Et nous avons frôlé de dangereux abîmes …
De félines figures souriaient en dedans
Et les volontés nues refusaient de mourir;
Venus de Birmanie, deux de nos compagnons,
Les traits décomposés par un affreux sourire,
Glissaient dans l’interorbe du signe du Scorpion.
Par les chemins austères des monts du Capricorne,
Leurs deux corps statufiés dansaient dans nos cervelles;
Les sombres entrelacs du pays de Fangorn
Engloutirent soudain l’image obsessionnelle.
Et quelques-uns parvinrent à l’ultime archipel …
II. C’est un plan incliné environné de brume;
Les rayons du soleil y sont toujours obliques
Tout paraît recouvert d’asphalte et de bitume,
Mais rien n’obéit plus aux lois mathématiques.
C’est la pointe avancée de l’être individuel;
Quelques-uns ont franchi la Porte des Nuages.
Déjà transfigurés par un chemin cruel,
Ils souriaient, très calmes, au moment du passage.
Et les courants astraux irradient l’humble argile
Issue, sombre alchimie, du bloc dur du vouloir
Qui se mêle et s’unit comme un courant docile
Au mystère diffus du Grand Océan Noir.
Un brouillard fin et doux cristallise en silence
Au fond de l’univers
Et mille devenirs se dénouent et s’avancent,
Les vagues de la mer.
Montre-toi, mon ami, mon double
Mon existence est dans tes mains
Je ne suis pas vraiment humain,
Je voudrais une existence trouble
Une existence comme un étang, comme une mer,
Une existence avec des algues
Et des coraux, et des espoirs, et des mondes amers
Roulés par la pureté des vagues.
L’eau glissera sur mon cadavre
Comme une comète oubliée
Et je retrouverai un havre,
Un endroit sombre et protégé.
Avalanche de fausses raisons
Dans l’univers privé de sens,
Les soirées pleines de privation,
Les murailles de la décadence.
Comme un poisson de mer vidé,
J’ai donné mes organes aux bêtes
Mes intestins écartelés
Sont très loin, déjà, de ma tête.
La chair fourmille d’espérance
Comme un bifteck décomposé,
Il y aura des moments d’errance
Où plus rien ne sera imposé.
Je suis libre comme un camion
Qui traverse sans conducteur
Les territoires de la terreur,
Je suis libre comme la passion.
Les couleurs de la déraison
Comme un fétiche inachevé
Définissent de nouvelles saisons,
L’inexistence remplit l’été.
Le soleil du Bouddha tranquille
Glissait au milieu des nuages
Nous venions de quitter la ville,
Le temps n’était plus à l’orage.
La route glissait dans l’aurore
Et les essuie-glaces vibraient,
J’aurais aimé revoir ton corps
Avant de partir à jamais.
Les champs de betteraves surmontés de pylônes
Luisaient. Nous nous sentions étrangers à nous-mêmes,
Sereins. La pluie tombait sans bruit, comme une aumône;
Nos souffles retenus formaient d’obscurs emblèmes
Dans le ciel du matin.
Un devenir douteux battait dans nos poitrines,
Comme une annonciation.
La civilisation n’était plus qu’une ruine;
Cela, nous le savions.
Nous avions pris la voie rapide;
Sur le talus, de grands lézards
Glissaient leur absence de regard
Sur nos cadavres translucides.
Le réseau des nerfs sensitifs
Survit à la mort corporelle
Je crois à la Bonne Nouvelle,
Au destin approximatif.
La conscience exacte de soi
Disparaît dans la solitude.
Elle vient vers nous, l’infinitude;
Nous serons dieux, nous serons rois.
Nous attendions, sereins, seuls sur la piste blanche;
Un Malien emballait ses modestes affaires
Il cherchait un destin très loin de son désert
Et moi je n’avais plus de désir de revanche.
L’indifférence des nuages
Nous ramène à nos solitudes
Et soudain nous n’avons plus d’âge,
Nous prenons de l’altitude.
Lorsque disparaîtront les illusions tactiles
Nous serons seuls, ami, et réduits à nous-mêmes;
Lors de la transition de nos corps vers l’extrême,
Nous vivrons des moments d’épouvante immobile.
La platitude de la mer
Dissipe le désir de vivre;
Loin du soleil, loin des mystères,
Je m’efforcerai de te suivre.
Dans l’abrutissement qui me tient lieu de grâce
Je vois se dérouler des pelouses immobiles,
Des bâtiments bleutés et des plaisirs stériles
Je suis le chien blessé, le technicien de surface
Et je suis la bouée qui soutient l’enfant mort,
Les chaussures délacées craquelées de soleil
Je suis l’étoile obscure, le moment du réveil
Je suis l’instant présent, je suis le vent du Nord.
Tout a lieu, tout est là, et tout est phénomène,
Aucun événement ne semble justifié;
Il faudrait parvenir à un cœur clarifié;
Un rideau blanc retombe et recouvre la scène.
This ebook is copyright material and must not be copied, reproduced, transferred, distributed, leased, licensed or publicly performed or used in any way except as specifically permitted in writing by the publishers, as allowed under the terms and conditions under which it was purchased or as strictly permitted by applicable copyright law. Any unauthorized distribution or use of this text may be a direct infringement of the author’s and publisher’s rights and those responsible may be liable in law accordingly.
Epub ISBN: 9781473535060
Version 1.0
1 3 5 7 9 10 8 6 4 2
Copyright © Michel Houellebecq and Flammarion 1996, 1999, 2009, 2013
This edition copyright © Michel Houellebecq and Éditions Gallimard 2014
Translation copyright © Gavin Bowd 2017
Michel Houellebecq has asserted his right under the Copyright, Designs and Patents Act, 1988, to be identified as the author of this work.
First published in Great Britain by William Heinemann in 2017
First published in France in 2014 by Éditions Gallimard under the title Non réconcilié: Anthologie personnelle 1991-2013
William Heinemann
The Penguin Random House Group Limited
20 Vauxhall Bridge Road, London, SW1V 2SA
www.penguin.co.uk
William Heinemann is part of the Penguin Random House group of companies whose addresses can be found at global.penguinrandomhouse.com
A CIP catalogue record for this book is available from the British Library
ISBN 9781785150234
class="sharethis-inline-share-buttons">share
Unreconciled Page 13