det_Brigitte macron l‘affranchie

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by Maëlle Brun


  L’évidence ne s’était de prime abord pas imposée à son propre entourage… Pourtant, ce 20 octobre, les Macron sont là. Ses parents sont séparés depuis 1999 – ils divorceront en 2010 –, mais ils entourent leur aîné, tout comme son frère et sa sœur. Françoise Noguès a même contribué à la préparation de l’événement, en choisissant les musiques de la cérémonie, dont la Marche de Radetzky sur laquelle les mariés sont entrés. Il faut dire qu’après des années de tensions, les relations se sont apaisées avec cette belle-fille inattendue. Malgré ses réticences initiales, elle a dû se faire une raison. Elle a compris que son fils ne varierait pas et que, face à Brigitte, « on pourrait déshabiller Laetitia Casta devant lui que cela ne lui ferait rien18 ». Elle s’est donc rangée à cet « amour complètement fusionnel » et s’est employée à mieux connaître l’enseignante, partant même dès l’année 2000 en vacances à Bagnères-de-Bigorre avec le couple et Tiphaine ! Bientôt, elle deviendra l’amie de celle qui n’a que trois ans de moins qu’elle. « Je me demande même si elle ne voit pas plus Brigitte qu’Emmanuel Macron19 », nous résume Anne Fulda. Toutes deux prendront ainsi l’habitude de déjeuner régulièrement ensemble à Paris, où Françoise Noguès s’est installée et exerce en tant que médecin-conseil à la Sécurité sociale.

  Quelques mois avant son mariage, Brigitte a elle aussi définitivement quitté Amiens, et La Providence. Jusque-là, elle se partageait entre les deux villes, s’arrangeant pour regrouper ses cours sur trois jours. Mais ses enfants désormais adultes, il n’est pas question de continuer cette vie de couple à mi-temps ! En septembre 2007, la prof de lettres fait donc sa première rentrée au très chic lycée Saint-Louis-de-Gonzague, alias « Franklin », institution catholique du XVIe arrondissement dont la mère de Bruno Le Maire a longtemps été l’une des directrices. Dans ce très sélectif temple du savoir, encore une fois sous direction jésuite, « BAM » – comme ses élèves la surnomment, pour Brigitte Auzière-Macron – trouve vite ses marques.

  Le soir, c’est cependant à une tout autre carrière qu’elle se dévoue. En août 2007, Emmanuel Macron a été nommé rapporteur adjoint de la Commission pour la libération de la croissance française, plus connue comme la Commission Attali. Et le jeune inspecteur des finances va pouvoir compter sur sa femme pour l’épauler, et l’aider à conquérir ce nouveau monde. Lorsque l’avocat Jean-Michel Darrois, qui siège également dans la Commission, les invite dans sa maison de campagne, Brigitte séduira les convives en les faisant rire dans la piscine, alors que le trentenaire est un peu guindé dans son costume-cravate20. De l’avis général, elle s’adapte vite. Mieux, elle aime les mondanités, elle qui en a été sevrée pendant des années, la bonne société amiénoise lui ayant fermé ses portes. Dans l’appartement de 80 m2 que le couple a acheté rue Falguière, dans le XVe arrondissement, elle multiplie les invitations à dîner. « C’est une femme qui met du liant », résument ses proches.

  Une aptitude au réseautage qui va aussi énormément servir son mari après son embauche à la Banque Rothschild, en septembre 2008. Les horaires y sont élastiques mais Brigitte le soutient. Il n’a de toute façon pas de jeunes enfants à la maison pour le distraire, comme le notent aujourd’hui ses amis. Cette ascension, ils sont libres de la mener en couple, jusqu’à l’Élysée, où le futur président fait ses premiers pas en mai 2012, en tant que secrétaire général adjoint. « Après quelques années, j’avais réussi à mener la vie que je voulais. Nous étions deux, inséparables, malgré les vents contraires21 », s’enflamme-t-il dans Révolution. Des bourrasques dont il fera bientôt un argument électoral, un marqueur de sa détermination. Mais, pour l’instant, le couple savoure simplement un bonheur qui lui a coûté cher. « Pour vivre notre amour, nous avons dû nous blinder contre les remarques malicieuses, les moqueries et les ragots22 », synthétise Brigitte. Ils ne regrettent néanmoins pas ce tribut. Le 20 avril 2017, lors d’une interview Snapchat, Emmanuel Macron ne dit pas autre chose. « Bonjour, Monsieur, j’ai un peu craqué sur ma prof de droit pénal. Est-ce que vous auriez un conseil ? », lui demande un internaute. Réponse du candidat ? « D’abord, il faut savoir si c’est réciproque. Si c’est le cas, allez-y. »

  Philippe Besson, op. cit.

  Paul Éluard, Au rendez-vous allemand, « Comprenne qui voudra », Éditions de Minuit, 1945.

  Anne Fulda, op. cit.

  Dans une interview à L’Obs, « Confidences littéraires », parue le 16 février 2016.

  Emmanuel Macron, op. cit.

  Dans le documentaire de Pierre Hurel, op. cit.

  Anne Fulda, op. cit.

  Entretien avec l’auteur, le 4 août 2017.

  Entretien avec l’auteur, le 11 octobre 2017.

  Auprès du Daily Mail, dans un article paru le 28 avril 2017.

  Emmanuel Macron, op. cit.

  « Appelez-moi Brigitte », op. cit.

  Entretien avec l’auteur, le 14 septembre 2017.

  Entretien avec l’auteur, le 12 septembre 2017.

  Gaspard Gantzer, La politique est un sport de combat, Fayard, 2017.

  Comme raconté par Caroline Derrien, Candice Nedelec, op. cit.

  Marc Endeweld, L’Ambigu Monsieur Macron, Flammarion, 2015.

  Anne Fulda, op. cit.

  Entretien avec l’auteur, 25 avril 2017.

  Comme raconté dans un article du Point, « Le destin de Bibi », paru le 11 mai 2017.

  Emmanuel Macron, op. cit.

  Dans un portrait du Guardian, « En orbite autour de Jupiter », paru le 20 octobre 2017.

  AU CŒUR DU POUVOIR

  « Jamais ! » Nous sommes le 20 août 2014, dans un restaurant de Los Angeles. Les Macron terminent un séjour sur la côte ouest américaine et ils ont décidé de déjeuner avec Xavier Niel et Delphine Arnault. Le quatuor se trouve à plus de 9 000 km de Paris, mais la conversation va vite se focaliser sur l’Élysée. Emmanuel Macron compte-t-il renouer avec la politique ? se demande le patron de Free. « Jamais, au grand jamais ! », jure donc son ami. Deux mois plus tôt, il a quitté ses fonctions de secrétaire général adjoint de la présidence de la République. En l’espace de quinze jours, il s’était vu écarté par François Hollande du poste de ministre du Budget (que souhaitait pourtant lui offrir Manuel Valls) et de celui de secrétaire général, au départ de Pierre-René Lemas… Et il est alors parti, non sans avoir rendu un hommage à son épouse. « Tu es le fil qui continue de me relier à la vraie vie », déclare-t-il lors de son pot de départ, après avoir loué sa « discrétion » et son « intelligence parfaite ». Dans les plans de l’ex-banquier ? S’en retourner vers le privé. Prise en charge d’un cours sur le « réformisme en Europe » à Londres et Berlin, création d’une start-up consacrée à l’enseignement sur Internet avec les incontournables Ismaël Emelien et Julien Denormandie (futurs conseiller spécial élyséen et secrétaire d’État)… Tout est prêt pour son retour de vacances. Mais Brigitte, elle, semble déjà douter de la concrétisation de ces projets. « Il va replonger ! », s’écrie-t-elle ce jour-là, face à Xavier Niel et Delphine Arnault. Elle ne s’attend pourtant pas à ce que son intuition prenne corps aussi tôt.

  Six jours plus tard, l’enseignante et son mari se baladent à vélo au Touquet, quand il reçoit l’appel qui va orienter son destin. À l’autre bout du fil, François Hollande propose à Emmanuel Macron le ministère de l’Économie, en remplacement d’un Arnaud Montebourg dont il a trouvé la « cuvée du redressement » légèrement soûlante… En voyant le chantre du made in France faire son numéro à la fête de la Rose de Frangy-en-Bresse, Brigitte avait d’ailleurs pressenti que le président allait appeler son « Manu ». Ne leur reste plus qu’à prendre leur décision – ce sera vite fait – et à se remettre en route vers Paris dans la voiture avec chauffeur mise illico à disposition. Ce soir-là, le nouveau ministre ne pourra pas rentrer directement à leur domicile du XVe arrondissement. Des photographes attendent déjà en bas de l’immeuble et il ferait mauvais genre d’être immortalisé pour ses débuts en polo et bermuda – son uniforme touqu
ettois… Brigitte Macron le sait désormais : leur vie a changé. Leurs deux vies ont changé.

  Sa « part non négociable »

  Car, pour elle aussi, l’automne se révèle mouvementé. En septembre, la prof de lettres fait sa rentrée, la huitième à Franklin. « BAM » va pourtant vite se rendre compte qu’elle n’est plus aussi libre qu’auparavant. Tout d’abord parce qu’elle n’est plus anonyme, la presse s’intéressant à son couple dès l’entrée de son mari au gouvernement. Mais aussi car l’emploi du temps de ministre d’Emmanuel Macron emporte tout. Et elle qui était connue pour passer des heures avec ses classes dans la salle d’étude, à « susciter des vocations », a désormais un autre point de mire. « Lorsque son mari est devenu ministre, elle nous a dit qu’elle serait plus prise1 », se souvient un ancien élève. Du temps où Emmanuel Macron œuvrait chez Rothschild, Brigitte avait dû composer avec certaines périodes chargées, pendant lesquelles elle le voyait peu. Alors, cette fois, elle ne compte pas se laisser distancer. La crainte qu’il ne s’épuise dans les débats houleux de sa loi controversée… Mais aussi sans doute la peur de voir la politique les éloigner peu à peu. « On a du mal à être l’un sans l’autre », rappelle-t-elle de toute façon.

  Il sollicite alors plus que jamais son avis et lui a même demandé de gérer son agenda. De semaine en semaine, la prof s’implique plus dans la vie professionnelle du locataire de Bercy – où elle a accepté de s’installer, pour ne pas ajouter du temps de trajet à des journées s’étalant déjà de 6 heures à 2 heures du matin. Compliqué, dans ces conditions, d’assurer ses dix-huit heures hebdomadaires, réparties entre l’enseignement du français et du latin aux secondes et premières L. N’étant pas insomniaque comme son mari, leurs débriefs nocturnes la laissent « dézinguée », comme elle l’avoue elle-même. « Un jour, elle m’a dit : “Je suis crevée. Je n’ai plus le temps de préparer mes cours. Je ne suis plus à la hauteur de mes élèves2” », raconte Gérard Collomb. Dès le mois de novembre, elle avoue ainsi à ses proches ne plus tenir.

  Résultat ? Si elle est décidée à finir l’année scolaire, elle prend une décision jusque-là impensable : renoncer à son métier. Un choix difficile, pour celle qui admet aujourd’hui regretter les salles de classe… Oui, mais son mari lui en a fait la requête. « Quand il m’a demandé d’arrêter, j’ai dit OK. Ça l’aide matériellement. Je m’occupe de tout ce qui concerne la vie personnelle. Je sais ce dont il a besoin3. » En juin 2015, elle se met en disponibilité de l’Éducation nationale – la disponibilité se muera vite en retraite. Et elle dit au revoir à ses élèves, qui lui offrent un maillot du PSG (un cadeau qu’Emmanuel Macron, pro-OM, ne risque au moins pas de lui piquer). Un départ à contrecœur qu’elle célèbre néanmoins en organisant une petite fête à Bercy… Sa nouvelle maison, où elle est enfin libre de prendre toute sa place.

  Novembre 2015, les caméras du « Supplément » de Canal+ suivent le ministre de l’Économie. Et en s’invitant à une réunion de travail, le journaliste Jérôme Bermyn découvre une collaboratrice inattendue. « Il y a une surprise autour de la table ! À la droite du ministre, Brigitte Macron », lance-t-il. « Mon épouse, elle n’est pas dans mon cabinet, je veux être très clair là-dessus. Elle n’est pas payée par le contribuable français », précise tout de suite le héros du jour. « Elle y passe beaucoup de son temps parce que son avis m’importe. Elle contribue aussi à une autre ambiance et je pense que c’est important. On ne travaille pas bien quand on n’est pas heureux. » Un rôle non officiel et bénévole, donc, mais pourtant bien réel. Si elle ne s’immisce pas dans les dossiers purement économiques, elle garde un œil sur tout le reste et assiste aux réunions stratégiques. L’organisation du planning ? C’est elle. L’accueil des journalistes ? Parfois elle. La relecture des discours ? Encore elle. Certains recrutements ? Toujours elle. Elle soufflera par exemple le nom de l’avocate Sophie Ferracci, qui vient remplacer en décembre 2015 Anne Rubinstein en tant que chef de cabinet.

  Brigitte est attentive à la garde rapprochée. Chaque matin, elle fait le tour des bureaux, et trouve un petit mot à dire à chacun de la quarantaine de collaborateurs présents. Un côté affable qui correspond bien à son caractère… Et qui n’est peut-être pas inutile au vu des tensions suscitées par sa présence à plein temps.

  Dans l’entourage du ministre, certains voient en effet avec amertume une part de pouvoir leur échapper. « Nous devions lui adresser nos notes en même temps qu’à lui, se souvient un conseiller. Comme elle décide autant que lui, on ne savait jamais à qui s’adresser en premier4. » Brigitte à la barre du Paquebot ? L’affirmation est sans doute excessive. Mais elle témoigne de l’importance de « Bibi » aux côtés du ministre. Invariablement assise à sa droite dans les réunions auxquelles elle assiste – un siège qu’Emmanuel Macron a, la première fois, « réservé » en y posant sa propre veste… C’est d’ailleurs à sa droite qu’elle se trouvera le 30 août 2016, lorsqu’il annonce sa démission à ses équipes. « Brigitte se joint à moi pour vous remercier parce qu’elle a fait partie de la vie du cabinet », admet-il ce jour-là. « Merci beaucoup de la place que vous m’avez donnée, vraiment », renchérit-elle en essuyant ses larmes. « Discrète, atypique mais c’était important pour nous », conclut le futur candidat.

  Une place « discrète » ? Ce n’est pas l’avis de certains membres de sa garde rapprochée, qui la trouvent au contraire disproportionnée. À Bercy, tous sont bien conscients que si Madame ne figure pas dans l’organigramme, ce n’est que pour ménager leur susceptibilité. Emmanuel Macron s’en est de toute façon ouvert en janvier 2016 au journaliste du Times Adam Sage, incrédule devant ce mélange des genres. « Elle n’est pas rémunérée par le contribuable », explique-t-il, dans ce portrait où il est défini comme « le politique qui emmène sa femme au bureau ». « Et elle n’a aucune fonction officielle, parce que cela rendrait la vie impossible à tous ceux qui ont un poste au sein du cabinet. » Un choix de forme, donc, qui ne réduit en rien son importance sur le fond. Mais pas question de s’en plaindre frontalement à leur boss : tous savent que Brigitte est sa « part non négociable ». Côté privé comme professionnel.

  Une influence que l’enseignante tente constamment de minimiser. Sur Canal+, dans le reportage du « Supplément », elle dément ainsi être « un aiguillon pour lui ». « Pas du tout. Il sait faire, il n’a besoin de personne », répond-elle. Avant de se reprendre, et de désigner les collaborateurs autour de la table : « Si, il a besoin d’eux. » Mieux vaut ne froisser personne ! Aujourd’hui encore, elle assure qu’il n’écoute pas toujours les idées qu’elle lui donne. Sauf que, depuis vingt ans, elle est celle qu’il consulte constamment. « Il ne fait rien sans lui demander son avis. Du recrutement d’un collaborateur au choix d’un costume ou d’une coupe de cheveux5 », analyse un proche. Et leur entourage se plaît à souligner le rapport intellectuel qui lie ce couple fusionnel, « en osmose ». On cite même Brigitte comme l’un des « maîtres à penser » d’Emmanuel Macron, au même titre que l’ont été le philosophe Paul Ricœur puis Michel Rocard… Un alter ego chez qui il trouve, finalement, autant d’écoute que d’exigence.

  Car Brigitte est aussi la seule à pouvoir lui remettre les pendules à l’heure. Emmanuel Macron ne s’étant pas encore autoproclamé « maître des horloges », cela peut être utile. Surtout au sein d’une équipe où il suscite une admiration aussi enthousiaste – en atteste le nombre de collaborateurs de Bercy qui le suivront dans l’aventure En Marche !. « Elle est l’une des seules à lui dire quand il se plante. Ça le change des flatteurs qui lui serinent toute la journée qu’il est formidable6 », résume crûment un proche. Il la malmène dans une réunion ? « Tu ne me parles pas comme ça ! », n’hésite-t-elle pas à lui opposer. Il compare, dans le Wall Street Journal, son ancien métier de banquier d’affaires à celui de prostituée, puisque « le boulot, c’est de séduire7 » ? Son épouse ne se prive pas de le contredire. « Ce n’est pas très aimable pour les prostituées », lui lâche-t-elle, lors d’un dîner entre amis. Ces
« échanges musclés », elle-même les revendique.

  Au-delà du couple, les Macron forment donc une équipe dont on reconnaît l’unité au ministère… Mais aussi hors de ses murs. Le 2 juin 2015, Brigitte Macron a ainsi fait une première sortie publique extrêmement remarquée. Quelques semaines plus tôt, elle a annoncé son départ de Franklin. Et elle est libre de s’afficher au bras de son mari, délivrée du regard de ses élèves et de son « obligation » de discrétion. Un dîner d’État avec Felipe et Letizia d’Espagne est justement organisé à l’Élysée : ça tombe à pic. Robe noire courte et hauts talons pour elle, costume et mine ravie pour lui… Ce soir-là, le couple s’avance main dans la main et pose sur le perron du palais. Pour un premier cliché officiel, c’est royal ! Voire présidentiel, dans une France qui n’a plus de First Lady depuis un an et demi, et la fracassante éviction de Valérie Trierweiler. Un mois plus tard, les Macron remettent ça à la garden-party élyséenne du 14 Juillet où elle apparaît en robe, escarpins et sac Louis Vuitton. Un total look que certains trouveront « too much ». « On m’a appris à porter de belles robes quand je suis invitée », a-t-elle pour habitude de répliquer aux remarques sur ses choix vestimentaires.

 

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