The Idea of Perfection

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The Idea of Perfection Page 15

by Paul Valéry


  That every day we offer

  On love’s pediment, still

  And level on our brows.

  Unyielding innocents,

  Half-burning and half-fresh,

  As partners for the dance

  We chose the breeze, dried leaves,

  And centuries by tens,

  And peoples from the past,

  A distant long ago

  That was never long enough!

  Under our same loves

  More weighty than the world,

  We move through passing days

  As a stone through the sea’s flow!

  And as we walk through time

  Our brilliant bodies leave

  The imprint of their steps

  Ineffable in myth …

  L’ABEILLE

  À FRANCIS DE MIOMANDRE

  Quelle, et si fine, et si mortelle,

  Que soit ta pointe, blonde abeille,

  Je n’ai, sur ma tendre corbeille,

  Jeté qu’un songe de dentelle.

  Pique du sein la gourde belle,

  Sur qui l’Amour meurt ou sommeille,

  Qu’un peu de moi-même vermeille

  Vienne à la chair ronde et rebelle!

  J’ai grand besoin d’un prompt tourment :

  Un mal vif et bien terminé

  Vaut mieux qu’un supplice dormant!

  Soit donc mon sens illuminé

  Par cette infime alerte d’or

  Sans qui l’Amour meurt ou s’endort!

  THE BEE

  FOR FRANCIS DE MIOMANDRE

  However keen may be your sting,

  However fatal, golden bee,

  I’ve spread across my tender basket

  Only the merest dream of lace.

  So prick the swelling gourd, my breast

  Where Love is sleeping or has died,

  That something of myself may rise

  Scarlet to plump, rebellious flesh!

  A sudden pang is what I need:

  A pain that quickens and is gone

  Is better than a slumbering grief!

  Illuminate my senses with

  Your microscopic gold alarm

  Without which Love will sleep or die!

  POÉSIE

  Par la surprise saisie,

  Une bouche qui buvait

  Au sein de la Poésie

  En sépare son duvet :

  —Ô ma mère Intelligence,

  De qui la douceur coulait,

  Quelle est cette négligence

  Qui laisse tarir son lait?

  À peine sur ta poitrine,

  Accablé de blancs liens,

  Me berçait l’onde marine

  De ton cœur chargé de biens ;

  À peine, dans ton ciel sombre,

  Abattu sur ta beauté,

  Je sentais, à boire l’ombre,

  M’envahir une clarté!

  Dieu perdu dans son essence,

  Et délicieusement

  Docile à la connaissance

  Du suprême apaisement,

  Je touchais à la nuit pure,

  Je ne savais plus mourir,

  Car un fleuve sans coupure

  Me semblait me parcourir …

  Dis, par quelle crainte vaine,

  Par quelle ombre de dépit,

  Cette merveilleuse veine

  À mes lèvres se rompit?

  Ô rigueur, tu m’es un signe

  Qu’à mon âme je déplus!

  Le silence au vol de cygne

  Entre nous ne règne plus!

  Immortelle, ta paupière

  Me refuse mes trésors,

  Et la chair s’est faite pierre

  Qui fut tendre sous mon corps!

  Des cieux même tu me sèvres,

  Par quel injuste retour?

  Que seras-tu sans mes lèvres?

  Que serai-je sans amour?

  Mais la Source suspendue

  Lui répond sans dureté :

  —Si fort vous m’avez mordue

  Que mon cœur s’est arrêté!

  POETRY

  A mouth that had been drinking

  At the breast of Poetry

  Is taken by surprise,

  And lifts its downy cheek:

  —O Mother Intelligence

  From whom such sweetness flowed,

  What negligence is this

  That lets its milk run dry?

  No sooner bound by milky

  Threads on your chest, than I

  Was rocked by the richly laden

  Sea wave of your heart;

  No sooner had I fallen

  On your beauty, in your dark sky,

  Than, drinking shadow, I

  Was filled with a great light!

  As a god lost in its brilliance,

  And yielding up my soul

  Deliciously to the knowledge

  Of absolute repose,

  I touched the purest night,

  I could no longer die,

  For an unbroken river

  Coursed through me, so it seemed …

  Tell me what futile fears,

  What shadow filled with spite

  Caused this prodigious vein

  To dwindle at my lips?

  O rigor, you are a sign

  That I have failed my soul!

  Between us reigns no longer

  The silence of the swan.

  Your eyes’ immortal lids

  Deny me my treasures; flesh

  Once soft beneath my body

  Has hardened into stone.

  Why this unjust refusal?

  You estrange me from the skies,

  But what are you without

  My lips, and I without love?

  Yet the Fountain fallen silent

  Responds without ill will:

  —You sank your teeth in me

  So hard it stopped my heart!

  LES PAS

  Tes pas, enfants de mon silence,

  Saintement, lentement placés,

  Vers le lit de ma vigilance

  Procèdent muets et glacés.

  Personne pure, ombre divine,

  Qu’ils sont doux, tes pas retenus!

  Dieux! … tous les dons que je devine

  Viennent à moi sur ces pieds nus!

  Si, de tes lèvres avancées,

  Tu prépares pour l’apaiser,

  À l’habitant de mes pensées

  La nourriture d’un baiser,

  Ne hâte pas cet acte tendre,

  Douceur d’être et de n’être pas,

  Car j’ai vécu de vous attendre,

  Et mon cœur n’était que vos pas.

  THE STEPS

  Your steps, the children of my silence,

  Saintly, calmly approach the bed

  Of my long waiting, with their stilled

  And measured fall on the cold floor.

  How soft and how discreetly sound

  Your steps, pure being, sublime shade!

  O Gods … What promises of gifts

  Draw close at last on your bare feet!

  Yet if on your advancing lips

  You would prepare, to pacify

  The thought-entangled dweller of

  My mind, the sustenance of a kiss,

  Don’t rush that act of tenderness,

  Sweetness of being and not being,

  For I have lived in expectation,

  My beating heart became your steps.

  LA CEINTURE

  Quand le ciel couleur d’une joue

  Laisse enfin les yeux le chérir

  Et qu’au point doré de périr

  Dans les roses le temps se joue,

  Devant le muet de plaisir

  Qu’enchaîne une telle peinture,

  Danse une Ombre à libre ceinture

  Que le soir est près de saisir.

  Cette ceinture vagabonde

  Fait dans le souffle aérien

  Frémir le suprême lien

  De mon silence avec ce mond
e …

  Absent, présent … Je suis bien seul,

  Et sombre, ô suave linceul.

  THE GIRDLE

  When blushing like a cheek, the sky

  At last admits the reverent eyes,

  And tipping toward a golden death

  Time plays a while among the roses,

  A Shadow, loosely girdled, dances

  Against the quiet of delight

  That such a picture brings to mind,

  The evening catching at its hem.

  That girdle floating freely on

  The rise and fall of the wind’s breath

  Ruffles the single filament

  That ties my silence to this world …

  Absent, present … I am truly

  Alone in shadow, O smooth shroud.

  LA DORMEUSE

  À LUCIEN FABRE

  Quels secrets dans son cœur brûle ma jeune amie,

  me par le doux masque aspirant une fleur?

  De quels vains aliments sa naïve chaleur

  Fait ce rayonnement d’une femme endormie?

  Souffles, songes, silence, invincible accalmie,

  Tu triomphes, ô paix plus puissante qu’un pleur,

  Quand de ce plein sommeil l’onde grave et l’ampleur

  Conspirent sur le sein d’une telle ennemie.

  Dormeuse, amas doré d’ombres et d’abandons,

  Ton repos redoutable est chargé de tels dons,

  Ô biche avec langueur longue auprès d’une grappe,

  Que malgré l’âme absente, occupée aux enfers,

  Ta forme au ventre pur qu’un bras fluide drape,

  Veille ; ta forme veille, et mes yeux sont ouverts.

  THE SLEEPER

  FOR LUCIEN FABRE

  What secrets burn the heart of my young friend,

  Dear soul inhaling through her mask a flower?

  What vain ingredients does her simple heat

  Transform into the radiance of her sleep?

  Breath, dreams and silence, and invincible lull,

  You triumph, O peace more forceful than her tears,

  When sleep’s pervasiveness and darkening swell

  Suffuse the breast of such an enemy.

  Sleeper, gold heap of shadows and surrenders,

  Your daunting rest is weighted with such gifts,

  O languid doe beside the clustered fruit,

  That though your soul is busy down in hell

  Your form, a flowing arm on a pure stomach,

  Is here; your form is here, and my eyes are open.

  FRAGMENTS DU NARCISSE

  I

  Cur aliquid vidi?

  Que tu brilles enfin, terme pur de ma course!

  Ce soir, comme d’un cerf, la fuite vers la source

  Ne cesse qu’il ne tombe au milieu des roseaux,

  Ma soif me vient abattre au bord même des eaux.

  Mais, pour désaltérer cette amour curieuse,

  Je ne troublerai pas l’onde mystérieuse :

  Nymphes! si vous m’aimez, il faut toujours dormir!

  La moindre âme dans l’air vous fait toutes frémir ;

  Même, dans sa faiblesse, aux ombres échappée,

  Si la feuille éperdue effleure la napée,

  Elle suffit à rompre un univers dormant …

  Votre sommeil importe à mon enchantement,

  Il craint jusqu’au frisson d’une plume qui plonge!

  Gardez-moi longuement ce visage pour songe

  Qu’une absence divine est seule à concevoir!

  Sommeil des nymphes, ciel, ne cessez de me voir!

  Rêvez, rêvez de moi! … Sans vous, belles fontaines,

  Ma beauté, ma douleur, me seraient incertaines.

  Je chercherais en vain ce que j’ai de plus cher,

  Sa tendresse confuse étonnerait ma chair,

  Et mes tristes regards, ignorants de mes charmes,

  À d’autres que moi-même adresseraient leurs larmes …

  Vous attendiez, peut-être, un visage sans pleurs,

  Vous calmes, vous toujours de feuilles et de fleurs,

  Et de l’incorruptible altitude hantées,

  Ô Nymphes! … Mais docile aux pentes enchantées

  Qui me firent vers vous d’invincibles chemins,

  Souffrez ce beau reflet des désordres humains!

  Heureux vos corps fondus, Eaux planes et profondes!

  Je suis seul! … Si les Dieux les échos et les ondes

  Et si tant de soupirs permettent qu’on le soit!

  Seul! … mais encor celui qui s’approche de soi

  Quand il s’approche aux bords que bénit ce feuillage …

  Des cimes, l’air déjà cesse le pur pillage ;

  La voix des sources change, et me parle du soir ;

  Un grand calme m’écoute, où j’écoute l’espoir.

  J’entends l’herbe des nuits croître dans l’ombre sainte,

  Et la lune perfide élève son miroir

  Jusque dans les secrets de la fontaine éteinte …

  Jusque dans les secrets que je crains de savoir,

  Jusque dans le repli de l’amour de soi-même,

  Rien ne peut échapper au silence du soir …

  La nuit vient sur ma chair lui souffler que je l’aime.

  Sa voix fraîche à mes vœux tremble de consentir ;

  À peine, dans la brise, elle semble mentir,

  Tant le frémissement de son temple tacite

  Conspire au spacieux silence d’un tel site.

  Ô douceur de survivre à la force du jour,

  Quand elle se retire enfin rose d’amour,

  Encore un peu brûlante, et lasse, mais comblée,

  Et de tant de trésors tendrement accablée

  Par de tels souvenirs qu’ils empourprent sa mort,

  Et qu’ils la font heureuse agenouiller dans l’or,

  Puis s’étendre, se fondre, et perdre sa vendange,

  Et s’éteindre en un songe en qui le soir se change.

  Quelle perte en soi-même offre un si calme lieu!

  L’âme, jusqu’à périr, s’y penche pour un Dieu

  Qu’elle demande à l’onde, onde déserte, et digne

  Sur son lustre, du lisse effacement d’un cygne …

  À cette onde jamais ne burent les troupeaux!

  D’autres, ici perdus, trouveraient le repos,

  Et dans la sombre terre, un clair tombeau qui s’ouvre …

  Mais ce n’est pas le calme, hélas! que j’y découvre!

  Quand l’opaque délice où dort cette clarté

  Cède à mon corps l’horreur du feuillage écarté,

  Alors, vainqueur de l’ombre, ô mon corps tyrannique,

  Repoussant aux forêts leur épaisseur panique,

  Tu regrettes bientôt leur éternelle nuit!

  Pour l’inquiet Narcisse, il n’est ici qu’ennui!

  Tout m’appelle et m’enchaîne à la chair lumineuse

  Que m’oppose des eaux la paix vertigineuse!

  Que je déplore ton éclat fatal et pur,

  Si mollement de moi, fontaine environnée,

  Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur,

  Les yeux mêmes et noirs de leur âme étonnée!

  Profondeur, profondeur, songes qui me voyez,

  Comme ils verraient une autre vie,

  Dites, ne suis-je pas celui que vous croyez,

  Votre corps vous fait-il envie?

  Cessez, sombres esprits, cet ouvrage anxieux

  Qui se fait dans l’âme qui veille ;

  Ne cherchez pas en vous, n’allez surprendre aux cieux

  Le malheur d’être une merveille :

  Trouvez dans la fontaine un corps délicieux …

  Prenant à vos regards cette parfaite proie,

  Du monstre de s’aimer faites-vous un captif ;

  Dans les errants filets de vos longs cils de soie

  Son gracieux éclat vous retienne pensif ;

  Mais ne vous flattez pas de
le changer d’empire.

  Ce cristal est son vrai séjour ;

  Les efforts mêmes de l’amour!

  Ne le sauraient de l’onde extraire qu’il n’expire …

  PIRE.

  Pire? …

  Quelqu’un redit Pire … Ô moqueur!

  Écho lointaine est prompte à rendre son oracle

  De son rire enchanté, le roc brise mon cœur,

  Et le silence, par miracle,

  Cesse! … parle, renaît, sur la face des eaux …

  Pire? …

  Pire destin! … Vous le dites, roseaux,

  Qui reprîtes des vents ma plainte vagabonde!

  Antres, qui me rendez mon âme plus profonde,

  Vous renflez de votre ombre une voix qui se meurt …

  Vous me le murmurez, ramures! … Ô rumeur

  Déchirante, et docile aux souffles sans figure,

  Votre or léger s’agite, et joue avec l’augure …

  Tout se mêle de moi, brutes divinités!

  Mes secrets dans les airs sonnent ébruités,

  Le roc rit ; l’arbre pleure ; et par sa voix charmante,

  Je ne puis jusqu’aux cieux que je ne me lamente

  D’appartenir sans force à d’éternels attraits!

  Hélas! entre les bras qui naissent des forêts,

  Une tendre lueur d’heure ambiguë existe …

  Là, d’un reste du jour, se forme un fiancé,

  Nu, sur la place pâle où m’attire l’eau triste,

  Délicieux démon désirable et glacé!

  Te voici, mon doux corps de lune et de rosée,

  Ô forme obéissante à mes vœux opposée!

  Qu’ils sont beaux, de mes bras les dons vastes et vains!

  Mes lentes mains, dans l’or adorable se lassent

  D’appeler ce captif que les feuilles enlacent ;

  Mon cœur jette aux échos l’éclat des noms divins! …

  Mais que ta bouche est belle en ce muet blasphème!

  Ô semblable! … Et pourtant plus parfait que moi-même,

  Éphémère immortel, si clair devant mes yeux,

  Pâles membres de perle, et ces cheveux soyeux,

  Faut-il qu’à peine aimés, l’ombre les obscurcisse,

  Et que la nuit déjà nous divise, ô Narcisse,

  Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit!

  Qu’as-tu?

  Ma plainte même est funeste? …

  Le bruit

  Du souffle que j’enseigne à tes lèvres, mon double,

  Sur la limpide lame a fait courir un trouble! …

  Tu trembles! … Mais ces mots que j’expire à genoux

  Ne sont pourtant qu’une âme hésitante entre nous,

 

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