by Paul Valéry
Sur le golfe qui mange et qui monte au soleil,
Nids purs, écluses d’herbe, ombres des vagues creuses,
Bercez l’enfant ravie en un poreux sommeil!
Dont les jambes (mais l’une est fraîche et se dénoue
De la plus rose), les épaules, le sein dur,
Le bras qui se mélange à l’écumeuse joue
Brillent abandonnés autour du vase obscur
Où filtrent les grands bruits pleins de bêtes puisées
Dans les cages de feuille et les mailles de mer
Par les moulins marins et les huttes rosées
Du jour … Toute la peau dore les treilles d’air.
SUMMER
FOR FRANCIS VIÉLÉ-GRIFFIN
Summer, rock of pure air, and you, fierce hive,
O sea! Strewn in a thousand flies across
These tufts of flesh as fresh as a clay jar,
And even inside this mouth where the azure hums;
And you, a house on fire, dear calm Expanse
Where the tree smokes and loses some of its birds,
Where endless rumors of the massing sea,
The water’s soldiers and its march, all die,
Casks of odors, great happy throngs around
The bay that feeds and rises to the sun,
Pure nests, grassed locks, shadows of hollow waves,
Cradle the child enrapt in porous sleep!
Whose legs (though one is fresh, unfolding from
The rosier one), whose shoulders and hard breast,
Whose arm that mingles with a moistened cheek
Shine out forlorn around the darkened vase
Where rumbling noises filter down of beasts
Drawn from cages of leaves and folds of sea
By windmills of water and the rosy huts
Of day … Her whole skin gilds the vineyards of air.
PROFUSION DU SOIR
Poème abandonné …
Du soleil soutenant la puissante paresse
Qui plane et s’abandonne à l’œil contemplateur,
Regard! … Je bois le vin céleste, et je caresse
Le grain mystérieux de l’extrême hauteur.
Je porte au sein brûlant ma lucide tendresse,
Je joue avec les feux de l’antique inventeur ;
Mais le dieu par degrés qui se désintéresse
Dans la pourpre de l’air s’altère avec lenteur.
Laissant dans le champ pur battre toute l’idée,
Les travaux du couchant dans la sphère vidée
Connaissent sans oiseaux leur entière grandeur.
L’Ange frais de l’œil nu pressent dans sa pudeur,
Haute nativité d’étoile élucidée,
Un diamant agir qui berce la splendeur …
* * *
Ô soir, tu viens épandre un délice tranquille,
Horizon des sommeils, stupeur des cœurs pieux,
Persuasive approche, insidieux reptile,
Et rose que respire un mortel immobile
Dont l’œil dore s’engage aux promesses des cieux.
* * *
Sur tes ardents autels son regard favorable
Brûle, l’âme distraite, un passé précieux.
Il adore dans l’or qui se rend adorable
Bâtir d’une vapeur un temple mémorable,
Suspendre au sombre éther son risque et son récif,
Et vole, ivre des feux d’un triomphe passif,
Sur l’abîme aux ponts d’or rejoindre la Fortune ;
—Tandis qu’aux bords lointains du Théâtre pensif,
Sous un masque léger glisse la mince lune …
* * *
… Ce vin bu, l’homme bâille, et brise le flacon.
Aux merveilles du vide il garde une rancune ;
Mais le charme du soir fume sur le balcon
Une confusion de femme et de flocon …
* * *
—Ô Conseil! … Station solennelle! … Balance
D’un doigt doré pesant les motifs du silence!
Ô sagesse sensible entre les dieux ardents!
—De l’espace trop beau, préserve-moi, balustre!
Là, m’appelle la mer! … Là, se penche l’illustre
Vénus Vertigineuse avec ses bras fondants!
* * *
Mon œil, quoiqu’il s’attache au sort souple des ondes,
Et boive comme en songe à l’éternel verseau,
Garde une chambre fixe et capable des mondes ;
Et ma cupidité des surprises profondes
Voit à peine au travers du transparent berceau
Cette femme d’écume et d’algue et d’or que roule
Sur le sable et le sel la meule de la houle.
* * *
Pourtant je place aux cieux les ébats d’un esprit ;
Je vois dans leurs vapeurs des terres inconnues,
Des déesses de fleurs feindre d’être des nues,
Des puissances d’orage errer à demi nues,
Et sur les roches d’air du soir qui s’assombrit,
Telle divinité s’accoude. Un ange nage.
Il restaure l’espace à chaque tour de rein.
Moi, qui jette ici-bas l’ombre d’un personnage,
Toutefois délié dans le plein souverain,
Je me sens qui me trempe, et pur qui me dédaigne!
Vivant au sein futur le souvenir marin,
Tout le corps de mon choix dans mes regards se baigne!
* * *
Une crête écumeuse, énorme et colorée
Barre, puissamment pure, et plisse le parvis.
Roule jusqu’à mon cœur la distance dorée,
Vague! … Croulants soleils aux horizons ravis,
Tu n’iras pas plus loin que la ligne ignorée
Qui divise les dieux des ombres où je vis.
* * *
Une volute lente et longue d’une lieue
Semant les charmes lourds de sa blanche torpeur
Où se joue une joie, une soif d’être bleue,
Tire le noir navire épuisé de vapeur …
* * *
Mais pesants et neigeux les monts du crépuscule,
Les nuages trop pleins et leurs seins copieux,
Toute la majesté de l’Olympe recule,
Car voici le signal, voici l’or des adieux,
Et l’espace a humé la barque minuscule …
* * *
Lourds frontons du sommeil toujours inachevés,
Rideaux bizarrement d’un rubis relevés
Pour le mauvais regard d’une sombre planète,
Les temps sont accomplis, les désirs se sont tus,
Et dans la bouche d’or, bâillements combattus,
S’écartèlent les mots que charmait le poète …
Les temps sont accomplis, les désirs se sont tus.
* * *
Adieu, Adieu! … Vers vous, ô mes belles images,
Mes bras tendent toujours l’insatiable port!
Venez, effarouchés, hérissant vos plumages,
Voiliers aventureux que talonne la mort!
Hâtez-vous, hâtez-vous! … La nuit presse! … Tantale
Va périr! Et la joie éphémère des cieux!
Une rose naguère aux ténèbres fatale,
Une toute dernière rose occidentale
Pâlit affreusement sur le soir spacieux …
Je ne vois plus frémir au mât du belvédère
Ivre de brise un sylphe aux couleurs de drapeau,
Et ce grand port n’est qu’un noir débarcadère
Couru du vent glacé que sent venir ma peau!
Fermez-vous! Fermez-vous! Fenêtres offensées!
Grands yeux qui redoutez la véritable nuit!
Et toi, de ces hauteurs d’astres ensemencées,
Accepte, fécondé de mystère et d’ennui,
Une maternité muette de pensées …
EVENING PROFUSION
Abandoned poem …<
br />
Enduring the sunset’s powerful somnolence
That glides and yields to contemplation … Gaze!
I drink the heavenly wine, and I caress
The secret grain of this exalted height.
I bear my lucid tenderness in my breast,
I play with the fires of an illustrious mind;
The god though, grown indifferent, by degrees
Is altered in the crimson of the air.
Letting the whole idea unfurl in the pure field,
The labors of the setting sun attain
Their birdless grandeur in the emptied sphere.
The spotless Angel of the naked eye
Infers a diamond rocking in the splendor,
Sublime nativity of a clear star …
* * *
O evening, you diffuse a calm delight,
Horizon of sleep and stupor of pious hearts,
Persuasive advent and beguiling reptile,
Rose which a mortal, motionless, inhales
Whose gilded eye takes on the heavens’ pledge.
* * *
His willing gaze, upon your burning altars,
Enkindles, soul distraught, a priceless past.
He loves to build in acquiescent gold
A temple out of mist to be remembered,
To hang his risk and reef in the dark ether,
And flies across the golden-bridged abyss
To meet his fortune, drunk on unearned triumphs;
—While on the pensive Theater’s distant shores
The thin moon slips behind an airy mask …
* * *
… The wine being drunk, he yawns and breaks the glass,
Resentful of the marvels of the void;
But on the balcony the evening’s charm
Sends up its smoke, a blur of wool and woman …
* * *
—O Counsel! … Solemn station! … Golden finger
Weighing the means and meanings of the silence!
O wisdom, palpable in the burning gods!
—Preserve me, railing, from space that is too fair!
There the sea is calling me! … There she leans,
Venus of Vertigos with melting arms!
* * *
My eye, though trailing the fluid fates of the waves,
And drinking dreamlike from the eternal jar,
Keeps a fixed chamber, capable of worlds;
And in my craving for profound surprise
I barely glimpse, across the transparent cradle,
The woman of gold and foam and seaweed rolled
Over salt and sand by the millstone of the swell.
* * *
Yet in the skies I place a striving mind;
And in their shifting mists perceive strange lands,
Flower goddesses taking the shapes of clouds,
Storm powers ranging naked far and wide;
And on the darkening evening’s rocks of air
A god leans out. An angel swims. Each time
He twists his torso, space is reaffirmed.
Casting a stranger’s shadow here below,
Though drawn so fine amid the reigning fullness,
I feel the water and my pure disdain!
The sea remembered in my future breast,
My chosen body bathing in my gaze!
* * *
A foaming crest, immensely pure, imbued
With color, bars and creases the hallowed strand.
Clamber the golden distance to my heart,
Wave! … On rapt horizons, crumbling suns,
You’ll go no farther than the silent line
That keeps the gods from these familiar shadows.
* * *
A curl of slow white smoke, trailing a mile,
Sowing its torpid and laborious charms
Where whorls a playful joy, a thirst to be blue,
Carries the black ship onward, out of steam …
* * *
But heavy with snow, the mountains of the dusk,
The overbrimming clouds, their ample breasts,
The splendors of Olympus, draw away,
For here’s the signal, here the gold of farewells,
And space has blotted out the tiny boat …
* * *
Grand facades of sleep, unfinished still,
Curtains baroquely sewn with ruby light
Against a darkened world’s malicious gaze,
Time is fulfilled, desires have fallen still,
And in his golden mouth beset by yawns,
The words the poet mastered fly apart …
Time is fulfilled, desires have fallen still.
* * *
Farewell, my lovely images, farewell …
My arms reach out to you their insatiable port!
Your feathers ruffled in the face of danger,
Come, intrepid seabirds harried by death!
Hurry … The night is falling … Tantalus
Will perish, and the skies’ ephemeral joy!
A rose once fatal to the gathering shadows,
A rose, the very last of the western sky,
Grows ghastly pale against the spacious evening …
I see no longer, over the belvedere,
A wind-drunk sylph the colors of the flag,
And this great port is just a dock in the dark,
Crossed by an icy wind my skin feels rising!
Offended windows, close yourselves, close tight!
Great eyes that fear the coming of true night!
And you, upon these star-sown heights, accept
The seed of weariness and mystery,
A pregnant plenitude of silent thoughts …
_____________
an illustrious mind: Leonardo da Vinci, subject of Valéry’s first important essay, “An Introduction to the Method of Leonardo da Vinci” (1895).
fixed chamber: an expression echoing several scientific concepts, including the fixed stars, the camera obscura (chambre optique in French), and the chambers of the eye.
ANNE
À ANDRÉ LEBEY
Anne qui se mélange au drap pâle et délaisse
Des cheveux endormis sur ses yeux mal ouverts
Mire ses bras lointains tournés avec mollesse
Sur la peau sans couleur du ventre découvert.
Elle vide, elle enfle d’ombre sa gorge lente,
Et comme un souvenir pressant ses propres chairs,
Une bouche brisée et pleine d’eau brûlante
Roule le goût immense et le reflet des mers.
Enfin désemparée et libre d’être fraîche,
La dormeuse déserte aux touffes de couleur
Flotte sur son lit blême, et d’une lèvre sèche,
Tette dans la ténèbre un souffle amer de fleur.
Et sur le linge où l’aube insensible se plisse,
Tombe, d’un bras de glace effleuré de carmin,
Toute une main défaite et perdant le délice
À travers ses doigts nus dénoués de l’humain.
Au hasard! À jamais, dans le sommeil sans hommes
Pur des tristes éclairs de leurs embrassements,
Elle laisse rouler les grappes et les pommes
Puissantes, qui pendaient aux treilles d’ossements,
Qui riaient, dans leur ambre appelant les vendanges,
Et dont le nombre d’or de riches mouvements
Invoquait la vigueur et les gestes étranges
Que pour tuer l’amour inventent les amants …
* * *
Sur toi, quand le regard de leurs âmes s’égare,
Leur cœur bouleversé change comme leurs voix,
Car les tendres apprêts de leur festin barbare
Hâtent les chiens ardents qui tremblent dans ces rois …
À peine effleurent-ils de doigts errants ta vie,
Tout leur sang les accable aussi lourd que la mer,
Et quelque violence aux abîmes ravie
Jette ces blancs nageurs sur tes roches de chair …
Récifs délicieux, Île toute prochaine,
Terre tendre, promise aux démons apaisés,
L’amour t’aborde, armé des regards de la haine,
Pour combattre dans l’ombre une hydre de baisers!
* * *
Ah, plus nue et qu’imprègne une prochaine aurore,
Si l’or triste interroge un tiède contour,
Rentre au plus pur de l’ombre où le Même s’ignore,
Et te fais un vain marbre ébauché par le jour!
Laisse au pâle rayon ta lèvre violée
Mordre dans un sourire un long germe de pleur,
Masque d’âme au sommeil à jamais immolée
Sur qui la paix soudaine a surpris la douleur!
Plus jamais redorant tes ombres satinées,
La vieille aux doigts de feu qui fendent les volets
Ne viendra t’arracher aux grasses matinées
Et rendre au doux soleil tes joyeux bracelets …
Mais suave, de l’arbre extérieur, la palme
Vaporeuse remue au delà du remords,
Et dans le feu, parmi trois feuilles, l’oiseau calme
Commence le chant seul qui réprime les morts.
ANNE
FOR ANDRÉ LEBEY
Anne, who mingles with the pale sheet and lets
Her sleeping hair obscure her bleary eyes,
Regards her distant arms draped listlessly
Across her stomach, on the pale white skin.
She empties, she fills her languid breast with shade,
And like a memory pressing her own flesh,