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The Idea of Perfection

Page 7

by Paul Valéry


  A broken mouth of burning water swirls

  The boundless taste and mirrored glint of the seas.

  Left to her aimless self now and free to be fresh,

  The deserted sleeper touched with tufts of color

  Floats on the dim bed, and with dry lips

  In shadow, sucks a bitter breath of flowers.

  And on the folds of the unfeeling dawn

  Her arm, brushed carmine, cold as ice, lets fall

  A hand undone and letting pleasure drain

  From naked fingers freed of human ties.

  To chance now and forever, in sleep without men,

  Pure of the mournful lightning of their lips,

  She lets the heavy apples and clustered grapes

  Tumble from the trellis of her bones,

  Where they had laughed in amber, beckoning harvest,

  Their golden harmony of rich, sweet movements

  Calling the wild and strange gesticulations

  Lovers invent to rid themselves of love …

  * * *

  When having looked on you their souls are lost,

  Their hearts succumb and like their voices change;

  The preparations of their barbaric feast

  Rouse the fierce dogs that tremble in those kings …

  No sooner do their fingers brush your life

  Than their blood floods them, mighty as the sea;

  A swell of violence stolen from the depths

  Casts them, pale swimmers, on your rocks of flesh …

  Delightful reefs, Island so close at hand,

  Lush promised land for demons slaked and stilled

  Where love makes landing, armed with hate-filled eyes,

  To wrestle in the dark a hydra’s kisses!

  * * *

  Ah, more naked, imbued with nearing dawn,

  Your body’s warmth explored by the sad gold,

  Withdraw in deepest shade where the Same is blind,

  Become a marble carved in vain by day!

  And let your ravished lip, in the pale rays,

  Bite back the reaching seeds of tears to smile,

  Mask of a soul forever burnt to sleep

  On whom a sudden peace surprised such pain!

  Gilding never again your satin shadows,

  The crone whose fiery fingers part the blinds

  Won’t come to rouse you from your morning sleep

  And share your bracelets with the kindly sun …

  But on the tree outside, the palm frond wrapped

  In mist stirs gently, far beyond remorse,

  And in the fire, a bird among three leaves

  Calmly begins the song that stills the dead.

  AIR DE SÉMIRAMIS

  À CAMILLE MAUCLAIR

  Dès l’aube, chers rayons, mon front songe à vous ceindre!

  À peine il se redresse, il voit d’un œil qui dort

  Sur le marbre absolu, le temps pâle se peindre,

  L’heure sur moi descendre et croître jusqu’à l’or …

  * * *

  … « Existe! … Sois enfin toi-même! dit l’Aurore,

  Ô grande âme, il est temps que tu formes un corps!

  Hâte-toi de choisir un jour digne d’éclore,

  Parmi tant d’autres feux, tes immortels trésors!

  Déjà, contre la nuit lutte l’âpre trompette!

  Une lèvre vivante attaque l’air glacé ;

  L’or pur, de tour en tour, éclate et se répète,

  Rappelant tout l’espace aux splendeurs du passé!

  Remonte aux vrais regards! Tire-toi de tes ombres,

  Et comme du nageur, dans le plein de la mer,

  Le talon tout-puissant l’expulse des eaux sombres,

  Toi, frappe au fond de l’être! Interpelle ta chair,

  Traverse sans retard ses invincibles trames,

  Épuise l’infini de l’effort impuissant,

  Et débarrasse-toi d’un désordre de drames

  Qu’engendrent sur ton lit les monstres de ton sang!

  J’accours de l’Orient suffire à ton caprice!

  Et je te viens offrir mes plus purs aliments ;

  Que d’espace et de vent ta flamme se nourrisse!

  Viens te joindre à l’éclat de mes pressentiments! »

  * * *

  —Je réponds! … Je surgis de ma profonde absence!

  Mon cœur m’arrache aux morts que frôlait mon sommeil,

  Et vers mon but, grand aigle éclatant de puissance,

  Il m’emporte! … Je vole au-devant du soleil!

  Je ne prends qu’une rose et fuis … La belle flèche

  Au flanc! … Ma tête enfante une foule de pas …

  Ils courent vers ma tour favorite, où la fraîche

  Altitude m’appelle, et je lui tends les bras!

  Monte, ô Sémiramis, maîtresse d’une spire

  Qui d’un cœur sans amour s’élance au seul honneur!

  Ton œil impérial a soif du grand empire

  À qui ton spectre dur fait sentir le bonheur …

  Ose l’abîme! … Passe un dernier pont de roses!

  Je t’approche, péril! Orgueil plus irrité!

  Ces fourmis sont à moi! Ces villes sont mes choses,

  Ces chemins sont les traits de mon autorité!

  C’est une vaste peau de fauve que mon royaume!

  J’ai tué le lion qui portait cette peau ;

  Mais encor le fumet du féroce fantôme

  Flotte chargé de mort, et garde mon troupeau!

  Enfin, j’offre au soleil le secret de mes charmes!

  Jamais il n’a doré de seuil si gracieux!

  De ma fragilité je goûte les alarmes

  Entre le double appel de la terre et des cieux.

  Repas de ma puissance, intelligible orgie,

  Quel parvis vaporeux de toits et de forêts

  Place aux pieds de la pure et divine vigie,

  Ce calme éloignement d’événements secrets!

  L’âme enfin sur ce faîte a trouvé ses demeures!

  Ô de quelle grandeur, elle tient sa grandeur

  Quand mon cœur soulevé d’ailes intérieures

  Ouvre au ciel en moi-même une autre profondeur!

  Anxieuse d’azur, de gloire consumée,

  Poitrine, gouffre d’ombre aux narines de chair,

  Aspire cet encens d’âmes et de fumée

  Qui monte d’une ville analogue à la mer!

  Soleil, soleil, regarde en toi rire mes ruches!

  L’intense et sans repos Babylone bruit,

  Toute rumeurs de chars, clairons, chaînes de cruches

  Et plaintes de la pierre au mortel qui construit.

  Qu’ils flattent mon désir de temples implacables,

  Les sons aigus de scie et les cris des ciseaux,

  Et ces gémissements de marbres et de câbles

  Qui peuplent l’air vivant de structure et d’oiseaux!

  Je vois mon temple neuf naître parmi les mondes,

  Et mon vœu prendre place au séjour des destins ;

  Il semble de soi-même au ciel monter par ondes

  Sous le bouillonnement des actes indistincts.

  Peuple stupide, à qui ma puissance m’enchaîne,

  Hélas! mon orgueil même a besoin de tes bras!

  Et que ferait mon cœur s’il n’aimait cette haine

  Dont l’innombrable tête est si douce à mes pas?

  Plate, elle me murmure une musique telle

  Que le calme de l’onde en fait de sa fureur,

  Quand elle se rapaise aux pieds d’une mortelle

  Mais qu’elle se réserve un retour de terreur.

  En vain j’entends monter contre ma face auguste

  Ce murmure de crainte et de férocité :

  À l’image des dieux la grande âme est injuste

  Tant elle s’appareille à la nécessité!

  Des douceurs de l’amour quoique parfois touchée,

  Pourtant nulle tendresse et
nuls renoncements

  Ne me laissent captive et victime couchée

  Dans les puissants liens du sommeil des amants!

  Baisers, baves d’amour, basses béatitudes,

  Ô mouvements marins des amants confondus,

  Mon cœur m’a conseillé de telles solitudes,

  Et j’ai placé si haut mes jardins suspendus

  Que mes suprêmes fleurs n’attendent que la foudre

  Et qu’en dépit des pleurs des amants les plus beaux,

  À mes roses, la main qui touche tombe en poudre :

  Mes plus doux souvenirs bâtissent des tombeaux!

  Qu’ils sont doux à mon cœur les temples qu’il enfante

  Quand tiré lentement du songe de mes seins,

  Je vois un monument de masse triomphante

  Joindre dans mes regards l’ombre de mes desseins!

  Battez, cymbales d’or, mamelles cadencées,

  Et roses palpitant sur ma pure paroi!

  Que je m’évanouisse en mes vastes pensées,

  Sage Sémiramis, enchanteresse et roi!

  SEMIRAMIS’S ARIA

  FOR CAMILLE MAUCLAIR

  Since dawn, dear rays, my brow has dreamed of your crown!

  No sooner risen, it sees with a sleeping eye

  The pallid sky emerge against vast marble,

  The hour descend on me and grow to gold …

  * * *

  … Exist! says Dawn … Become yourself at last,

  It’s time, great soul, to take a body’s form!

  Hurry and choose the day when you’ll unfurl

  Amid these fires your own immortal treasures!

  Now the bitter trumpet beats back the night,

  A living lip defies the icy air;

  The flare of gold repeats from tower to tower,

  Conjuring all the splendors of the past!

  Rise to true sight, drag yourself from your shadows,

  And as, far out to sea, a swimmer’s heel

  Propels him forcefully from the dark waters,

  Strike at your deepest self! Confront your flesh,

  Traverse the weave of its inexorable threads,

  And drain the boundless depths of impotence,

  Break free from the disordered press of passions

  The monsters of your blood conceive in your bed!

  I fly from the East to satisfy your whim!

  And come to give the purest of my foods;

  I want your flame to feed on space and wind!

  Come join my premonitions’ blinding light!

  * * *

  —I answer! … I surge forth from my deep absence!

  My heart reclaims me from the dead I brushed

  In sleep, and bears me toward my goal, great eagle

  Bursting with power! … I fly ahead of the sun!

  I take one rose and flee! … Fair arrow piercing

  My side! … My head gives birth to throngs of steps

  That reach my favorite tower, where I accept

  With open arms the call of bracing height!

  Climb, Semiramis, mistress of a spire

  That rises from a heartless breast to glory!

  Your regal eye is thirsting for the empire

  Your rigid scepter guides to happiness …

  Dare the abyss! … Cross one last bridge of roses!

  I’m coming, danger! Irritated pride!

  These ants are mine, these cities my possessions,

  These roads the strokes of my authority!

  My kingdom is the skin of a wild beast!

  I hunted down the lion that wore this skin;

  The scent of its ferocious ghost still floats

  Heavy with death, and watches over my flock!

  At last I give the secret of my charms

  To the sun that never gilded threshold so fair!

  I savor signs of my fragility

  Between the double call of earth and sky.

  Coherent orgy, banquet of my power,

  What misty temple yard of roofs and woods

  Lays out before my sacred vigilance

  The calm remove of unrevealed events!

  At home at last upon this highest pitch,

  My soul derives its grandeur from such grandeur,

  When borne on inner wings, my heart unfolds

  Profound new depths within my inner sky!

  Anxious for azure and consumed by glory,

  My chest, abyss of shadow, nostrils of flesh,

  Inhale this incense made of souls and smoke

  That rise above a city so like the sea!

  Sun, O sun, see my hives rejoice in you!

  Babylon the intense, the restless, hums,

  Rumors of chariots, trumpets and water chains,

  The stone’s reproach against mere man who builds.

  The strident noise of saws and chisels’ cries

  Delight my need for unrelenting temples,

  These heaving groans of marbles and of cables

  That bring the sky alive with form and birds!

  I see my temple born among the worlds,

  My vow attain the hall of destinies;

  It rises skyward from itself in waves

  Beneath a seething of unnumbered acts.

  Ignorant crowd to whom I’m bound by power,

  My pride, alas, cannot forgo your arms!

  My heart would falter if it did not love

  Your hatred’s teeming head, so sweet to tread.

  Now flat, it murmurs such a music as

  The ocean’s calm might fashion from its fury,

  When at a mortal’s feet it lies appeased

  Yet holding in reserve its former terror.

  I hear the murmur of their fear and rage

  Rising in vain against my puissant face,

  For, like the gods, great souls must be unjust

  If they would equal with necessity!

  Among love’s pleasures, though at times enjoyed,

  No tenderness and no renunciation

  Has left me lying in the mighty bonds

  Of lovers’ sleep, a captive and a victim!

  Kisses and drivel, rapturous platitudes,

  O rolling sea-wash of commingled loves,

  The counsel of my heart was solitude,

  And so I placed so high my hanging gardens

  That only lightning will attain my flowers:

  Despite the handsomest of lovers’ tears

  The hands that touch my roses fall to dust,

  My sweetest memories only build new tombs!

  My heart rejoices in its temples’ birth

  When slowly summoned from my dreaming breasts

  A monument’s triumphant mass fulfills

  Before my eyes, the shadow of my plans!

  Ring out, gold cymbals and you cadenced dugs,

  And roses pulsing in my skin’s pure walls,

  That I may swoon among my lofty thoughts,

  Wise Semiramis, sorceress and king!

  L’AMATEUR DE POÈMES

  SI je regarde tout à coup ma véritable pensée, je ne me console pas de devoir subir cette parole intérieure sans personne et sans origine ; ces figures éphémères ; et cette infinité d’entreprises interrompues par leur propre facilité, qui se transforment l’une dans l’autre, sans que rien ne change avec elles. Incohérente sans le paraître, nulle instantanément comme elle est spontanée, la pensée, par sa nature, manque de style.

  MAIS je n’ai pas tous les jours la puissance de proposer à mon attention quelques êtres nécessaires, ni de feindre les obstacles spirituels qui formeraient une apparence de commencement, de plénitude et de fin, au lieu de mon insupportable fuite.

  UN poème est une durée, pendant laquelle, lecteur, je respire une loi qui fut préparée ; je donne mon souffle et les machines de ma voix ; ou seulement leur pouvoir, qui se concilie avec le silence.

  JE m’abandonne à l’adorable allure : lire, vivre où mènent les mots. Leur apparition est écrite. Leurs sonorités
concertées. Leur ébranlement se compose, d’après une méditation antérieure, et ils se précipiteront en groupes magnifiques ou purs, dans la résonance. Même mes étonnements sont assurés : ils sont cachés d’avance, et font partie du nombre.

  MU par l’écriture fatale, et si le mètre toujours futur enchaîne sans retour ma mémoire, je ressens chaque parole dans toute sa force, pour l’avoir indéfiniment attendue. Cette mesure qui me transporte et que je colore, me garde du vrai et du faux. Ni le doute ne me divise, ni la raison ne me travaille. Nul hasard, mais une chance extraordinaire se fortifie. Je trouve sans effort le langage de ce bonheur ; et je pense par artifice, une pensée toute certaine, merveilleusement prévoyante,—aux lacunes calculées, sans ténèbres involontaires, dont le mouvement me commande et la quantité me comble : une pensée singulièrement achevée.

  THE POEM LOVER

  WHEN I observe all of a sudden my true thought, I cannot come to accept that inner discourse lacking both speaker and origin; those fleeting figures; and those infinite adventures cut short by the ease with which they transform into one another, while nothing changes with them. Incoherent without appearing to be, instantly worthless by its very spontaneity, thought, by nature, has no style.

  BUT it’s not every day that I find the strength to place a few necessary specimens before my mind’s eye, nor simulate such spiritual obstacles as could make for some semblance of a beginning, a fullness, and an end, instead of my unbearable flight.

  A POEM is a space of time during which, as reader, I breathe the air of a law prepared in advance; I provide my breath and the machinery of my voice; or rather, only their force, which adapts itself to the silence.

  I GIVE in to the thrilling rush: to read, to live, where the words take me. Their emergence is in writing. Their sonorities, in concert. Their sallying forth take form, prepared by prior meditation, and they charge headlong in magnificent and pure groups into resonance. Even my astonishments are assured; they are hidden beforehand, and make up part of the band.

  MOVED by the fateful writing, and as the ever-future meter compels my memory irrevocably onward, I feel the whole force of every word, for having awaited it indefinitely. This measure that bears me off, and which I color after my manner, saves me from the illusion of true and false. I am neither divided by doubt nor worried by reason. There is nothing fortuitous in the extraordinary chance that builds. I find the language of this good fortune effortlessly; and I think in figures: thought that is entirely sure, and marvelously farsighted—with calculated omissions, free from unintentional shadows, whose movement guides me and whose quantity fulfills me: a singularly complete thought.

 

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