by Paul Valéry
That every day we offer
On love’s pediment, still
And level on our brows.
Unyielding innocents,
Half-burning and half-fresh,
As partners for the dance
We chose the breeze, dried leaves,
And centuries by tens,
And peoples from the past,
A distant long ago
That was never long enough!
Under our same loves
More weighty than the world,
We move through passing days
As a stone through the sea’s flow!
And as we walk through time
Our brilliant bodies leave
The imprint of their steps
Ineffable in myth …
L’ABEILLE
À FRANCIS DE MIOMANDRE
Quelle, et si fine, et si mortelle,
Que soit ta pointe, blonde abeille,
Je n’ai, sur ma tendre corbeille,
Jeté qu’un songe de dentelle.
Pique du sein la gourde belle,
Sur qui l’Amour meurt ou sommeille,
Qu’un peu de moi-même vermeille
Vienne à la chair ronde et rebelle!
J’ai grand besoin d’un prompt tourment :
Un mal vif et bien terminé
Vaut mieux qu’un supplice dormant!
Soit donc mon sens illuminé
Par cette infime alerte d’or
Sans qui l’Amour meurt ou s’endort!
THE BEE
FOR FRANCIS DE MIOMANDRE
However keen may be your sting,
However fatal, golden bee,
I’ve spread across my tender basket
Only the merest dream of lace.
So prick the swelling gourd, my breast
Where Love is sleeping or has died,
That something of myself may rise
Scarlet to plump, rebellious flesh!
A sudden pang is what I need:
A pain that quickens and is gone
Is better than a slumbering grief!
Illuminate my senses with
Your microscopic gold alarm
Without which Love will sleep or die!
POÉSIE
Par la surprise saisie,
Une bouche qui buvait
Au sein de la Poésie
En sépare son duvet :
—Ô ma mère Intelligence,
De qui la douceur coulait,
Quelle est cette négligence
Qui laisse tarir son lait?
À peine sur ta poitrine,
Accablé de blancs liens,
Me berçait l’onde marine
De ton cœur chargé de biens ;
À peine, dans ton ciel sombre,
Abattu sur ta beauté,
Je sentais, à boire l’ombre,
M’envahir une clarté!
Dieu perdu dans son essence,
Et délicieusement
Docile à la connaissance
Du suprême apaisement,
Je touchais à la nuit pure,
Je ne savais plus mourir,
Car un fleuve sans coupure
Me semblait me parcourir …
Dis, par quelle crainte vaine,
Par quelle ombre de dépit,
Cette merveilleuse veine
À mes lèvres se rompit?
Ô rigueur, tu m’es un signe
Qu’à mon âme je déplus!
Le silence au vol de cygne
Entre nous ne règne plus!
Immortelle, ta paupière
Me refuse mes trésors,
Et la chair s’est faite pierre
Qui fut tendre sous mon corps!
Des cieux même tu me sèvres,
Par quel injuste retour?
Que seras-tu sans mes lèvres?
Que serai-je sans amour?
Mais la Source suspendue
Lui répond sans dureté :
—Si fort vous m’avez mordue
Que mon cœur s’est arrêté!
POETRY
A mouth that had been drinking
At the breast of Poetry
Is taken by surprise,
And lifts its downy cheek:
—O Mother Intelligence
From whom such sweetness flowed,
What negligence is this
That lets its milk run dry?
No sooner bound by milky
Threads on your chest, than I
Was rocked by the richly laden
Sea wave of your heart;
No sooner had I fallen
On your beauty, in your dark sky,
Than, drinking shadow, I
Was filled with a great light!
As a god lost in its brilliance,
And yielding up my soul
Deliciously to the knowledge
Of absolute repose,
I touched the purest night,
I could no longer die,
For an unbroken river
Coursed through me, so it seemed …
Tell me what futile fears,
What shadow filled with spite
Caused this prodigious vein
To dwindle at my lips?
O rigor, you are a sign
That I have failed my soul!
Between us reigns no longer
The silence of the swan.
Your eyes’ immortal lids
Deny me my treasures; flesh
Once soft beneath my body
Has hardened into stone.
Why this unjust refusal?
You estrange me from the skies,
But what are you without
My lips, and I without love?
Yet the Fountain fallen silent
Responds without ill will:
—You sank your teeth in me
So hard it stopped my heart!
LES PAS
Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.
Personne pure, ombre divine,
Qu’ils sont doux, tes pas retenus!
Dieux! … tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus!
Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l’apaiser,
À l’habitant de mes pensées
La nourriture d’un baiser,
Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d’être et de n’être pas,
Car j’ai vécu de vous attendre,
Et mon cœur n’était que vos pas.
THE STEPS
Your steps, the children of my silence,
Saintly, calmly approach the bed
Of my long waiting, with their stilled
And measured fall on the cold floor.
How soft and how discreetly sound
Your steps, pure being, sublime shade!
O Gods … What promises of gifts
Draw close at last on your bare feet!
Yet if on your advancing lips
You would prepare, to pacify
The thought-entangled dweller of
My mind, the sustenance of a kiss,
Don’t rush that act of tenderness,
Sweetness of being and not being,
For I have lived in expectation,
My beating heart became your steps.
LA CEINTURE
Quand le ciel couleur d’une joue
Laisse enfin les yeux le chérir
Et qu’au point doré de périr
Dans les roses le temps se joue,
Devant le muet de plaisir
Qu’enchaîne une telle peinture,
Danse une Ombre à libre ceinture
Que le soir est près de saisir.
Cette ceinture vagabonde
Fait dans le souffle aérien
Frémir le suprême lien
De mon silence avec ce mond
e …
Absent, présent … Je suis bien seul,
Et sombre, ô suave linceul.
THE GIRDLE
When blushing like a cheek, the sky
At last admits the reverent eyes,
And tipping toward a golden death
Time plays a while among the roses,
A Shadow, loosely girdled, dances
Against the quiet of delight
That such a picture brings to mind,
The evening catching at its hem.
That girdle floating freely on
The rise and fall of the wind’s breath
Ruffles the single filament
That ties my silence to this world …
Absent, present … I am truly
Alone in shadow, O smooth shroud.
LA DORMEUSE
À LUCIEN FABRE
Quels secrets dans son cœur brûle ma jeune amie,
me par le doux masque aspirant une fleur?
De quels vains aliments sa naïve chaleur
Fait ce rayonnement d’une femme endormie?
Souffles, songes, silence, invincible accalmie,
Tu triomphes, ô paix plus puissante qu’un pleur,
Quand de ce plein sommeil l’onde grave et l’ampleur
Conspirent sur le sein d’une telle ennemie.
Dormeuse, amas doré d’ombres et d’abandons,
Ton repos redoutable est chargé de tels dons,
Ô biche avec langueur longue auprès d’une grappe,
Que malgré l’âme absente, occupée aux enfers,
Ta forme au ventre pur qu’un bras fluide drape,
Veille ; ta forme veille, et mes yeux sont ouverts.
THE SLEEPER
FOR LUCIEN FABRE
What secrets burn the heart of my young friend,
Dear soul inhaling through her mask a flower?
What vain ingredients does her simple heat
Transform into the radiance of her sleep?
Breath, dreams and silence, and invincible lull,
You triumph, O peace more forceful than her tears,
When sleep’s pervasiveness and darkening swell
Suffuse the breast of such an enemy.
Sleeper, gold heap of shadows and surrenders,
Your daunting rest is weighted with such gifts,
O languid doe beside the clustered fruit,
That though your soul is busy down in hell
Your form, a flowing arm on a pure stomach,
Is here; your form is here, and my eyes are open.
FRAGMENTS DU NARCISSE
I
Cur aliquid vidi?
Que tu brilles enfin, terme pur de ma course!
Ce soir, comme d’un cerf, la fuite vers la source
Ne cesse qu’il ne tombe au milieu des roseaux,
Ma soif me vient abattre au bord même des eaux.
Mais, pour désaltérer cette amour curieuse,
Je ne troublerai pas l’onde mystérieuse :
Nymphes! si vous m’aimez, il faut toujours dormir!
La moindre âme dans l’air vous fait toutes frémir ;
Même, dans sa faiblesse, aux ombres échappée,
Si la feuille éperdue effleure la napée,
Elle suffit à rompre un univers dormant …
Votre sommeil importe à mon enchantement,
Il craint jusqu’au frisson d’une plume qui plonge!
Gardez-moi longuement ce visage pour songe
Qu’une absence divine est seule à concevoir!
Sommeil des nymphes, ciel, ne cessez de me voir!
Rêvez, rêvez de moi! … Sans vous, belles fontaines,
Ma beauté, ma douleur, me seraient incertaines.
Je chercherais en vain ce que j’ai de plus cher,
Sa tendresse confuse étonnerait ma chair,
Et mes tristes regards, ignorants de mes charmes,
À d’autres que moi-même adresseraient leurs larmes …
Vous attendiez, peut-être, un visage sans pleurs,
Vous calmes, vous toujours de feuilles et de fleurs,
Et de l’incorruptible altitude hantées,
Ô Nymphes! … Mais docile aux pentes enchantées
Qui me firent vers vous d’invincibles chemins,
Souffrez ce beau reflet des désordres humains!
Heureux vos corps fondus, Eaux planes et profondes!
Je suis seul! … Si les Dieux les échos et les ondes
Et si tant de soupirs permettent qu’on le soit!
Seul! … mais encor celui qui s’approche de soi
Quand il s’approche aux bords que bénit ce feuillage …
Des cimes, l’air déjà cesse le pur pillage ;
La voix des sources change, et me parle du soir ;
Un grand calme m’écoute, où j’écoute l’espoir.
J’entends l’herbe des nuits croître dans l’ombre sainte,
Et la lune perfide élève son miroir
Jusque dans les secrets de la fontaine éteinte …
Jusque dans les secrets que je crains de savoir,
Jusque dans le repli de l’amour de soi-même,
Rien ne peut échapper au silence du soir …
La nuit vient sur ma chair lui souffler que je l’aime.
Sa voix fraîche à mes vœux tremble de consentir ;
À peine, dans la brise, elle semble mentir,
Tant le frémissement de son temple tacite
Conspire au spacieux silence d’un tel site.
Ô douceur de survivre à la force du jour,
Quand elle se retire enfin rose d’amour,
Encore un peu brûlante, et lasse, mais comblée,
Et de tant de trésors tendrement accablée
Par de tels souvenirs qu’ils empourprent sa mort,
Et qu’ils la font heureuse agenouiller dans l’or,
Puis s’étendre, se fondre, et perdre sa vendange,
Et s’éteindre en un songe en qui le soir se change.
Quelle perte en soi-même offre un si calme lieu!
L’âme, jusqu’à périr, s’y penche pour un Dieu
Qu’elle demande à l’onde, onde déserte, et digne
Sur son lustre, du lisse effacement d’un cygne …
À cette onde jamais ne burent les troupeaux!
D’autres, ici perdus, trouveraient le repos,
Et dans la sombre terre, un clair tombeau qui s’ouvre …
Mais ce n’est pas le calme, hélas! que j’y découvre!
Quand l’opaque délice où dort cette clarté
Cède à mon corps l’horreur du feuillage écarté,
Alors, vainqueur de l’ombre, ô mon corps tyrannique,
Repoussant aux forêts leur épaisseur panique,
Tu regrettes bientôt leur éternelle nuit!
Pour l’inquiet Narcisse, il n’est ici qu’ennui!
Tout m’appelle et m’enchaîne à la chair lumineuse
Que m’oppose des eaux la paix vertigineuse!
Que je déplore ton éclat fatal et pur,
Si mollement de moi, fontaine environnée,
Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur,
Les yeux mêmes et noirs de leur âme étonnée!
Profondeur, profondeur, songes qui me voyez,
Comme ils verraient une autre vie,
Dites, ne suis-je pas celui que vous croyez,
Votre corps vous fait-il envie?
Cessez, sombres esprits, cet ouvrage anxieux
Qui se fait dans l’âme qui veille ;
Ne cherchez pas en vous, n’allez surprendre aux cieux
Le malheur d’être une merveille :
Trouvez dans la fontaine un corps délicieux …
Prenant à vos regards cette parfaite proie,
Du monstre de s’aimer faites-vous un captif ;
Dans les errants filets de vos longs cils de soie
Son gracieux éclat vous retienne pensif ;
Mais ne vous flattez pas de
le changer d’empire.
Ce cristal est son vrai séjour ;
Les efforts mêmes de l’amour!
Ne le sauraient de l’onde extraire qu’il n’expire …
PIRE.
Pire? …
Quelqu’un redit Pire … Ô moqueur!
Écho lointaine est prompte à rendre son oracle
De son rire enchanté, le roc brise mon cœur,
Et le silence, par miracle,
Cesse! … parle, renaît, sur la face des eaux …
Pire? …
Pire destin! … Vous le dites, roseaux,
Qui reprîtes des vents ma plainte vagabonde!
Antres, qui me rendez mon âme plus profonde,
Vous renflez de votre ombre une voix qui se meurt …
Vous me le murmurez, ramures! … Ô rumeur
Déchirante, et docile aux souffles sans figure,
Votre or léger s’agite, et joue avec l’augure …
Tout se mêle de moi, brutes divinités!
Mes secrets dans les airs sonnent ébruités,
Le roc rit ; l’arbre pleure ; et par sa voix charmante,
Je ne puis jusqu’aux cieux que je ne me lamente
D’appartenir sans force à d’éternels attraits!
Hélas! entre les bras qui naissent des forêts,
Une tendre lueur d’heure ambiguë existe …
Là, d’un reste du jour, se forme un fiancé,
Nu, sur la place pâle où m’attire l’eau triste,
Délicieux démon désirable et glacé!
Te voici, mon doux corps de lune et de rosée,
Ô forme obéissante à mes vœux opposée!
Qu’ils sont beaux, de mes bras les dons vastes et vains!
Mes lentes mains, dans l’or adorable se lassent
D’appeler ce captif que les feuilles enlacent ;
Mon cœur jette aux échos l’éclat des noms divins! …
Mais que ta bouche est belle en ce muet blasphème!
Ô semblable! … Et pourtant plus parfait que moi-même,
Éphémère immortel, si clair devant mes yeux,
Pâles membres de perle, et ces cheveux soyeux,
Faut-il qu’à peine aimés, l’ombre les obscurcisse,
Et que la nuit déjà nous divise, ô Narcisse,
Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit!
Qu’as-tu?
Ma plainte même est funeste? …
Le bruit
Du souffle que j’enseigne à tes lèvres, mon double,
Sur la limpide lame a fait courir un trouble! …
Tu trembles! … Mais ces mots que j’expire à genoux
Ne sont pourtant qu’une âme hésitante entre nous,