by Jean M. Auel
L’obscurité se mua en une grisaille qui devint lumineuse, puis iridescente. La jeune femme perçut un mouvement, comme si elle-même et Mamut planaient au-dessus du paysage, mais elle ne distinguait aucun détail caractéristique : c’était plutôt une sensation de passage au travers du nuage opalescent qui l’entourait. Par degrés, la vitesse s’accentua, le nuage brumeux se résolut en un mince voile qui chatoyait de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Ayla glissait tout au long d’un tunnel translucide dont les parois ressemblaient à l’intérieur d’une bulle de savon. Elle glissait de plus en plus vite, se dirigeait tout droit vers une fulgurante lumière blanche, pareille à celle du soleil, mais glaciale. Elle poussa un hurlement qui ne produisit aucun bruit, se retrouva brutalement au centre de la lumière, puis de l’autre côté.
Elle était maintenant dans un vide profond, froid, obscur qui lui donnait une terrifiante sensation de familiarité. Elle était déjà venue dans cet endroit, mais, cette fois-là, Creb l’avait retrouvée, l’en avait fait sortir. Très vaguement, elle sentait que Mamut était toujours avec elle, mais, elle le savait, il ne pouvait rien pour l’aider. La psalmodie des Mamutoï ne parvenait plus qu’en faible répercussion. Si elle venait à se taire, la jeune femme en était convaincue, jamais elle ne retrouverait son chemin, mais elle n’était pas sûre de vouloir le retrouver. Là où elle était, il n’y avait ni sensations ni émotions, rien qu’une absence qui l’amenait à mesurer son désarroi, son douloureux amour, son désespoir. Le vide obscur était effrayant mais pas plus, semblait-il, que la désolation qu’elle ressentait intérieurement.
Elle sentit le mouvement reprendre, l’obscurité s’estomper. Elle se retrouvait dans un nuage, mais différent, cette fois, plus épais, plus dense. Le nuage se dissipa, une échappée s’ouvrit devant Ayla, mais elle n’avait pour elle aucune signification. Ce n’était pas le paysage naturel, modéré, sans ordre défini qu’elle connaissait. Les formes qui le peuplaient ne lui étaient pas familières. Elles étaient régulières, monotones, tout en dures surfaces planes et en lignes droites, avec de vastes masses de couleurs crues, artificielles. Certains objets se mouvaient, rapidement, semblait-il, mais peut-être s’agissait-il d’une illusion. Elle l’ignorait, mais ces lieux ne lui plaisaient pas. Elle fit un grand effort pour les repousser loin d’elle, pour leur échapper.
Jondalar avait vu Ayla absorber la mixture. Son front s’était plissé d’inquiétude quand il l’avait vue chanceler, pâlir. Après quelques hoquets, elle s’affaissa sur le sol. Mamut était tombé, lui aussi, mais il n’était pas exceptionnel de voir le chaman s’effondrer lorsqu’il s’aventurait très loin dans l’autre monde, à la recherche des esprits, qu’il eût ou non bu ou mangé quelque chose pour l’aider dans sa tâche. On allongea Mamut et Ayla sur le dos. Le chant, le battement des tambours continuaient. Jondalar vit Loup tenter d’atteindre la jeune femme, mais on le retint. Jondalar comprenait ce que ressentait Loup. Lui-même aurait aimé se précipiter vers Ayla. Il jeta même un coup d’œil vers Ranec, pour voir comment il réagissait. Mais le Camp du Lion ne témoignait d’aucune anxiété, et il hésitait à intervenir dans un rituel sacré. Il finit par s’unir au chant psalmodié. Mamut avait pris soin de lui en indiquer l’importance.
Un long moment s’écoula. Ni la jeune femme ni le chaman n’avaient bougé. L’inquiétude de Jondalar pour Ayla se précisait. Il crut voir une certaine anxiété se peindre sur les visages de quelques assistants. Il se leva pour tenter de voir la jeune femme, mais les feux étaient presque éteints, l’habitation était noyée d’ombre. Il entendit un gémissement, baissa les yeux sur Loup. Le jeune animal gémit de nouveau. Il leva vers Jondalar un regard suppliant. A plusieurs reprises, il fit quelques pas vers Ayla, revint vers le jeune homme.
Celui-ci entendit Whinney hennir dans le foyer des chevaux. Elle semblait inquiète, comme si elle flairait un danger. Il alla voir ce qui se passait. Certes, c’était improbable, mais un prédateur aurait pu se glisser auprès des animaux pour s’attaquer à eux pendant que tout le monde était occupé ailleurs. A la vue de Jondalar, la jument émit un autre petit hennissement. Il ne découvrit rien qui justifiât un tel comportement, mais, visiblement, Whinney était effrayée. Ni les caresses ni les paroles de réconfort ne paraissaient capables de la calmer. Sans cesse, elle se dirigeait vers l’entrée du Foyer du Mammouth, alors qu’elle n’avait jamais encore tenté d’y pénétrer. Rapide, lui aussi, était mal à l’aise, gagné peut-être par l’agitation de sa mère.
Jondalar retrouva Loup à ses pieds : il pleurait, gémissait, s’avançait vers l’entrée du foyer, revenait vers lui.
— Qu’y a-t-il, Loup ? Qu’est-ce qui te tourmente ainsi ?
Et qu’est-ce qui tourmente Whinney ? se demandait-il. Une idée, soudain, lui traversa l’esprit. Ayla ! Les animaux devaient la sentir menacée !
Jondalar rentra précipitamment dans le Foyer du Mammouth. Plusieurs personnes étaient maintenant rassemblées autour de Mamut et d’Ayla. On s’efforçait de les réveiller. Incapable de se contenir plus longtemps, Jondalar se précipita vers la jeune femme. Elle était inerte, rigide, les muscles contractés. Son corps était froid. Elle respirait à peine.
— Ayla ! cria-t-il. O, Mère, elle a l’air à moitié morte ! Ayla ! O, Doni, ne la laisse pas mourir ! Ayla, reviens ! Ne meurs pas, Ayla ! Je t’en supplie, ne meurs pas !
Il la tenait entre ses bras, l’appelait de son nom avec une fiévreuse instance, la suppliait de ne pas mourir.
Ayla se sentait glisser de plus en plus loin. Elle essayait d’entendre la psalmodie, le battement des tambours, mais ils n’étaient plus qu’un vague souvenir. Elle crut alors entendre son nom. Elle fit un effort pour écouter. Oui, l’appel lui parvenait encore : c’était bien son nom, répété avec insistance, avec une pressante insistance. Elle sentit Mamut se rapprocher d’elle, et, ensemble, ils concentrèrent leur attention sur les voix qui chantaient. Elle perçut un faible bourdonnement, eut l’impression d’être entraînée vers le bruit. Enfin, au loin, elle entendit la voix profonde, vibrante, saccadée des tambours dire « h-h-o-ooo-mm-rn ». Plus distinctement, maintenant, elle entendit aussi son nom, crié sur un ton d’angoisse et d’amour infini. Une sorte de pression indéfinissable arriva jusqu’à elle, toucha son essence même et celle de Mamut en même temps.
Elle se retrouva tout à coup en mouvement, tirée, poussée au long d’un fil unique, brillant. Elle avait une impression de vitesse inouïe. Le lourd nuage l’environna, disparut. Elle traversa le vide en l’espace d’un clin d’œil. L’arc-en-ciel miroitant devint une brume grise. L’instant d’après, elle se retrouvait dans l’habitation. Au-dessous d’elle, son propre corps, bizarrement inerte et d’une pâleur grisâtre, était étendu sur le sol. Elle vit le dos d’un homme blond qui était penché sur elle et la serrait dans ses bras. Elle sentit Mamut la pousser avec force.
Les paupières d’Ayla battirent. Elle ouvrit enfin les yeux, vit le visage de Jondalar tout près du sien. L’effroi qui hantait les yeux bleus se transforma en un intense soulagement. La jeune femme voulut parler, mais sa langue lui semblait épaissie, et elle avait froid, elle était glacée.
Elle entendit la voix de Nezzie :
— Ils sont de retour ! Je ne sais pas où ils sont allés mais ils sont de retour. Et ils ont froid ! Apportez des fourrures et quelque chose de chaud à boire.
Deegie alla prendre sur son lit une brassée de fourrures, et Jondalar s’écarta pour lui permettre d’en envelopper Ayla. Loup arriva précipitamment, sauta sur la jeune femme, lui lécha le visage. Ranec apporta une coupe d’infusion brûlante. Talut aidait Ayla à se redresser. Ranec approcha de ses lèvres le breuvage chaud, et elle lui sourit avec gratitude. Dans l’abri des chevaux, Whinney hennit. La jeune femme reconnut dans son cri la détresse et la peur. Elle s’assit, répondit à la jument par le même hennissement, pour la calmer, la rassurer. Elle s’inquiéta ensuite de Mamut, insista pour le voir.
On l’aida à se lever, on lui jeta une fourrure sur les épaules, avant de la conduire jusqu’
au vieux chaman. Enveloppé de fourrures, il tenait, lui aussi, une coupe de tisane chaude. Il sourit à Ayla, mais son regard exprimait une nuance de tourment. Il n’avait pas voulu inquiéter le Camp plus que de raison et il avait essayé de minimiser leur périlleuse expérience. Il ne voulait pas, cependant, laisser ignorer à Ayla la gravité du danger qu’ils avaient couru. Elle aussi était désireuse d’en parler, mais l’un et l’autre évitaient toute allusion directe à ce qu’ils avaient connu. Nezzie comprit très vite leur désir de s’entretenir seule à seul. Discrètement, elle dispersa l’assistance.
— Où étions-nous, Mamut ? questionna Ayla.
— Je l’ignore. Je ne m’étais encore jamais trouvé là. C’était un autre lieu, peut-être un autre temps. Il est possible qu’il ne se soit pas agi d’un endroit réel, ajouta-t-il d’un ton pensif.
— Mais si, certainement, dit-elle. Toutes ces choses m’ont donné l’impression d’être réelles, et certains éléments m’étaient familiers. Ce vide, cette obscurité, je m’y suis trouvée avec Creb.
— Je te crois quand tu parles du pouvoir de ton Creb. Peut-être était-il plus puissant encore que tu ne le crois, s’il était en mesure de diriger et de maîtriser ce lieu.
— Oui, il l’était, Mamut, mais...
Une idée se présentait à l’esprit d’Ayla, mais elle n’était pas sûre de pouvoir la formuler.
— Creb gouvernait ce lieu, il m’a montré ses souvenirs et nos commencements, mais je ne crois pas qu’il soit jamais allé là où nous sommes allés, Mamut. Il ne le pouvait pas, je pense. Peut-être est-ce ce qui m’a protégée. Il possédait certains pouvoirs et il était capable de les maîtriser, mais ils étaient différents. L’endroit où nous sommes allés, cette fois, c’était un endroit nouveau. Creb était incapable de se rendre dans un lieu nouveau, il ne pouvait se rendre qu’en des lieux où il s’était déjà trouvé. Mais peut-être a-t-il su que j’aurais ce pouvoir. Je me demande si c’était ce qui le rendait si triste...
Mamut hocha la tête.
— C’est possible, mais il y a plus important : cet endroit était beaucoup plus dangereux que je ne l’avais imaginé. J’ai essayé d’en parler avec une certaine légèreté, afin de ne pas inquiéter le Camp. Si nous étions restés absents plus longtemps, nous n’aurions plus été en mesure de revenir. Et notre retour ne s’est pas opéré grâce à nos seules forces. Nous avons été aidés par... par quelqu’un qui éprouvait un désir... si violent de nous voir revenir qu’il a surmonté tous les obstacles. Quand une force de volonté aussi résolue se concentre sur un seul but, aucune frontière ne peut lui résister, sauf, peut-être, la mort elle-même.
Ayla, visiblement troublée, fronçait les sourcils. Mamut se demanda si elle avait identifié celui qui les avait ramenés ou si elle comprenait pourquoi une telle concentration de volonté pouvait être nécessaire à sa sauvegarde. Elle finirait par le savoir, mais ce n’était pas à lui de l’informer. Elle devrait le découvrir par elle-même.
— Je ne retournerai jamais en ce lieu, poursuivit-il. Je suis trop vieux. Je ne veux pas que mon esprit s’égare dans ce vide. Un jour, quand tu auras encore développé tes pouvoirs, il se peut que tu désires y retourner. Je ne te le conseille pas, mais, si tu pars, assure-toi d’une puissante protection. Assure-toi que quelqu’un t’attend, quelqu’un qui soit capable de te rappeler.
En gagnant sa plate-forme de couchage, Ayla chercha Jondalar du regard. Mais il avait battu en retraite quand Ranec avait apporté l’infusion et il se tenait maintenant à l’écart. Lorsqu’il avait senti qu’Ayla était en danger, il n’avait pas hésité à aller vers elle mais il n’était plus très sûr de ce qui l’avait poussé. Elle venait d’accorder sa Promesse au sculpteur mamutoï. Quel droit avait-il, lui, de la tenir entre ses bras ? Et tout le monde, apparemment, savait ce qu’il fallait faire, lui apportait des fourrures, des boissons chaudes. Il avait eu l’impression, sur le moment, que, sous l’effet de son immense amour pour elle, il avait pu l’aider de quelque étrange manière. En y réfléchissant, il commençait à en douter. Sans doute, à ce moment, Ayla se trouvait-elle déjà sur le chemin du retour, se disait-il. C’était une simple coïncidence. Je me suis trouvé là, voilà tout. Elle ne s’en souviendra même pas.
Ranec alla trouver Ayla, quand elle eut fini de s’entretenir avec Mamut. Il la supplia de venir partager son lit, non pour s’accoupler, mais seulement pour lui permettre de la tenir dans ses bras, de la réchauffer. Elle refusa : elle se sentirait mieux dans son propre lit, insista-t-elle. Il finit par accepter son refus mais il demeura longuement éveillé, sous ses fourrures. Il réfléchissait. Jondalar avait eu beau quitter le Foyer du Mammouth, l’intérêt qu’il portait à Ayla ne s’était pas éteint pour autant : tout le monde s’en rendait compte. Ranec, lui, était parvenu à l’ignorer. Toutefois, il fie pouvait plus nier les sentiments violents que le grand étranger entretenait encore à l’égard de la jeune femme. Pas après l’avoir vu conjurer la Mère de lui laisser la vie.
Jondalar, il n’en doutait pas, avait joué un rôle décisif dans le retour d’Ayla, mais Ranec se refusait à croire qu’elle lui rendît ses sentiments. Au cours de cette même soirée, elle s’était Promise à lui. Ayla allait être sa compagne, elle partagerait son foyer. Il avait eu peur pour elle, lui aussi, et la seule idée de la perdre, que ce fût par quelque péril ou bien au profit d’un autre, ne faisait qu’accroître son désir.
Jondalar vit Ranec rejoindre la jeune femme. Il respira plus librement lorsque ensuite l’homme à la peau sombre revint seul à son foyer. Néanmoins, il se tourna sur le flanc, ramena les fourrures sur sa tête. Quelle différence cela faisait-il qu’elle partageât ou non sa couche, cette nuit-là ? Elle finirait par le rejoindre. Elle s’était Promise à lui.
29
Ayla faisait généralement le compte de ses années à la fin de l’hiver, avec la saison du renouveau, et le printemps de la dix-huitième année était resplendissant d’une profusion de fleurs des champs et du vert tout frais des feuilles nouvelles. On l’accueillit comme seuls pouvaient le faire les habitants d’une région de terres arides et glaciales. Mais, après la Fête du Printemps, la saison mûrit très vite. A mesure que se fanaient les fleurs multicolores de la steppe, elles étaient remplacées rapidement par l’abondance luxuriante d’une herbe neuve... et par les troupeaux qui venaient paître. Les migrations saisonnières avaient commencé.
Les animaux, en grand nombre et de multiples espèces, étaient en marche à travers les vastes plaines. Certains se rassemblaient en nombres incalculables, d’autres par troupes moins importantes ou par groupes familiaux. Mais tous tiraient leur subsistance, leur vie, des grandes plaines herbeuses, balayées par le vent, incroyablement riches, et du réseau des rivières nourries par les glaciers qui les traversaient.
D’immenses hordes de bisons aux longues cornes couvraient collines et dépressions d’une masse vivante, beuglante, ondulante, sans cesse en mouvement, qui laissait derrière elle une terre piétinée, dénudée. Les aurochs s’égrenaient dans les plaines plus ou moins boisées qui s’étendaient au long des vallées des cours d’eau les plus importants. Ils se dirigeaient vers le nord et se trouvaient parfois mêlés à des troupeaux d’élans et de gigantesques cerfs aux massives ramures. De timides chevreuils traversaient les bois et les forêts boréales pour rejoindre, par petits groupes, leurs pâturages de printemps et d’été, en compagnie d’orignaux insociables qui fréquentaient aussi les marécages et les lacs formés par la fonte des neiges. Les chèvres sauvages, les mouflons, qui habitaient la plupart du temps la montagne, descendaient jusqu’aux grandes plaines des froides terres du nord et retrouvaient aux points d’eau les familles d’antilopes saïgas et les groupes plus nombreux de chevaux des steppes. La migration saisonnière des animaux à la toison laineuse était plus limitée. Avec leur couche épaisse de graisse, leur double et pesant manteau de fourrure, ils étaient adaptés à la vie près des glaciers, ils ne pouvaient résister à une chaleur trop grande. Ils passaient toute l’année dans les r�
�gions périglaciaires des steppes, où le froid était particulièrement vif mais sec, où la neige était plus rare. L’hiver, ils se nourrissaient de l’herbe séchée sur pied. Les bœufs musqués, un peu semblables à des moutons, habitaient en permanence le Nord glacé ; ils se déplaçaient en petits troupeaux à l’intérieur d’un territoire limité. Les rhinocéros laineux qui, le plus souvent, voyageaient par familles, et les troupes plus nombreuses des mammouths s’aventuraient plus loin tout en se cantonnant, l’hiver, aux territoires du Nord. Dans les steppes continentales du Sud, légèrement plus chaudes et plus humides, l’épaisse couche de neige ensevelissait la nourriture et faisait patauger péniblement les pesantes bêtes. Le printemps venu, ils descendaient vers le sud pour s’engraisser de la tendre herbe nouvelle mais, dès que la température s’élèverait, ils remonteraient vers le nord.
Le Camp du Lion se réjouissait de voir les plaines grouiller de nouveau de vie et commentait l’apparition de chaque espèce, celles, surtout, qui se trouvaient bien des températures les plus basses. C’étaient celles-là qui contribuaient le plus à la survie des Mamutoï. La vue d’un énorme rhinocéros, aux réactions imprévisibles, avec ses deux cornes, la première plus longue que l’autre, et ses deux couches de fourrure rougeâtre, celle du dessous duveteuse, celle du dessus formée de longs poils, amenait toujours des exclamations émerveillées.
Rien, toutefois, ne soulevait autant d’agitation parmi les Mamutoï que la vue des mammouths. Quand approchait la date coutumière de leur passage, il y avait toujours quelqu’un du Camp du Lion pour les guetter. Sauf de loin, Ayla n’avait pas vu de mammouths depuis le temps où elle vivait avec le Clan, et elle fut aussi excitée que les autres quand Danug, un après-midi, descendit la pente à toute allure en criant :
— Les mammouths ! Les mammouths !
Elle fut parmi les premiers qui se précipitèrent pour les voir. Talut, qui portait souvent Rydag à califourchon sur ses épaules, se trouvait sur la steppe avec Danug. Ayla remarqua que Nezzie, l’enfant sur sa hanche, peinait derrière les autres. Elle allait retourner en arrière pour l’aider lorsqu’elle vit Jondalar prendre Rydag et le percher sur ses propres épaules. Nezzie et l’enfant lui sourirent. Ayla, elle aussi, sans qu’il la vît. Le sourire ne s’était pas encore effacé de son visage quand elle se tourna vers Ranec qui avait pris le pas de course pour la rattraper. Ce tendre, ce merveilleux sourire éveilla en lui une chaleur intense et l’ardent désir qu’elle fût déjà à lui. Elle ne put s’empêcher de répondre à l’amour qui brillait dans les yeux sombres. Elle garda son sourire aux lèvres.