Collected Poetical Works of Charles Baudelaire

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Collected Poetical Works of Charles Baudelaire Page 11

by Charles Baudelaire


  Avec un tel poignet, qu’on vous eût pris, à voir

  Et cet air de maîtrise et ce beau nonchaloir,

  Pour un jeune ruffian terrassant sa maîtresse.

  L’œil clair et plein du feu de la précocité,

  Vous avez prélassé votre orgueil d’architecte

  Dans des constructions dont l’audace correcte

  Fait voir quelle sera votre maturité.

  Poëte, notre sang nous fuit par chaque pore ;

  Est-ce que par hasard la robe de Centaure,

  Qui changeait toute veine en funèbre ruisseau,

  Était teinte trois fois dans les baves subtiles

  De ces vindicatifs et monstrueux reptiles

  Que le petit Hercule étranglait au berceau ?

  XVII. CHTIMENT DE L’ORGUEIL

  En ces temps merveilleux où la Théologie

  Fleurit avec le plus de séve et d’énergie,

  On raconte qu’un jour un docteur des plus grands,

  — Après avoir forcé les cœurs indifférents,

  Les avoir remués dans leurs profondeurs noires ;

  Après avoir franchi vers les célestes gloires

  Des chemins singuliers à lui-même inconnus,

  Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus,

  — Comme un homme monté trop haut, pris de panique, —

  S’écria, transporté d’un orgueil satanique :

  « Jésus, petit Jésus ! je t’ai poussé bien haut !

  Mais, si j’avais voulu t’attaquer au défaut

  De l’armure, ta honte égalerait ta gloire,

  Et tu ne serais plus qu’un fœtus dérisoire ! »

  Immédiatement sa raison s’en alla.

  L’éclat de ce soleil d’un crêpe se voila ;

  Tout le chaos roula dans cette intelligence,

  Temple autrefois vivant, plein d’ordre et d’opulence,

  Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.

  Le silence et la nuit s’installèrent en lui,

  Comme dans un caveau dont la clef est perdue.

  Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue,

  Et, quand il s’en allait sans rien voir, à travers

  Les champs, sans distinguer les étés des hivers,

  Sale, inutile et laid comme une chose usée,

  Il faisait des enfants la joie et la risée.

  XVIII. LA BEAUTÉ

  Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,

  Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,

  Est fait pour inspirer au poëte un amour

  Éternel et muet ainsi que la matière.

  Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;

  J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;

  Je hais le mouvement qui déplace les lignes ;

  Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

  Les poëtes, devant mes grandes attitudes,

  Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,

  Consumeront leurs jours en d’austères études ;

  Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,

  De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :

  Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

  XIX. L’IDÉAL

  Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,

  Produits avariés, nés d’un siècle vaurien,

  Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,

  Qui sauront satisfaire un cœur comme le mien.

  Je laisse à Gavarni, poëte des chloroses,

  Son troupeau gazouillant de beautés d’hôpital,

  Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses

  Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.

  Ce qu’il faut à ce cœur profond comme un abîme,

  C’est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,

  Rêve d’Eschyle éclos au climat des autans ;

  Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,

  Qui tors paisiblement dans une pose étrange

  Tes appas façonnés aux bouches des Titans !

  XX. LA GÉANTE

  Du temps que la Nature en sa verve puissante

  Concevait chaque jour des enfants monstrueux,

  J’eusse aimé vivre auprès d’une jeune géante,

  Comme aux pieds d’une reine un chat voluptueux.

  J’eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme

  Et grandir librement dans ses terribles jeux ;

  Deviner si son cœur couve une sombre flamme

  Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux ;

  Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;

  Ramper sur le versant de ses genoux énormes,

  Et parfois en été, quand les soleils malsains,

  Lasse, la font s’étendre à travers la campagne,

  Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins,

  Comme un hameau paisible au pied d’une montagne.

  XXI. LE MASQUE

  STATUE ALLÉGORIQUE DANS LE GOÛT DE LA RENAISSANCE

  À ERNEST CHRISTOPHE

  statuaire

  Contemplons ce trésor de grâces florentines ;

  Dans l’ondulation de ce corps musculeux

  L’Élégance et la Force abondent, sœurs divines.

  Cette femme, morceau vraiment miraculeux,

  Divinement robuste, adorablement mince,

  Est faite pour trôner sur des lits somptueux,

  Et charmer les loisirs d’un pontife ou d’un prince.

  — Aussi, vois ce souris fin et voluptueux

  Où la Fatuité promène son extase ;

  Ce long regard sournois, langoureux et moqueur ;

  Ce visage mignard, tout encadré de gaze,

  Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur :

  « La Volupté m’appelle et l’Amour me couronne ! »

  À cet être doué de tant de majesté

  Vois quel charme excitant la gentillesse donne !

  Approchons, et tournons autour de sa beauté.

  O blasphème de l’art ! ô surprise fatale !

  La femme au corps divin, promettant le bonheur,

  Par le haut se termine en monstre bicéphale !

  Mais non ! Ce n’est qu’un masque, un décor suborneur,

  Ce visage éclairé d’une exquise grimace,

  Et, regarde, voici, crispée atrocement,

  La véritable tête, et la sincère face

  Renversée à l’abri de la face qui ment.

  — Pauvre grande beauté ! le magnifique fleuve

  De tes pleurs aboutit dans mon cœur soucieux ;

  Ton mensonge m’enivre, et mon âme s’abreuve

  Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux !

  — Mais pourquoi pleure-t-elle ? Elle, beauté parfaite

  Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu,

  Quel mal mystérieux ronge son flanc d’athlète ?

  — Elle pleure, insensé, parce qu’elle a vécu !

  Et parce qu’elle vit ! Mais ce qu’elle déplore

  Surtout, ce qui la fait frémir jusqu’aux genoux,

  C’est que demain, hélas ! il faudra vivre encore !

  Demain, après-demain et toujours ! — comme nous !

  XXII. HYMNE À LA BEAUTÉ

  Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,

  O Beauté ? Ton regard, infernal et divin,

  Verse confusément le bienfait et le crime,

  Et l’on peut pour cela te comparer au vin.

  Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore ;

  Tu répands des parfums comme un soir orageux ;

  Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore

  Qui font le héros lâche et l’enfant courageux.

  Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?

  Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;

  Tu sèmes au hasard la joi
e et les désastres,

  Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

  Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques,

  De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant,

  Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,

  Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

  L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,

  Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !

  L’amoureux pantelant incliné sur sa belle

  A l’air d’un moribond caressant son tombeau.

  Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,

  O Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !

  Si ton œil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte

  D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu ?

  De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène,

  Qu’importe, si tu rends, — fée aux yeux de velours,

  Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! —

  L’univers moins hideux et les instants moins lourds ?

  XXIII. PARFUM EXOTIQUE

  Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,

  Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,

  Je vois se dérouler des rivages heureux

  Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone ;

  Une île paresseuse où la nature donne

  Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;

  Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,

  Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.

  Guidé par ton odeur vers de charmants climats,

  Je vois un port rempli de voiles et de mâts

  Encor tout fatigués par la vague marine,

  Pendant que le parfum des verts tamariniers,

  Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,

  Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

  XXIV. LA CHEVELURE

  Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !

  Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !

  Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure

  Des souvenirs dormant dans cette chevelure,

  Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !

  La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,

  Tout un monde lointain, absent, presque défunt,

  Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !

  Comme d’autres esprits voguent sur la musique,

  Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

  J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,

  Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ;

  Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève !

  Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve

  De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

  Un port retentissant où mon âme peut boire

  À grands flots le parfum, le son et la couleur ;

  Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,

  Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire

  D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.

  Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse

  Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ;

  Et mon esprit subtil que le roulis caresse

  Saura vous retrouver, ô féconde paresse,

  Infinis bercements du loisir embaumé !

  Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,

  Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ;

  Sur les bords duvetés de vos mèches tordues

  Je m’enivre ardemment des senteurs confondues

  De l’huile de coco, du musc et du goudron.

  Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde

  Sèmera le rubis, la perle et le saphir,

  Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !

  N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde

  Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

  XXV.

  Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne,

  Ô vase de tristesse, ô grande taciturne,

  Et t’aime d’autant plus, belle, que tu me fuis,

  Et que tu me parais, ornement de mes nuits,

  Plus ironiquement accumuler les lieues

  Qui séparent mes bras des immensités bleues.

  Je m’avance à l’attaque, et je grimpe aux assauts,

  Comme après un cadavre un chœur de vermisseaux,

  Et je chéris, ô bête implacable et cruelle !

  Jusqu’à cette froideur par où tu m’es plus belle !

  XXVI.

  Tu mettrais l’univers entier dans ta ruelle,

  Femme impure ! L’ennui rend ton âme cruelle.

  Pour exercer tes dents à ce jeu singulier,

  Il te faut chaque jour un cœur au râtelier.

  Tes yeux, illuminés ainsi que des boutiques

  Ou des ifs flamboyant dans les fêtes publiques,

  Usent insolemment d’un pouvoir emprunté,

  Sans connaître jamais la loi de leur beauté.

  Machine aveugle et sourde, en cruautés féconde !

  Salutaire instrument, buveur du sang du monde,

  Comment n’as-tu pas honte et comment n’as-tu pas

  Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas ?

  La grandeur de ce mal où tu te crois savante

  Ne t’a donc jamais fait reculer d’épouvante,

  Quand la nature, grande en ses desseins cachés,

  De toi se sert, ô femme, ô reine des péchés,

  — De toi, vil animal, — pour pétrir un génie ?

  Ô fangeuse grandeur ! sublime ignominie !

  XXVII. SED NON SATIATA

  Bizarre déité, brune comme les nuits,

  Au parfum mélangé de musc et de havane,

  Œuvre de quelque obi, le Faust de la savane,

  Sorcière au flanc d’ébène, enfant des noirs minuits,

  Je préfère au constance, à l’opium, au nuits,

  L’élixir de ta bouche où l’amour se pavane ;

  Quand vers toi mes désirs partent en caravane,

  Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.

  Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,

  Ô démon sans pitié ! verse-moi moins de flamme ;

  Je ne suis pas le Styx pour t’embrasser neuf fois,

  Hélas ! et je ne puis, Mégère libertine,

  Pour briser ton courage et te mettre aux abois,

  Dans l’enfer de ton lit devenir Proserpine !

  XXVIII.

  Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,

  Même quand elle marche on croirait qu’elle danse,

  Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés

  Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.

  Comme le sable morne et l’azur des déserts,

  Insensibles tous deux à l’humaine souffrance,

  Comme les longs réseaux de la houle des mers,

  Elle se développe avec indifférence.

  Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,

  Et dans cette nature étrange et symbolique

  Où l’ange inviolé se mêle au sphinx antique,

  Où tout n’est qu’or, acier, lumière et diamants,

  Resplendit à jamais, comme un astre inutile,

  La froide majesté de la femme stérile.

  XXIX. LE SERPENT QUI DANSE

  Que j’aime voir, chère indolente,

  De ton corps si beau,

  Comme une étoile vacillante,

  Miroiter la peau !

  Sur ta chevelure profonde

  Aux âcres parfums,

  Mer odorante et vagabonde

  Aux flots bleus et bruns,

  Comme un navire qui s’éveille

  Au vent du matin,

  Mon âme rêveuse appareiller />
  Pour un ciel lointain.

  Tes yeux, où rien ne se révèle

  De doux ni d’amer,

  Sont deux bijoux froids où se mêle

  L’or avec le fer.

  À te voir marcher en cadence,

  Belle d’abandon,

  On dirait un serpent qui danse

  Au bout d’un bâton.

  Sous le fardeau de ta paresse

  Ta tête d’enfant

  Se balance avec la mollesse

  D’un jeune éléphant,

  Et ton corps se penche et s’allonge

  Comme un fin vaisseau

  Qui roule bord sur bord et plonge

  Ses vergues dans l’eau.

  Comme un flot grossi par la fonte

  Des glaciers grondants,

  Quand l’eau de ta bouche remonte

  Au bord de tes dents,

  Je crois boire un vin de Bohême,

  Amer et vainqueur,

  Un ciel liquide qui parsème

  D’étoiles mon cœur !

  XXX. UNE CHAROGNE

  Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

  Ce beau matin d’été si doux :

  Au détour d’un sentier une charogne infâme

  Sur un lit semé de cailloux,

  Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,

  Brûlante et suant les poisons,

  Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique

  Son ventre plein d’exhalaisons.

  Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

  Comme afin de la cuire à point,

  Et de rendre au centuple à la grande Nature

  Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;

  Et le ciel regardait la carcasse superbe

  Comme une fleur s’épanouir.

  La puanteur était si forte, que sur l’herbe

  Vous crûtes vous évanouir.

  Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

  D’où sortaient de noirs bataillons

  De larves, qui coulaient comme un épais liquide

  Le long de ces vivants haillons.

  Tout cela descendait, montait comme une vague,

  Ou s’élançait en pétillant ;

 

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