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TENTATION Page 31

by Stephenie Meyer


  Il freina à mort, et je dus me retenir au tableau de bord.

  — Quoi ? répéta-t-il, ahuri et effrayé.

  — C'est la voiture de Carlisle ! Ce sont les Cullen. J'en suis sûre !

  Le soulagement qu'il lut sur mon visage l'agita d'un violent frisson.

  — Hé, du calme, Jake. Il n'y a aucun danger.

  — C'est ça, haleta-t-il en baissant la tête et en fermant les yeux.

  Pendant qu'il se concentrait pour ne pas exploser et se transformer, je contemplai l'auto noire par la fenêtre arrière de la Chevrolet. Ce n'était que Carlisle, me convainquis-je. Il était inutile que je m'attende à autre chose. Ou Esmé... « Ça suffit ! » m'ordonnai-je. Juste Carlisle. Déjà énorme. Plus que ce que j'avais jamais espéré.

  — Il y a un vampire chez toi, et tu veux rentrer ? siffla Jacob.

  De mauvaise grâce — j'avais peur que la Mercedes disparaisse si je cessais de la regarder -, je lui jetai un coup d'œil.

  — Bien sûr !

  L'étonnement qu'avait suscité sa question m'avait poussée à lui parler trop sèchement. Pour moi, c'était tellement évident. Jacob se ferma, ses traits reprirent l'aspect figé que j'avais cru disparu pour toujours. Juste avant que le masque ne s'installe, j'eus toutefois le temps de repérer un éclat dans ses prunelles — il se sentait trahi. Soudain, il avait dix ans de plus que moi. Il respira profondément.

  — Tu es certaine que ce n'est pas un piège ? demanda-t-il sur un ton pesant.

  — Oui. C'est Carlisle ! Ramène-moi.

  Un tremblement agita ses larges épaules, mais ses iris restèrent froids et dénués d'émotion.

  — Non.

  — Jake, ce...

  — Non. Vas-y toute seule. Moi, je ne peux pas. Traité ou non, c'est mon ennemi qui est chez toi.

  — Ce n'est pas ce que tu...

  — Il faut que j'avertisse Sam immédiatement. Ça change la donne. Nous ne pouvons nous permettre d'être surpris sur leur territoire.

  — Il ne s'agit pas d'une guerre, Jake !

  Sans m'écouter, il mit la camionnette au point mort et sauta dehors.

  — Au revoir, Bella, lança-t-il par-dessus son épaule. J'espère vraiment que tu t'en sortiras vivante.

  Sur ce, il s'éloigna à toutes jambes dans l'obscurité, tremblant si fort que sa silhouette en paraissait floue. Il s'évanouit avant que j'aie eu le temps de protester. Le remords me submergea. Que venais-je de lui infliger ?

  Mes regrets ne durèrent pas, cependant. Je me glissai derrière le volant. Mes doigts tremblaient presque autant que ceux de Jake l'avaient fait. Prudemment, je manœuvrai et revins vers la maison. Lorsque j'éteignis les phares, l'obscurité me parut très dense. Charlie était parti précipitamment, oubliant de laisser la lampe du porche allumée. Le doute s'empara de moi, et je restai là à contempler la maison. Et si c'était un piège ? Je me retournai vers la Mercedes, presque invisible dans la nuit. Non. Je connaissais cette voiture.

  N'empêche, je grelottais d'appréhension quand je cherchai mes clés. Je tournai la poignée de la porte, qui s'ouvrit sans difficulté. Le couloir était ténébreux. J'aurais aimé lancer un bonsoir, mais ma gorge était trop sèche, et j'avais le souffle court. J'avançai d'un pas, tâtonnai pour appuyer sur l'interrupteur. Il faisait si sombre... sombre comme l'océan... Où diable était ce bouton ?

  Comme la mer, sur laquelle avait clignoté une étrange flammèche orange. Qui ne pouvait être du feu. Mais alors... Mes doigts tâtaient le mur, toujours aussi tremblants, toujours aussi vainement... Soudain, une phrase que Jacob m'avait dite dans l'après-midi me revint en mémoire et prit enfin son sens... « Elle a sauté dans l'eau. Sur ce terrain-là, les buveurs de sang nous dominent largement. C'est pourquoi je me suis rué ici. J'avais peur qu'elle nous devance à la nage. »

  Ma main se figea, mon corps aussi quand je compris pourquoi j'avais reconnu la drôle de tache orange dans l'eau. Les cheveux de Victoria, ébouriffés par le vent, couleur feu. Elle avait été là-bas, au même moment que Jacob et moi. Sans Sam, seuls tous les deux... Mon corps était paralysé, mes poumons également.

  Tout à coup, la lumière s'alluma, sans que j'y sois pour rien. Je battis des paupières, découvris que quelqu'un était là, qui m'attendait.

  17

  RETROUVAILLES

  Artificiellement immobile et blanche, ses grands yeux noirs fixés sur moi, ma visiteuse se tenait dans le hall, belle au-delà de l'imaginable.

  Un instant, mes genoux vacillèrent, et je faillis tomber, puis je me ruai vers elle.

  — Alice ! Oh, Alice !

  Je la heurtai violemment — j'avais oublié à quel point elle était dure. C'était comme se précipiter sur un mur en ciment.

  — Bella ?

  Ses intonations trahissaient un étrange mélange de soulagement et de surprise. Je l'enlaçai, inhalant à fond l'odeur de sa peau qui ne ressemblait à rien de connu — ni fleurs ni épices, ni agrumes ni musc. Aucun parfum au monde n'était comparable à cet arôme, et ma mémoire chancelante ne lui avait pas rendu justice.

  Ce n'est que lorsque Alice m'entraîna vers le canapé et me serra contre elle que je me rendis compte que ma respiration hachée s'était transformée en pleurs. J'avais l'impression d'être blottie contre une pierre froide, mais une pierre dont les contours avaient été confortablement taillés pour accueillir la forme de mon corps. Elle me frotta lentement le dos, attendant que je me ressaisisse.

  — Je-je suis... d-désolée, balbutiai-je. C'est que j-je... s-suis si contente de te v-voir.

  — Calme-toi, Bella. Tout va bien.

  — Oui, sanglotai-je de plus belle.

  — J'avais oublié à quel point tu es exubérante, soupira-t-elle d'un ton désapprobateur.

  Je la contemplai à travers mes yeux voilés de larmes. Elle était tendue, reculait la tête, lèvres serrées. Ses iris étaient noirs comme de l'encre.

  — Oh ! soufflai-je en prenant conscience du problème.

  Elle était assoiffée, et je dégageais une odeur appétissante. À ma décharge, cela faisait un bon moment que je n'avais pas eu à songer à ce genre de détail.

  — Excuse-moi, chuchotai-je.

  — C'est ma faute. J'aurais dû chasser avant de venir. C'est une erreur de laisser ma soif prendre de telles proportions. Malheureusement, j'étais pressée aujourd'hui, précisa-t-elle en me toisant. À propos, aurais-tu l'amabilité de m'expliquer pourquoi tu es encore vivante ?

  Cette réflexion coupa court à mes geignements. Je compris tout de suite ce qui avait dû se passer et les raisons de la présence d'Alice à Forks.

  — Tu m'as vue tomber, murmurai-je en déglutissant.

  — Non, rectifia-t-elle, peu amène. Je t'ai vue plonger.

  Je pinçai la bouche, réfléchissant à une manière à peu près sensée de justifier mon acte.

  — Je l'avais prévenu que ça arriverait, continuait Alice en secouant la tête. Il ne m'a pas crue. « Bella a juré, alors cesse de surveiller son futur, nous avons commis assez de dégâts. » (Son imitation d'Edward était tellement parfaite que je tressaillis, cependant que la plaie de ma poitrine se déchirait de nouveau.) Mais ne pas essayer de voir ne signifie pas que je peux bloquer les images, poursuivit-elle. Je te promets que je ne te surveillais pas, Bella, c'est juste que je suis habituée à toi... Quand je t'ai vue plonger, je n'ai pas réfléchi, j'ai sauté dans le premier avion. Je savais que j'arriverais trop tard, mais c'était plus fort que moi. Quand je me suis retrouvée ici, j'ai songé que, peut-être, j'apporterais une aide quelconque à Charlie, et voilà que tu débarques. (Elle fronça les sourcils, décontenancée.) Je t'ai perçue dans l'eau, reprit-elle avec lassitude, j'ai attendu que tu émerges, encore et encore, sauf que tu n'as jamais refait surface. Que s'est-il passé ? Et comment as-tu osé infliger cela à Charlie ? As-tu seulement songé à sa réaction ? Et mon frère ? As-tu la moindre idée de ce qu'Edward...

  Je la coupai aussitôt, refusant de l'entendre prononcer ce prénom. Bien que j'aie compris le malentendu, je l'avais laissée parler, juste pour l
e plaisir des ses intonations merveilleuses. Là, il était temps d'intervenir.

  — Je n'avais pas l'intention de me suicider, Alice.

  — Es-tu en train de soutenir que tu n'as pas dégringolé d'une falaise ? rétorqua-t-elle, soupçonneuse.

  — Si, mais... c'était seulement dans un but récréatif.

  Je grimaçai, guettant sa réaction. Ses traits se durcirent.

  — J'avais vu des amis de Jacob plonger, ça avait l'air marrant, je m'ennuyais, alors... (Elle attendait.) Je n'ai pas pensé que la tempête affecterait le courant. D'ailleurs, je n'ai pas beaucoup réfléchi à ce qui arriverait, une fois dans l'eau.

  Malgré mes affirmations, Alice ne croyait pas que je n'avais pas attenté à mes jours.

  — Si tu m'as vue tomber, comment expliques-tu que Jacob t'ait échappé ? demandai-je soudain. (Elle pencha la tête, intéressée.) Il est vrai que, sans lui, je me serais probablement noyée. Bon, d'accord, pas probablement, sûrement. Sauf qu'il a sauté derrière moi, m'a tirée de là et m'a traînée sur la plage. Enfin, je crois, j'étais dans les vapes. Je suis sans doute restée moins d'une minute sous l'eau. Comment se fait-il qu'il ne soit pas apparu dans ta vision ?

  — Quelqu'un t'a sortie de l'eau ? marmonna-t-elle, perplexe.

  — Jacob m'a sauvée, en effet.

  Une série d'émotions contradictoires défila sur ses traits. Quelque chose l'ennuyait. Quoi ? L'imperfection de son don ? Pas sûr. Brusquement, elle se pencha et me flaira. Je sursautai.

  — Ne sois pas bête, marmonna-t-elle en reniflant de plus près.

  — Qu'est-ce que tu fabriques ?

  Elle ignora la question.

  — Qui était avec toi, il y a cinq minutes ? J'ai eu l'impression que vous vous disputiez.

  — Jacob Black. Il... c'est mon meilleur ami, en quelque sorte. Enfin, c'était...

  Je songeai au visage meurtri de Jake, à ma trahison, à ce que je représentais pour lui à présent. Alice acquiesça, l'air préoccupée.

  — Quoi ?

  — Je ne sais pas. Je ne suis pas certaine de ce que ça signifie.

  — En tout cas, je ne suis pas morte.

  Elle leva les yeux au ciel.

  — Il a été stupide de croire que tu survivrais sans lui, commenta-t-elle.

  Et ce n'était pas de Jacob qu'elle parlait.

  — Je n'ai jamais rencontré quelqu'un aussi enclin à la bêtise suicidaire que toi, ajouta-t-elle.

  — J'ai survécu, me défendis-je.

  Elle songeait déjà à autre chose.

  — Si les courants étaient tellement puissants, comment ce Jacob a-t-il réussi à les surmonter ?

  — Il est... fort.

  Percevant ma réticence, elle leva les sourcils. Je mordillai ma lèvre. Était-ce un secret ou pas ? Et si oui, auquel des deux étais-je la plus liée ? À Alice ou à Jake ? Bah ! Tous ces mystères, c'était vraiment trop compliqué ! Jacob était au courant de tout, pourquoi pas elle ?

  — Eh bien... c'est un loup-garou, admis-je précipitamment. Les Indiens Quileute se transforment en loups quand il y a des vampires dans les parages. Ils connaissent Carlisle depuis très longtemps. Tu étais déjà là, à l'époque ?

  Un instant, Alice parut déstabilisée.

  — Bon, finit-elle par se reprendre, le front plissé, j'imagine que ça explique l'odeur. Pour ce qui est de ma vision incomplète en revanche...

  — L'odeur ? m'étonnai-je.

  — Tu sens bizarre, m'accusa-t-elle distraitement. Un loup-garou ? Tu en es sûre ?

  — Oui. J'en déduis que tu n'étais pas à Forks la dernière fois qu'il y en a eu ?

  — Non, je n'avais pas encore trouvé Carlisle, lâcha-t-elle, perdue dans ses pensées. Ton meilleur ami en est un ? s'exclama-t-elle soudain, ahurie.

  J'acquiesçai piteusement.

  — Depuis combien de temps ça dure ?

  — Pas longtemps. Il s'est transformé il y a seulement quelques semaines.

  — Un jeune, qui plus est ? s'emporta-t-elle. C'est encore pire ! Edward avait raison, tu es vraiment un aimant à dangers. N'étais-tu pas censée rester à l'écart des ennuis ?

  — Les loups-garous sont parfaitement fréquentables, ripostai-je, piquée au vif.

  — Jusqu'à ce qu'ils piquent une crise. Il faut te reconnaître ça, Bella. Les vampires partis d'ici, n'importe qui aurait été soulagé. Toi, non, il faut que tu te mettes à traîner avec les premiers monstres qui te tombent sous la main.

  Je n'avais pas envie de me disputer avec elle. J'étais tellement heureuse de sa présence, de toucher sa peau marmoréenne et d'entendre sa voix mélodieuse. Malheureusement, elle se trompait du tout au tout.

  — Non, Alice, les vampires ne sont pas partis, pas tous du moins. C'est bien le problème. Sans les loups-garous, Victoria aurait eu raison de moi à l'heure qu'il est. Et même, sans Jake et ses amis, Laurent m'aurait tuée avant elle.

  — Victoria ? siffla-t-elle. Laurent ?

  J'opinai, quelque peu alarmée par l'expression de ses prunelles noires.

  — Que veux-tu ! C'est ça, d'attirer le danger !

  — Raconte-moi tout. Depuis le début.

  Je ne m'étendis pas sur les détails, omettant les motos et les voix, mais je lui narrai le reste jusqu'à ma mésaventure de la journée. L'ennui que j'invoquai pour justifier mon plongeon la faisant tiquer, j'insistai sur la flamme ballottée par les vagues et la conclusion à laquelle j'étais parvenue. À ce moment du récit, elle étrécit les yeux. Elle me parut alors si étrange, si... dangereuse, si... vampire. Je déglutis et terminai par la mort de Harry.

  Elle m'écouta sans m'interrompre, se bornant à secouer la tête de temps à autre, tandis que les plis de son front s'accentuaient, à croire qu'ils avaient été sculptés dans le marbre. Quand j'en eus terminé, le chagrin lié à la disparition de Harry me submergea de nouveau. Je songeai à mon père qui n'allait pas tarder à rentrer. Dans quel état serait-il ?

  — Notre départ ne t'a rien apporté de bon, hein ? marmonna Alice.

  J'eus un petit rire vaguement hystérique.

  — Tel n'était pas le but, non ? objectai-je. Vous ne vous êtes pas enfuis pour mon bien.

  Pensive, elle se perdit dans la contemplation du plancher.

  — Hum, marmotta-t-elle, j'ai l'impression que j'ai agi un peu à la va-vite. Mieux aurait sans doute valu que j'évite cette intrusion.

  Je me sentis pâlir.

  — Je t'en prie, Alice, ne t'en va pas, chuchotai-je, paniquée, en agrippant le col de son chemisier blanc. Ne me laisse pas.

  — Du calme, répondit-elle lentement. Je n'ai l'intention d'aller nulle part ce soir. Respire !

  Elle m'observa, cependant que je m'efforçai de lutter contre l'étouffement. Lorsque je me fus apaisée, elle reprit la parole.

  — Tu as vraiment une sale mine, Bella.

  — J'ai failli me noyer, aujourd'hui.

  — Ça va plus loin que cela. Tu es dans un piteux état.

  — Écoute, je me défends comme je peux.

  — Comment ça ?

  — Ça n'a pas été facile. J'y travaille encore.

  — J'en étais sûre, maugréa-t-elle. Je le lui avais dit.

  — Mais que croyais-tu trouver ? soupirai-je. À part mon cadavre ? Tu n'espérais quand même pas que je t'accueillerais en sifflotant et en dansant la gigue, non ? Tu me connais.

  — Oui. N'empêche.

  — Dans ce cas, j'ai le sentiment que je ne suis pas la seule à avoir l'exclusivité de la bêtise.

  Soudain, le téléphone sonna.

  — Charlie, sans doute.

  Je me levai maladroitement, pris la main de pierre d'Alice et l'entraînai à ma suite dans la cuisine. Pas question qu'elle disparaisse de mon champ de vision.

  — Allô, papa ?

  — Non, c'est moi, répondit Jacob.

  — Jake !

  Alice m'étudiait attentivement.

  — Je vérifie seulement que tu es encore vivante.

  — Je vais bien. Je t'avais dit que ce n'était pas...
/>   — Ouais. Pigé. Salut.

  Il me raccrocha au nez.

  — Nom d'une pipe, râlai-je en levant les yeux au ciel. Encore un problème à régler.

  — Ils ne sont pas super-ravis que je sois là, devina Alice.

  — Pas particulièrement, en effet. Mais cela ne les regarde pas.

  — Et maintenant ? s'interrogea-t-elle à voix haute. Il faudrait agir... régler les derniers détails.

  — Quels détails ?

  — Je n'en sais trop rien, temporisa-t-elle, tout à coup. J'ai besoin d'en référer à Carlisle.

  Elle n'allait quand même pas m'abandonner si vite ?

  — Tu ne peux pas rester encore un peu ? la suppliai-je. Tu m'as tellement manqué.

  — Si tu penses que c'est une bonne idée.

  Ses yeux trahissaient sa tristesse.

  — Oui, oui ! Tu coucherais ici. Charlie serait ravi.

  — J'ai une maison.

  J'acquiesçai, désappointée mais résignée. Elle me dévisagea, hésitante.

  — Laisse-moi au moins aller chercher une valise, murmura-t-elle.

  — Alice ! Tu es géniale ! m'écriai-je en me jetant à son cou.

  — Il faut aussi que je chasse, précisa-t-elle, tendue. Maintenant.

  — Oh, pardon.

  Je reculai.

  — Tu es capable de ne pas t'attirer d'ennuis pendant une heure ?

  Devançant ma réaction, elle leva un doigt et ferma les paupières. Durant quelques secondes, ses traits n'exprimèrent plus rien. Puis elle rouvrit les yeux et répondit à sa propre question.

  — Oui, ça va aller. Pour cette nuit en tout cas.

  Elle grimaça. Même ainsi, elle était superbe.

  — Tu reviens, hein ? demandai-je d'une toute petite voix.

  — Promis. Donne-moi juste une heure.

  Je jetai un regard à la pendule, ce qui déclencha ses rires. Elle m'embrassa sur la joue ; la minute d'après, elle avait disparu. J'inhalai longuement. Elle serait bientôt de retour. Je me sentais tellement mieux, soudain !

  Bon, j'avais tout un tas de choses pour m'occuper en l'attendant. Priorité, une douche. Je reniflai mes aisselles en me déshabillant, ne perçus rien d'autre qu'une odeur marine. Qu'avait voulu dire Alice en m'accusant de sentir bizarre ? Une fois propre, je retournai à la cuisine. Rien n'y indiquait que Charlie avait récemment mangé, il serait sans doute affamé à son arrivée. Je m'activai en chantonnant. Pendant que les restes du ragoût de jeudi tournaient dans le micro-ondes, je préparai le canapé. Alice n'en aurait pas l'usage, mais il faudrait que Charlie le voie. Je prenais soin de ne pas consulter l'horloge — elle avait juré. J'avalai mon dîner sans en sentir le goût, juste la douleur qu'il provoquait dans ma gorge irritée. J'avais très soif — tout le sel qui imprégnait mon corps m'avait déshydratée — et j'absorbai au moins un litre et demi d'eau pendant mon repas. Ensuite, je passai au salon pour attendre devant la télévision.

 

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