Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 472

by Gustave Flaubert


  La Meilleraye est à découvert au milieu des bois abattus. — A la porte, des bœufs entraient comme nous sortions. — On nous a introduits au premier dans une salle de réception élevée, avec des fauteuils xviiie siècle ; air moitié monacal moitié château de campagne. Un moine est venu nous demander si nous n’avions pas besoin de quelque chose ; puis le frère hôtelier pour nous demander nos noms. On nous a menés à la chapelle, puis au parloir. Deux moines blancs sont venus se prosterner à nos pieds à plat ventre ; ils nous ont reconduits à la chapelle le temps de dire un ave et un credo et sont revenus dans le parloir nous lire un passage de l’Imitation no 3, ch. xx. — Dîner dans une grande salle, nappe assez propre, couverts de fer. Un vieil abbé breton, petite figure ouverte, cheveux blancs, a servi des œufs durs à l’oseille, une espèce de bouillie en colle que j’avais prise pour des mattes, des pruneaux cuits. — J’ai pensé à la vertu grotesque et théologique que Henri Estienne leur attribue dans son apologie pour Hérodote. — Figures : à ma gauche, un ancien militaire, calotte de laine, nez retroussé, favoris empire, l’air du carliste panné, grand amateur de beurre salé ; à ma droite, un paysan en faillite ? en face, grand jeune homme, bouche épaisse, mystique, mains fortes, tout à fait mystique ; en face, un curé d’environ 40 ans, homme de puissante encolure et de bonnes manières, en pénitence probablement ; à gauche, de mon côté, un vicaire en cheveux blancs, bas du visage singulièrement charnel et ignoble, front droit et assez intelligent, fort en chimie selon le vieil abbé breton qui a fait la conversation avec nous dans le jardin après le dîner. — Parmi fes pensionnaires un affreux petit bonhomme en habit noir, casquette par-dessus son bonnet de soie noire.

  La chapelle. — Après le salve nous sommes descendus de la tribune, les moines se sont mis à genoux, nous sommes au milieu d’eux pour réciter des litanies à la Vierge. La chapelle de la Vierge était tendue d’un rideau blanc ouvert comme un lit, l’autel avait un transparent rose recouvert de dentelles ; des fleurs artificielles ou vraies entouraient la femme de plâtre ; on a allumé les cierges et les voix sont parties. Il y avait dans l’arrangement de tout cela quelque chose de voluptueux, de conjugal ; ces pauvres hommes avaient l’air d’avoir préparé avec amour la couche de leur épouse céleste. Les voix étaient fortes, puissantes ; l’énergie de la vie y rapparaissait, s’y iàisait jour. Quand nous sommes entrés dans l’église, il faisait jour encore ; le soleil, comme l’ironie de la nature, colorait en rose les parois et la muraille blanchies à la craie. — Agent voyer ami de l’établissement. — Dur noviciat des moines. — On ménage la vie de l’abbé à cause des droits de mutation à payer, aussi couche-t-il sur un matelas. — Trait de la mort de la mère d’un des moines annoncée au réfectoire. (Écrit le dimanche 9 mai dans la cellule de Saint- Théodore, 10 heures du soir.)

  Dans le parloir, parmi les objets à vendre, une gravure intitulée “les faux plaisirs”. On voit sur le premier plan un adolescent vêtu d’une robe, tenant un chapelet à la main et regardant en haut ; dans le ciel des anges jouent de la viole, avec leurs ailes pointues ; sur la terre, au contraire, on voit deux demoiselles décolletées et en manches à gigot dont l’une joue de la guitare et l’autre danse (celle-là a des manches à sabot et des bracelets), elles charment un jeune troubadour en veste et en culotte courte portant des favoris et leur jetant un regard en coulisse ; au fond un lac avec des peupliers. Il y a écrit au-dessous :

  La volupté vous tente,

  Fuyez, ne cédez pas,

  Une joie innocente

  Suivra tous vos combats.

  On n’est pas venu me réveiller à 2 heures pour aller aux matines, la nuit s’est passée assez mal dans un lit taché de sang. Le matin, un matin gris et pâle, le déjeuner avec les mêmes inconcevables pensionnaires. Il y a une grande tristesse dans la nécessité de se lever de bonne heure pour manger. — Visite dans l’établissement : dans les ateliers pas de chants, un silence stupide ; salutations dans les corridors quand les moines vous rencontrent ; le petit bœuf dont on tournait les cornes ; ils ne nous ont pas parlé et ils voyaient que nous avions besoin d’explications, mais leurs yeux ! Deux moines en retraite dans le chapitre ; ceux-là vraiment jouaient bien ; au fond le siège de l’abbé avec la crosse. Réfectoire, couvert en bois, odeur humide et fade. — On pue beaucoup dans ce lieu de sainteté ! — Le réfectoire ainsi que le dortoir sont des lieux qu’on respecte spécialement, il n’est pas permis même aux étrangers d’y parler. — Le dortoir est d’une seule couleur et d’un bel aspect austère, gris couleur de bois ; le plafond comme le plancher est de bois, lit à colonnes carrées allant jusqu’au plafond ; entre chaque lit il y a un petit rideau en toile à matelas ; une paillasse ; un pot de chambre sous chaque lit. — Cimetière, toutes tombes pareilles avec des croix noires ; la seule différence est qu’aux moines on met la croix aux pieds, aux abbés à la tête. — Le frère hôtelier n’avait pas au cimetière la tenue confite des ecclésiastiques, il marchait sur les tombes sans façon. — Ce qu’il y a de mieux à la Meilleraye.

  Nous étions si pressés d’en partir que nous n’avons pas attendu la messe. — Notre joie dans les champs, portant le sac, retrouvant la liberté et le soleil. — Au bourg, après une omelette qui nous a paru excellente et des rognons délicieux, nous avons été dans le bois fumer sous les arbres.

  Nort, indescriptibles fresques.

  L’Erdre s’élargit tout à coup, gentille rivière avec de jolis aspects, des arbres dans le goût des vieilles gravures xviie siècle, où on voit un homme pêcher à la ligne en culottes courtes, en chemise bouffante au nombril, tandis qu’à côté de lui une bergère arrange des fleurs dans son tablier et qu’un chien est couché à plat ventre sur le foin. — Nous retrouvons sur le bateau les MM. de la Meilleraye, le gros beau et le petit cancre en lunettes, que nous avons vus tout à l’heure s’agenouiller dans l’église de Nort. — Canotiers peu habitués aux lorgnons. — Verrières. — Entrée à Nantes ; nous y travaillons depuis avant-hier matin. (13 mai, 10 heures, Nantes.)

  Ce sommaire a été développé par Maxime Du Camp. III

  Nantes. — Grand lieu ; danses ; bonnet de flanelle blanche.

  Musée : Elisabeth par Tibaldi. Prodigieuse fraise à gros tuyaux, brodée de noir ; menton avançant, figure longue, grands yeux bleus sortis, roulant, très animés ; sourcils ébouriffés à la base ; lèvre inférieure grosse, front haut, chevelure blond roux haut montée, avec des œillets rouges sur le côté gauche ; elle est vêtue de noir et passe la main droite dans une chaîne d’or qui lui pend du cou.

  Scène de carnaval de Lancret. Dans une grande chambre boisée une dame en corsage jaune et en jupon rose, avec de longs repentirs aux bras, est entre un pierrot et un danseur qui l’invite. On regarde autour. La teinte géné- rale brun de madère est relevée par le costume rose et jaune de la dame et par l’habit gris des deux danseurs qui l’entourent.

  Id. Camargo dansant en plein vent, robe de satin blanc avec des rubans bleus, des guirlandes de roses ; à sa droite un joueur de tambour et de fifre ; à gauche un violon, un basson, une femme qui regarde.

  Un portrait de femme de Murillo : robe bleue, figure terreuse, ton verdâtre, yeux noirs, retroussés, mystiques et profonds ; elle tient un petit livre ; bandeaux noir de suie mal peignés, air idiot et profond.

  Apollon et statues nues avec des feuilles de vigne en fer- blanc découpé.

  Adoration des mages, avec des nègres, des gens qui re- gardent aux fenêtres ; figure stupide et crâne déprimé de celui qui est aux pieds du Seigneur.

  Tableau de Daniel dans la fosse, de Zigler.

  Musée d’histoire naturelle : deux petits fœtus de cochons ; td. d’hommes ; modèles de têtes de nègre et de chimpanzé, oreilles saillantes de la tête. Tête boucanée d’habitant du fleuve des Amazones, on lui a mis des dents dans les yeux ; à côté sont le collier et le bonnet de plumes bizarres. Tête boucanée de la Zéiande, tatouage, soleils qu’on distingue encore sur son cuir brun, chevelure négligée, longues mèches pleines de férocité et de volupté !<
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  Maison de la duchesse de Berry : impression triste, toute petite chambre, un sale papier bleu gris, nue, une table, plaque.

  Château : tours, boulets et canon, pantalon rouge passant par une fenêtre, troupiers dormant sur l’herbe.

  Cathédrale, vilaine à l’intérieur, trop courte à l’extérieur ; belle nef d’un beau jet, mais d’une vilaine voûte ; répara- tions de menuiserie en pitoyable chic moyen âge. — Aux chapelles, femme qui priait près d’un confessionnal. — Tombeau de François II, charmantes figures des petits anges qui portent les coussins. — A côté de l’église une bbutique de « mercerie et objets de piété ».

  Clisson, au confluent de la Sèvre et de la Moine. — Cascade qui gâte l’effet de ce paysage simple. — Toits plats en tuile. — Le château, les prodigieux lierres, arbre qui sort du mur. — L’intérieur, arbres, troncs verts. — Donjon des ormeaux, d’où l’on voit la prairie des chevaliers ; pri- son des femmes, crocs, porte ; impression si forte qu’elle n’en est pas triste. — Prodigieuse cheminée, grand pan de mur avec des fenêtres grillées par où le ciel bleu. — Triple enceinte. — La Garenne. — Le temple de Vesta. — Goût italien de l’empire en face de ces choses si veaies et si belles d’elles-mêmes. — Temple à l’amitié.

  Tiffauges, ruine tout ouverte dans ia campagne solitaire. — Tour carrée le pied dans l’eau, nénufars, pas un bruit

  d’oiseau, vent qui ride les blés et fait trembler le lierre ; fenêtre carrée encadrée. — Restes de chapelle dans une tour où nous avons compté quatre étages ; au haut une cheminée avec des herbes et des fleurs dessus comme sur une jardinière. — Silence général. — Un enfant qui jetait des pierres.

  (*> Sortant de chez les frères de la Trappe, il nous a semblé agréable de revoir des figures humaines et des biftecks au beurre d’anchois ; encore tout réjouis des fresques de Nort et tout épouvantés du souvenir de la Meilleraye, nous avons fait, le soir de notre arrivée à Nantes, la meilleure digestion qu’on se puisse sentir. Convenablement installés à l’Hôtel de France, nous avons pendant huit jours mené une vie fort plaisante. Nous avions pour nous servir une de ces canailles alertes et gra- cieuses qui plaisent aux gens bien nés, drôle intel- ligent, qui vendait de bons cigares et de bonne parfumerie. Nous écrivions dans notre chambre fraîche, nous nous lavions dans de grandes cu- vettes ; nous nous amusions dans la cour avec un petit singe qui déchiquetait de ses dents et de ses ongles nos vieux gants blancs d’une façon à faire croire que c’était pour lui qu’on les avait inventés, ou bien nous allions dans le passage Pommeraye acheter des stores de Chine, des sandales turques ou des paniers du Nil, afin d’examiner à l’aise et de toucher avec nos mains toutes les babioles ve-

  Inédit, pages 37 à 64. nues d’au delà des mers, dieux, chaussures, parasols et lanternes, futilités splendides en couleur qui font rêver à d’autres mondes, niaiseries sans usage qui pour nous sont des choses graves.

  Je crois que Nantes est une ville assez bête, mais j’y ai tant mangé de salicoques que j’en garde un doux souvenir.

  Ce qui prouve que Nantes ne nous a pas ennuyés, c’est que nous étions sur le point d’en partir quand nous nous sommes dit qu’il fallait cependant la voir.

  Ce n’est pas la saleté sombre de Lyon, ni le mouvement du Havre ou de Marseille, ni l’alignement de Bordeaux, ville si joliment bâtie qui ressemble à un bel homme bien cravaté ; ça ne vaut pas Rouen qui serait beau si on ne l’embellissait et que j’aimerais si je n’y étais né. Du haut de la cathédrale, pourtant, on découvre un horizon qui vous récompense de vous être essoufflé à grimper les escaliers : en bas, à pic, les maisons se pressent et tassent leurs toits comme les chapeaux pointus d’une foule qui se serre aux épaules ; à gauche, une large prairie se mouille au bord du fleuve large et gris qui se divise et fait un coude, tandis que les deux cours de l’Erdre et de la Sèvre, multipliant leurs bras et leurs îles, découpent la campagne en grandes lignes grises. Ce jour-là le ciel était d’une lumière pâle qui, harmonisant sa teinte aux couleurs bourbeuses des eaux, donnait à cet ensemble un aspect tranquille et triste. La campagne est vaste, étendue, plus verte et plus vivante en remontant la Loire du côté de laTouraine, niais monotone et comme engourdie en s’avan- Çant vers les sables du côté de la mer. A tout prendre, l’horizon est large et beau, mais quel est l’horizon qui ne soit beau quand il est grand, et tous les horizons ne sont-ils pas grands quand on plane sur eux ?

  Montez n’importe où, pourvu que vous mon- tiez haut, et vous découvrirez des perspectives démesurées aux paysages les plus plats. Quelle est aussi l’idée qui ne soit longue quand on y court jusqu’au bout, le cœur qui ne paraisse im- mense quand on y laisse couler la sonde ?

  J’ai passé autrefois de bonnes heures dans les clochers d’églises ; appuyé aussi sur le parapet, je regardais les nuages rouler dans le ciel et les cor- beaux nichés dans les gargouilles s’envoler avec des cris rauques et de grands battements d’ailes. C’était assez fréquemment, pendant ma rhéto- rique, ma manière de suivre la classe ; y perdai-je beaucoup, et cela aussi n’était-ce pas du style ?

  Une chose fort ordinaire m’a choqué et m’a fait nre, c’est le télégraphe que tout à coup, en me retournant, j’ai aperçu en face sur une tour. Les bras raides de la mécanique se tenaient immobiles, et sur l’échelle qui mène à sa base un moineau sautillait d’échelon en échelon ; placé au-dessus de tout ce qu’on voyait à l’entour, au-dessus de ‘église et de la croix qui la termine, cet instru- ment disgracieux me semblait comme la grimace fantastique du monde moderne. Qu’est-ce qui passe dans l’air maintenant, entre les nuages et les oiseaux, dans la région pure où vient mourir la voix des cloches, et où s’évaporent les parfums de la terre ? C’est la nouvelle que la rente baisse, que les suifs remontent ou que la reine d’Angleterre est accouchée.

  Quelle drôle de vie que celle de l’homme qui reste là dans cette petite cabane à faire mouvoir ces deux perches et à tirer sur ces ficelles, rouage inintelligent d’une machine muette pour lui ! II peut mourir sans connaître un seul des événe- ments qu’il a appris, un seul mot de tous ceux qu’il aura dits. Le but ? le but ? le sens ? qui le sait ? Est-ce que le matelot s’inquiète de la terre où le pousse la voile qu’il déploie, le facteur des lettres qu’il porte, l’imprimeur du livre qu’il im- prime, le soldat de la cause pour laquelle il tue et se fait tuer ? Un peu plus, un peu moins, ne sommes-nous pas tous comme ce brave homme, parlant des mots qu’on nous a appris et que nous apprenons sans les comprendre. Espacés en ligne et se regardant à travers les abîmes qui les sé- parent, les siècles se transmettent ainsi de l’un à l’autre l’éternelle énigme qui leur vient de loin pour aller loin, ils gesticulent, ils remuent dans le brouillard, et ceux qui, postés sur des som- mets, les font se mouvoir n’en savent pas plus long que les pauvres diables d’en bas qui lèvent la tête pour tâcher d’y deviner quelque chose.

  Où en étais-je donc ? à Nantes, je crois, à la cathédrale. Elle est dans le goût anglais du xv° siècle tout chargé de ciselures épaisses, tout alourdi des enjolivements stériles du gothique en décadence, et vilaine à l’extérieur, trop courte à l’intérieur ; la nef est d’un bon jet, mais la voûte assez laide et d’une courbe écrasée. Nous avons remarqué sous le portail, occupant l’entre-colonnement des ner- vures ogivales, des espèces de fûts de pierres si- mulant des troncs d’arbres, avec des naissances de branches coupées, comme serait un bâton de houx émondé. Cette particularité se reproduit dans plusieurs églises de la Bretagne. En fait de hideux, et de hideur rare, il faut signaler dans une des chapelles latérales une sorte de lambris plaqué sur les murs, fabriqué dans un chic moyen âge déplorable et atteignant aux dernières limites du rococo imitatif. Mais une chose vraiment belle, c’est le tombeau de François II et de Marguerite de Foix, sa seconde femme. Ils sont tous deux dans leurs beaux costumes du temps, couronne ducale en tête, étendus sur leur marbre, ayant aux pieds, le duc un lion, la duchesse un lévrier ; trois anges soulèvent le coussin où repose l
eur tête aux yeux fermés ; de grandes figures symboliques se tiennent aux quatre coins du monument. Le visage de la femme est gras, triste, nez relevé et paupières grosses ; celui de François II, assez dur, intelligent et rusé, un peu mêlé de force et de faiblesse comme fut sa vie, révèle bien le vieil en- nemi de Louis XI, l’homme habile comme lui à conclure des traités équivoques et à nouer des alliances clandestines. Ils se trompaient à l’envi.

  4- A la réconciliation d’Arras, 1477, *’ ^ut stipulé qu’on jurerait la paix sur telles reliques que l’on voudrait, sauf sur le corps de J.-C. et sur la vraie croix, parce que le parjure en mourrait infaillible- ment dans l’année. Pendant qu’il parlementait avec le roi, il s’alliait avec l’Angleterre et faisait venir des armes d’Italie ; le roi, de son côté, promettait la Bretagne aux Ecossais et soudoyait le sire de Lescun, son conseiller. Une fois pourtant il eut un beau mouvement, qui fut de refuser le collier de Saint-Michel, 1470 ; d’après les statuts de l’ordre, il eût été forcé, en effet, de servir le roi envers et contre tous et de renoncer à toute autre alliance, or il préférait avec raison celle du comte de Cha- rolais et du duc de Berry. II aurait pu jurer et ne pas .tenir, il faut lui savoir gré de la franchise. Louis XI, qui toute sa vie le combattit et qui le haïssait déjà avant d’être roi, mourut sans l’avoir pu vaincre, et quatre ans plus tard cependant, comme pour faire voir combien les gens mé- diocres triomphent parfois des grands hommes pour succomber ensuite sous de plus faibles qu’eux-mêmes, il est forcé de subir l’humiliant traité du Verger, 1488, et il en meurt de tristesse. Quoiqu’il ait établi des manufactures de soie à Vitré et de tapisseries à Rennes (ce qu’on a soin de mettre dans les livres où on le représente comme le défenseur dévoué de l’indépendance bretonne), j’ai toujours eu peu de sympathie pour cet homme terne qui faisait combattre un lion contre des ânes (celui que lui avait donné, quelque temps avant de mourir, l’amiral de Mont- auban) et qui si lâchement abandonna tour à tour son conseiller Chauvin à son favori Landois, et Landois aux ennemis de Chauvin, tiraillé en tous sens par mille liaisons qu’il dénouait, par mille influences qui se succédaient ; il est bien le père, quant au manque de cœur et à la sécheresse de caractère, de la froide et hypocrite Anne qui est pour moi une des figures les plus mal plaisantes du xvie siècle.

 

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