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Le Calvaire

Page 8

by Octave Mirbeau


  – Eh bien ! Eh bien ! criai-je, c’est comme cela qu’on me reçoit ?

  Dès qu’ils m’eurent aperçu, Félix s’en alla comme effaré, et Marie, toute blanche, poussa un cri.

  – Qu’y a-t-il donc ? demandai-je, le cœur serré… Et mon père ?

  La vieille fille me regarda fixement.

  – Comment, vous ne saviez pas ?… Vous n’aviez rien reçu ?… Ah ! mon pauv’ Monsieur Jean ! mon pauv’Monsieur Jean !

  Et, les yeux pleins de larmes, elle étendit le bras dans la direction du cimetière.

  – Oui ! Oui ! c’est là qu’il est, maintenant, avec Madame, fit-elle d’une voix sourde.

  Chapitre 3

  – Toc, toc, toc !

  Et, en même temps, dans l’entre-bâillement de la porte, une petite capote de loutre se montra, puis deux yeux souriants, sous une voilette, puis un long manteau de fourrure, qui dessinait un corps mince de jeune femme.

  – Je ne vous dérange pas ?… On peut entrer ?

  Le peintre Lirat leva la tête.

  – Ah ! c’est vous, Madame ! dit-il d’un ton bref, presque irrité, en secouant ses mains salies de pastel… mais oui, certainement… Entrez donc !

  Il quitta son chevalet, offrit un siège.

  – Charles va bien ? demanda-t-il.

  – Très bien, je vous remercie.

  Elle s’assit, toujours souriante, et son sourire vraiment était charmant et triste. Quoique voilés de gaze, ses yeux clairs, d’un bleu rose, ses yeux très grands qui l’illuminaient toute, me parurent d’une douceur infinie… Elle était mise fort élégamment, sans recherches prétentieuses. Un peu trop parfumée pourtant… Il y eut un moment de silence.

  L’atelier du peintre Lirat, situé dans une cité tranquille du faubourg Saint-Honoré, la cité Rodrigues, était une vaste pièce nue, aux murs gris, aux charpentes visibles, sans meubles. Lirat l’appelait familièrement « son hangar ». Un hangar, en effet, où la bise soufflait, où la pluie tombait du toit par de petites crevasses. Deux longues tables, en bois blanc, supportaient des boîtes de pastel, des cahiers, des blocs, des manches d’éventails, des albums japonais, des moulages, un fouillis d’objets inutiles et bizarres. Près d’une armoire-bibliothèque, tapissée de vieux journaux, dans un coin, beaucoup de cartons, de toiles, d’études qui montraient le châssis. Un divan fort délabré, rendant des sons de piano désaccordé, dès qu’on faisait mine de s’y asseoir ; deux fauteuils bancroches, une glace sans cadre, constituaient le seul luxe de l’atelier, qu’un jour très vibrant éclairait. L’hiver, quand il avait modèle, Lirat allumait son petit poêle de fonte, dont le tuyau coupé d’angles brusques, maintenu par des fils de fer et couvert de rouille, zigzaguait au milieu de la pièce, avant de se perdre, par un trou trop large, dans le toit. Hormis ces jours-là, même par les plus grands froids, il remplaçait le feu du poêle par une vieille pelisse d’astrakan, usée, pelée, galeuse, qu’il endossait, chaque fois, avec une ostentation manifeste. Lirat avait la vanité – une vanité enfantine – de cet atelier pauvre, et il se parait de sa nudité, comme les autres peintres de leurs peluches brodées et de leurs tapisseries invariablement historiques. Même, il l’eût désiré plus misérable encore, il en voulait au plancher de n’être pas en terre battue. « C’est à mon atelier que je reconnais les vrais amis, disait-il souvent ; ceux-ci reviennent, les autres ne reviennent pas. C’est très commode. » Il en revenait fort peu.

  La jeune femme était joliment assise sur sa chaise, le buste à peine incliné en avant, les mains enfouies dans son manchon ; de temps en temps, elle en retirait un mouchoir brodé qu’elle portait, d’un geste lent, à sa bouche que je ne voyais pas, à cause de la bordure plus épaisse de la voilette qui la cachait, mais que je devinais très belle, très rouge, d’une courbe exquise. De toute sa personne, élégante et fine, d’où, malgré le sourire qui la rendait si séduisante, se dégageait un grand air de décence et même de hauteur, je ne distinguais bien que ces admirables yeux, qui se posaient sur les objets, comme des rayons d’astre, et je suivais ce regard qui allait du plancher aux charpentes, si vibrant de clartés et de caresses. Le silence continuait, inquiétant. Je pensai que moi seul étais la cause de cette gêne et je me disposais à prendre congé, quand Lirat s’écria :

  – Ah ! pardon !… J’avais oublié… Chère madame, permettez-moi de vous présenter M. Jean Mintié, mon ami.

  Elle me salua d’un gracieux et câlin mouvement de tête et, d’une voix très douce, qui me remua délicieusement, elle dit :

  – Enchantée, Monsieur… mais, je vous connais beaucoup.

  Pendant que, très rouge, je balbutiais quelques paroles confuses et bêtes, Lirat, narquois, intervint.

  – Vous n’allez peut-être pas lui faire croire que vous avez lu son livre ?

  – Je vous demande pardon, M. Lirat… Je l’ai lu… Il est très bien.

  – Oui, comme mon atelier et comme ma peinture, n’est-ce pas ?

  – Ah ! non, par exemple !

  Elle dit cela franchement, d’un rire qui s’éparpilla dans la pièce, ainsi qu’un égosillement d’oiseau.

  Ce rire m’avait déplu. Bien que le timbre en fût sonore et hardi, il tintait faux. Je ne le trouvais pas en harmonie avec l’expression si délicatement triste de cette physionomie, et puis, il me blessait à l’égal d’une insulte, dans mon admiration pour le génie de Lirat. Je ne sais pourquoi, il m’eût été doux qu’elle s’enthousiasmât pour ce grand artiste méconnu ; qu’elle montrât, à cette minute même, un jugement hautain, des sensations supérieures à celles des autres femmes. En revanche, les façons méprisantes du peintre, son ton d’amère hostilité me choquèrent vivement, je lui en voulais de cette impolitesse affectée, de ce parti pris de grossièreté gamine qui le diminuaient à mes yeux, il me semblait. J’étais mécontent et très gêné. J’essayai de parler de choses indifférentes ; il ne me vint à l’esprit aucune idée de conversation.

  La jeune femme s’était levée. Elle fit quelques pas dans l’atelier, s’arrêta devant les études entassées l’une sur l’autre, en examina deux ou trois d’un air de dégoût.

  – Mon Dieu ! monsieur Lirat, dit-elle, pourquoi vous obstinez-vous à peindre des femmes aussi laides, aussi drôlement bâties ?

  – Si je vous le disais, répliqua Lirat, vous ne comprendriez pas.

  – Merci !… Et quand faites-vous mon portrait ?

  – Il faut demander ça à M. Jacquet, ou bien au photographe.

  – Monsieur Lirat ?

  – Madame !

  – Savez-vous pourquoi je suis venue ?

  – Pour me débiter des tendresses, je suppose.

  – D’abord !… Et puis ?

  – Alors nous jouons aux petits jeux innocents ? C’est fort délicat.

  – Pour vous prier de venir dîner, chez moi, vendredi. Voulez-vous ?

  – Vous êtes très aimable, chère madame. Mais, vendredi, précisément, cela m’est tout à fait impossible… C’est mon jour d’Institut !

  – Que vous avez donc de l’esprit !… Charles sera très chagrin de votre refus.

  – Vous lui ferez toutes mes excuses, n’est-ce pas ?

  – Eh bien, adieu, monsieur Lirat !… On gèle chez vous.

  En passant devant moi, elle me tendit la main.

  – Monsieur Mintié, je suis chez moi tous les jours, de cinq à sept… Je serai charmée de vous voir… charmée…

  Je m’inclinai en remerciant ; et elle partit, laissant dans mes oreilles un peu de la musique de sa voix ; dans mes yeux, un peu de la douceur de son regard ; et, dans l’atelier, le parfum violent de ses cheveux, de son manteau, de son manchon, de son petit mouchoir.

  Lirat s’était remis à travailler, sans prononcer une parole ; moi, je feuilletais un livre que je ne lisais point, et, sur les pages remuées, passait et repassait sans cesse l’image de la jeune visiteuse. Je ne me demandais certes pas quelle impression j’avais gardée d’elle, ni si j’en avais gardé une impression ; mais, bien qu’elle se fût en allée, elle n’était
pas partie tout entière. Il me restait de cette brève apparition quelque chose d’indécis, comme une vapeur qui aurait pris sa forme, où je retrouvais le dessin de la tête, l’inclinaison de la nuque, le mouvement des épaules, l’ondulation de la taille, et ce quelque chose me hantait… Sur la chaise qu’elle venait de quitter, je la revoyais incertaine et plus charmante, avec ce sourire tendre, lumineux, qui rayonnait d’elle, et lui faisait un halo d’amour.

  – Qui donc est cette femme ? fis-je tout d’un coup et d’un ton que je m’efforçai de rendre indifférent.

  – Quelle femme ? dit Lirat.

  – Mais celle qui sort d’ici, parbleu !

  – Ah ! oui !… mon Dieu ! c’est une femme comme les autres.

  – Je pense bien… Cela ne me dit pas comment elle s’appelle, ni qui elle est…

  Lirat fouillait dans sa boîte de pastels… Il répondit négligemment :

  – Ça vous intéresse donc, vous, de savoir comment une femme s’appelle ?… Drôle de curiosité !… Elle s’appelle Juliette Roux… quant à des renseignements biographiques, la police des mœurs vous en fournira autant que vous voudrez, j’imagine… Je présume que Mlle Juliette Roux se lève tard, qu’elle se fait tirer les cartes, qu’elle trompe et qu’elle ruine, le plus qu’elle peut, ce pauvre Charles Malterre, un brave garçon que vous avez rencontré ici, quelquefois, et dont elle est la maîtresse pour l’instant… Enfin, elle est comme les autres, avec cette aggravation qu’elle est plus jolie que beaucoup, par conséquent plus bête et plus malfaisante… Tenez, ce divan, là, où vous êtes, c’est Charles qui l’a démoli, à force de se coucher dessus et d’y pleurer des journées entières, en me racontant ses malheurs, comprenez-vous ? Un jour, il l’avait surprise avec un croupier de cercle ; un autre jour avec un cabot des Bouffes… Il y avait aussi une histoire de lutteur de Neuilly, à qui elle donnait vingt francs et les vieux pantalons de Charles. C’est plein d’idylles, ainsi que vous voyez… J’aime beaucoup Malterre, parce qu’il est bon et que sa bêtise m’attendrit… Il me faisait pitié vraiment… Mais que dire à des gens comme ça, dont l’amour est la grande affaire de la vie, et qui ne peuvent voir un dos de femme sans y coudre des ailes de rêve, et le lancer aux étoiles ?… Rien, n’est-ce pas ?… D’autant que le malheureux, au milieu de ses colères et de ses sanglots, tirait vanité de ce que Juliette eût reçu une bonne éducation… Il se vantait, en se tordant les bras de douleur, qu’elle fût sortie, non de la cuisse d’un concierge, mais de celle d’un médecin… Et il montrait des lettres d’elle, en insistant sur la correction de l’orthographe et le tour élégant des phrases !… Il semblait me dire : « Comme je souffre, mais comme c’est bien écrit. » Quelle pitié !

  – Ah ! vous les aimez, les femmes, vous ! m’écriai-je, quand il eut fini sa tirade.

  Et bêtement, j’ajoutai :

  – On dirait que vous en avez beaucoup souffert !

  Lirat haussa les épaules et sourit.

  – Vous parlez comme M. Delaunay, de la Comédie-Française… Non, mon bon ami, je n’en ai pas souffert ; j’en ai vu souffrir les autres et cela m’a suffi… comprenez-vous ?

  Soudain, sa voix s’enfla ; une lueur presque farouche brilla dans ses yeux. Il reprit :

  – Des gens, des pauvres diables comme Charles Malterre, on leur met le pied sur la gorge, ils disparaissent dans le sang, dans la boue, dans cette boue atroce pétrie des mains de la femme ; c’est malheureux, sans doute… Pourtant, l’humanité ne réclame pas ; on ne lui a rien volé… Ils disparaissent, et tout est dit… Mais des artistes, des hommes de notre race, des grands cœurs et des grands cerveaux, perdus, étouffés, vidés, tués !… Comprenez-vous ?

  Sa main tremblait, il écrasa son crayon sur la toile.

  – J’en ai connu trois, trois admirables, trois divins ; deux sont morts pendus ; l’autre, mon maître, à Bicêtre, dans un cabanon !… De ce pur génie, il ne reste qu’un paquet de chair pâle, une sorte d’animal hallucinant, qui grimace et qui hurle, l’écume aux dents !… Et dans le troupeau des avortés, combien de jeunes espoirs ont succombé sous les serres de la bête de proie ! Comptez-les donc, les lamentables, les effarés, les éclopés, ceux-là qui avaient des ailes, et qui se traînent sur leurs moignons ; ceux-là qui grattent la terre et mangent leurs ordures ! Vous-même, tout à l’heure… cette Juliette, vous la regardiez avec extase… vous étiez prêt à tout, pour un baiser d’elle… Ne dites pas non, je vous ai vu… Oh ! tenez, sortons ; c’est fini, je ne peux plus travailler.

  Il se leva, marcha dans l’atelier avec agitation. Gesticulant et colère, il bousculait les chaises, les cartons, éventrait les études à coups de pied, je crus qu’il devenait fou. Ses yeux, injectés de sang, s’égaraient ; il était tout pâle et les mots sortaient, grinçants, par saccades, de sa bouche qui se contracta.

  – Être nés de la femme, des hommes !… quelle folie ! Des hommes, s’être façonnés dans ce ventre impur !… Des hommes, s’être gorgés des vices de la femme, de ses nervosités imbéciles, de ses appétits féroces, avoir aspiré le suc de la vie à ses mamelles scélérates !… La mère !… Ah ! oui, la mère !… La mère divinisée, n’est-ce pas ?… La mère qui nous fait cette race de malades et d’épuisés que nous sommes, qui étouffe l’homme dans l’enfant, et nous jette sans ongles, sans dents, brutes et domptés, sur le canapé de la maîtresse et le lit de l’épouse…

  Lirat s’arrêta un instant ; il suffoquait. Puis, rassemblant ses mains et nouant ses doigts crispés, dans l’espace, autour d’un cou imaginaire, follement, terriblement, il cria :

  – Voilà ce qu’on devrait leur faire, à toutes, à toutes… Comprenez-vous ?… hein… dites !… à toutes.

  Et il recommença à marcher, de long en large, jurant, frappant du pied. Mais ce dernier cri de colère l’avait visiblement soulagé.

  – Voyons, mon bon Lirat, lui dis-je, calmez-vous… Que c’est bête de vous faire du mal, et à propos de quoi, je vous prie ?… Voyons, vous n’êtes pas une femme…

  – C’est vrai, aussi, vous m’avez agacé avec cette Juliette… Qu’est-ce que cela vous regardait, cette Juliette ?…

  – N’était-il pas naturel que je désirasse savoir le nom d’une personne à qui vous m’aviez présenté !… Et puis, franchement, en attendant qu’on ait inventé une machine autre que la femme pour fabriquer les enfants…

  – En attendant, je suis une brute, interrompit Lirat, qui se rassit un peu honteux, devant son chevalet, et d’une voix tout à fait apaisée, me demanda :

  – Mon petit Mintié, voulez-vous me donner un mouvement pour mon bonhomme ?… Ça ne vous ennuie pas ?… Dix minutes seulement.

  Joseph Lirat avait quarante-deux ans. Je l’avais connu, un soir, par hasard, je ne sais plus où ; et, bien qu’il ne fût pas ordinairement expansif, bien qu’il eût la réputation d’être misanthrope, insociable et méchant, il me prit, tout de suite, en affection. N’est-il point affolant de penser que nos meilleures amitiés, qui devraient être le résultat d’une lente sélection ; que les événements les plus graves de notre vie, qui devraient n’être amenés que par un enchaînement logique des causes, ne sont, la plupart du temps, que le produit instantané du hasard ? Vous êtes chez vous, dans votre cabinet, tranquillement assis devant un livre. Au dehors, le ciel est gris, l’air froid : il pleut, le vent souffle, la rue est morose et boueuse ; par conséquent, vous avez toutes les bonnes raisons du monde de ne point bouger de votre fauteuil… Vous sortez, cependant, poussé par un ennui, par un désœuvrement, par vous ne savez quoi, par rien… et voilà qu’au bout de cent pas vous avez rencontré l’homme, la femme, le fiacre, la pierre, la pelure d’orange, la flaque d’eau qui vont bouleverser votre existence, de fond en comble. Au plus douloureux de mes détresses, j’ai souvent pensé à ces choses, et souvent, je me suis dit, avec quelques amers regrets ! « Pourtant, si le soir où je rencontrai Lirat dans cet endroit oublié où je n’avais que faire assurément, je fusse resté chez moi à travailler, rêver ou dormir, je serais peut-être, aujourd’hui, l’homme le plus heure
ux de la terre, et rien de ce qui m’est arrivé ne serait arrivé. » Et cette minute d’hésitation banale, cette minute où j’ai dû me demander, indifférent : « Voyons, sortirai-je ? ne sortirai-je pas ? » cette minute a contenu l’acte le plus considérable de ma vie ; ma destinée tout entière a été réglée en cette minute brève, qui, dans mes souvenirs, n’a pas laissé plus de traces que n’en laisse au ciel le coup de vent qui abat la maison et qui déracine le chêne ! Je me souviens des plus insignifiants détails de mon existence… Tenez, je me souviens d’un costume de velours bleu, se laçant par devant, que je portais, le dimanche, étant tout petit ; je pourrais, oui, je pourrais, je vous le jure, compter, sur la soutane du curé Blanchetière, les taches de graisse, ou bien les grains de tabac qu’il laissait tomber en humant sa prise. Chose folle et déconcertante ; très souvent, même quand je pleure, même en regardant la mer, même en contemplant le soleil qui se couche sur la plaine émerveillée, je revois par un retour odieux de l’ironie qui est au fond de nos idéals, de nos rêves et de nos souffrances, je revois, sur le nez d’un vieux garde que nous avions, le père Lejars, une grosse verrue, grumeleuse et comique, avec ses quatre poils qui servaient de perchoir aux mouches… Eh bien, cette minute qui a décidé de ma vie, qui m’a coûté le repos, l’honneur, et m’a fait pareil à un chien galeux ; cette minute, j’ai beau vouloir la reconstituer, la rétablir, à l’aide d’indications physiques et d’impressions morales, je ne la retrouve pas. Ainsi, il s’est passé, dans le cours de mon existence, un événement formidable, un seul, puisque tous les autres découlent de lui, et il m’échappe absolument !… J’en ignore l’instant, le lieu, les circonstances, la raison déterminante… Alors, que sais-je de moi ?… que peuvent savoir les hommes d’eux-mêmes, s’ils sont vraiment dans l’impuissance de remonter jusqu’à la source de leurs actions ? Rien, rien, rien ! Et faudra-t-il donc expliquer les énigmes que sont les phénomènes de notre cerveau et les manifestations de notre soi-disant volonté, par la poussée de cette force aveugle et mystérieuse, la fatalité humaine ?… Mais il ne s’agit point de cela.

 

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