The Idea of Perfection

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The Idea of Perfection Page 19

by Paul Valéry


  Qui rendent sujette des yeux

  La présence obscure de l’âme,

  Toujours le mensonge m’a plu

  Que tu répands sur l’absolu,

  Ô roi des ombres fait de flamme!

  Verse-moi ta brute chaleur,

  Où vient ma paresse glacée

  Rêvasser de quelque malheur

  Selon ma nature enlacée …

  Ce lieu charmant qui vit la chair

  Choir et se joindre m’est très cher!

  Ma fureur, ici, se fait mûre ;

  Je la conseille et la recuis,

  Je m’écoute, et dans mes circuits,

  Ma méditation murmure …

  Ô Vanité! Cause Première!

  Celui qui règne dans les Cieux,

  D’une voix qui fut la lumière

  Ouvrit l’univers spacieux.

  Comme las de son pur spectacle,

  Dieu lui-même a rompu l’obstacle

  De sa parfaite éternité ;

  Il se fit Celui qui dissipe

  En conséquences, son Principe,

  En étoiles, son Unité.

  Cieux, son erreur! Temps, sa ruine!

  Et l’abîme animal, béant! …

  Quelle chute dans l’origine

  Étincelle au lieu de néant! …

  Mais, le premier mot de son Verbe,

  MOI! … Des astres le plus superbe

  Qu’ait parlés le fou créateur,

  Je suis! … Je serai! … J’illumine

  La diminution divine

  De tous les feux du Séducteur!

  Objet radieux de ma haine,

  Vous que j’aimais éperdument,

  Vous qui dûtes de la géhenne

  Donner l’empire à cet amant,

  Regardez-vous dans ma ténèbre!

  Devant votre image funèbre,

  Orgueil de mon sombre miroir,

  Si profond fut votre malaise

  Que votre souffle sur la glaise

  Fut un soupir de désespoir!

  En vain, Vous avez, dans la fange,

  Pétri de faciles enfants,

  Qui de Vos actes triomphants

  Tout le jour Vous fissent louange!

  Sitôt pétris, sitôt soufflés,

  Maître Serpent les a sifflés,

  Les beaux enfants que Vous créâtes!

  Holà! dit-il, nouveaux venus!

  Vous êtes des hommes tout nus,

  Ô bêtes blanches et béates!

  À la ressemblance exécrée,

  Vous fûtes faits, et je vous hais!

  Comme je hais le Nom qui crée

  Tant de prodiges imparfaits!

  Je suis Celui qui modifie,

  Je retouche au cœur qui s’y fie,

  D’un doigt sûr et mystérieux! …

  Nous changerons ces molles œuvres,

  Et ces évasives couleuvres

  En des reptiles furieux!

  Mon Innombrable Intelligence

  Touche dans l’âme des humains

  Un instrument de ma vengeance

  Qui fut assemblé de tes mains!

  Et ta Paternité voilée,

  Quoique, dans sa chambre étoilée,

  Elle n’accueille que l’encens,

  Toutefois l’excès de mes charmes

  Pourra de lointaines alarmes

  Troubler ses desseins tout-puissants!

  Je vais, je viens, je glisse, plonge,

  Je disparais dans un cœur pur!

  Fut-il jamais de sein si dur

  Qu’on n’y puisse loger un songe!

  Qui que tu sois, ne suis-je point

  Cette complaisance qui poind

  Dans ton âme, lorsqu’elle s’aime?

  Je suis au fond de sa faveur

  Cette inimitable saveur

  Que tu ne trouves qu’à toi-même!

  Ève, jadis, je la surpris,

  Parmi ses premières pensées,

  La lèvre entr’ouverte aux esprits

  Qui naissaient des roses bercées.

  Cette parfaite m’apparut,

  Son flanc vaste et d’or parcouru

  Ne craignant le soleil ni l’homme ;

  Tout offerte aux regards de l’air,

  L’âme encore stupide, et comme

  Interdite au seuil de la chair.

  Ô masse de béatitude,

  Tu es si belle, juste prix

  De la toute sollicitude

  Des bons et des meilleurs esprits!

  Pour qu’à tes lèvres ils soient pris

  Il leur suffit que tu soupires!

  Les plus purs s’y penchent les pires,

  Les plus durs sont les plus meurtris …

  Jusques à moi, tu m’attendris,

  De qui relèvent les vampires!

  Oui! De mon poste de feuillage

  Reptile aux extases d’oiseau,

  Cependant que mon babillage

  Tissait de ruses le réseau,

  Je te buvais, ô belle sourde!

  Calme, claire, de charmes lourde,

  Je dominais furtivement,

  L’œil dans l’or ardent de ta laine,

  Ta nuque énigmatique et pleine

  Des secrets de ton mouvement!

  J’étais présent comme une odeur,

  Comme l’arôme d’une idée

  Dont ne puisse être élucidée

  L’insidieuse profondeur!

  Et je t’inquiétais, candeur,

  Ô chair mollement décidée,

  Sans que je t’eusse intimidée,

  À chanceler dans la splendeur!

  Bientôt, je t’aurai, je parie,

  Déjà ta nuance varie!

  (La superbe simplicité

  Demande d’immenses égards!

  Sa transparence de regards,

  Sottise, orgueil, félicité,

  Gardent bien la belle cité!

  Sachons lui créer des hasards,

  Et par ce plus rare des arts,

  Soit le cœur pur sollicité ;

  C’est là mon fort, c’est là mon fin,

  À moi les moyens de ma fin!)

  Or, d’une éblouissante bave,

  Filons les systèmes légers

  Où l’oisive et l’Ève suave

  S’engage en de vagues dangers!

  Que sous une charge de soie

  Tremble la peau de cette proie

  Accoutumée au seul azur! …

  Mais de gaze point de subtile,

  Ni de fil invisible et sûr,

  Plus qu’une trame de mon style!

  Dore, langue! dore-lui les

  Plus doux des dits que tu connaisses!

  Allusions, fables, finesses,

  Mille silences ciselés,

  Use de tout ce qui lui nuise :

  Rien qui ne flatte et ne l’induise

  À se perdre dans mes desseins,

  Docile à ces pentes qui rendent

  Aux profondeurs des bleus bassins

  Les ruisseaux qui des cieux descendent!

  Ô quelle prose non pareille,

  Que d’esprit n’ai-je pas jeté

  Dans le dédale duveté

  De cette merveilleuse oreille!

  Là, pensais-je, rien de perdu ;

  Tout profite au cœur suspendu!

  Sûr triomphe! si ma parole,

  De l’âme obsédant le trésor,

  Comme une abeille une corolle

  Ne quitte plus l’oreille d’or!

  « Rien, lui soufflais-je, n’est moins sûr

  Que la parole divine, Ève!

  Une science vive crève

  L’énormité de ce fruit mûr!

  N’écoute l’Être vieil et pur

  Qui maudit la morsure brève!

  Que si ta bouche fait un rêve,

  Cette soif qui songe à la sève,

  Ce délice à demi futur,

  C’est l’éternité fondante, Ève! »

  Elle buvait mes petits mots

  Qui bâtissaient une
œuvre étrange ;

  Son œil, parfois, perdait un ange

  Pour revenir à mes rameaux.

  Le plus rusé des animaux

  Qui te raille d’être si dure,

  Ô perfide et grosse de maux,

  N’est qu’une voix dans la verdure!

  —Mais sérieuse l’Ève était

  Qui sous la branche l’écoutait!

  « me, disais-je, doux séjour

  De toute extase prohibée,

  Sens-tu la sinueuse amour

  Que j’ai du Père dérobée?

  Je l’ai, cette essence du Ciel,

  À des fins plus douces que miel

  Délicatement ordonnée …

  Prends de ce fruit … Dresse ton bras!

  Pour cueillir ce que tu voudras

  Ta belle main te fut donnée! »

  Quel silence battu d’un cil!

  Mais quel souffle sous le sein sombre

  Que mordait l’Arbre de son ombre!

  L’autre brillait comme un pistil!

  —Siffle, siffle! me chantait-il!

  Et je sentais frémir le nombre,

  Tout le long de mon fouet subtil,

  De ces replis dont je m’encombre :

  Ils roulaient depuis le béryl

  De ma crête, jusqu’au péril!

  Génie! Ô longue impatience!

  À la fin, les temps sont venus,

  Qu’un pas vers la neuve Science

  Va donc jaillir de ces pieds nus!

  Le marbre aspire, l’or se cambre!

  Ces blondes bases d’ombre et d’ambre

  Tremblent au bord du mouvement! …

  Elle chancelle, la grande urne,

  D’où va fuir le consentement

  De l’apparente taciturne!

  Du plaisir que tu te proposes

  Cède, cher corps, cède aux appâts!

  Que ta soif de métamorphoses

  Autour de l’Arbre du Trépas

  Engendre une chaîne de poses!

  Viens sans venir! forme des pas

  Vaguement comme lourds de roses …

  Danse cher corps … Ne pense pas!

  Ici les délices sont causes

  Suffisantes au cours des choses! …

  Ô follement que je m’offrais

  Cette infertile jouissance :

  Voir le long pur d’un dos si frais

  Frémir la désobéissance! …

  Déjà délivrant son essence

  De sagesse et d’illusions,

  Tout l’Arbre de la Connaissance

  Échevelé de visions,

  Agitait son grand corps qui plonge

  Au soleil, et suce le songe!

  Arbre, grand Arbre, Ombre des Cieux,

  Irrésistible Arbre des arbres,

  Qui dans les faiblesses des marbres,

  Poursuis des sucs délicieux,

  Toi qui pousses tels labyrinthes

  Par qui les ténèbres étreintes

  S’iront perdre dans le saphir

  De l’éternelle matinée,

  Douce perte, arôme ou zéphir,

  Ou colombe prédestinée,

  Ô Chanteur, ô secret buveur

  Des plus profondes pierreries,

  Berceau du reptile rêveur

  Qui jeta l’Ève en rêveries,

  Grand Être agité de savoir,

  Qui toujours, comme pour mieux voir,

  Grandis à l’appel de ta cime,

  Toi qui dans l’or très pur promeus

  Tes bras durs, tes rameaux fumeux,

  D’autre part, creusant vers l’abîme,

  Tu peux repousser l’infini

  Qui n’est fait que de ta croissance,

  Et de la tombe jusqu’au nid

  Te sentir toute Connaissance!

  Mais ce vieil amateur d’échecs,

  Dans l’or oisif des soleils secs,

  Sur ton branchage vient se tordre ;

  Ses yeux font frémir ton trésor.

  Il en cherra des fruits de mort,

  De désespoir et de désordre!

  Beau serpent, bercé dans le bleu,

  Je siffle, avec délicatesse,

  Offrant à la gloire de Dieu

  Le triomphe de ma tristesse …

  Il me suffit que dans les airs,

  L’immense espoir de fruits amers

  Affole les fils de la fange …

  —Cette soif qui te fit géant,

  Jusqu’à l’Être exalte l’étrange

  Toute-Puissance du Néant!

  SKETCH OF A SERPENT

  FOR HENRI GHÉON

  Deep in the leaves the whispering breeze

  Cradles the viper I assume;

  A smile, illumined by the flash

  Of appetite’s sharp tooth, slips out

  To wander dangerously the Garden,

  And my triangle of emerald

  Darts and retracts its double edge …

  A beast I am, but a sharp beast,

  Whose poison, though a lowly bane,

  Leaves hemlock’s wisdom in the dust!

  How sweetly pleasure fills the air!

  Tremble mortals! For I am strong

  When, never wide enough, I yawn

  So wide it breaks the very springs!

  The brilliance of the azure keens

  This viper that is my disguise

  Of animal simplicity:

  Come hither, you unheeding race,

  I’m all warmed up and on my feet,

  An equal to necessity!

  Sun, bright sun! … Resplendent fault!

  You who dissemble death, O Sun,

  Under the gold and azure tent

  Where flowers hold their parliament;

  My loftiest accomplice,

  And highest of my snares,

  With these impenetrable pleasures

  You keep their hearts from ever knowing

  That the universe is just a flaw

  In Non-Being’s purity!

  Great Sun, who calls the soul awake

  And accompanies its way with fire,

  Who closes it in deceitful sleep

  Of brightly painted countrysides,

  You conjurer of joyful ghosts

  That make the mystery of the soul

  Dependent on the eyes,

  I’ve always rather liked the lie

  You spread across the empty void,

  O king of shadows made of flame!

  Pour forth for me your savage heat,

  Here where my laziness of ice

  Comes to dream some new misfortune

  As twining and enlaced as I …

  This charming spot that saw the fall

  And joining of the flesh is dear,

  For here my fury ripens; here

  I counsel it and mull it well;

  I listen close, and in my coils

  My meditation murmurs …

  O Vanity! First Cause! The One

  Whose kingdom is in Heaven

  Spoke with a voice that was the light

  And lo, the universe spread wide.

  As if his own pure pageantry

  Went on too long, God broke the bar

  Himself of his perfect eternity,

  And became the One who dissipates

  His Principle in consequences,

  His Unity in stars.

  Heaven, his error! Time, his ruin!

  And the gaping animal abyss!

  What a fall at the origin shines out

  In place of emptiness!

  Yet the first pronouncement of his Word

  Was ME! … The proudest of the stars

  That were madly spoken into being,

  I am … I will be … I illuminate

  With all seduction’s blazing lights

  The divine diminishment!

  Radiant object of my hate,

  You whom I madly loved,

  You who were forced to grant the realm

  Of Gehenna to this lover,

  Behold you
rself in my deep shadow!

  Seeing your grave reflection here,

  The pride of my dark mirror,

  Filled you with such profound unease

  That your breath upon the clay came out

  A murmur of despair!

  You thought to mold, but all in vain,

  Obedient children from the mud,

  Who all day long would sing Your praise

  And celebrate your glorious acts.

  No sooner formed and filled with breath

  Than Master Serpent hissed and jeered

  Your fine created children!

  Ahoy, you tenderfeet! says he,

  You’re standing there stark-naked men,

  O pale enraptured beasts!

  Because you were created in

  The image I abhor,

  I hate you as I hate the Name

  That fashions such imperfect wonders!

  For I am He who modifies,

  Who with a sure, mysterious finger

  Touches up the trusting heart …

  We will transform this flimsy work

  And these evasive garden snakes

  To reptiles filled with fury!

  My measureless Intelligence

  Touches within the human soul

  An instrument of my revenge

  Assembled by your very hands!

  Your Fatherhood behind the veil

  May welcome in its starry chamber

  Nothing but wafting incense; still

  The excess of my charms

  Disturbs with distant sounds of danger

  Your all-powerful designs!

  I come, I go, I glide and dive,

  I disappear in the pure heart!

  What breast is ever so immured

  One can’t insinuate a dream?

  Whoever you may be, am I

  Not the self-indulgence that is born

  When your soul adores itself?

  I am that incomparable taste,

  That sweet last drop of self-regard,

  You find in yourself alone!

  Long since, I took Eve by surprise

  Amid her dawning thoughts,

  Her lips half-parted to the spirits

  Rising from the swaying roses.

  That perfect creature appeared to me,

  Her vast flanks, rippling with gold,

  Shying from neither sun nor man;

  And all laid out to the prying air,

  Her soul still dumb, as if speechless on

  The threshold of the flesh.

  O blessèd mass of exaltation,

  So beautiful, the just reward

  For the complete solicitude

  Of fine and the very finest minds!

  One sigh is all it takes for them

  To be hanging on your lips!

  The purest lean there as the worst,

  The hardest hearts are hardest hit …

  You even melted me, to whom

  The vampires trace their line!

  Yes! From my leafy vantage,

  Reptile with raptures of a bird,

  As all the while my babbling words

  Around you wove a web of ruses,

  I drank you in, O heedless beauty!

  Calm and clear and heavy with charms,

 

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