Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 126

by Gustave Flaubert


  Hamilcar lui fit signe de détacher les muselières. Alors tous, avec des cris de bêtes affamées, se ruèrent sur la farine, qu'ils dévoraient en s'enfonçant le visage dans les tas.

  — " Tu les exténues ! " dit le Suffète.

  Giddenem répondit qu'il fallait cela pour les dompter.

  — " Ce n'était guère la peine de t'envoyer à Syracuse dans l'école des esclaves. Fais venir les autres ! "

  Et les cuisiniers, les sommeliers, les palefreniers, les coureurs, les porteurs de litière, les hommes des étuves et les femmes avec leurs enfants, tous se rangèrent dans le jardin sur une seule ligne, depuis la maison-de-commerce jusqu'au parc des bêtes fauves. Ils retenaient leur haleine. Un silence énorme emplissait Mégara. Le soleil s'allongeait sur la lagune, au bas des catacombes. Les paons piaulaient. Hamilcar, pas à pas, marchait.

  — " Qu'ai-je à faire de ces vieux ? " dit-il ; " vends-les ! C'est trop de Gaulois, ils sont ivrognes ! et trop de Crétois, ils sont menteurs ! Achète- moi des Cappadociens, des Asiatiques et des Nègres. "

  Il s'étonna du petit nombre des enfants. — " Chaque année, Giddenem, la maison doit avoir des naissances ! Tu laisseras toutes les nuits les cases ouvertes pour qu'ils se mêlent en liberté. "

  Il se fit montrer ensuite les voleurs, les paresseux, les mutins. Il distribuait des châtiments avec des reproches à Giddenem ; et Giddenem, comme un taureau, baissait son front bas, où s'entrecroisaient deux larges sourcils.

  — " Tiens, Oeil de Baal ", dit-il, en désignant un Libyen robuste, " en voilà un que l'on a surpris la corde au cou. "

  — " Ah ! tu veux mourir ? " fit dédaigneusement le Suffète.

  Et l'esclave, d'un ton intrépide :

  — " Oui ! "

  Alors, sans se soucier de l'exemple ni du dommage pécuniaire, Hamilcar dit aux valets :

  — " Emportez-le ! "

  Peut-être y avait-il dans sa pensée l'intention d'un sacrifice. C'était un malheur qu'il s'infligeait afin d'en prévenir de plus terribles.

  Giddenem avait caché les mutilés derrière les autres. Hamilcar les aperçut :

  — " Qui t'a coupé le bras, à toi ? "

  — " Les soldats, Oeil de Baal. "

  Puis, à un Samnite qui chancelait comme un héron blessé :

  — " Et toi, qui t'a fait cela ? "

  C'était le gouverneur, en lui cassant la jambe avec une barre de fer.

  Cette atrocité imbécile indigna le Suffète ; et, arrachant des mains de Giddenem son collier de gagates :

  — " Malédiction au chien qui blesse le troupeau. Estropier des esclaves, bonté de Tanit ! Ah ! tu ruines ton maître ! Qu'on l'étouffe dans le fumier. Et ceux qui manquent ? Où sont-ils ? Les as-tu assassinés avec les soldats ? "

  Sa figure était si terrible que toutes les femmes s'enfuirent. Les esclaves, se reculant, faisaient un grand cercle autour d'eux ; Giddenem baisait frénétiquement ses sandales ; Hamilcar, debout, restait les bras levés sur lui.

  Mais, l'intelligence lucide comme au plus fort des batailles, il se rappelait mille choses odieuses, des ignominies dont il s'était détourné ; et, à la lueur de sa colère, comme aux fulgurations d'un orage, il revoyait d'un seul coup tous ses désastres à la fois. Les gouverneurs des campagnes avaient fui par terreur des soldats, par connivence peut-être, tous le trompaient, depuis trop longtemps il se contenait.

  — " Qu'on les amène ! " cria-t-il, " et marquez-les au front avec des fers rouges, comme des lâches ! "

  Alors, on apporta et l'on répandit au milieu du jardin des entraves, des carcans, des couteaux, des chaînes pour les condamnés aux mines, des cippes qui serraient les jambes, des numella qui enfermaient les épaules, et des scorpions, fouets à triples lanières terminées par des griffes en airain.

  Tous furent placés la face vers le soleil, du côté de Moloch-dévorateur, étendus par terre sur le ventre ou sur le dos, et les condamnés à la flagellation, debout contre les arbres, avec deux hommes auprès d'eux, un qui comptait les coups et un autre qui frappait.

  Il frappait à deux bras ; les lanières en sifflant faisaient voler l'écorce des platanes. Le sang s'éparpillait en pluie dans les feuillages, et des masses rouges se tordaient au pied des arbres en hurlant. Ceux que l'on ferrait s'arrachaient le visage avec les ongles. On entendait les vis de bois craquer ; des heurts sourds retentissaient ; parfois un cri aigu, tout à coup, traversait l'air. Du côté des cuisines, entre des vêtements en lambeaux et des chevelures abattues, des hommes, avec des éventails, avivaient des charbons, et une odeur de chair qui brûle passait. Les flagellés défaillant, mais retenus par les liens de leurs bras, roulaient leur tête sur leurs épaules en fermant les yeux. Les autres, qui regardaient, se mirent à crier d'épouvante, et les lions, se rappelant peut-être le festin, s'allongeaient en bâillant contre le bord des fosses.

  On vit alors Salammbô sur la plate-forme de sa terrasse. Elle la parcourait rapidement de droite et de gauche, tout effarée. Hamilcar l'aperçut. Il lui sembla qu'elle levait les bras de son côté pour demander grâce ; avec un geste d'horreur, il s'enfonça dans le parc des éléphants.

  Ces animaux faisaient l'orgueil des grandes maisons puniques. Ils avaient porté les aïeux, triomphé dans les guerres, et on les vénérait comme favoris du Soleil.

  Ceux de Mégara étaient les plus forts de Carthage. Hamilcar, avant de partir, avait exigé d'Abdalonim le serment qu'il les surveillerait. Mais ils étaient morts de leurs mutilations ; et trois seulement restaient, couchés au milieu de la cour, sur la poussière, devant les débris de leur mangeoire.

  Ils le reconnurent et vinrent à lui.

  L'un avait les oreilles horriblement fendues, l'autre au genou une large plaie, et le troisième la trompe coupée.

  Cependant, ils le regardaient d'un air triste, comme des personnes raisonnables ; et celui qui n'avait plus de trompe, en baissant sa tête énorme et pliant les jarrets, tâchait de le flatter doucement avec l'extrémité hideuse de son moignon.

  A cette caresse de l'animal, deux larmes lui jaillirent des yeux. Il bondit sur Abdalonim.

  — " Ah ! misérable ! la croix ! la croix ! "

  Abdalonim, s'évanouissant, tomba par terre à la renverse.

  Derrière les fabriques de pourpre, dont les lentes fumées bleues montaient dans le ciel, un aboiement de chacal retentit ; Hamilcar s'arrêta.

  La pensée de son fils, comme l'attouchement d'un dieu, l'avait tout à coup calmé. C'était un prolongement de sa force, une continuation indéfinie de sa personne qu'il entrevoyait, et les esclaves ne comprenaient pas d'où lui était venu cet apaisement.

  En se dirigeant vers les fabriques de pourpre, il passa devant l'ergastule, longue maison de pierre noire bâtie dans une fosse carrée avec un petit chemin tout autour et quatre escaliers aux angles.

  Pour achever son signal, Iddibal sans doute attendait la nuit. Rien ne presse encore, songeait Hamilcar ; et il descendit dans la prison. Quelques-uns lui crièrent : — " Retourne " ; les plus hardis le suivirent.

  La porte ouverte battait au vent. Le crépuscule entrait par les meurtrières étroites, et l'on distinguait dans l'intérieur des chaînes brisées pendant aux murs.

  Voilà tout ce qui restait des captifs de guerre.

  Alors Hamilcar pâlit extraordinairement, et ceux qui étaient penchés en dehors sur la fosse le virent qui s'appuyait d'une main contre le mur pour ne pas tomber.

  Mais le chacal, trois fois de suite, cria. Hamilcar releva la tête ; il ne proféra pas une parole, il ne fit pas un geste. Puis, quand le soleil fut complètement couché, il disparut derrière la haie de nopals, et le soir, à l'assemblée des Riches, dans le temple d'Eschmoûn, il dit en entrant :

  — " Lumières des Baalim, j'accepte le commandement des forces puniques contre l'armée des Barbares ! "

  Chapitre 8 LA BATAILLE DU MACAR

  Dès le lendemain, il tira des Syssites deux cent vingt-trois mille kikar d'or, il décréta un impôt de quatorze shekel sur les Riches. Les femmes mêmes contribuèrent ; on payait p
our les enfants, et, chose monstrueuse dans les habitudes carthaginoises, il força les collèges des prêtres à fournir de l'argent.

  Il réclama tous les chevaux, tous les mulets, toutes les armes. Quelques- uns voulurent dissimuler leurs richesses, on vendit leurs biens ; et, pour intimider l'avarice des autres, il donna soixante armures et quinze cents gommor de farine, autant à lui seul que la Compagnie-de-l'ivoire.

  Il envoya dans la Ligurie acheter des soldats, trois mille montagnards habitués à combattre des ours ; d'avance on leur paya six lunes, à quinze mines par jour. Cependant, il fallait une armée. Mais il n'accepta pas, comme Hannon, tous les citoyens. Il repoussa d'abord les gens d'occupations sédentaires, puis ceux qui avaient le ventre trop gros ou l'aspect pusillanime ; et il admit des hommes déshonorés, la crapule de Malqua, des fils de Barbares, des affranchis. Pour récompense, il promit à des Carthaginois-nouveaux le droit de cité complet.

  Son premier soin fut de réformer la Légion. Ces beaux jeunes hommes qui se considéraient comme la majesté militaire de la République, se gouvernaient eux-mêmes. Il cassa leurs officiers ; il les traitait rudement, les faisait courir, sauter, monter tout d'une haleine la pente de Byrsa, lancer des javelots, lutter corps à corps, coucher la nuit sur les places. Leurs familles venaient les voir et les plaignaient.

  Il commanda des glaives plus courts, des brodequins plus forts. Il fixa le nombre des valets et réduisit les bagages ; et comme on gardait dans le temple de Moloch trois cents pilums romains, malgré les réclamations du pontife, il les prit.

  Avec ceux qui étaient revenus d'Utique et d'autres que les particuliers possédaient, il organisa une phalange de soixante-douze éléphants et les rendit formidables. Il arma leurs conducteurs d'un maillet et d'un ciseau, afin de pouvoir dans la mêlée leur fendre le crâne s'ils s'emportaient.

  Il ne permit point que ses généraux fussent nommés par le Grand- Conseil. Les Anciens tâchaient de lui objecter les lois, il passait au travers ; on n'osait plus murmurer, tout pliait sous la violence de son génie.

  A lui seul il se chargeait de la guerre, du gouvernement et des finances ; et, afin de prévenir les accusations, il demanda comme examinateur de ses comptes le suffète Hannon.

  Il faisait travailler aux remparts, et, pour avoir des pierres, démolir les vieilles murailles intérieures, à présent inutiles. Mais la différence des fortunes, remplaçant la hiérarchie des races, continuait à maintenir séparés les fils des vaincus et ceux des conquérants ; aussi les patriciens virent d'un oeil irrité la destruction de ces ruines, tandis que la plèbe, sans trop savoir pourquoi, s'en réjouissait.

  Les troupes en armes, du matin au soir, défilaient dans les rues ; à chaque moment on entendait sonner les trompettes ; sur des chariots passaient des boucliers, des tentes, des piques : les cours étaient pleines de femmes qui déchiraient de la toile ; l'ardeur de l'un à l'autre se communiquait : l'âme d'Hamilcar emplissait la République.

  Il avait divisé ses soldats par nombres pairs, en ayant soin de placer dans la longueur des files, alternativement, un homme fort et un homme faible, pour que le moins vigoureux ou le plus lâche fût conduit à la fois et poussé par deux autres. Mais avec ses trois mille Ligures et les meilleurs de Carthage, il ne put former qu'une phalange simple de quatre mille quatre-vingt-seize hoplites, défendus par des casques de bronze, et qui maniaient des sarisses de frêne, longues de quatorze coudées.

  Deux mille jeunes hommes portaient des frondes, un poignard et des sandales. Il les renforça de huit cents autres armés d'un bouclier rond et d'un glaive à la romaine.

  La grosse cavalerie se composait des dix-neuf cents gardes qui restaient de la Légion, couverts par des lames de bronze vermeil, comme les Clinabares assyriens. Il avait de plus quatre cents archers à cheval, de ceux qu'on appelait des Tarentins, avec des bonnets en peau de belette, une hache à double tranchant et une tunique de cuir. Enfin douze cents Nègres du quartier des caravanes, mêlés aux Clinabares, devaient courir auprès des étalons, en s'appuyant d'une main sur la crinière. Tout était prêt, et cependant Hamilcar ne partait pas.

  Souvent la nuit il sortait de Carthage, seul, et il s'enfonçait plus loin que la lagune, vers les embouchures du Macar. Voulait-il se joindre aux Mercenaires ? Les Ligures campant sur les Mappales entouraient sa maison.

  Les appréhensions des Riches parurent justifiées quand on vit, un jour, trois cents Barbares s'approcher des murs. Le Suffète leur ouvrit les portes ; c'étaient des transfuges ; ils accouraient vers leur maître, entraînés par la crainte ou par la fidélité.

  Le retour d'Hamilcar n'avait point surpris les Mercenaires ; cet homme, dans leurs idées, ne pouvait pas mourir. Il revenait pour accomplir ses promesses : espérance qui n'avait rien d'absurde tant l'abîme était profond entre la Patrie et l'Armée. D'ailleurs, ils ne se croyaient point coupables ; on avait oublié le festin.

  Les espions qu'ils surprirent les détrompèrent. Ce fut un triomphe pour les acharnés ; les tièdes même devinrent furieux. Puis les deux sièges les accablaient d'ennui ; rien n'avançait ; mieux valait une bataille ! Aussi beaucoup d'hommes se débandaient, couraient la campagne. A la nouvelle des armements ils revinrent ; Mâtho en bondit de joie. " Enfin ! enfin ! " s'écria-t-il.

  Alors le ressentiment qu'il gardait à Salammbô se tourna contre Hamilcar. Sa haine, maintenant, apercevait une proie déterminée ; et comme la vengeance devenait plus facile à concevoir, il croyait presque la tenir et déjà s'y délectait. En même temps il était pris d'une tendresse plus haute, dévoré par un désir plus âcre. Tour à tour il se voyait au milieu des soldats, brandissant sur une pique la tête du Suffète, puis dans la chambre au lit de pourpre, serrant la vierge entre ses bras, couvrant sa figure de baisers, passant ses mains sur ses grands cheveux noirs ; et cette imagination qu'il savait irréalisable le suppliciait. Il se jura, puisque ses compagnons l'avaient nommé schalischim, de conduire la guerre ; la certitude qu'il n'en reviendrait pas le poussait à la rendre impitoyable.

  Il arriva chez Spendius, et lui dit :

  — " Tu vas prendre tes hommes ! J'amènerai les miens. Avertis Autharite ! Nous sommes perdus si Hamilcar nous attaque ! M'entends-tu ? Lève- toi ! "

  Spendius demeura stupéfait devant cet air d'autorité. Mâtho, d'habitude, se laissait conduire, et les emportements qu'il avait eus étaient vite retombés. Mais à présent il semblait tout à la fois plus calme et plus terrible ; une volonté superbe fulgurait dans ses yeux, pareille à la flamme d'un sacrifice.

  Le Grec n'écouta pas ses raisons. Il habitait une des tentes carthaginoises à bordures de perles, buvait des boissons fraîches dans des coupes d'argent, jouait au cottabe, laissait croître sa chevelure et conduisait le siège avec lenteur. Du reste, il avait pratiqué des intelligences dans la ville et ne voulait point partir, sûr qu'avant peu de jours elle s'ouvrirait.

  Narr'Havas, qui vagabondait entre les trois armées, se trouvait alors près de lui. Il appuya son opinion, et même il blâma le Libyen de vouloir, par un excès de courage, abandonner leur entreprise.

  — " Va-t'en, si tu as peur ! " s'écria Mâtho ; " tu nous avais promis de la poix, du soufre, des éléphants, des fantassins, des chevaux ! où sont-ils ? "

  Narr'Havas lui rappela qu'il avait exterminé les dernières cohortes d'Hannon ; — quant aux éléphants, on les chassait dans les bois, il armait les fantassins, les chevaux étaient en marche ; et le Numide, en caressant la plume d'autruche qui lui retombait sur l'épaule, roulait ses yeux comme une femme et souriait d'une manière irritante. Mâtho, devant lui, ne trouvait rien à répondre.

  Mais un homme que l'on ne connaissait pas entra, mouillé de sueur, effaré, les pieds saignants, la ceinture dénouée ; sa respiration secouait ses flancs maigres à les faire éclater, et tout en parlant un dialecte inintelligible, il ouvrait de grands yeux, comme s'il eût raconté quelque bataille. Le roi bondit dehors et appela ses cavaliers.

  Ils se rangèrent dans la plaine, en formant un cercle devant lui. Narr'Havas, à cheval, baissait la tête et se mo
rdait les lèvres. Enfin il sépara ses hommes en deux moitiés, dit à la première de l'attendre ; puis d'un geste impérieux, enlevant les autres au galop, il disparut dans l'horizon, du côté des montagnes.

  — " Maître ! " murmura Spendius, " je n'aime pas ces hasards extraordinaires, le Suffète qui revient, Narr'Havas qui s'en va... "

  — " Eh ! qu'importe ? ", fit dédaigneusement Mâtho.

  C'était une raison de plus pour prévenir Hamilcar en rejoignant Autharite. Mais si l'on abandonnait le siège des villes, leurs habitants sortiraient, les attaqueraient par-derrière, et l'on aurait en face des Carthaginois. Après beaucoup de paroles, les mesures suivantes furent résolues et immédiatement exécutées.

  Spendius, avec quinze mille hommes, se porta jusqu'au pont bâti sur le Macar, à trois milles d'Utique ; on en fortifia les angles par quatre tours énormes garnies de catapultes. Avec des troncs d'arbres, des pans de roches, des entrelacs d'épines et des murs de pierres, on boucha, dans les montagnes, tous les sentiers, toutes les gorges ; sur leurs sommets on entassa des herbes qu'on allumerait pour servir de signaux, et des pasteurs habiles à voir de loin, de place en place, y furent postés.

  Sans doute Hamilcar ne prendrait pas comme Hannon par la montagne des Eaux-Chaudes. Il devait penser qu'Autharite, maître de l'intérieur, lui fermerait la route. Puis un échec au début de la campagne le perdrait, tandis que la victoire serait à recommencer bientôt, les Mercenaires étant plus loin. Il pouvait encore débarquer au cap des Raisins, et de là marcher sur une des villes. Mais il se trouvait alors entre les deux armées, imprudence dont il n'était pas capable avec des forces peu nombreuses. Donc il devait longer la base de l'Ariana, puis tourner à gauche pour éviter les embouchures du Macar et venir droit au pont. C'est là que Mâtho l'attendait.

  La nuit, à la lueur des torches, il surveillait les pionniers. Il courait à Hippo-Zaryte, aux ouvrages des montagnes, revenait, ne se reposait pas. Spendius enviait sa force ; mais pour la conduite des espions, le choix des sentinelles, l'art des machines et tous les moyens défensifs, Mâtho écoutait docilement son compagnon ; et ils ne parlaient plus de Salammbô, — l'un n'y songeant pas, et l'autre empêché par une pudeur.

 

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