Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 353

by Gustave Flaubert


  Il recommanda qu’on l’ouvrît, de peur d’être enterré vif, mais il défendit bien qu’on l’embaumât.

  25 octobre 1842.

  CHRONIQUE NORMANDE DU DIXIÈME SIÈCLE.

  N’ayant pas été renseigné en temps opportun sur leur existence, nous plaçons à la fin du second volume des Œuvres inédites ces quelques essais qui, chronologiquement, appartiennent, sauf le dernier, au tome I.

  Connaissez-vous la Normandie, cette vieille terre classique du moyen âge, où chaque champ a eu sa bataille, chaque pierre garde son nom et chaque débris un souvenir ? Vous figurez-vous Rouen, la métropole, au temps des assauts, des guerres, des famines, au temps où les preux venaient se battre sous ses murs, où les chevaux faisaient étinceler le pavé des quais, tout chauds encore du sang des Anglais ?

  Ce jour-là, je veux dire le 28 août de l’an 952, toutes les cloches y étaient en branle ; les habitants, parés de leurs vêtements de fête, se montraient partout, sur les toits, aux lucarnes, aux fenêtres, dans les rues ; tout le peuple se pressait sur la route de Paris en criant de joie et en jetant des fleurs.

  Le roi arriva à la porte Beauvoisine à huit heures du soir, on l’attendait depuis le matin. Dès qu’il parut, ce furent des trépignements, des bravos, des cris de joie, des hurlements d’enthousiasme, et l’on vit même des mains qui laissaient tomber des Lis et des roses à travers Les meurtrières des tours.

  Le jeune Richard, fils du duc Guillaume assassiné en Flandre, alla au-devant de lui. 11 était âgé de 12 ans, et c’était un bel enfant aux cheveux blonds, aux yeux tendres, au teint pâle ; pourtant il montait habilement sa. jument noire, et sa main portait fort bien une grande épée, qu’il abaissa devant le roi, comme vassal et sujet.

  — Pauvre enfant ! dit Louis IV en L’embrassant et en versant une larme que chacun vit couler sur sa joue, je viens ici pour vous venger de la mort de Guillaume.

  Le peuple sautait de joie, il bondissait, il dansait, et ses bras tatoués jetaient des couronnes qui tombaient sur Le casque du monarque. N’est-ce pas que tout ce peuple, suspendu à chaque sculpture, à chaque pignon de maison, à chaque proéminence d’église, de rue, de muraille, n’est-ce pas que toute cette multitude enfin, bénissant un seul homme, avait quelque chose d’auguste et de solennel ?

  Le ciel était pur, éclairé, quelques étoiles commençaient à y brilLer, l’air embaumait des fleurs que l’on avait jetées aux pieds des chevaux, et Les eaux de la Seine étaient calmes et paisibles ; Le peuple chantait toujours des cris d’allégresse. Oh ! c’était un beau jour ! La lune vint reluire sur Les armes des chevaliers tout couverts de poussière, ce qui les fit parattre d’argent, et le roi entra à l’bêtel de ville.

  — Vous coucherez avec nous, dit-il au jeune duc en entrant sous le portique de la salle basse ; veillez, messire bailli, à ce que tout soit prêt dans notre appartoment commun.

  Minuit arriva, et Richard dormait d’un sommeil paisible auprès de Louis ; celui-ci, appuyé sur Le balcon, regardait attentivement les dernières lumières de La ville, qui s’éteignaient Les unes après les autres ; bientêt tout rentra dans le silence, et Rouen s’endormit avec calme et bonheur, comme l’enfant qui penchah gracieusement hors de sa couche sa belle chevelure blonde.

  La main appuyée sur son front, Le roi aspirait avec volupté Le vent frais de la nuit, car il est de si beaux moments dans la vie d’un homme, où la nature émane un parfum si suave et si doux à l’âme, qu’on se sentirait coupable de ne pas jouir de ces délices.

  Un page, qui ouvrit La porte en faisant un grand salut, le tira de sa rêverie.

  — Que veux-tu ? Lui dit-il.

  — Sire, un homme entouré d’un large manteau, ayant une toque de velours rouge sur la tête, demande audience sur-le-champ ; il prétend avoir de grands secrets à vous communiquer.

  — Dis-lui d’entrer… Ah ! c’est toi, dit-il à l’inconnu, qui 6ta son manteau et laissa voir un homme d’une stature élevée, Le corps maigre, le front ridé, et le visage couvert de balafres, c’est toi, Arnould. Quelles nouvelles de Flandre ?

  — Vous savez la grande d’abord ?

  — Oui, et qu’a dit le peuple ?

  — Lui ? rien du tout, il suffit qu’on lui mette un bâillon et iL ne dit plus rien.

  — Qu’a-t-il été, ce bâillon ?

  — Une distribution de blé aux pauvres.

  — Fort bien. Mais que veux-tu faire de cet enfant ?

  Et il montrait Richard.

  — Ne vous l’ai-je pas dit ? le garder, annoncer qu’il est malade, qu’il tombe en Langueur, et puis, une nuit, on fait venir dans sa chambre un prêtre et un bourreau, Le prêtre sort d’abord, le bourreau ensuite, Le jeune prince est mort ; Le lendemain on fait dire douze messes pour le repos de son âme, et tout est fini. Vous comprenez, sire ? — Oui, je te fais mon premier ministre et je te donne La Normandie que je vais avoir… Ah ! ah ! je l’aurai, dit-iI comme machinalement et en Lui-même, je l’aurai donc ce beau fleuron de ma couronne, je serai roi chez moi… Et puis pourquoi n’aurais-je pas la Bourgogne, la Champagne, la Bretagne ?… Encore une fois, Arnould, je te fais mon premier ministre.

  Et il Le congédia en L’embrassant.

  — En ce moment le vent devint plus fort, et son souffle dans l’air souleva quelques fleurs que le soleil avait fanées et qui vinrent voltiger devant la fenêtre du roi. “Les fleurs du peuple”, se dit-il en riant amèrement, et un remords lui tortura l’âme.

  Le lendemain, Osmond, tuteur du duc, vint redemander son pupille au roi.

  — Pourquoi ? répondit celui-ci.

  — Sire, j’étais un des plus vaillants capitaines de la Normandie lorsqu’elle était sous Guillaume, j’ai Laissé bien des Larges gouttes de sang dans des champs de bataille, Le duc m’aimait comme son fils, et lorsqu’il partit pour son entrevue en Flandre, où il fut si lâchement assassiné…

  — Qu’y-a-il besoin de revenir sans cesse sur cette affaire ? dit Le roi en rougissant, nous la connaissons, continuez.

  — Je vous disais, sire, qu’avant de partir pour la Flandre, il se méfiait de quelque chose et il craignait Arnould, ce seigneur assassin.

  — Je vous ax averti, messire Osmond, insulter le nom d’un de nos vassaux c’est m’insulter moi-même. Vous croyez donc, parce que vous êtes tuteur de cet enfant, que vous êtes maItre de la Normandie ? que le roi est ici par hospitalité ? que vous pouvez gouverner Rouen sans que personne, excepté vous, ait le droit de vie ou de mort ? Vous vous trompez, car si je faisais dresser une potence et mettre un grand seigneur au haut, que diriez-vous alors ? — Pardon, sire.

  — Continuez.

  — Eh bien, sire, il me dit, Les larmes aux yeux, en mettant le pied dans l’étrier : “Veillez sur mon fils, ne Le quittez pas d’un instant, d’une minute, et si je ne reviens pas dans quinze jours, un mois, brûlez huit cierges à Notre-Dame de Bon-Secours pour le repos de votre ami ; vous entendez ? prenez garde à mon fils ! Adieu, et, si c’est pour toujours, encore adieu !)) II me semble Le revoir encore, sire, me serrant la main en me disant ces mots d’adieu, et des Larmes restèrent Longtemps sur sa barbe blanche ; il embrassa son fils, et nous vîmes bientét son cheval disparaître dans un tourbiLlon de poussière. Nous l’attendîmes quinze jours, un mois, personne ! Alors toute la ville prit le deuil, et l’on fit plus, car on versa des larmes !

  — Vous êtes un brave homme, dit le roi en soupirant, vos paroles m’ont touché. Eh bien, craignez-vous quelque chose pour cet enfant ? Eh, mon Dieu, nous avons assez de richesses pour le contenter ; pourquoi vouIez-vous le reprendre ? Soyez tranquille, Osmond, un roi sait garder quelque chose de précieux, et la preuve c’est que Lorsqu’on lui prend sa couronne on lui arrache quelquefois ta tête avec, tellement il y tient.

  Osmond sortit sans rien dire.

  — Qu’ai-je appris, dit Osmond en entrant chez Le roi, Le lendemain matin, Richard est malade ?

  — Mais oui.

  — Qu’a-t-il ?

  — Rien… Tenez, je vais vous te dire, je veux garder le duc auprès de m
oi, je l’aurai. II est temps de cesser cet inutile carnaval ; dans une heure huit mille hommes sont aux portes de Rouen, j’ai envoyé Arnould vers Bernard, général des troupes de Normandie. Quant à vous, messire Osmond. qui voulez faire La leçon à l’homme roi comme au duc enfant, vous êtes libre maintenant, mais ce soir, au clair de lune, ies vautours auront un cadavre de plus aux chasses du gibet… Allez maintenant, le masque est jeté, montrez-le au peupLe.

  Suivons un instant le vieux guerrier insulté, qui descend en courant Le grand escalier. Il s’enfonça dans les rues tortueuses de la basse vieille tour. Sur la place Saint-Marc il rencontra Jehan de Montivilliers.

  — Bien, dit-ii, je te cherchais, j’ai de grandes nouvelles à t’annoncer. Eh bien, mes seigneurs, savezvous une chose ?

  — Laquelle ? dirent-ils avec empressement.

  — Nous sommes dans une ville assiégée.

  — Gare ! cria un homme monté sur un cheval et qui traversait la place à bride abattue.

  C’était Arnould, duc de Flandre et sbire du roi.

  — Parlez plus bas, dit le comte de Rochepeaux lorsqu’il Le vit passer.

  — Oui, messieurs, continua Osmond, et par le roi encore ;’ce même homme que vous avez accueilli avec des bravos est un assassin, et le vengeur de Guillaume est son meurtrier !

  — Mais, voyons, comment le savez-vous ?

  — Il a voulu garder Richard avec lui, et tout à l’heure, lorsque j’ai été Lui redemander mon cher enfnt, il m’a dit… oh ! non, vous ne le croirez pas !… il m’a dit, L’infâme ! sans pudeur et sans honte, que tout ce qu’il avait fait était une comédie, une mascarade, et qu’iL se moquait du peuple comme d’un enfant qu’on trompe ; il a ajouté que dans une heure huit mille hommes assiégeraient Rouen. Vive Dieu ! mes seigneurs, il n’en sera pas ainsi, dussions-nous, tous nous faire ass2.ssiner comme Guillaume Longue-Epée ! non, non, te peuple ne se Laissera pas tromper de la sorte, il va prendre les armes. Toi, Jehan de Montivilliers, va à la porte Beauvoisine ; Arthur de Rochepeaux, va au parvis Notre-Dame, c’est L’heure de la grève, tu y trouveras Le peuple ; va, dis-lui qu’on Lui a pris son duc, son enfant bien-aimé, excite-le, mets-lui les armes dans les mains. Toi, Henry d’Harcourt, vole à Saint-Gervais, L’égLise est pleine de peuple, on y chante un Te Deum pour Le roi ; va, dis-lui que Louis IV L’a trompé, dirige sur l’h6tel de ville nos amis. Hardi ! allez !

  Deux heures après la multitude assiégeait le palais du roi avec des cris, des huées, des menaces, et les yeux tout rouges de colère ; elle avait déjà massacré Les sentinelles qui veillaient à la porte, et elle promettait avec rage d’en fbncer les portes si Le roi ne se présentait.

  C’était pourtant le même peuple qui était venu avec des fleurs et des cris d’amour ! Maintenant il trépignait d’impatience et de rage, comme un homme en délire, il demandait à grands cris : le roi ! le roi ! et mille bras agitaient dans l’air des piques, des haches, des hallebardes, des poignards, des lances et des poings fermés.

  Le roi était resté dans sa chambre, seul, assis sur son lit ; il attendait ArnouLd avec impatience, et les hurlements effrénés du peuple, qui allaient toujours croissant, étaient pour lui l’heure qui précède le moment où la tête du condamné doit rouler sur l’échafaud. Un instant il eut Le courage de s’approcher du balcon et de regarder par la fenêtre, mais lorsqu’il vit toute cette mer de tetes qui s’agitat dans les rues tortueuses et qui montait vers le palais comme la tempête, iL trembla, il faillit s’évanouir, ses jambes pliaient sous lui, ses dents claquaient, et ses mains humides d’une sueur moite et maladive touchaient instinctivement un crucifix de bois qu’il avait sur La poitrine.

  Pourtant il entend des pas précipités dans Le corridor, son cœur bat avec violence. Arnould entra, il était pâle et défiguré, il avait du sang sur le visage. — Eh nien ? dit Je roi vivement, et Les troupes ?L

  — Tout est perdu, sire ! J’arrive chez Bernard, je lui demande des troupes, je dis qu’il y va pour vous de la vie ou de la mort, il refuse ; je Le supplie, j’embrasse ses genoux, ses mains, je te prie comme on prie Dieu : “Non, dit-il en me repoussant du pied avec mépris et dédain ; moi ! j’irais porter du secours à ton maItre ! si j’avais des assassins, je lui en enverrais ; mais il en a un, c’est toi ! Tu as bien assassiné Guillaume, assassine Le peuple, assassine-le donc, ce seigneur-là !… Moi ! des troupes au roi de France ! je ne dois donner du secours qu’au duc de Normandie. Que le roi rende son prisonnier et qu’il Laisse cette province !)) “Va-t’en, a-t-il ajouté en me donnant un coup de cravache sur la figure, va-t’en, assassin, dire ces mots à celui qui t’envoie !”

  En ce moment-Là le peuple avait brisé les portes, il était di’xs tes escaliers, ses pas retentissaient sous les voutes.

  — Le roi ! le roi ! criait-il.

  La fenêtre s’ouvrit et laissa voir Louis IV, portant dans ses bras le duc de Normandie.

  Les piques et les armes tombèrent des mains.

  — Noël ! Noël ! vive Le roi ! vive le duc ! criait le peuple.

  Et cette immense acclamation se répandait dans toutes Les rues, et trouvait un écho dans tous les cœurs.

  LA DERNIERE HEURE .

  (CONTE PHILOSOPHIQUE.)

  Le moyne dit “Que pensez-vous en vostre entendement estre par cet enigme designé et signifié ?”

  Rabelais, Gargantua.

  J’ai regardé à ma montre et j’ai calculé combien de temps il me restait à vivre ; j’ai vu que j’avais encore une heure à peine. Il me reste assez de papier sur ma table pour retracer à la hâte tous les souvenirs de ma vie et toutes les circonstances qui ont influé sur cet enchaînement stupide et logique de jours et de nuits, de larmes et de rires, qu’on a coutume d’appeler l’existence d’un homme.

  Ma chambre est basse et étroite, mes fenêtres sont bien fermées, j’ai eu soin de boucher la serrure avec de la mie de pain, mon charbon commence à s’enflammer, la mort va donc venir ; je puis l’attendre calme et tranquille, voyant à chaque minute la vie qui s’éloigne et l’éternité qui s’avance.

  I

  On a coutume d’appeler heureux un homme qui a vingt-cinq mille livres de rente, qui est beau, grand, bien fait, vit au milieu de sa famille, va tous les soirs au spectacle, rit, boit, dort, mange, et digère bien. L’adage est vieux, mais il n’en est pas moins faux. Pour moi, j’ai eu plus de vingt-cinq mille livres de rente, ma famille était bonne pour moi ; j’ai vu presque tous les théâtres de l’Europe, j’ai bu, j’ai dormi, je n’ai jamais eu une seule indigestion depuis le jour de ma naissance, je ne suis ni borgne, ni boiteux, ni bossu,… et je suis si heureux qu’aujourd’hui, à 19 ans, je me suicide !

  II

  Un jour, je m’en souviens, j’avais dix ans à cette époque, ma mère m’embrassa en pleurant et me dit d’aller jouer sous les marronniers qui bordaient la pelouse du château… (Oh ! comme ils doivent avoir grandi depuis !). Je m’y rendis, mais comme ma Lélia ne vint pas m’y trouver, j’eus peur qu’elle ne fût malade, je revins à la maison. Tout était désert, un grand drap noir était étendu sur la grille d’entrée ; je montai à la chambre de ma sœur, je me souvins alors qu’il y avait plus de huit jours qu’elle n’était venue jouer avec moi.

  Je montai donc à sa chambre. Il y avait deux femmes qui venaient d’ordinaire demander l’aumône à La porte du château, elles tenaient quelque chose de lourd dans leurs bras, qu’elles entouraient d’un drap blanc… C’était elle !

  On m’a souvent demandé depuis pourquoi j’étais triste.

  III

  C’était elle ! ma sœur ! morte ! sans souffle !

  La nuit arriva bientôt, oh ! qu’elle fut longue et amère !

  Les deux femmes, vêtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sœur, elles jetèrent dessus des fleurs et de l’eau bénite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans l’appartement sa lueur rougeâtre et terne comme le regard d’un cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumèrent deux petites bougies qui étaient sur la table de nuit, s’ag
enouillèrent et me dirent de prier comme elles.

  Je priai, oh ! bien fort, le plus qu’il m’était possible ! mais rien… Lélia ne remuait pas !

  Je fus longtemps ainsi agenouillé, la tête sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses ; il me semblait qu’en pensant, en pleurant, en me déchirant l’âme avec des prières et des vœux, j’obtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indécises et dont on ne distinguait rien si ce n’est, à une place, une forme ronde qui devait être La tête, et plus bas une autre qui semblait être les pieds. Je croyais, moi, pauvre naïf enfant, je croyais que la prière pouvait rendre la vie à un cadavre, tant j’avais de foi et de candeur !

  Oh ! on ne sait ce qu’a d’amer et de sombre une nuit ainsi passée à prier sur un cadavre, à pleurer, à vouloir faire renaître le néant ! On ne sait tout ce qu’il y a de hideux et d’horrible dans une nuit de larmes et de sanglots, à la lueur de deux cierges mortuaires, entouré de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vénales, aux grotesques psalmodies ! On ne sait enfin tout ce que cette scène de désespoir et de deuil vous remplit le cœur : enfant, de tristesse et d’amertume ; jeune homme, de scepticisme ; vieillard, de désespoir !

  Le jour arriva.

  Mais quand le jour commença à paraître, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient à mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissèrent seul. Je courus après elles, et me traînant à leurs pieds, m’attachant à leurs vêtements :

  — Ma sœur ! leur dis-je, eh bien, ma sœur ! oui, Lélia ! où est-elle ? Elles me regardèrent étonnées.

  — Ma sœur ! vous m’avez dit de prier, j’ai prié pour qu’elle revienne, vous m’avez trompé !

  — Mais c’était pour son âme !

  Son âme ? Qu’est-ce que cela signifiait ? On m’avait souvent parlé de Dieu, jamais de l’âme.

  Dieu, je comprenais cela au moins, car si l’on m’eût demandé ce qu’il était, eh bien, j’aurais pris La linotte de Lélia, et, lui brisant la tête entre mes mains, j’aurais dit : “Et moi aussi, je suis Dieu !” Mais l’âme ? l’âme ? qu’est-ce cela ?

 

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