Bohemian Flats

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Bohemian Flats Page 29

by Mary Relindes Ellis


  Même si Raymond ne l’y avait jamais emmené, il avait parlé à Eberhard de son bordel préféré à l’angle de Selby Street et Dale Street. Il lui avait aussi donné trois préservatifs par mesure de précaution. Eberhard, curieux, s’y était alors rendu. L’expérience s’était avérée excitante et agréable, mais les préservatifs avaient diminué les sensations qu’il goûtait en utilisant sa seule main. Une autre chose manquait également à cette expérience.

  — Dieu du Ciel ! Tu es un moine, comme ton père ! s’était exclamé Raymond quand il avait essayé de lui expliquer son manque d’enthousiasme.

  — Papa n’a pas grand-chose d’un moine, avait-il rétorqué en songeant aux gémissements de plaisir qu’il avait toute sa vie entendus résonner dans la chambre de ses parents.

  Ce souvenir l’avait fait réfléchir aux ressemblances qu’il pouvait bien avoir avec son père.

  — C’est vrai, je suis comme lui. Il faut que ce soit une femme en particulier. J’ai besoin de ça ici aussi, avait-il remarqué en se tapotant la tête.

  Une expression de désir mélancolique était alors apparue sur le visage de son oncle.

  — Tout le monde n’a pas autant de chance que ton père.

  Eberhard n’a pas eu de rapports sexuels depuis sa dernière visite au bordel, ce qui n’est sans doute pas très normal pour un garçon de son âge. Mais entre ses études et le travail, il est très occupé. L’une de ses premières occupations, sur les Flats, consistait à entraîner les chevaux de Honza. Eberhard a hérité du savoir-faire de son père avec les animaux, surtout les chevaux ; Honza lui a fait confiance dès le début. Honza n’hésite pas non plus à l’envoyer avec son fils Marek effectuer des livraisons. Eberhard a par ailleurs installé une nouvelle plate-forme de pêche avec l’aide de Raymond, et à l’automne il drague le fleuve dans l’espoir de capturer des esturgeons et des poissons-spatules, tout en chantant la chanson que Kyle leur a apprise, à Frank et lui, lorsqu’ils étaient enfants. Il implore Väinämöinen de l’aider à remonter de gros poissons sur la rive. Avec la permission des habitants du village, il a remis en état le vieux fumoir de Kyle et c’est désormais lui qui fournit du poisson fumé à l’occasion de Noël et de la Morena. Il revend les excédents en ville, au même épicier que Kyle, ce qui ajoute à ses économies.

  Il apprend aussi à jouer de la balalaïka grâce à Sergueï Demidov, un immigré russe de trente ans qui a fui son pays en février 1905, après que son père, sa mère et ses trois frères ont trouvé la mort dans le massacre du Dimanche rouge. Une fois arrivé en Finlande, Sergueï a traversé la Suède et la Norvège, puis trouvé un billet pour traverser l’Atlantique à bord d’un navire au départ d’Oslo. Tout comme Ian Brock, il a parcouru le Canada depuis le New Brunswick avant d’entrer par les Grands Lacs pour arriver à Chicago, où il a travaillé plusieurs mois dans les abattoirs. C’est un autre Russe qui lui a dit de partir vers le nord jusqu’à Minneapolis, où il y avait beaucoup de travail dans les manufactures et les usines. Tout au long de son voyage, Sergueï a gardé sur lui la balalaïka de son père et, lors de son installation sur les Flats, il a fait savoir à tous qu’il tuerait quiconque la lui volerait. Après avoir entendu Sergueï en jouer, Honza a déclaré qu’il fallait accepter ce nouveau venu et son instrument qui viendrait enrichir l’orchestre accompagnant la Morena et les autres fêtes.

  Il ouvre les yeux, se redresse et essuie les miettes sur son pantalon. Il regarde le ciel. Il doit être environ dix heures. Les gens vont bientôt commencer leur journée, son oncle va se réveiller et chercher à savoir où il est. Tout en rebroussant chemin, il se demande si son oncle a quelqu’un dans sa vie. Raymond n’était toujours pas dans son état normal quand Eberhard est arrivé au printemps dernier : il se sentait encore coupable de son divorce. Mais six mois plus tard, il avait retrouvé toute sa concupiscence. Raymond garde ses liaisons au sein des limites de la ville et ne ramène jamais de femme chez lui. Ces derniers temps, pourtant, il semble tracassé par autre chose ; il a passé l’essentiel de ses soirées à la maison. Eberhard ignore de quoi il s’agit ; il lui arrive seulement de surprendre Raymond les yeux rivés sur le lointain.

  Il s’arrête chez Honza afin de prendre le fameux remède de Žena contre la gueule de bois et que Honza appelle « la mort du cochon ». Il promet d’apporter l’argent plus tard.

  Il trouve Raymond assis à la table de la cuisine, la tête entre les mains. Lorsqu’il lève les yeux, Eberhard lui tend le flacon de liquide visqueux.

  — Non merci. Je crois que je vais supporter, répond Raymond.

  — Pourquoi ?

  — Parce que si je bois cette potion, j’ai peur de tuer le cochon que je suis !

  *

  * *

  C’est un lundi soir, le lendemain de l’assassinat de l’archiduc d’Autriche. Tous écoutent Eberhard lire à voix haute les articles du St. Paul Pioneer Press et des journaux de Minneapolis. Raymond et Eberhard sont attablés au bord du fleuve en compagnie de Honza, Radim, Ian et Sergueï. Tout en écoutant, Raymond regarde l’eau onduler de façon aussi langoureuse qu’un couple sorti se promener un dimanche après-midi sur le pont.

  — Ils ont tiré sur sa femme également, dit Eberhard avant de replier le journal.

  — Un Serbe, précise Honza. Si l’archiduc était parti à Prague au lieu de Sarajevo, ç’aurait pu être un Tchèque.

  — Alžběta te giflerait si elle était là. Elle te répondrait que les Tchèques ne sont pas des assassins, dit Raymond.

  — Parce que les Serbes sont des assassins ? rétorque Honza. Chaque pays a son point d’ébullition.

  — Les Balkans sont en ébullition depuis un moment. Qu’est-ce qui te rend si loyal vis-à-vis des Serbes ?

  — Ce n’est pas de la loyauté. Ils ont souffert sous les Habsbourg comme les Tchèques. En définitive, pour les Habsbourg, c’est terminé. Comme pour le tsar.

  Honza vide son verre d’un trait ; Radim se penche, le pichet à la main, et le remplit de nouveau.

  Raymond lance un regard à Sergueï, qui caresse les cordes de sa balalaïka. Le jeune Russe a l’air bien maussade.

  — Tu comprends que ça pourrait déclencher une guerre ?

  — Ce serait nouveau ? répond Honza. Ça fait longtemps que les Autrichiens et les Hongrois tentent de conquérir les Balkans et ils n’ont pas encore réussi.

  Raymond fait signe à Radim de le resservir également. Il est soulagé que Honza s’imagine un conflit limité aux Balkans : il n’a pas envie de lui en expliquer les ramifications. Mais il se rappelle la lettre de Richter qu’il a reçue en janvier dernier :

  « La guerre est imminente. Nul besoin d’être un génie pour comprendre que le Kaiser attend l’occasion qui lui permettra de justifier l’invasion de la Belgique et, à partir de là, celle de la France. Nous ne pouvons pas quitter l’Allemagne maintenant. Le mari de Rose a été enrôlé de force. Rose refuse de partir sans lui ; quant à Adelinde, Amalia et Eva, elles refusent de partir sans moi, malgré mes supplications. Je suis lié par les obligations professionnelles de mon frère. Ce sont ces mêmes obligations qui, ironiquement, m’ont empêché de davantage veiller sur la famille. En ce moment, tous les socialistes sont suspects. Nous ne pouvons même pas partir pour l’Angleterre, en raison de l’hystérie anti-allemande qui sévit là-bas. Par conséquent, nous endurerons ce qui se prépare. »

  Raymond, horrifié, a aussitôt écrit à sa mère pour lui demander de quitter le pays. Il lui a parlé d’un couvent de franciscaines non loin de Minneapolis – les sœurs franciscaines de Little Falls, dans le Minnesota. Tout comme Richter, elle refuse de partir, mais pour une raison différente : elle est désormais révérende mère et doit demeurer loyale au couvent d’Augsbourg, où elle exerce ses devoirs.

  — Alors, monsieur le Professeur, dit Ian, que croyez-vous qu’il va se passer ?

  Raymond regarde Eberhard droit dans les yeux : il voudrait qu’on pose la question à son neveu. Deux jours plus tôt, Eberhard lui a confié avoir rejoint la garde nationale du Minnesota en ajoutant qu’il p
asserait trois semaines en juillet, puis trois semaines en août, à s’entraîner au fort Snelling, à Saint Paul. Raymond a alors été pris d’une colère dont il ne se savait pas capable. Il l’a plaqué contre la porte de la cuisine et lui a donné une gifle.

  — Tu es fou !

  — Oncle Raymond, c’est la garde nationale. Pas l’armée. Cela signifie que si nous sommes attaqués sur ce territoire, je serai de ceux qui le défendront. Je ne suis pas le seul. Marek l’a rejointe aussi. Et quatre autres étudiants comme moi.

  — Mais tu n’as que dix-sept ans, pas dix-huit.

  — L’âge minimum, c’est dix-sept.

  — Avec la permission d’un tuteur ou d’un parent. Tu as contrefait ma signature, hein ?

  — Toi, tu as bien quitté la maison à seize ans, a rétorqué Eberhard en se dégageant.

  Raymond s’est pris la tête entre les mains.

  — Bon Dieu ! C’était différent. Très différent. Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? Défendre ce pays, ça veut dire aussi défendre ses intérêts, pas seulement ses frontières. Le Canada, ce n’est pas un problème, mais le Mexique, si ; et les troubles là-bas ne font qu’empirer. Sans compter que la situation empire aussi en Europe. La garde nationale n’est rien de moins qu’une armée.

  — Tu défendrais ce pays si tu le devais. Si quelqu’un attaquait les Flats, tu les défendrais.

  — C’est autre chose, a-t-il répondu d’un ton agacé. As-tu déjà écrit à tes parents ?

  Raymond pensait à la réaction de son frère : Albert le tiendrait pour responsable.

  — Non.

  — Ce n’est pas moi qui vais le leur dire. C’est ta responsabilité. Il faudra que tu le leur annonces, à un moment ou à un autre. Et tu ferais mieux de leur avouer que tu as contrefait ma signature.

  Il s’est interrompu un instant, plongé dans ses pensées.

  — Il se pourrait que la garde nationale ne t’emballe plus tant que ça, une fois que tu auras terminé l’entraînement de base.

  Tous attendent la réponse de Raymond. Celui-ci est accablé par un sentiment de peur. Sa vie va changer – de quelle manière, il l’ignore. Sans ses obligations de professeur et d’oncle, il suivrait l’impulsion du moment : il se déshabillerait, s’avancerait dans le fleuve et se laisserait flotter au gré du courant, laissant l’eau décider de son avenir.

  — Je ne sais pas, finit par répondre Raymond.

  Et il est sincère.

  *

  * *

  Le 3 août, l’Allemagne envahit la Belgique ; la France et l’Angleterre lui déclarent alors la guerre. Le courrier en provenance d’Allemagne n’est plus distribué et, à l’instar de Magdalena et Albert, Raymond est bouleversé à l’idée de ne pas avoir de nouvelles de sa mère et des Richter. Mais le premier trimestre de cours débute et il est bientôt débordé par son enseignement, ce dont il est heureux : il n’a plus le temps de trop s’inquiéter.

  Un jour qu’il est occupé à corriger des devoirs, la secrétaire du département frappe à la porte : elle lui remet une lettre oblitérée à Londres, mais qui ne porte aucun nom d’expéditeur. Il la range dans sa serviette, impatient de finir ses corrections. En rentrant chez lui le soir, il trouve un mot sur la table. Eberhard a fini d’étudier et il est à son travail, un emploi à temps partiel comme aide tonnelier. Il a laissé à Raymond une assiette chaude de saucisses, de chou aigre et de pommes de terre avec du beurre. Raymond est sur le point d’attaquer son dîner lorsqu’il se rappelle brusquement la lettre. Dès la première ligne, il se retrouve confronté à un passé qui n’est pas si lointain. Une rencontre mémorable, mais qu’il avait jugée sans conséquence, en octobre 1911.

  Raymond avait sollicité et obtenu une modeste bourse pour aller à Oxford donner une conférence sur les migrations dans l’Histoire, à l’occasion d’un congrès. Il avait écrit à Richter pour lui signifier qu’il serait à Londres et demander si Frau Richter et lui pourraient l’y rejoindre. Les Richter avaient répondu et confirmé leur passage, en ajoutant qu’ils manqueraient sa conférence à un jour près.

  Raymond n’était alors que professeur assistant ; il avait donc fait une intervention mineure face à un auditoire clairsemé. Assis dans un des rangs du milieu, un certain M. Kell l’écoutait avec attention. À la fin de sa conférence, ce dernier avait attendu que Raymond ait fini de s’entretenir avec trois historiens, puis il s’était présenté. Les deux hommes avaient bavardé un peu et Kell avait été très surpris en découvrant de quel pays Raymond était originaire.

  — Je n’aurais jamais deviné que vous n’étiez pas né en Amérique. Vous n’avez aucun accent.

  — En fait, si, l’accent du Middle West, mais je ne sais pas l’expliquer. Je ne suis pas tellement versé dans la linguistique, même si je sais adopter différents accents.

  — Können Sie Deutsch sprechen ? avait demandé Kell.

  — Ja, je parle allemand ; je parle aussi couramment le français et je me débrouille en tchèque et en slovaque.

  Ce soir-là, Kell l’invita à un concert du London Orchestra, mais avant cela, ils prirent un thé chez lui. Au cours de leur conversation, Raymond apprit que Kell était officier dans l’armée. Son père était un ancien combattant qui avait été décoré pour avoir servi durant les guerres contre les Zoulous. Quant à sa mère, c’était la fille d’un comte polonais ; mais ils avaient divorcé. Kell avait reçu une instruction raffinée : école privée, puis voyages à travers l’Europe et même certaines régions de la Russie. Après son mariage, sa femme et lui étaient allés en Chine apprendre la langue et ils avaient assisté à la révolte des Boxers. Il parlait cinq langues et avait en outre fait des études de linguistique. Raymond était sur le point de lui demander quel était son rôle dans l’armée lorsqu’il remarqua par hasard le livre posé sur la table près du canapé : L’Invasion de 1910, de William Le Queux.

  — Êtes-vous amateur de romans d’espionnage ?

  — Pas vraiment. Ce livre est un cadeau, répondit Kell. Je vois à votre mine qu’il ne vous plaît pas beaucoup.

  — J’ai rarement le temps de lire des romans, et moins encore des histoires d’espionnage. Mais un de mes collègues, qui en raffole, m’a quasiment forcé à lire celui-ci.

  — Qu’en avez-vous pensé ?

  Raymond hésita. Il était conscient du sentiment anti-allemand qui ne cessait de s’amplifier en Angleterre. Il ne l’avait pas ressenti lors du congrès mais, là encore, il avait été présenté en tant que professeur américain. Et Kell était officier de l’armée britannique.

  — Je crois qu’il exagère, c’est le moins qu’on puisse dire. Si les espions allemands représentaient une menace pour l’Angleterre, cette prose ampoulée et tous ces scandales qu’elle prétend révéler nuiraient gravement à l’Angleterre en affaiblissant les moyens dont elle dispose pour combattre la menace. Historiquement, l’un des plus grands espions était sir Francis Walsingham, qui aurait considéré Le Queux comme un idiot, je parie. Walsingham, qui travaillait pour Élisabeth Ire, était un maître du secret et de la dissimulation.

  Raymond s’interrompit, gêné. Il n’avait pas eu l’intention de donner une conférence sur un ton si professoral.

  — Je vous présente mes excuses. Vous connaissez votre Histoire bien mieux que moi. Je ne voulais pas vous offenser.

  — Nul besoin d’excuses. Je ne suis pas offensé le moins du monde. Ma femme lit ce livre en ce moment. Le Queux est un auteur populaire, c’est même l’un des préférés de la reine Alexandra. Croyez-vous qu’il n’y ait aucune vérité dans ses conjectures* ?

  — Je ne dirais pas cela. Seulement que son intention est d’exploiter les préjugés et, ce faisant, de gagner de l’argent.

  Il prit le livre, regarda la couverture et se mit à rire.

  — Ses écrits me rappellent les romans de Karl May que j’adorais quand j’étais petit. Mais, un jour, Herr Professor Richter a anéanti mon admiration d’un seul coup. Il m’a dit que Karl May n’avait même pas mis les pieds dans l’ouest des États-Unis e
t qu’il doutait qu’il ait jamais rencontré un Indien pendant son bref séjour à New York. Il a dit aussi que c’était un écrivain exécrable. Et c’était vrai.

  — Vous avez été un étudiant de Herr Doktor Richter ?

  — Oui. Mon frère Albert également. Il a d’ailleurs épousé sa fille aînée.

  — J’aurais bien aimé étudier avec lui. Un homme brillant. Et loin d’être conformiste, ce que j’admire.

  — Frau Richter et son épouse seront ici demain.

  — Me serait-il possible de faire leur connaissance ? demanda Kell.

  — Certainement. Puis-je leur dire de venir prendre le thé ?

  Raymond regarde de nouveau la lettre. Après une brève introduction et un rappel de l’endroit où ils se sont rencontrés, Kell écrit : « Cela vous intéresserait-il d’aider le gouvernement anglais dans le cadre de son effort de guerre ? Je tiens de bonne source que je puis vous le demander. » La formulation est ambiguë, mais Raymond sait qu’on ne vient pas le chercher pour effectuer le service militaire traditionnel : ce sont ses aptitudes en langues et sa connaissance de l’Allemagne qui sont précieuses. Kell travaille sans doute dans les services secrets britanniques, mais c’est tout de même étrange qu’il sache où vont ses sympathies. Soudain, il comprend : Richter a dû le lui dire. Les deux hommes se sont immédiatement bien entendus et les Richter sont restés une semaine à Londres après le départ de Raymond. Son ancien professeur a beau n’avoir jamais mentionné Kell dans ses lettres depuis ce voyage, Raymond est désormais certain que les deux hommes sont restés en contact.

  Il s’aperçoit soudain que le papier est taché de graisse en son milieu : il restait un tout petit peu de beurre sur le couteau qu’il a utilisé pour ouvrir l’enveloppe. Il pense à l’éclaboussure de café sur la lettre que Richter lui a écrite en janvier, ce qui lui avait permis de deviner l’humeur du professeur avant même de lire sa missive : il devait être si préoccupé et si contrarié en écrivant qu’il avait mal évalué la distance séparant sa tasse de sa bouche. Raymond imaginait exactement ce qui avait dû se passer : le café avait coulé sur sa chemise, puis sur le papier, où il avait brouillé un peu d’encre. Comme Richter avait déjà écrit l’essentiel de sa lettre, il n’avait sans doute pas eu envie de recommencer. Il avait donc soigneusement tamponné le papier, puis l’avait secoué pour le faire sécher avant de réécrire les passages effacés. C’était la dernière ligne qui se distinguait du reste : elle figurait tout au bas de la feuille, demeuré intact.

 

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