by Jean Cocteau
À L’ANCRE BLEUE
L’erreur judiciaire porte sur les mots ancre ou encre. En réalité le marin attendait une lettre écrite, non à l’encre bleue mais À L’ANCRE BLEUE, enseigne d’un bar du port. Par une malchance fatale, après le crime, la police ramassa, près du col de la vareuse du marin français, un stylographe de marin américain, rempli d’encre bleue. Il est admissible, ensuite, que le marin, mais lequel? s’étam endormi sans éteindre, la femme, l’ail collé au trou de serrure, ait vu, du corridor, sur l’épaule ou plutôt sur la surface d’épaule ayant la forme capricieuse du trou de serrure, une ancre de ce bleu magique employé par les tatoueurs chinois et facile à confondre avec l’encre Waterman.
AT THE BLUE ANCHOR
The judicial error involves the words anchor or ink. In fact the sailor was waiting for a letter written not in blue ink but in THE BLUE ANCHOR, the name of a harbour bar. As ill luck would have it, after the crime, the police picked up from the floor, near the collar of the French sailor’s jacket, a fountain-pen belonging to an American sailor, full of blue ink. It is possible, then, that the sailor (but which one?), having fallen asleep without the woman with her eye glued to the keyhole putting out the lamp, should have seen, from the corridor, on the shoulder or rather on the surface of the shoulder which had the capricious shape of a key-hole, an anchor of the magic blue employed by Chinese tattooists and easy to confuse with Waterman ink.
DÉSESPOIR DU NORD
Ce soir je chante, fécond pour moi, cygne.
Un bateau d’enfant. Ophélie au fil
De l’eau. Bats le lit, ô fée
Méchante. Une aubade.
Rien que l’aérostat, cible soutenue
Par les anges de l’église:
Paysage invisible à l’æil nu
Si tu changes de fauteuil, aérien visage.
Le mollet, dur nuage en perspective
Fausse du périscope, et le ballet de Faust
Où la soucoupe s’envolait: Péri
De l’hallali du littoral.
Accepte d’un fumeur la bague d’ombre
Et le sceptre. S’il meurt, vécûmes.
Dans le housse d’algues et d’ambre
Où l’on écume les heures.
C’est mon corps ouvert en deux qui parle.
Versez encore ce vin ignoble
D’eux, les vignobles qui décorent
La véranda en perles de verre, et les douves.
Debout ! écorché vif, nuit des caves,
Où le soleil de la mer casse
Les bouteilles. Avoue.
DESPAIR OF THE NORTH
This evening I sing, richly for me, swan.
A child’s boat. Ophelia drifts away
on the stream. Beat the bed, o wicked
fairy. An aubade.
Nothing but an aerostat, stationed there
by the church angels:
a landscape invisible to the naked eye
if you change the armchair, aerial face.
The calf’s curve, hard cloud in the periscope’s
false perspective, and the Faust ballet
where the saucer took flight: victim
killed by death-chants off the coast.
Accept from one who smokes a shadow ring
and a sceptre. If he dies, we have lived.
In the film of seaweed and amber
one cleans out the hours.
It’s my body cut in two which speaks.
Pour out again this bad wine
from vineyards that decorate
the veranda with glass pearls, and staves:
Stand up! tormented victim, cellar-night
where the sun on the sea cracks open
bottles. Confess.
Ce soir je chants une aubade. O fée
Méchante, invisible à l’æil nu
Du littoral. Accepte la housse
D’ombre et le vin écorché vif.
Un bateau d’enfant, paysage
De périscope. Les heures,
C’est mon corps debout: nuit des caves.
Je suis seul dans un autre monde
Que moi, sans armes, fontaines.
La haute Suisse au mois de mai s’incline,
C’est la fonte des larmes.
L’ange qui fait un scandale dont
Il ne se rend pas compte, enjambe
La colline de Pâques,
Les langes sur les bancs, les muguets.
C’est aussi l’ange échevelé en chemise,
Voilier qui sombre. Voilà. À
Qui sont ces hanches d’aurore?
Sur les socs d’incendie, mars
Colore les joues. Coq d’Arles,
Feu! L’ange au col de merle,
Sa crête en loques.
This evening I sing an aubade. O wicked
fairy, invisible to the naked eye
from the coast, accept a shadow
cover and the volatile wine.
A child’s boat, a periscoped
landscape. Time:
it is my body standing: cellar-dark.
I am alone in another world
that’s alien, vulnerable, fountains.
The Swiss heights incline to the month of May;
a time when tears thaw.
The angel who unconsciously makes
a scandal, spans
the Easter hill.
Swaddling clothes on the bench, lily of the valley.
It’s also the angel in a dishevelled shirt,
sail-boat which founders. That’s it.
Whose are these auroral haunches?
On the fiery ploughshares, March
colours the cheeks. Cock of Aries,
fire! The angel with a blackbird’s throat
shows a tattered crest.
Dans ma main, d’astres les ramures,
Démasquent l’abri du berger
Des Landes; le lendemain,
Le mur des Indes.
Les chiens qui font lever la nuit
Me font lever la nuit. Entends-tu Vénus?
Les coqs chantent. La nuit les coqs tuent.
L’âne lèche ce qui va naître: les champs,
Le fond des bois.
Fontaines de mai, les muguets d’aurore
En chemise, sur les socs d’incendie.
Berger, les coqs des Landes chantent,
Vénus va naître.
Je suis seul, sans armes, colline de Pâques.
Voilà mars, le mur des Indes,
Le fond des bois qui me tuent.
In my hand, andered stars
uncover the shepherd’s shelter
in Les Landes; tomorrow
the wall of India.
The dogs which raise the night
have me do the same. Do you hear Venus?
The cocks create. At night the cocks kill.
The ass licks the one who’s to be born: the fields,
the dark of the woods.
May fountains, dawn lily-of-the-valley
in blouses, on the fiery ploughshares.
Shepherd, the cocks of Les Landes scream.
Venus is about to appear.
I am alone, defenceless, Easter hill.
There is March, the wall of India,
the depth of the woods which kill me.
MALÉDICTION AU LAURIER
Tu écartes dans tous les sens tes branches,
Soleil du soir, cerisier en fleurs.
Voici de Mars en nous que déferlent
Embruns d’amour inconnus sur les dunes.
Ici ne furent semés qu’hommes bleus
Qui, soudain, poussent jusqu’au ciel.
Ici les vergers ne peuvent pas naître.
Le sol est un ours gourmand d’ignoble miel.
Mais ailleurs, je sais que le printemps naît
Comme Vénus, des vagues de la terre.
Aidé par les chiens, le laitier, l’angélus,
Par les coqs rempailleurs de cris, par la forge,
Pa
r la rumeur en détail d’un village à des kilomètres,
Par moi, Vénus, qui me meurs.
Je sens avec délice en moi les folles bulles
D’où tu jaillis comme un bouchon d’or,
Vénus l debout sur la mer: feu grégeois,
Char des marins au carnaval de Nice.
Que pourrait-il sortir de notre mer morte?
Les arbres d’ici sont des épouvantails.
Maintenant le soleil est dans la mer du Nord.
Il ne reste que les projecteurs de la côte.
MALEDICTION TO THE LAUREL
You radiate your branches everywhere,
evening sun, cherry tree in flower.
When March arrives there breaks in all of us
an elusive sea spray of love on the dunes.
Here they only sow the blue men
who, suddenly, grow up tall as the sky.
Here the orchards never flower.
The earth is a bear greedy for worthless honey.
But, somewhere else, I know that spring is born
like Venus, from the waves to the earth.
Assisted by dogs, the milkman, the angelus,
by the cocks’ boisterous cries, by the forge,
by the detailed rumour from a village kilometres
by me, Venus, who is dying.
Deliciously I feel your mad bubbles
as you flow gushingly from a gold cork,
Venus standing on the sea: Greek fire,
and the sailors’ float at the Nice Carnival.
What can be extracted from our dead sea?
The trees here are scarecrows.
Now the sun is on the North Sea.
There only remain lights around the coast.
Ces projecteurs aveugles font des gestes
D’automate, tâtant les angles d’un plafond.
Il ne reste plus que du froid carré,
Que cette fusillade leste,
Que ces garçons français et allemands, statues
Face à face, cassées par des secousses,
Que ce laurier de gloire qui pousse
Sans joie, uniquement nourri de marbre.
Laurier inhumain, que la foudre
D’Avril te tue.
These blind beacons make automatic
gestures, feeling the angles of a ceiling.
And all that is left is this cold square,
this agile fusillade,
French and German boys, statues
face to face, broken by jolts,
and this glorious laurel which grows
without joy, uniquely nourished by marble.
Inhuman laurel, may April
lightning blast you.
Ma mère, c’était bien elle (assez bien elle)
avec un tablier bordé de velours noir
et un petit lézard de diamants à son corsage.
Elle me dit: Je viens par le tunnel du rêve.
J’ai voulu entendre le canon avec toi.
Cette nuit il y aura une attaque.
Je répondais: mais non, mais non.
Alors, elle s’assit près de moi,
elle posa ses mains sur moi,
et elle était d’une tristesse immense.
Elle me dit: Tu sais, ton frère a son brevet de pilote.
Aussitôt,
j’eus douze ans à la campagne.
Après dîner, dehors, mon camarade
Charles dit: Je paraît
que des Américains volent.
Ma mère sourit en cousant.
Mon frère, toujours incrédule.
Et Charles dit: Je serai mort.
Il y aura une grande guerre.
Paul qui fume sous ce chêne,
volera et jettera
des bombes la nuit sur des villes.
Sur vos villes, fräulein Joséphine.
Je me réveille. Mon bras
tué s’emplit d’eau galeuse.
Quelle heure est-il? a-t-on dîné?
Le lieutenant me lance un coussin à la tête.
My mother, it was her all right
with an apron bordered with black velvet
and a little diamond Lizard on her blouse.
She said to me: I came by a dream tunnel.
I wanted to hear the cannon with you.
Tonight there will be an attack.
I replied: You mustn’t think that.
Then she sat down next to me,
she placed her hands on me
and she was huge with her sadness.
She said to me: You know your brother has his pilot’s
certificate.
Immediately,
I was twelve years old in the countryside.
After dinner, outside, my friend
Charles told me: They say
the Americans fly.
My mother laughed while sewing.
My brother, always incredulous.
And Charles said: I will be dead.
There will be a great war.
Paul who smokes under this oak
will fly and drop
bombs at night on cities.
On your cities, Fräulein Joséphine.
I wake up. My dead
arm fills with gaseous water.
What time is it? Have they dined?
The lieutenant throws a cushion at my head.
Couche-toi donc, tu dors debout.
Je ne dors pas. Et je m’accroche
à la barque. J’entends des rires.
Mais une lame de fond m’emporte
habilement
dans les mers mortes.
Alors j’étais avec mon frère en aéroplane.
Nous planions à une extraordinaire hauteur
Nous volions à une extraordinaire hauteur
au-dessus d’un port où allaient et venaient des navires.
Il me dit: Tu vois sur ce bateau
juste au-dessous de nous
maman est dessus. Elle vous cherche.
Elle nous cherchera probablement sur toute la terre.
Why don’t you sleep? You sleep on your feet.
I don’t sleep. And I hang
on to the boat. I hear laughter.
But a ground swell carries me away
skilfully
in the dead seas.
Then I was with my brother in an aircraft.
We banked at an extraordinary height
we flew at an extraordinary height
above a port with the coming and going of fleets.
He said to me: You see on this ship
just beneath us
mother is there. She is following us.
She will probably look for us all over the world.
La cape est basse, on y arrive
comme dans un bar d’hôtel.
Les piliers de fonte soutiennent
un matelas de couches d’air
et de ciment.
L’acétylène sent l’ail.
Carbousse sent l’acétylène.
À force de lire l’almanach
Hachette il peut répondre à tout.
Atout trèfle!
Usine atroce de soupirs,
noyés roulés dans un naufrage
de couvertures.
Brousset grince des dents en dormant.
C’est le bruit d’un fauteuil d’osier;
le jour il ne peut plus le faire.
Auguste organise des battues de rats
au revolver d’ordonnance.
Que j’ai sommeil, parmi ces lutteurs
bâillonnés de polypes; du rêve
plein la bouche ils étouffent.
The cellar is deep: one gets there
as in a hotel bar.
The cast-iron pillars support
a mattress of air-cushions
and cement.
Acetylene smells like garlic.
Carbousse smells of acetylene.
Having read the Hachette
almanac he can answer to everything.
/>
Clubs are trumps!
Atrocious factory of sighs
rolled in a wreck
of blankets.
Brousse clicks his teeth in his sleep.
It is the creak of a willow armchair;
a nocturnal occupation.
Auguste organizes a rat hunt
with a regulation revolver.
I’m so tired among these insomniacs
stifled with polyps; mouths
swollen with dreams, they suffocate.
Ma planche et ma paille. Mon sac
se boutonne sur l’épaule.
]e fais la planche.
Lavabo.
Je dors. Je ne peux pas dormir.
Le sommeil s’arrête au bord, je ne
respire pas pour qu’il entre.
Il hésite le gros oiseau.
Ils dorment tous. Je l’apprivoise.
Ils se sont tous remplis comme un bateau fait eau.
Et soudain, flotte à la dérive,
cette épave de couvertures,
de genoux, de coudes.
Un pied sur mon épaule.
Le major souffle aussi. Plie, plie,
ploc, plie; le lavabo.
Où allons-nous? les obus tombent
sur l’Hôtel de Ville. On habite
sous leur bocage.
La fusillade tape
des coups de trique secs sur
des planches.
Je voudrais tant dormir.
La manille aux enchères
n’arrange pas les choses.
My plank and my straw. My bag
is buttoned to my epaulet.
I float on my back.
Wash-basin.
I sleep. I’m unable to sleep.
The idea of it stops at the edge.
I don’t breathe, hoping it might enter.
The huge bird hesitates.
They all sleep. I tame my thoughts.
They take on volume the way a boat leaks.
Then suddenly, drifting to the leeway,
floats this wreck of covers,
of knees, of elbows.
A foot brushes my shoulder.
The major wheezes also. Plic, plic,
ploc, pilc: the washbasin.
Where are we going? Shells fall
on the Hotel de Ville. One lives
under a canopy of shells.
The gunfire raps
with sharp blows on
the planks.
I’m desperate for sleep.
Playing manille doesn’t help anything.
Faudra-t-il… Bon, le téléphone.
Allô! allô! VACHE CREVÉE?
Tout de suite. On y va. Je monte.
Combien la guerre met-elle de temps
à manger une ville? Elle mange