fragilement avide avide d’un lait ténu
Corpse of a Frenzy
Cadavre d’une frénésie
the memory of a road
rising very steeply in bamboo shade
the cane juice that invents itself ever anew
and the scent of hog plums
le souvenir d’une route
qui monte très fort dans l’ombrage des bambous
le vesou qui s’invente toujours neuf
et l’odeur des mombins
left below are
the little skirts of the sea
the seasons of childhood
the parasol of sea grapes
on a laissé en bas
les petites jupes de la mer
les saisons de l’enfance
le parasol des coccolobes
I turn around at the curve I look over the shoulder
of my past it is full of the magical noise always at the incomprehensible
and anguishing blow of the breadfruit
that falls and right into the ravine where nobody finds it
rolls
je me tourne au virage je regarde par-dessus l’épaule
de mon passé c’est plein du bruit magique toujours sur le coup
incompréhensible et angoissant du fruit de l’arbre à pain
qui tombe et jusqu’au ravin où nul ne le retrouve
roule
the catastrophe made for itself a throne perched too high
out of the delirium of the destroyed city it is my burned-out life
la catastrophe s’est fait un trône trop haut perché
du délire de la ville détruite c’est ma vie incendiée
Sorrow will you never
stop expecting our howling
I have dreamed face distorted
mouth bitter I have dreamed about all the vices of my blood
and the ghosts roamed around each of my gestures
at the serration of fate
Douleur perdras-tu
l’habitude qu’on hurle
j’ai rêvé face tordue
bouche amère j’ai rêvé de tous les vices de mon sang
et les fantômes rôdèrent à chacun de mes gestes
à l’échancrure du sort
it matters not it is weakness
keep vigil my heart
prisoner who alone in his cell inexplicably survives
the self-evidence of fate
ferocious taciturn
at the very bottom a lamp lit from its horrible wound
il n’importe c’est faiblesse
veille mon cœur
prisonnier qui seul inexplicablement survit dans sa cellule
à l’évidence du sort
féroce taciturne
tout au fond lampe allumée de sa blessure horrible
Patience of Signs
Patience des signes
sublime excoriations of a flesh fraternal and whipped to the point of rebellious fires in a thousand villages
arenas
fire
sublimes excoriations d’une chair fraternelle et jusqu’aux feux rebelles de mille villages fouettée
arènes
feu
prophetic mast of the hulls
fire
breeding pond for moray eels fire
fire riding lights of an island truly in distress
fires frantic tracks of haggard herds spelled out in the mud
mât prophétique des carènes
feu
vivier des murènes feu
feu feux de position d’une île bien en peine
feux empreintes effrénées de hagards troupeaux qui dans les boues s’épellent
chunks of raw flesh
suspended spittings
sponge dripping bile
fiery waltz of lawns strewn with the cornets that fall from the broken élan of great tabebuias*
fires shards lost in a desert of fears and cisterns
morceaux de chair crue
crachats suspendus
éponge dégouttant de fiel
valse de feu des pelouses jonchées des cornets qui tombent de l’élan brisé des grands tabebuias
feux tessons perdus en un désert de peurs et de citernes
bones
dessicated fires never too dried out for a worm to beat there
tolling its new flesh
blue seeds of fire
fire of fires
os
feux desséchés jamais si desséchés que n’y batte un ver
sonnant sa chair neuve
semences bleues du feu
feu des feux
witnesses of eyes that crazed for vengeance exhume themselves and expand
pollen pollen
and along the sandbanks where the nocturnal berries of the sweet manchineels fill out
rich oranges always accessible to the sincerity of long thirsts
témoins d’yeux qui pour les folles vengeances s’exhument et s’agrandissent
pollen pollen
et par les grèves où s’arrondissent les baies nocturnes des doux mancenilliers
bonnes oranges toujours accessibles à la sincérité des soifs longues
Phantoms
Fantômes
clamors clamors
I who never had a throat except at noon
I stroked its half-wild cat’s head
voluptuously
clameurs clameurs
moi qui n’eus jamais de gorge qu’à midi
je caressai sa tête de chat demi-sauvage
voluptueusement
fat villages came to graze in the grassy shallows
then stretched to the excess of mosquitoes their muzzles
toward the black water reeking of the mangrove
clamors clamors
de gros bourgs vinrent paître dans les hauts fonds herbus
puis tendirent à l’excès des moustiques leur mufle
vers la noire eau bien empuantie des mangles
clameurs clameurs
disparate with obsequious odors
with the blue beauty of suns at their source
the range of the rolling at the curve of the beaching strand
at the chink in the mirage scarcely wounds a morning
fleeting chimera of forbidden cities
hétéroclite d’odeurs obséquieuses
de la beauté bleue des soleils à la source
l’envergure du roulis au détour de l’échouage
au défaut du mirage blesse peu un matin
chimère sommaire des cités interdites
Mobile Flail of Strange Dreams
Mobile fléau de songes étranges
most high found smile lost
at the double incandescent confines
one of salt the other of silence
the dead who rise again to the eyes of the stars
the event is passing in the clouds
très haut trouvé sourire perdu
au double confin incandescent
l’un de sel l’autre de silence
morts qui remontent aux yeux des astres
l’événement passe dans les nuages
outside a cavernous villous sleep
two eyes listeners without speaking
of stones that ferment them
just as doubt undoing
without touching anything prowls in thunder
hors d’un caverneux sommeil velu
deux yeux écouteurs sans parler
de pierres qui les fermentent
comme le doute défaisant
sans rien toucher rôde en tonnerre
rumor pure although blended
with precious things that vomit
quite ephemeral living agony
of an uncustomary flame
mobile flail of strange dreams
rumeur pure quoique mêlée
à choses précieuses qui rendent gorge
vive agonie bien éphémère
/>
d’une flamme non coutumière
mobile fléau de songes étranges
Harsh Season
Saison âpre
Circle upon circle
when the deserts shall have offered us one by one all their mirrors
the nights having in vain stretched their tired camel necks over the tepidity of the land
the days will again without a phantom pursue pure nonephemeral lakes
and the nights upon emerging will meet them staggering
from a long absurd dream of grasses
Cercle après cercle
quand les déserts nous auront un à un tendu tous leurs miroirs
vainement les nuits ayant sur la tiédeur des terres étiré leur cou de chameau fatigué
les jours repartiront sans fantôme à la poursuite de purs lacs non éphémères
et les nuits au sortir les croiseront titubants
d’un rêve long absurde de graminées
Wild spirit horse of the tornado
muzzle open in your supreme mane
in me you will neigh this hour
Esprit sauvage cheval de la tornade
gueule ouverte dans ta superbe crinière
en moi tu henniras cette heure
Then wind bitter and sole judge of white days
on the intimate black unscored rock without core
judging fingernail-wise the lightning flash in my deep chest
you shall weigh me nailed by decree guardian of the word
Alors vent âpre et des jours blancs seul juge
au noir roc intime sans strie et sans noyau
jugeant selon l’ongle de l’éclair en ma poitrine profonde
tu me pèseras gardien du mot cloué par le précepte
Statue of Lafcadio Hearn
Statue de Lafcadio Hearn
No doubt it is absurd to hail this thrust in mid-ocean
still standing vertically amidst the clawings of the wind
and whose heart with each beat releases
a true liana delirium. Great phrase of sensuous earth so stuttered in the mornes! “And who, who wants,” I heard a voice without sarcasm roar, “to partake
Sans doute est-il absurde de saluer cette poussée en plein océan
restée debout à la verticale parmi les griffures du vent
et dont le cœur à chaque battement déclenche
un délire vrai de lianes. Grande phrase de terre sensuelle si bégayée aux mornes ! « Et qui, qui veut », entendais-je hurler une voix sans dérision « en boire
of the Soul of Man? Of the Spirit
of Combat? Of the Essence by virtue of which whoever falls falls to stand again? Of the Leader of Hearts? Of the Harrower
of Hell?” Then then my augur sight pressed on
and the vision relentlessly laid its eyes:
de l’me d’Homme ? De l’Esprit
de Combat ? De l’Essence par quoi qui tombe tombe pour se relever ? Du Meneur de Cœurs ? Du Briseur
de l’Enfer ? » Alors alors ma vue tarière força
et la vision pondit ses yeux sans rémission :
Yé clambered up the palm tree
Nanie-Rosette was eating on a boulder
the devil was flying about
coated with snake grease
with oil of the departed
Yé grimpa au palmier
Nanie-Rosette mangeait sur un rocher
le diable volait autour
oint de graisse de serpent
d’huile des trépassés
a god in the town was dancing adorned with an ox head
aged rum was flowing from throat to throat
in the ajoupas* anis was being mixed with orgeat
at the crossroads tobacco-colored men squatted at dice
and along their fingers
dispatched dreams
in the shadows long razors were sleeping in their pockets
un dieu dans la ville dansait à tête de bœuf
des rhums roux couraient de gosier en gosier
aux ajoupas l’anis se mêlait à l’orgeat
aux carrefours s’accroupissaient aux dés et sur les doigts
dépêchaient des rêves
des hommes couleur tabac
dans les ombres aux poches de longs rasoirs dormaient
aged rum was flowing from throat to throat
but no one no one made a formidable response
and offered his mucous membrane to the stings of wasps
des rhums roux couraient de gosier en gosier
mais aucun aucun qui formidable fît réponse
et sa muqueuse prêtât à la morsure des guêpes
O strange questioner
to you I tender my supernumerary jug
the black verb memorizing
Me me me
for about you I know that your patience was created
from the command post of a corsair dismasted by the storm and licked by orchids
Ô questionneur étrange
je te tends ma cruche comparse
le noir verbe mémorant
Moi moi moi
car de toi je connus que ta patience fut faite
de la cabine de commandement d’un corsaire démâté par l’orage et lêché d’orchidées
Beautiful Spurted Blood
Beau sang giclé
trophy head lacerated limbs
deadly dart beautiful spurted blood
lost warblings ravished shores
childhoods childhoods a tale too stirred up
dawn on its chain bites ferocious to be born
tête trophée membres lacérés
dard assassin beau sang giclé
ramages perdus rivages ravis
enfances enfances conte trop remué
l’aube sur sa chaîne mord féroce à naître
o belated assassin
the bird feathered formerly more beautifully than the past
demands an accounting for its scattered plumes
ô assassin attardé
l’oiseau aux plumes jadis plus belles que le passé
exige le compte de ses plumes dispersées
It Is The Courage Of Men That Is Dislocated
C’est le courage des hommes qui est démis
The extraordinary telephony from the central fire to the nebulae installed in one second and for what orders! Rain is the angry way here and now to cancel out everything that exists, everything that has been created, cried out, said, lied, soiled. Where did the idea that rain falls come from?
L’extraordinaire téléphonie du feu central aux nébuleuses installée en une seconde et pour quels ordres ! La pluie, c’est la manière rageuse dès maintenant et dès ici de biffer tout ce qui existe, tout ce qui a été créé, crié, dit, menti, sali. Où a-t-on pris que la pluie tombe ?
It is the courage of men that is dislocated. Rain is always wholehearted. Rain exults. It is a massive rise of inspiration, a jolt of tropical sleep; a forward thrust of lymphs; a frenzy of caterpillars and faculae; a tumultuous assault against everything that burrows in warrens; the thrust counter-current to the gravitations of a thousand mad munitions and of the tur-ra-mas* that advance by leaping—sea horses toward the finallys and the suburbs.
C’est le courage des hommes qui est démis. La pluie est toujours de tout cœur. La pluie exulte. C’est une levée en masse de l’inspiration, un sursaut des sommeils tropicaux ; un en-avant de lymphes ; une frénésie de chenilles et de facules ; un assaut tumultueux contre tout ce qui se terre dans les garennes ; la lancée à contre-sens des gravitations de mille folles munitions et des tur-ra-mas qui sautent en avançant – l’hippocampe vers les enfin et les faubourgs.
Finally! The tree bursts like a grenade. The rock explodes. Tenderness: now and then this great repose. Tenderness: now and then this orchestra playing and interlacing steps like plaited wicker.
Enfin ! L’arbre pète à la grenade. La roche éclate. Tendresse : de loin en loin ce grand repos. Tendresse : de loin
en loin cet orchestre qui joue et entrelace des pas comme de l’osier qu’on tresse.
Tenderness, but that of adorable tortures: the setting in motion of a conflagration of bit-braces that drill and force the void to scream star. It’s blood. Moreover it is hard to understand how it is enough to feed the extraordinary devolution of horses that from ridge to ridge turn back the momentum of the ravines.
Tendresse, mais celle des tortures adorables : la mise en marche d’un incendie de vilebrequins qui forent et forcent le vide à crier étoile. C’est du sang. Du reste on comprend mal comment ça suffit à alimenter la formidable dévolution de chevaux qui de crête en crête rebroussent l’élan des ravins.
Royalty is no more. And perpetual is the invention of ecstatic chants, of abbreviated prayers, of meticulous spider ceremonial, of saws that splash about, of unknotted chevelures, of colliding enameled glass mosque lamps, of seas flowing and ebbing, of alembics, of coils that trumpet at full steam unforgettable condensations.
Il n’y a plus de royauté. Et l’invention est perpétuelle de chants d’extase, de prières écourtées, de cérémonial minutieux d’araigne, de scies qui clapotent, de chevelures dénouées, de lampes de mosquée en verre émaillé qui s’entrechoquent, de mers qui filent et refluent, d’alambics, de serpentins qui à toute vapeur claironnent les condensations inoubliables.
The Complete Poetry of Aimé Césaire Page 47