappellent la prose lourde de Maeterlinck

  J’ai déchiffré tous les textes confus des roues et j’ai rassemblé les éléments épars d’une violente beauté

  Que je possède

  Et qui me force.

  Contrastes

  Les fenêtres de ma poésie sont grand’ouvertes sur les boulevards et dans ses vitrines

  Brillent

  Les pierreries de la lumière

  Ecoute les violons des limousines et les xylophones des linotypes

  Le pocheur se lave dans l’essuie-main du ciel

  Tout est taches de couleur

  Et les chapeaux des femmes qui passent sont des comètes dans l’incendie du soir

  L’unité

  Il n’y a plus d’unité

  Toutes les horloges marquent maintenant 24 heures après avoir été retardées de dix minutes

  Il n’y a plus de temps.

  Il n’y a plus d’argent.

  A la Chambre

  On gâche les éléments merveilleux de la matière première

  Contrasts

  The windows of my poetry are wide open to the boulevards and in its showcases Shine The precious stones of light Listen to the violin limousines and the xylophone linotypes The dauber washes himself in the handtowel of the sky Everything is splashes of colour And the hats of the passing women are comets in the fire of evening

  Unity There is no more unity All the clocks show midnight now having been put back ten minutes There is no more time. There is no more money. In the parliament Chamber they are ruining the marvellous elements of raw matter

  Chez le bistro

  Les ouvriers en blouse bleue boivent du vin rouge

  Tous les samedis poule au gibier

  On joue

  On parie

  De temps en temps un bandit passe en automobile

  Ou un enfant joue avec l’Arc de Triomphe…

  Je conseille à M. Cochon de loger ses protégés à la Tour Eiffel.

  In the bistro The workmen in blue overalls are drinking red wine Every Saturday game stakes1 Gaming Betting Now and then a gangster passes in a car Or a child plays with the Arc de Triomphe… I advise Mr Hog to billet his protégés at the Eiffel
Tower.

  Aujourd’hui

  Changement de propriétaire

  Le Saint-Esprit se détaille chez les plus petits boutiquiers

  Je lis avec ravissement les bandes de calicot

  De coquelicot

  Il n’y a que les pierres ponces de la Sorbonne qui ne sont jamais fleuries

  L’enseigne de la Samaritaine laboure par contre la Seine

  Et du côté de Saint-Séverin

  J’entends

  Les sonnettes acharnées des tramways

  Today Change of ownership The Holy Spirit is retailed in portions in the tiniest shops I read in delight the strips of calico Corn-poppy red Only the Sorbonne pumice stones are never in blossom The sign of the Samaritan ploughs against the Seine And towards Saint-Séverin I hear The relentless clanging of the trams

  Il pleut les globes électriques

  Montrouge Gare de l’Est Métro Nord-Sud bateaux-mouches monde

  Tout est halo

  Profondeur

  Rue de Buci on crie L’Intransigeant et Paris-Sports

  L’aérodrome du ciel est maintenant, embrasé, un tableau de Cimabue

  Quand par devant

  Les hommes sont

  Longs

  Noirs

  Tristes

  Et fument, cheminées d’usine

  It’s raining electric light bulbs Montrouge Gare de l’Est Metro North-South pleasure-boats world Everything is a halo Depth On the Rue de Buci they shout L’Intransigeant and Paris-Sports The aerodrome of the sky, ablaze with light, is now a painting by Cimabue While in the foreground Men are Long Black Sad And smoke, factory chimneys

  Construction

  De la couleur, de la couleur et des couleurs…

  Voici Léger qui grandit comme le soleil de l’époque tertiaire

  Et qui durcit

  Et qui fixe

  La nature morte

  La croÛte terrestre

  Le liquide

  Le brumeux

  Tout ce qui se ternit

  La géométric nuageuse

  Le fil à plomb qui se résorbe

  Ossification.

  Locomotion.

  Tout grouille

  L’esprit s’anime soudain et s’habille à son tour comme les animaux et les plantes

  Prodigieusement

  Et voici

  La peinture devient cette chose énorme qui bouge

  Construction

  Colour, colour and colours… Here is Léger expanding like the sun of the tertiary epoch And hardening And fixing Still life Earthly crust Liquid Misty All that grows tarnished Cloudy geometry The retracting plumb line Ossification. Locomotion. Everything swarms The spirit suddenly comes to life and puts on garments in its turn like the animals and plants Prodigiously And now The painting becomes that gigantic moving thing

  ORION

  La roue

  La vie

  La machine

  L’âme humaine

  Une culasse de 75

  Mon portrait

  The wheel Life The machine The human soul A 75-mm breech My portrait

  Orion

  C’est mon étoile

  Elle a la forme d’une main

  C’est ma main montée au ciel

  Durant toute la guerre je voyais Orion par un créneau

  Quand les Zeppelins venaient bombarder Paris ils venaient toujours d’Orion

  Aujourd’hui je l’ai au-dessus de ma tête

  Le grand mât perce la paume de cette main qui doit souffrir

  Comme ma main coupée me fait souffrir percée qu’elle est par un dard continuel

  Orion

  It is my star It has the shape of a hand It is my hand risen into the sky All through the war I saw Orion through a battlement When the Zeppelins came to drop bombs on Paris they always came from Orion Today I have it above my head The great mast pierces the palm of that hand that must be in pain As my severed hand pains me pierced as it is by a perpetual shaft

  Mississippi

  A cet endroit le fleuve est presque aussi large qu’un lac

  Il roule des eaux jaunâtres et boueuses entre deux berges marécageuses

  Plantes aquatiques que continuent les acréages des cotonniers

  Çà et la apparaissent les villes et les villages tapis au fond de quelque petite baie avec leurs usines avec leurs hautes cheminées noires avec leurs longues estacades sur pilotis qui s’avancent bien avant dans l’eau

  Chaleur accablante

  La cloche du bord sonne pour le lunch

  Les passagers arborent des complets à carreaux des cravates hurlantes des gilets rutilants comme les cocktails incendiaires et les sauces corrosives

  Mississippi

  Here the river is almost as wide as a lake Rolling its yellowish muddy waters between two marshy banks Aquatic plants are prolonged by the acres of cotton bushes Here and there towns and villages appear squatting far back in some small bay with their factories with their tall black chimneys with their long piers on stakes jutting well out into the water

  Overpowering heat The ship’s bell rings for lunch The passengers sport checked suits howling ties waistcoats glowing like the inflammatory cocktails and the corrosive sauces

  On aperçoit beaucoup de crocodiles

  Les jeunes alertes et frétillants

  Les gros le dos recouvert d’une mousse verdâtre se laissent aller à la dérive

  La végétation luxuriante annonce l’approche de la zone tropicale

  Bambous géants palmiers tulipiers lauriers cèdres

  Le fleuve lui-même a doublé de largeur

  Il est tout parsemé d’îlots flottants d’où l’approche du bateau fait s’élever des nuées d’oiseaux aquatiques

  Steam-boats voiliers chalands embarcations de toutes sortes et d’immenses trains de bois

  Une vapeur jaune monte des eaux surchauffées du fleuve

  There are plenty of crocodiles to be seen The young ones lively and wriggling The backs of the big ones are covered with greenish moss they let themselves drift

  The luxuriant vegetation heralds the approaching tropical zone Giant bamboos palm trees tulip trees laurels cedars The river itself has doubled in width It is strewn with floating islets from which the ship’s approach sends up clouds of aquatic birds Steamboats sailing boats barges small craft of all kinds and vast rafts of logs A yellow vapour rises from the overheated waters of the river

  C’est par centaines maintenant que les crocos s’ébattent autour de nous

  On entend le claquement sec de leurs mâchoires et l’on distingue très bien leur petit œil féroce

  Les passagers s’amusent à leur tirer dessus avec des carabines de précision

  Quand un tireur émérite réussit ce tour de force de tuer ou de blesser une bête à mort

  Ses congénères se précipitent sur elle la déchirent

  Férocement

  Avec des petits cris assez semblables au vagissement d’un nouveau-né

  And now the crocs leap wildly about us in hundreds You can hear the sharp snap of the jaws and make out very clearly their ferocious little eyes For entertainment the passengers shoot at them with precision rifles When a crack marksman accomplishes the tour de force of killing or mortally wounding a beast Its fellows hurl themselves upon it tear it to pieces Ferociously With little cries rather reminiscent of the wailing of a newborn baby

  Aube

  A l’aube je suis descendu au fond des machines

  J’ai écouté pour une dernière fois la respiration profonde des pistons

  Appuyé à la fragile main-courante de nickel j’ai senti pour une dernière fois cette sourde vibration des arbres de couch pénétrer en moi avec le relent des huiles surchauffées et la tiédeur de la vapeur

  Nous avons encore bu un verre le chef mécanicien cet homme tranquille et triste qui a un si beau sourire d’enfant et qui ne cause jamais et moi

  Comme je sortais de chez lui le soleil sortait tout naturellement de la mer et chauffait déjà dur
r />   Le ciel mauve n’avait pas un nuage

  Et comme nous pointions sur Santos notre sillage décrivait un grand arc-de-cercle miroitant sur la mer immobile

  Dawn

  At dawn I went down into the depths of the engines I listened one last time to the profound breathing of the pistons Leaning on the fragile nickel handrail I felt one last time that muted vibration of the power shafts enter into me with the reek of overheated oils and the tepid warmth of steam We had one more drink the chief engineer that sad and placid man with such a beautiful childlike smile and who never talks and I As I left his room the sun was emerging in all naturalness from the sea and its heat was already intense There was no cloud in the mauve sky And as we headed for Santos our wake described a great curved bow shimmering on the motionless sea

  Pierre Reverdy

  (1889–1960)

  Reverdy’s origins were in south-western France, where his father was a wine-grower, and his love of the rural landscape and the sea survived his uneasy presence in Paris from 1910 to 1926. Discharged from his auxiliary status in the army in 1916, he founded the influential review Nord-Sud (i.e. Montmartre-Montparnasse) with Jacob and Apollinaire the following year. Only sixteen issues appeared, but it was a vital focus for the ‘Cubists’ and to some extent the young Surrealists.

  He was essentially a solitary man in intense communication with his own sensations, a sensitive and often melancholy observer on the sidelines of reality. In 1926, encouraged by Jacob, he withdrew to the monastery of Solesmes, and remained there until his death, in spite of loss of faith and acute depression in which only poetry offered any salvation.

 

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