Avant la guerre, ami, il y poussait du blé.
Comme une croix plantée dans un sol desséché
J’ai tenu bon, mon frère;
Comme une croix de fer aux deux bras écartés.
Aujourd’hui, je reviens dans la maison du Père.
La grâce immobile
La grâce immobile
Sensiblement écrasante
Qui découle du passage des civilisations
N’a pas la mort pour corollaire.
Le bloc énuméré
De l’œil qui se referme
Dans l’espace écrasé
Contient le dernier terme.
LES IMMATÉRIAUX
La présence subtile, interstitielle de Dieu
A disparu
Nous flottons maintenant dans un espace désert
Et nos corps sont à nu.
Flottant, dans la froideur d’un parking de banlieue
En face du centre commercial
Nous orientons nos torses par des mouvements souples
Vers les couples du samedi matin
Chargés d’enfants, chargés d’efforts,
Et leurs enfants se disputent en hurlant des images de Goldorak.
LE NOYAU DU MAL D’ÊTRE
Une pièce blanche, trop chauffée, avec de nombreux radiateurs (un peu: salle de cours dans un lycée technique).
La baie vitrée donne sur les banlieues modernes, préfabriquées, d’une zone semi-résidentielle.
Elles ne donnent pas envie de sortir, mais rester dans la pièce est un tel désastre d’ennui
(Tout est déjà joué depuis longtemps, on ne continue la partie que par habitude).
Sublime abstraction du paysage.
COURTENAY – AUXERRE NORD.
Nous approchons des contreforts du Morvan. L’immobilité, à l’intérieur de l’habitacle, est totale. Béatrice est à mes côtés. ‘C’est une bonne voiture’, me dit-elle.
Les réverbères sont penchés dans une attitude étrange; on dirait qu’ils prient. Quoi qu’il en soit, ils commencent à émettre une faible lumière jaune orangé. La ‘raie jaune du sodium’, prétend Béatrice.
Déjà, nous sommes en vue d’Avallon.
Le TGV Atlantique glissait dans la nuit avec une efficacité terrifiante; l’éclairage était discret. Sous les parois de plastique d’un gris moyen, des êtres humains gisaient dans leurs sièges ergonomiques. Leurs visages ne laissaient transparaître aucune émotion. Se tourner vers la fenêtre n’aurait servi à rien: l’opacité des ténèbres était absolue. Certains rideaux, d’ailleurs, étaient tirés; leur vert acide composait une harmonie un peu triste avec le gris sombre de la moquette. Le silence, presque absolu, n’était troublé que par le nasillement léger des walkmans. Mon voisin immédiat, les yeux clos, se retirait dans une absence concentrée. Seul le jeu lumineux des pictogrammes indiquant les toilettes, la cabine téléphonique et le bar Cerbère trahissait une présence vivante dans la voiture; soixante êtres humains y étaient rassemblés.
Long et fuselé, d’un gris acier relevé de discrètes bandes colorées, le TGV Atlantique n° 6557 comportait vingt-trois voitures. Entre mille cinq cents et deux mille êtres humains y avaient pris place. Nous filions à 300 km/h vers l’extrémité du monde occidental. Et j’eus soudain la sensation (nous traversions la nuit dans un silence feutré, rien ne laissait deviner notre prodigieuse vitesse; les néons dispensaient un éclairage modéré, pâle et funéraire), j’eus soudain la sensation que ce long vaisseau d’acier nous emportait (avec discrétion, avec efficacité, avec douceur) vers le Royaume des Ténèbres, vers la Vallée de l’Ombre de la Mort.
Dix minutes plus tard, nous arrivions à Auray.
Il faisait beau; et je marchais le long d’un coteau sec et jaune.
La respiration sèche et irrégulière des plantes, en été … qui semblent prêtes à mourir. Les insectes grésillent, perçant la voûte menaçante et fixe du ciel blanc.
Au bout d’un certain temps, quand on marche sous le soleil, en été, la sensation d’absurdité grandit, s’impose et envahit l’espace, on la retrouve partout. Si même au départ vous aviez une direction (ce qui est hélas fort rare … la plupart du temps, on a affaire à une ‘simple promenade’), cette image de but s’évanouit, elle semble s’évaporer dans l’air surchauffé qui vous brûle par petites vagues courtes à mesure que vous avancez sous le soleil implacable et fixe, dans la complicité sournoise des herbes sèches, promptes à brûler.
Au moment où une chaleur poisseuse commence à engluer vos neurones, il est trop tard. Il n’est plus temps de secouer d’une crinière impatiente les errements aveugles d’un esprit capturé, et lentement, très lentement, le dégoût aux multiples anneaux se love et affermit sa position, bien au centre du trône, le trône des dominations.
MERCREDI. MAYENCE – VALLÉE DU RHIN – COBLENCE.
Évidente duplicité de la solitude. Je vois ces vieux assis autour d’une table, il y en a au moins dix. Je pourrais m’amuser à les compter, mais je suis sûr qu’il y en a au moins dix. Et pfuui! Si je pouvais m’envoler au ciel, m’envoler au ciel tout de suite!
Ils émettent parlant tous ensemble une cacophonie où l’on ne reconnaît que quelques syllabes mastiquées, comme arrachées à coups de dents. Mon Dieu! Qu’il est donc difficile de se réconcilier avec le monde! …
J’ai compté. Il y en a douze. Comme les apôtres. Et le garçon de café serait-il censé représenter le Christ?
Et si je m’achetais un tee-shirt ‘Jesus’?
Je suis difficile à situer
Dans ce café (certains soirs, bal);
Ils discutent d’affaires locales,
D’argent à perdre, de gens à tuer.
Je vais prendre un café et la note;
On n’est pas vraiment à Woodstock.
Les clients du bar sont partis,
Ils ont fini leurs Martinis,
Hi hi!
NICE
La promenade des Anglais est envahie de Noirs américains
Qui n’ont même pas la carrure de basketteurs;
Ils croisent des Japonais partisans de la ‘voie du sabre’
Et des joggeurs semi-californiens
Tout cela vers quatre heures de l’après-midi,
Dans la lumière qui décline.
L’ART MODERNE
Impression de paix dans la cour,
Vidéos trafiquées de la guerre du Liban
Et cinq mâles occidentaux
Discutaient de sciences humaines.
LE JARDIN AUX FOUGÈRES
Nous avions traversé le jardin aux fougères,
L’existence soudain nous apparut légère
Sur la route déserte nous marchions au hasard
Et, la grille franchie, le soleil devint rare.
De silencieux serpents glissaient dans l’herbe épaisse,
Ton regard trahissait une douce détresse
Nous étions au milieu d’un chaos végétal,
Les fleurs autour de nous exhibaient leurs pétales.
Animaux sans patience, nous errons dans l’Eden,
Hantés par la souffrance et conscients de nos peines,
L’idée de la fusion persiste dans nos corps:
Nous sommes, nous existons, nous voulons être encore,
Nous n’avons rien à perdre. L’abjecte vie des plantes
Nous ramène à la mort, sournoise, envahissante.
Au milieu d’un jardin nos corps se décomposent,
Nos corps décomposés se couvriront de roses.
LA FILLE
La fille aux cheveux noirs et aux lèvres très minces
Que nous connaissons tous sans l’avoir rencontrée
Ailleurs que dans nos rêves. D’un doigt sec elle pince
Les boyaux palpitants de nos ventres crevés.
VÉRONIQUE
La maison était rose avec des volets bleus,
Je voyais dans la nuit les traits de ton visage
L’aurore s’approchait, j’étais un
peu nerveux,
La lune se perdait dans un lac de nuages
Et tes mains dessinaient un espace invisible
Où je pouvais bouger et déployer mon corps
Et je marchais vers toi, proche et inaccessible,
Comme un agonisant qui rampe vers la mort.
Soudain tout a changé dans une explosion blanche,
Le soleil s’est levé sur un nouveau royaume;
Il faisait presque chaud et nous étions dimanche,
Dans l’air ambiant montaient les harmonies d’un psaume.
Je lisais une étrange affection dans tes yeux
Et j’étais très heureux dans ma petite niche;
C’était un rêve tendre et vraiment lumineux,
Tu étais ma maîtresse et j’étais ton caniche.
Un champ d’intensité constante
Balaie les particules humaines
La nuit s’installe, indifférente;
La tristesse envahit la plaine.
Où retrouver le jeu naïf?
Où et comment? Que faut-il vivre?
Et à quoi bon écrire des livres
Dans le désert inattentif?
Les serpents rampent sous le sable
(Toujours en direction du Nord)
Rien dans la vie n’est réparable,
Rien ne subsiste après la mort.
Chaque hiver a son exigence
Et chaque nuit, sa rédemption
Et chaque âge du monde, chaque âge a sa souffrance,
S’inscrit dans la génération.
Ainsi, générations souffrantes,
Tassées comme des puces d’eau
Essaient de compter pour zéro
Les capteurs de la vie absente
Et toutes échouent, sans trop de drame,
La nuit va bien recouvrir tout
Et l’épuisement monogame
D’un corps enfoncé dans la boue.
UN ÉTÉ À DEUIL-LA-BARRE
Reptation des branchages entre les fleurs solides,
Glissement des nuages et la saveur du vide:
Le bruit du temps remplit nos corps et c’est dimanche,
Nous sommes en plein accord, je mets ma veste blanche
Avant de m’effondrer sur un banc de jardin
Où je m’endors, je me retrouve deux heures plus loin.
Une cloche tinte dans l’air serein
Le ciel est chaud, on sert du vin,
Le bruit du temps remplit la vie;
C’est une fin d’après-midi.
MAISON GRISE
Le train s’acheminait dans le monde extérieur,
Je me sentais très seul sur la banquette orange
Il y avait des grillages, des maisons et des fleurs
Et doucement le train écartait l’air étrange.
Au milieu des maisons il y avait des herbages
Et tout semblait normal à l’exception de moi
Cela fait très longtemps que j’ai perdu la joie
Je vis dans le silence, il glisse en larges plages.
Le ciel est encore clair, déjà la terre est sombre,
Une fissure en moi s’éveille et s’agrandit
Et ce soir qui descend en Basse-Normandie
A une odeur de fin, de bilan et de nombre.
CRÉPUSCULE
Des masses d’air soufflaient entre les bosquets d’yeuses,
Une femme haletait comme en enfantement
Et le sable giflait sa peau nue et crayeuse,
Ses deux jambes s’ouvraient sur mon destin d’amant.
La mer se retira au-delà des miracles
Sur un sol noir et mou où s’ouvraient des possibles
J’attendais le matin, le retour des oracles,
Mes lèvres s’écartaient pour un cri invisible
Et tu étais le seul horizon de ma nuit;
Connaissant le matin, seuls dans nos chairs voisines,
Nous avons traversé, sans souffrance et sans bruit,
Les peaux superposées de la présence divine
Avant de pénétrer dans une plaine droite
Jonchée de corps sans vie, nus et rigidifiés;
Nous marchions côte à côte sur une route étroite,
Nous avions des moments d’amour injustifié.
SOIR SANS BRUME
Quand j’erre sans notion au milieu des immeubles
Je vois se profiler de futurs sacrifices,
J’aimerais adhérer à quelques artifices,
Retrouver l’espérance en achetant des meubles
Ou bien croire à l’Islam, sentir un Dieu très doux
Qui guiderait mes pas, m’emmènerait en vacances,
Je ne peux oublier ce parfum de partance
Entre nos mots tranchés, nos vies qui se dénouent.
Le processus du soir alimente les heures,
Il n’y a plus personne pour recueillir nos plaintes;
Entre les cigarettes successivement éteintes,
Le processus d’oubli délimite le bonheur.
Quelqu’un a dessiné le tissu des rideaux
Et quelqu’un a pensé la couverture grise
Dans les plis de laquelle mon corps s’immobilise;
Je ne connaîtrai pas la douceur du tombeau.
Quand la pluie tombait en rafales
Sur notre petite maison
Nous étions à l’abri du mal,
Blottis auprès de la raison.
La raison est un gros chien tendre
Et c’est l’opposé de la perte
Il n’y a plus rien à comprendre,
L’obéissance nous est offerte.
Donnez-moi la paix, le bonheur
Libérez mon cœur de la haine
Je ne peux plus vivre dans la peur,
Donnez-moi la mesure humaine.
L’aube grandit dans la douceur
Le lait tiédit, petites flammes
Vibrantes et bleues, petites sœurs
Lait gonflé comme un sein de femme
Et le bruit du percolateur
Dans le silence de la ville;
Vers le Sud, l’écho d’un moteur;
Il est cinq heures, tout est tranquille.
Il existe un pays, plutôt une frontière,
Où la lumière est douce et pratiquement solide
Les êtres humains échangent des fragments de lumière,
Mais ils n’ont pas la moindre appréhension du vide.
La parabole du désir
Remplissait nos mains de silence
Et chacun se sentait mourir,
Nos corps vibraient de ton absence.
Nous avons traversé des frontières de craie
Et le second matin le soleil devint proche
Il y avait dans le ciel quelque chose qui bougeait,
Un battement très doux faisait vibrer les roches.
Les gouttelettes de lumière
Se posaient sur nos corps meurtris
Comme la caresse infinie
D’une divinité – matière.
LES OPÉRATEURS CONTRACTANTS
Vers la fin d’une nuit, au moment idéal
Où s’élargit sans bruit le bleu du ciel central
Je traverserai seul, comme à l’insu de tous,
La familiarité inépuisable et douce
Des aurores boréales
Puis mes pas glisseront dans un chemin secret,
À première vue banal
Qui depuis des années serpente en fins dédales,
Que je reconnaîtrai.
Ce sera un matin apaisé et discret;
Je marcherai longtemps, sans joie et sans regret,
La lumière très douce des aubes hivernales
Enveloppant mes pas d’un sourire amical;
Ce sera un matin lumineux et secret.
L’entourage se refuse au moindre commentaire;
Monsieur est parti en voyage.
Dans quelques jours sûrement il y aura la guerre;
Vers l’Est le conflit se propage.
r /> LA LONGUE ROUTE DE CLIFDEN
À l’Ouest de Clifden, promontoire,
Là où le ciel se change en eau
Là où l’eau se change en mémoire,
Tout au bord d’un monde nouveau
Le long des collines de Clifden,
Des vertes collines de Clifden,
Je viendrai déposer ma peine.
Pour accepter la mort il faut
Que la mort se change en lumière
Que la lumière se change en eau
Et que l’eau se change en mémoire.
L’Ouest de l’humanité entière
Se trouve sur la route de Clifden,
Sur la longue route de Clifden
Où l’homme vient déposer sa peine
Entre les vagues et la lumière.
Le maître enamouré en un défi fictif
N’affirme ni ne nie en son centre invisible
Il signifie, rendant tous les futurs possibles
Il établit, permet un destin positif.
Ressens dans tes organes la vie de la lumière!
Respire avec prudence, avec délectation
La voie médiane est là, complément de l’action,
C’est le fantôme inscrit au cœur de la matière
Et c’est l’intersection des multiples émotifs
Dans un noyau de vide indicible et bleuté
C’est l’hommage rendu à l’absolue clarté
La racine de l’amour, le cœur aperceptif.
PASSAGE
I. Des nuages de pluie tournoient dans l’air mobile,
Le monde est vert et gris; c’est le règne du vent.
Et tout sens se dissout hormis le sens tactile …
Le reflet des tilleuls frissonne sur l’étang.
Pour rejoindre à pas lents une mort maritime,
Nous avons traversé des déserts chauds et blancs
Unreconciled Page 12