Clinique Stratégique
(2)
Symptomatologie.
Par Michel Filippi
1ère edition : 9 juillet 2011.
License Notes
I.
Ou la connaissance des symptômes, le savoir que nous pouvons avoir à leur propos ou que nous pouvons obtenir d’eux. Mais c’est aussi la lecture des symptômes, une manière de les lier ensemble pour faire discours, construire ce que par ailleurs on appelle tableaux cliniques.
Vous vous demandez comment le stratège peut-il être l’objet d’un tableau clinique ? Ce serait le définir et comme vous avez bien retenu la leçon le définir c’est le faire apparaître, le reconnaître, faire en sorte qu’il se reconnaisse et là le tour est joué.
Je vois encore quelque incrédulité dans votre façon de me lire. Allons bon, définir c’est faire surgir et faire surgir c’est être engagé dans une destinée certaine parmi d’autres destinées qui juste avant étaient tout autant probables. Vous me rappelez une histoire de chat, non ? Exactement. Nous sommes maîtres de notre destinée, cela veut dire que c’est à nous de choisir et que rien ne choisira à notre place.
Il faut au moins avoir une certitude. Notre perception du monde n’est que son souvenir. Le monde à venir nous ne pouvons pas le saisir, il n’a pas été décidé. Il ne peut produire d’objets.
Nous sommes face aux souvenirs du monde, de notre monde et ces souvenirs entraînent avec eux le Réel qui est chaos, c’est-à-dire sans forme, sans orientation particulière. Tout ce qui nous paraît facile à énoncer a déjà été signifié et nous lions significations existantes à significations existantes sous le soleil de la Vérité.
Or, la Vérité est un symptôme. Nous le savons. Chaque fois que nous l’évoquons nous sommes face aux significations forgées dans notre passé. Nous nous reconnaissons dans un type d’Homme ayant existé mais qui n’est plus l’Homme que nous sommes et que nous ignorons.
Nous pouvons donc classer tous les discours comme mise en ordre des significations du passé. Une sorte de tissage apparemment cohérent, comme Marco Polo dictant ses souvenirs de voyages depuis sa prison. Tous les Hommes à venir – l’Homme écologiste, l’Homme sécuritaire, l’Homme violent, etc. – sont des Hommes ayant déjà existé, constitutifs des significations que nous percevons comme vraies.
Ce sont donc des récits merveilleux, peuplés de personnages étranges et monstrueux, qui nous donnent envie d’aller voir ce dont ils parlent. Ils nous servent de guide pour le futur. C’est exactement ce que nous proposent les prédicateurs de la Vérité.
Revisiter le passé est une décision dangereuse. Car nous serons face à une alternative posée par la Vérité que l’on pourrait traduire d’une manière girardienne comme choix entre l’imitation ou la ressemblance. Selon la branche que nous choisirons nous irons vers le dépassement ou la violence infinie.
Imiter c’est toujours échouer à être ce que l’on vise. On le dépasse en quelque sorte. Don Quichotte est dans une imitation du Christ, du Chevalier. Rome dans sa puissance imite ses ancêtres, le monde grec. La Renaissance imite l’Antique. Mais l’Empereur Julien dans la ressemblance mène ses armées au désastre. Les communistes soviétiques sont dans la ressemblance du projet Communiste et tuent pour cela des millions de gens. Nous, on nous brandit la ressemblance d’un Etat sans histoire et bon, une Jérusalem terrestre.
Qui nous propose d’imiter ? Imiter qui, imiter quoi, que nous puissions le dépasser ?
II.
« … Nous sommes devenus des observateurs compétents et nous éprouvons de la satisfaction à observer. Nous remportons des triomphes mineurs quand nous arrivons à une compréhension réelle. Le but est de savoir, non d’utiliser. Nous ne sommes plus des utilisateurs. … ».
Ce serait un mensonge car nous ne pouvons comprendre sans utiliser. Observer a posé un cadre, un filtre, une objection en quelque sorte face à la prolifération infinie de l’existant. Par ce geste nous nous sommes mis à utiliser et là plus moyen de refuser notre humanité. Je vous ai dit, la symptomatologie est un saut dans l’inconnu. Par notre action nous avons compris déjà que le stratège se définit et se définissant il ne peut être une entité préexistant dans le réel.
Nous l’avons défini comme ce qui fait apparaître des possibles. Et ces possibles nous les avons vus se manifester sous la forme de chaînes associatives telles celles qui mènent de la Vérité à la Haine, du Souvenir à l’Imitation et au Dépassement ou à la Ressemblance et à la Violence.
Nous pouvons commencer à lire les événements, les placardiser, en faire le libelle.
La nature, y a que ça de vrai, nous disent tous les Ecologistes, confondant dans leurs propos pas si innocents que ça les différentes voies de synthèses que la nature offre aux espèces de vivants. Chaque voie est une porte offerte aux cygnes noirs de Taieb qui sont, nous le savons, l’occasion d’apprendre quelque chose sur le Réel et de décourager la certitude de nos connaissances actuelles aurait rappelé Popper.
Donc la nature mise en ébullition dans quelques réacteurs organiques aurait donné naissance à de nouvelles bactéries, mortelles comme tout animal sauvage et que, peut-être, nous saurons apprivoiser pour notre destinée.
La nature est créatrice, cela les Grecs le savaient. Elle utilise pour cela toutes les voies à sa disposition. Nombre de politiques et de scientifiques imaginent la nature comme une corne d’abondance lointaine, étrangère aux Hommes et vers laquelle ils peuvent se tourner pour y chercher de quoi alimenter leurs intérêts particuliers.
La blague. Il y a longtemps que mes semblables ont déclaré que la nature est indifférente aux intérêts particuliers. Elle agit, se combine, ouvre des voies nouvelles de synthèse, se détruit et se reconstruit. Nous sommes cette nature à n’en pas douter. A chaque fois que M’me Duflot ou d’autres bègues tressautent à l’encontre de l’Homme mauvais, il s’agit bien de leur Nature qui est contemptée.
Les contempteurs de la nature en l’Homme veulent ressembler à l’Eden en son jardin et sans serpent aguicheur.
« Et cela ne s’applique pas qu’aux ressources, mais aussi aux idées et… — Jusqu’à quel point te souviens-tu … ? »
III.
Le symptôme Vérité nous conduit soit vers la Violence soit vers le Dépassement de ce qui est vrai – la Nature dit-on – annulant ainsi sa prétention à être le reflet exact de la Vérité.
Déjà nous ne pouvons même pas dire avec quelque certitude que vrai et Vérité sont une seule et unique chose, un seul et unique jugement. Vous me dites mais la Vérité ce sont les faits et le Vrai ce sont les énoncés qui disent les faits.
On voit bien que vous n’avez jamais eu à témoigner sur un événement auquel vous avez participé. Il est là présent dans votre tête, vos souvenirs, il suffit de le dire et le disant vous sentez avec horreur que ce n’est plus ça, pas ça et, enfin de compte, vous ne savez plus ce que c’était.
Oui mais c’est un problème de mémoire, sous l’émotion, le traumatisme, votre mémoire s’est un peu détériorée. Je vous remercie pour la précaution dite oratoire suggérant quelque faiblesse psychologique. Argument utilisé crûment par tous ceux qui contesteront ma version des faits. Les faits ont une version ? Allons, un viol est un viol, une voiture une voiture, pour le reste vous planez.
Ce que vous venez de dire est l’ultime recours de la pensée affolée pour démontrer que la Vérité existe, produire un double exact de partout au fait. Et produire ce double n’a jamais pu être appelé acte de Vérité ou le vrai.
S’il nous fallait au nom de cette définition ultime condamner DSK pour ce qu’il a fait, nous dev
rions lui demander de violer la même femme de chambre au même endroit, à la même heure, à la même date pour être proches de la Vérité. Le fait a été refait, il est reproductible.
Nous sommes dans la démarche expérimentale des sciences en général. Est considéré comme un fait digne de connaissance, un état du monde, l’événement qui peut être reproduit à l’infini.
Quel serait ce monde où DSK à l’infini viole une femme de chambre, etc. ? Le monde de la répétition, un monde à la Borges, un monde qui n’existe que par ce fait refait. Et encore, nous devrions prouver que l’acte du fait a bien été une première fois exécuté.
Mais dans les sciences nous n’avons pas l’obligation de cette preuve. Ça se fait même en notre absence. C’est la Nature dit-on.
Ah, celle là, toujours prête comme excuse, le témoin qui vient dire ce qu’il vous plaît d’entendre, un faussaire donc. La Nature est fausse ?
Bien entendu puisqu’elle peut être dépassée. On nous parle de cette bactérie tueuse mais nous oublions que c’est un être de nature. Elle a dans cette nature son petit monde bien à elle qui lui va comme un gant en Vérité. Vous exagérez ! La Vérité est qu’elle tueuse ! Mais non elle existe d’une manière qui vous déplaît.
La Vérité c’est d’abord ce qui nous plaît. Moi, ça me déplaît.
IV.
Vous connaissez mon coiffeur. On me l’envie, un coiffeur qui discute politique et philosophie. Je viens chez lui après avoir écrit Symptomatologie 3. Et il me dit qu’il veut parler de la Vérité.
Je ris, j’aime bien cette sorte de nappe psychique qui fait que tous sommes porteurs du même symptôme. Vous savez que je viens d’écrire … ? Il ne m’entend pas, il parle de tous ces politiques, ces partis qui vous assènent la Vérité, de son ennui pour DSK non pas l’homme mais ses idées qui ne seront pas actionnées.
Il reproche à tous les politiques de nous demander de voter pour des trucs tout saucissonnés. Tiens ça ressemble à des subprimes ces trucs saucissonés ! On ne sait pas ce qu’il y a dedans mais on nous demande d’acheter, c’est sans risque. Enfin le sien pas ceux des autres, catastrophiques.
Ah oui, ça serait bien qu’ils nous montrent leurs idées, leurs arguments, que nous votions un à un selon notre opinion. Ah oui, mais s’il y a trop d’opinions, nous ne serons plus gouvernés. C’est bien pour cela que l’on nous oblige à choisir entre finalistes !?
Mais si plus personne ne veut voter c’est que personne ne trouve son compte, non ? Il faut trop d’argent pour se présenter. Et puis qu’est-ce que ça veut dire cette nécessité d’être soutenu par des gens déjà élus ? On nous prend pour des demeurés, des sortes d’incapables majeurs qui doivent déléguer leur volonté à quelques uns qui sauraient mieux y faire ? Mon maire je l’ai élu pour qu’il gère la Ville non pour qu’il soutienne en mon nom Madame Royal ou DSK espérant ainsi gagner ce pouvoir politique qui ne lui est pas donné.
La démocratie c’est bien que chacun vote et nous le faisons tous les jours en tweetant, non ?
Il est étonné. Nous votons ainsi ? Ben oui. Lorsque je retweet je vote pour l’émetteur. Et je peux même dire « Dégage ! » à un émetteur/suiveur qui ne me déplaît. Mais alors tous les jours … ? Ils nous font bien ça nos employeurs de voter pour ou contre nous. Et nos clients que font-ils d’autres que de voter pour notre métier ?
Il ne l’a pas dit mais je vois bien le politique venant se faire lisser la perruque dire, vous savez, pour l’action politique, il faut donner du temps au temps, et… Oui, à ce que je vois beaucoup prennent leur temps et depuis des dizaines d’années.
Du symptôme de Vérité ont émergé trois besoins apparemment contradictoires, la stabilité, la reconnaissance des idées en toute égalité et la nécessité d’évaluer leur effet à chaque moment.
Moi j’appelle cela un programme pour la Cité. Un critère pour un stratège.
J’en ai trop dit !
V.
Dans Symptomatologie 4 apparaissait un programme pour la Cité et un critère pour saisir le stratège. Alerté par cette découverte j’en trouvais la répétition ici et là dans des journaux, des prises de positions publiques ou privées.
L’un exige que l’Etat d’Israël tienne compte de l’avis de ses citoyens. Une amie très proche s’indigne que son fournisseur de messagerie lui impose un nouvel environnement. Les Printemps arabes le disent dans leur mouvement comme le firent les Révolutionnaires européens du XIXème siècle.
Nous savons bien qu’à la même exigence seront apportées des solutions variées, apparemment opposées. Celui qui réclame d’un Etat le respect de ses citoyens appelle à un reaganisme qui n’est rien de moins que la mise en œuvre d’une idéologie tout aussi sourde que celle reniée.
Les Syriens se révoltent, que leur Président les écoutent et les prennent en considération ! Immédiatement certains refusent à BHL le droit de parler, d’être entendu. Au même moment les Juifs libyens expulsés par Kadhafi apportent aux révoltés leur soutien accepté. Eux sont écoutés et Kadhafi veut leur parler. Mais en France aux JT j’écoute tweeter en retard et en mode dégradé. Au prétexte de parler à tout le monde ils ne disent qu’une seule et même chose « Dormez bien braves gens nous veillons ! ».
Sera alors stratège celui qui écoutera chaque voix, la laissera agir et produire ses effets. Or c’est bien le reproche fait à not’Président de promettre tout à chacun. Puis de ne rien tenir.
Il me semble que c’est le problème fondamental de la démocratie pour lequel nombre de solutions ont été tentées. Et qui ont marché, pour un temps, un temps seulement. Lorsque le politique dit qu’il faut laisser le temps au temps, il devrait voir que le temps n’a plus le temps. Toutes les promesses faites sont un passé bien récité.
Entre le « J’vous ai compris et j’vous promets tout » et « Apportez-moi toutes vos souffrances, je les porterai toutes » l’épuisement de figures politiques est manifesté. Leurs représentations ne font plus le moindre effet. Comme un objet esthétique ultime rejeton d’une belle lignée, elles sont affadies, maniérées, l’œuvre de techniciens plus habiles que ceux qui ont inventé leurs glorieuses mères, mais cette habileté ne peut les sauver.
Madame Le Pen inspirée comme son père par des philosophes, continue à susurrer qu’elle donne voie/voix à qui n’en a pas. Là aussi la figure est dégradée. Mais elle promet d’agir et avec brutalité.
C’est la Brutalité qui va l’emporter car alliée à la Haine et à la Vérité elle recrée l’esthétique de la Vengeance qui seule creuse la voie pour chacun, à chacun donne voix et à chacun tient sa promesse.
Autre projet pour la Cité. Autre critère du stratège. Devant cette figure je frémis.
VI.
Pendant quelques jours je n’ai pas écrit, écoutant les environs sans apparemment me soucier du dispositif d’observation que nous avons mis en place. Ce dispositif est aussi inhabituel pour moi que pour vous et je voulais savoir s’il pouvait devenir un mode constant d’écoute du monde, presque sans volonté.
J’ai été étonné qu’il en soit ainsi. Une façon habituelle d’observer s’est installée, mêlée à d’autres telle celle expérimentée dans Tribune(s).
Alors ce qui se passe devient non pas polyphonique mais cacophonique ; chaque évènement me parlant de plusieurs voix en même temps. Et c’est une expérience extraordinaire, non comme la possibilité de choisir mais le fait que cela veut dire de manières multiples et séparées, sans qu’il soit légitime d’en choisir une. Au nom de quoi d’ailleurs, d’une certitude quelconque ?
J’ai fait l’expérience de l’épaisseur du monde, de ses évènements.
J’ai recommencé à m’inquiéter de la nature du stratège. Je nous ai mis en garde contre le danger de le définir et j’ai aussi refusé que le stratège soit ce qui nous conduit – même avec une grande habileté – vers la destinée déjà inscrite d’une voie particulière.
J’avais supposé que le stratège est ce qui fait émerger l
es voies possibles. Mais ne serait-il pas aussi ou plutôt ce qui fait émerger et maintien ensemble toutes les voix possibles ?
J’ai quelque dégoût lorsque cette émergence, ce maintien, sont obtenus par la promesse de satisfaction des désirs quelconques et à n’importe quel prix, mais j’avoue qu’à la personne qui fait cela je ne peux aujourd’hui lui refuser le titre de stratège.
C’est pourquoi, lorsque j’apprends que notre pays s’enfonce dans la corruption – malgré la certitude que mes ancêtres ne sont pas venus ici pour cela – je me dis que cette corruption est peut-être un autre symptôme de la présence du stratège. Faut-il donc la combattre, peut-on même dans ce cas la combattre ?
Mais cette Corruption se lie à ce qui semble être son antonyme le désir de transparence revendiqué tant par Google, que les Anonymous, Wikileaks et autres acteurs du Web, 2. ce que vous voulez.
Corruption et Transparence vont ensemble comme Péché et Confession. Au bout de leur trajectoire nous trouvons la Rédemption. Mais aussi la Pénitence et ses outils.
Il s’agit alors d’extirper le Mal en chacun et la société.
Oui, c’est d’abord le Printemps.
VII.
Notre dispositif d’observation a permis de faire émerger des symptômes que nous relions les uns aux autres en une symptomatologie pour qu’apparaisse le stratège mais sans se lier à lui, sans le connaître, sans agir pour qu’il se connaisse. Nous savons pourquoi.
Dans le dispositif d’observation et ses entours apparaissent de multiples signaux en forme d’urgence. Des élections ci et là, des plaisanteries politico-corréziennes, différents anciens ministres suspectés, des délinquants que nous ne devrions jamais relâcher.
Il faut bien s’en occuper de ces signaux car nous ne pouvons affirmer avec sûreté qu’ils sont étrangers à notre propos. Les sciences du XIXe siècle nous donnaient des symptômes sans ambivalence, des symptomatologies ordonnées et hiérarchisées. Les gens de science tenaient alors pour acquis que l’on pouvait observer de manière pure en isolant son sujet. Très tôt il a été affirmé qu’un objet d’étude isolé est un objet mort. Nous observions des morts. Et les connaissances que l’on pouvait déduire des symptomatologies étaient la connaissance des morts, des cadavres. La science était alors une sorte de dissection de tous les cadavres.
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