Selected Poems 1930-1988

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Selected Poems 1930-1988 Page 5

by Samuel Beckett


  de lointains coups de ciseaux argentins

  Ascension

  à travers la mince cloison

  ce jour où un enfant

  prodigue à sa façon

  rentra dans sa famille

  j’entends la voix

  elle est émue elle commente

  la coupe du monde de football

  toujours trop jeune

  en même temps par la fenêtre ouverte

  par les airs tout court

  sourdement

  la houle des fidèles

  son sang gicla avec abondance

  sur les draps sur les pois de senteur sur son mec

  de ses doigts dégoûtants il ferma les paupières

  sur les grands yeux verts étonnés

  elle rode légère

  sur ma tombe d’air

  La Mouche

  entre la scène et moi

  la vitre

  vide sauf elle

  ventre à terre

  sanglée dans ses boyaux noirs

  antennes affolées ailes liées

  pattes crochues bouche suçant à vide

  sabrant l’azur s’écrasant contre l’invisible

  sous mon pouce impuissant elle fait chavirer

  la mer et le ciel serein

  ainsi a-t-on beau

  par le beau temps et par le mauvais

  enfermé chez soi enfermé chez eux

  comme si c’était d’hier se rappeler le mammouth

  le dinothérium les premiers baisers

  les périodes glaciaires n’apportant rien de neuf

  la grande chaleur du treizième de leur ère

  sur Lisbonne fumante Kant froidement penché

  rêver en générations de chênes et oublier son père

  ses yeux s’il portait la moustache

  s’il était bon de quoi il est mort

  on n’en est pas moins mangé sans appétit

  par le mauvais temps et par le pire

  enfermé chez soi enfermé chez eux

  Dieppe

  encore le dernier reflux

  le galet mort

  le demi-tour puis les pas

  vers les vieilles lumières

  Dieppe

  again the last ebb

  the dead shingle

  the turning then the steps

  towards the lights of old

  Rue de Vaugirard

  à mi-hauteur

  je débraye et béant de candeur

  expose la plaque aux lumières et aux ombres

  puis repars fortifié

  d’un négatif irrécusable

  Arènes de Lutèce

  De là où nous sommes assis plus haut que les gradins

  je nous vois entrer du côté de la Rue des Arènes,

  hésiter, regarder en l’air, puis pesamment

  venir vers nous à travers le sable sombre,

  de plus en plus laids, aussi laids que les autres,

  mais muets. Un petit chien vert

  entre en courant du côté de la Rue Monge,

  elle s’arrête, elle le suit des yeux,

  il traverse l’arène, il disparait

  derrière le socle du savant Gabriel de Mortillet.

  Elle se retourne, je suis parti, je gravis seul

  les marches rustiques, je touche de ma main gauche

  la rampe rustique, elle est en béton. Elle hésite,

  fait un pas vers la sortie de la Rue Monge, puis me suit.

  J’ai un frisson, c’est moi qui me rejoins,

  c’est avec d’autres yeux que maintenant je regarde

  le sable, les flaques d’eau sous la bruine,

  une petite fille traînant derrière elle un cerceau,

  un couple, qui sait des amoureux, la main dans la main,

  les gradins vides, les hautes maisons, le ciel

  qui nous éclaire trop tard.

  Je me retourne, je suis étonné

  de trouver là son triste visage.

  Saint-Lô

  Vire will wind in other shadows

  unborn through the bright ways tremble

  and the old mind ghost-forsaken

  sink into its havoc

  [Poems in French, 1947–1949]

  bon bon il est un pays

  où l’oubli où pèse l’oubli

  doucement sur les mondes innommés

  là la tête on la tait la tête est muette

  et on sait non on ne sait rien

  le chant des bouches mortes meurt

  sur la grève il a fait le voyage

  il n’y a rien à pleurer

  ma solitude je la connais allez je la connais mal

  j’ai le temps c’est ce que je me dis j’ai le temps

  mais quel temps os affamé le temps du chien

  du ciel pâlissant sans cesse mon grain de ciel

  du rayon qui grimpe ocellé tremblant

  des microns des années ténèbres

  vous voulez que j’aille d’A à B je ne peux pas

  je ne peux pas sortir je suis dans un pays sans traces

  oui oui c’est une belle chose que vous avez là une bien belle chose

  qu’est-ce que c’est ne me posez plus de questions

  spirale poussière d’instants qu’est-ce que c’est le même

  le calme l’amour la haine le calme le calme

  Mort de A.D.

  et là être là encore là

  pressé contre ma vieille planche vérolée du noir

  des jours et nuits broyés aveuglément

  à être là à ne pas fuir et fuir et être là

  courbé vers l’aveu du temps mourant

  d’avoir été ce qu’il fut fait ce qu’il fit

  de moi de mon ami mort hier l’oeil luisant

  les dents longues haletant dans sa barbe dévorant

  la vie des saints une vie par jour de vie

  revivant dans la nuit ses noirs péchés

  mort hier pendant que je vivais

  et être là buvant plus haut que l’orage

  la coulpe du temps irrémissible

  agrippé au vieux bois témoin des départs

  témoin des retours

  vive morte ma seule saison

  lis blancs chrysanthèmes

  nids vifs abandonnés

  boue des feuilles d’avril

  beaux jours gris de givre

  je suis ce cours de sable qui glisse

  entre le galet et la dune

  la pluie d’été pleut sur ma vie

  sur moi ma vie qui me fuit me poursuit

  et finira le jour de son commencement

  cher instant je te vois

  dans ce rideau de brume qui recule

  où je n’aurai plus à fouler ces longs seuils mouvants

  et vivrai le temps d’une porte

  qui s’ouvre et se referme

  my way is in the sand flowing

  between the shingle and the dune

  the summer rain rains on my life

  on me my life harrying fleeing

  to its beginning to its end

  my peace is there in the receding mist

  when I may cease from treading these long shifting thresholds

  and live the space of a door

  that opens and shuts

  que ferais-je sans ce monde sans visage sans questions

  où être ne dure qu’un instant où chaque instant

  verse dans le vide dans l’oubli d’avoir été

  sans cette onde où à la fin

  corps et ombre ensemble s’engloutissent

  que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures

  haletant furieux vers le secours vers l’amour

  sans ce ciel qui s’élève

  sur la poussière de ses lests

  que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd’hui

  regardant par mon hublot si je ne suis pas seul

  à errer et à virer loin de toute vie

  dans un espace pantin

  sa
ns voix parmi les voix

  enfermées avec moi

  what would I do without this world faceless incurious

  where to be lasts but an instant where every instant

  spills in the void the ignorance of having been

  without this wave where in the end

  body and shadow together are engulfed

  what would I do without this silence where the murmurs die

  the pantings the frenzies towards succour towards love

  without this sky that soars

  above its ballast dust

  what would I do what I did yesterday and the day before

  peering out of my deadlight looking for another

  wandering like me eddying far from all the living

  in a convulsive space

  among the voices voiceless

  that throng my hiddenness

  je voudrais que mon amour meure

  qu’il pleuve sur le cimetière

  et les ruelles où je vais

  pleurant celle qui crut m’aimer

  I would like my love to die

  and the rain to be raining on the graveyard

  and on me walking the streets

  mourning her who thought she loved me

  Song

  Age is when to a man

  Huddled o’er the ingle

  Shivering for the hag

  To put the pan in the bed

  And bring the toddy

  She comes in the ashes

  Who loved could not be won

  Or won not loved

  Or some other trouble

  Comes in the ashes

  Like in that old light

  The face in the ashes

  That old starlight

  On the earth again.

  hors crâne seul dedans

  quelque part quelquefois

  comme quelque chose

  crâne abri dernier

  pris dans le dehors

  tel Bocca dans la glace

  l’oeil à l’alarme infime

  s’ouvre bée se rescelle

  n’y ayant plus rien

  ainsi quelquefois

  comme quelque chose

  de la vie pas forcément

  Something there

  something there

  where

  out there

  out where

  outside

  what

  the head what else

  something there somewhere outside

  the head

  at the faint sound so brief

  it is gone and the whole globe

  not yet bare

  the eye

  opens wide

  wide

  till in the end

  nothing more

  shutters it again

  so the odd time

  out there

  somewhere out there

  like as if

  as if

  something

  not life

  necessarily

  dread nay

  head fast

  in out as dead

  till rending

  long still

  faint stir

  unseal the eye

  till still again

  seal again

  head sphere

  ashen smooth

  one eye

  no hint when to

  then glare

  cyclop no

  one side

  eerily

  on face

  of out spread

  vast in

  the highmost

  snow white

  sheeting all

  asylum head

  sole blot

  faster than where

  in hellice eyes

  stream till

  frozen to

  jaws rail

  gnaw gnash

  teeth with stork

  clack chatter

  come through

  no sense and gone

  while eye

  shocked wide

  with white

  still to bare

  stir dread

  nay to nought

  sudden in

  ashen smooth

  aghast

  glittering rent

  till sudden

  smooth again

  stir so past

  never been

  at ray

  in latibule

  long dark

  stir of dread

  till breach

  long sealed

  dark again

  still again

  so ere

  long still

  long nought

  rent so

  so stir

  long past

  head fast

  in out as dead

  Roundelay

  on all that strand

  at end of day

  steps sole sound

  long sole sound

  until unbidden stay

  then no sound

  on all that strand

  long no sound

  until unbidden go

  steps sole sound

  long sole sound

  on all that strand

  at end of day

  mirlitonnades

  en face

  le pire

  jusqu’à ce

  qu’il fasse rire

  rentrer

  à la nuit

  au logis

  allumer

  éteindre voir

  la nuit voir

  collé à la vitre

  le visage

  somme toute

  tout compte fait

  un quart de milliasse

  de quarts d’heure

  sans compter

  les temps morts

  fin fond du néant

  au bout de quelle guette

  l’œil crut entrevoir

  remuer faiblement

  la tête le calma disant

  ce ne fut que dans ta tête

  silence tel que ce qui fut

  avant jamais ne sera plus

  par le murmure déchiré

  d’une parole sans passé

  d’avoir trop dit n’en pouvant plus

  jurant de ne se taire plus

  écoute-les

  s’ajouter

  les mots

  aux mots

  sans mot

  les pas

  aux pas

  un à

  un

  lueurs lisières

  de la navette

  plus qu’un pas s’éteignent

  demi-tour remiroitent

  halte plutôt

  loin des deux

  chez soi sans soi

  ni eux

  imagine si ceci

  un jour ceci

  un beau jour

  imagine

  si un jour

  un beau jour ceci

  cessait

  imagine

  d’abord

  à plat sur du dur

  la droite

  ou la gauche

  n’importe

  ensuite

  à plat sur la droite

  ou la gauche

  la gauche

  ou la droite

  enfin

  à plat sur la gauche

  ou la droite

  n’importe

  sur le tout

  la tête

  flux cause

  que toute chose

  tout en étant

  toute chose

  donc celle-là

  même celle-là

  tout en étant

  n’est pas

  parlons-en

  samedi répit

  plus rire

  depuis minuit

  jusqu’à minuit

  pas pleurer

  chaque jour envie

  d’être un jour en vie

  non certes sans regret

  un jour d’être né

  nuit qui fais tant

  implorer l�
�aube

  nuit de grâce

  tombe

  rien nul

  n’aura été

  pour rien

  tant été

  rien

  nul

  à peine à bien mené

  le dernier pas le pied

  repose en attendant

  comme le veut l’usage

  que l’autre en fasse autant

  comme le veut l’usage

  et porte ainsi le faix

  encore de l’avant

  comme le veut l’usage

  enfin jusqu’à présent

  ce qu’ont les yeux

  mal vu de bien

  les doigts laissé

  de bien filer

  serre-les bien

  les doigts les yeux

  le bien revient

  en mieux

  ce qu’a de pis

  le cœur connu

  la tête pu

  de pis se dire

  fais-les

  ressusciter

  le pis revient

  en pire

  ne manquez pas à Tanger

  le cimetière Saint-André

  morts sous un fouillis

  de fleurs surensevelis

  banc à la mémoire

  d’Arthur Keyser

  de cœur avec lui

  restes dessus assis

  plus loin un autre commémore

  Caroline Hay Taylor

  fidèle à sa philosophie

  qu’espoir il y a tant qu’il y a vie

  d’Irlande elle s’enfuit aux cieux

 

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