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20000 Lieues sous les mers Part 2

Page 23

by Jules Verne


  J'ajouterai que, pendant la nuit, les eaux phosphorescentes du Gulf-Stream rivalisaient avec l'éclat électrique de notre fanal, surtout par ces temps orageux qui nous menaçaient fréquemment.

  Le 8 mai, nous étions encore en travers du cap Hatteras, à la hauteur de la Caroline du Nord. La largeur du Gulf-Stream est là de soixante-quinze milles, et sa profondeur de deux cent dix mètres. Le Nautilus continuait d'errer à l'aventure. Toute surveillance semblait bannie du bord. Je conviendrai que dans ces conditions, une évasion pouvait réussir. En effet, les rivages habités offraient partout de faciles refuges. La mer était incessamment sillonnée de nombreux steamers qui font le service entre New York ou Boston et le golfe du Mexique, et nuit et jour parcourue par ces petites goëlettes chargées du cabotage sur les divers points de la côte américaine. On pouvait espérer d'être recueilli. C'était donc une occasion favorable, malgré les trente milles qui séparaient le Nautilus des côtes de l'Union.

  Mais une circonstance fâcheuse contrariait absolument les projets du Canadien. Le temps était fort mauvais. Nous approchions de ces parages où les tempêtes sont fréquentes, de cette patrie des trombes et des cyclones, précisément engendrés par le courant du Gulf-Stream. Affronter une mer souvent démontée sur un frêle canot, c'était courir à une perte certaine. Ned Land en convenait lui-même. Aussi rongeait-il son frein, pris d'une furieuse nostalgie que la fuite seule eût pu guérir.

  « Monsieur, me dit-il ce jour-là, il faut que cela finisse. Je veux en avoir le coeur net. Votre Nemo s'écarte des terres et remonte vers le nord. Mais je vous le déclare j'ai assez du pôle Sud, et je ne le suivrai pas au pôle Nord.

  Que faire, Ned, puisqu'une évasion est impraticable en ce moment ?

  J'en reviens à mon idée. Il faut parler au capitaine. Vous n'avez rien dit, quand nous étions dans les mers de votre pays. Je veux parler, maintenant que nous sommes dans les mers du mien. Quand je songe qu'avant quelques jours, le Nautilus va se trouver à la hauteur de la Nouvelle-Ecosse, et que là, vers Terre-Neuve, s'ouvre une large baie, que dans cette baie se jette le Saint-Laurent et que le Saint-Laurent, c'est mon fleuve à moi le fleuve de Québec, ma ville natale ; quand je songe à cela, la fureur me monte au visage, mes cheveux se hérissent. Tenez, monsieur, je me jetterai plutôt à la mer ! Je ne resterai pas ici ! J'y étouffe ! »

  Le Canadien était évidemment à bout de patience. Sa vigoureuse nature ne pouvait s'accommoder de cet emprisonnement prolongé. Sa physionomie s'altérait de jour en jour. Son caractère devenait de plus en plus sombre. Près de sept mois s'étaient écoulés sans que nous eussions eu aucune nouvelle de la terre. De plus, l'isolement du capitaine Nemo, son humeur modifiée, surtout depuis le combat des poulpes, sa taciturnité, tout me faisait apparaître les choses sous un aspect différent. Je ne sentais plus l'enthousiasme des premiers jours. Il fallait être un Flamand comme Conseil pour accepter cette situation, dans ce milieu réservé aux cétacés et autres habitants de la mer. Véritablement, si ce brave garçon, au lieu de poumons avait eu des branchies, je crois qu'il aurait fait un poisson distingué !

  « Eh bien, monsieur ? reprit Ned Land, voyant que je ne répondais pas.

  Eh bien, Ned, vous voulez que je demande au capitaine Nemo quelles sont ses intentions à notre égard ?

  Oui, monsieur.

  Et cela, quoiqu'il les ait déjà fait connaître ?

  Oui. Je désire être fixé une dernière fois. Parlez pour moi seul, en mon seul nom, si vous voulez.

  Mais je le rencontre rarement. Il m'évite même.

  C'est une raison de plus pour l'aller voir.

  Je l'interrogerai, Ned.

  Quand ? demanda le Canadien en insistant.

  Quand je le rencontrerai.

  Monsieur Aronnax, voulez-vous que j'aille le trouver, moi ?

  Non, laissez-moi faire. Demain...

  Aujourd'hui, dit Ned Land.

  Soit. Aujourd'hui, je le verrai », répondis-je au Canadien, qui, en agissant lui-même, eût certainement tout compromis.

  Je restai seul. La demande décidée, je résolus d'en finir immédiatement. J'aime mieux chose faite que chose à faire.

  Je rentrai dans ma chambre. De là, j'entendis marcher dans celle du capitaine Nemo. Il ne fallait pas laisser échapper cette occasion de le rencontrer. Je frappai à sa porte. Je n'obtins pas de réponse. Je frappai de nouveau, puis je tournai le bouton. La porte s'ouvrit.

  J'entrai. Le capitaine était là. Courbé sur sa table de travail, il ne m'avait pas entendu. Résolu à ne pas sortir sans l'avoir interrogé, je m'approchai de lui. Il releva la tête brusquement, fronça les sourcils, et me dit d'un ton assez rude :

  « Vous ici ! Que me voulez-vous ?

  Vous parler, capitaine.

  Mais je suis occupé, monsieur, je travaille. Cette liberté que je vous laisse de vous isoler, ne puis-je l'avoir pour moi ? »

  La réception était peu encourageante. Mais j'étais décidé à tout entendre pour tout répondre.

  « Monsieur, dis-je froidement, j'ai à vous parler d'une affaire qu'il ne m'est pas permis de retarder.

  Laquelle, monsieur ? répondit-il ironiquement. Avez-vous fait quelque découverte qui m'ait échappé ? La mer vous a-t-elle livré de nouveaux secrets ? »

  Nous étions loin de compte. Mais avant que j'eusse répondu, me montrant un manuscrit ouvert sur sa table, il me dit d'un ton plus grave :

  « Voici, monsieur Aronnax, un manuscrit écrit en plusieurs langues. Il contient le résumé de mes études sur la mer, et, s'il plaît à Dieu, il ne périra pas avec moi. Ce manuscrit, signé de mon nom, complété par l'histoire de ma vie, sera renfermé dans un petit appareil insubmersible. Le dernier survivant de nous tous à bord du Nautilus jettera cet appareil à la mer, et il ira où les flots le porteront. »

  Le nom de cet homme ! Son histoire écrite par lui-même ! Son mystère serait donc un jour dévoilé ? Mais, en ce moment, je ne vis dans cette communication qu'une entrée en matière.

  « Capitaine, répondis-je, je ne puis qu'approuver la pensée qui vous fait agir. Il ne faut pas que le fruit de vos études soit perdu. Mais le moyen que vous employez me paraît primitif. Qui sait où les vents pousseront cet appareil, en quelles mains il tombera ? Ne sauriez-vous trouver mieux ? Vous, ou l'un des vôtres ne peut-il... ?

  Jamais, monsieur, dit vivement le capitaine en m'interrompant.

  Mais moi, mes compagnons, nous sommes prêts à garder ce manuscrit en réserve, et si vous nous rendez la liberté...

  La liberté ! fit le capitaine Nemo se levant.

  Oui, monsieur, et c'est à ce sujet que je voulais vous interroger. Depuis sept mois nous sommes à votre bord, et je vous demande aujourd'hui, au nom de mes compagnons comme au mien, si votre intention est de nous y garder toujours.

  Monsieur Aronnax, dit le capitaine Nemo, je vous répondrai aujourd'hui ce que je vous ai répondu il y a sept mois : Qui entre dans le Nautilus ne doit plus le quitter.

  C'est l'esclavage même que vous nous imposez.

  Donnez-lui le nom qu'il vous plaira.

  Mais partout l'esclave garde le droit de recouvrer sa liberté ! Quels que soient les moyens qui s'offrent à lui, il peut les croire bons !

  Ce droit, répondit le capitaine Nemo, qui vous le dénie ? Ai-je jamais pensé à vous enchaîner par un serment ? »

  Le capitaine me regardait en se croisant les bras.

  « Monsieur, lui dis-je, revenir une seconde fois sur ce sujet ne serait ni de votre goût ni du mien. Mais puisque nous l'avons entamé, épuisons-le. Je vous le répète, ce n'est pas seulement de ma personne qu'il s'agit. Pour moi l'étude est un secours, une diversion puissante, un entraînement, une passion qui peut me faire tout oublier. Comme vous, je suis homme à vivre ignoré, obscur, dans le fragile espoir de léguer un jour à l'avenir le résultat de mes travaux, au moyen d'un appareil hypothétique confié au hasard des flots et des vents. En un mot, je puis vous admirer, vous suivre sans déplaisir dans un rôle que je comprends sur certains points : mais il est encore d'autres aspects d
e votre vie qui me la font entrevoir entourée de complications et de mystères auxquels seuls ici, mes compagnons et moi, nous n'avons aucune part. Et même, quand notre coeur a pu battre pour vous, ému par quelques-unes de vos douleurs ou remué par vos actes de génie ou de courage, nous avons dû refouler en nous jusqu'au plus petit témoignage de cette sympathie que fait naître la vue de ce qui est beau et bon, que cela vienne de l'ami ou de l'ennemi. Eh bien, c'est ce sentiment que nous sommes étrangers à tout ce qui vous touche, qui fait de notre position quelque chose d'inacceptable, d'impossible, même pour moi mais d'impossible pour Ned Land surtout. Tout homme, par cela seul qu'il est homme, vaut qu'on songe à lui. Vous êtes-vous demandé ce que l'amour de la liberté, la haine de l'esclavage, pouvaient faire naître de projets de vengeance dans une nature comme celle du Canadien, ce qu'il pouvait penser, tenter, essayer ?... »

  Je m'étais tu. Le capitaine Nemo se leva.

  « Que Ned Land pense, tente, essaye tout ce qu'il voudra, que m'importe ? Ce n'est pas moi qui l'ai été chercher ! Ce n'est pas pour mon plaisir que je le garde à mon bord ! Quant à vous, monsieur Aronnax, vous êtes de ceux qui peuvent tout comprendre, même le silence. Je n'ai rien de plus à vous répondre. Que cette première fois où vous venez de traiter ce sujet soit aussi la dernière, car une seconde fois, je ne pourrais même pas vous écouter. »

  Je me retirai. A compter de ce jour, notre situation fut très tendue. Je rapportai ma conversation à mes deux compagnons.

  « Nous savons maintenant, dit Ned, qu'il n'y a rien à attendre de cet homme. Le Nautilus se rapproche de Long-Island. Nous fuirons, quel que soit le temps. »

  Mais le ciel devenait de plus en plus menaçant. Des symptômes d'ouragan se manifestaient. L'atmosphère se faisait blanchâtre et laiteuse. Aux cyrrhus à gerbes déliées succédaient à l'horizon des couches de nimbocumulus. D'autres nuages bas fuyaient rapidement. La mer grossissait et se gonflait en longues houles. Les oiseaux disparaissaient, à l'exception des satanicles, amis des tempêtes. Le baromètre baissait notablement et indiquait dans l'air une extrême tension des vapeurs. Le mélange du storm-glass se décomposait sous l'influence de l'électricité qui saturait l'atmosphère. La lutte des éléments était prochaine.

  La tempête éclata dans la journée du 18 mai, précisément lorsque le Nautilus flottait à la hauteur de Long-Island, à quelques milles des passes de New York. Je puis décrire cette lutte des éléments, car au lieu de la fuir dans les profondeurs de la mer, le capitaine Nemo, par un inexplicable caprice, voulut la braver à sa surface.

  Le vent soufflait du sud-ouest, d'abord en grand frais, c'est-à-dire avec une vitesse de quinze mètres à la seconde, qui fut portée à vingt-cinq mètres vers trois heures du soir. C'est le chiffre des tempêtes.

  Le capitaine Nemo, inébranlable sous les rafales, avait pris place sur la plate-forme. Il s'était amarré à mi-corps pour résister aux vagues monstrueuses qui déferlaient. Je m'y étais hissé et attaché aussi, partageant mon admiration entre cette tempête et cet homme incomparable qui lui tenait tête.

  La mer démontée était balayée par de grandes loques de nuages qui trempaient dans ses flots. Je ne voyais plus aucune de ces petites lames intermédiaires qui se forment au fond des grands creux. Rien que de longues ondulations fuligineuses, dont la crête ne déferle pas, tant elles sont compactes. Leur hauteur s'accroissait. Elles s'excitaient entre elles. Le Nautilus, tantôt couché sur le côté, tantôt dressé comme un mât, roulait et tanguait épouvantablement.

  Vers cinq heures, une pluie torrentielle tomba, qui n'abattit ni le vent ni la mer. L'ouragan se déchaîna avec une vitesse de quarante-cinq mètres à la seconde, soit près de quarante lieues à l'heure. C'est dans ces conditions qu'il renverse des maisons, qu'il enfonce des tuiles de toits dans des portes, qu'il rompt des grilles de fer, qu'il déplace des canons de vingt-quatre. Et pourtant le Nautilus, au milieu de la tourmente, justifiait cette parole d'un savant ingénieur : « Il n'y a pas de coque bien construite qui ne puisse défier à la mer ! » Ce n'était pas un roc résistant, que ces lames eussent démoli, c'était un fuseau d'acier, obéissant et mobile, sans gréement, sans mâture, qui bravait impunément leur fureur.

  Cependant j'examinais attentivement ces vagues déchaînées. Elles mesuraient jusqu'à quinze mètres de hauteur sur une longueur de cent cinquante a cent soixante-quinze mètres, et leur vitesse de propagation. moitié de celle du vent, était de quinze mètres à la seconde. Leur volume et leur puissance s'accroissaient avec la profondeur des eaux. Je compris alors le rôle de ces lames qui emprisonnent l'air dans leurs flancs et le refoulent au fond des mers où elles portent la vie avec l'oxygène. Leur extrême force de pression on l'a calculée peut s'élever jusqu'à trois mille kilogrammes par pied carré de la surface qu'elles contrebattent. Ce sont de telles lames qui, aux Hébrides, ont déplacé un bloc pesant quatre-vingt-quatre mille livres. Ce sont elles qui, dans la tempête du 23 décembre 1864, après avoir renversé une partie de la ville de Yéddo, au Japon, faisant sept cents kilomètres à l'heure, allèrent se briser le même jour sur les rivages de l'Amérique.

  L'intensité de la tempête s'accrut avec la nuit. Le baromètre, comme en 1860, à la Réunion, pendant un cyclone, tomba à 710 millimètres. A la chute du jour, je vis passer à l'horizon un grand navire qui luttait péniblement. Il capeyait sous petite vapeur pour se maintenir debout à la lame. Ce devait être un des steamers des lignes de New York à Liverpool ou au Havre. Il disparut bientôt dans l'ombre.

  A dix heures du soir, le ciel était en feu. L'atmosphère fut zébrée d'éclairs violents. Je ne pouvais en supporter l'éclat, tandis que le capitaine Nemo, les regardant en face, semblait aspirer en lui l'âme de la tempête. Un bruit terrible emplissait les airs, bruit complexe, fait des hurlements des vagues écrasées, des mugissements du vent, des éclats du tonnerre. Le vent sautait à tous les points de l'horizon, et le cyclone, partant de l'est, y revenait en passant par le nord, l'ouest et le sud, en sens inverse des tempêtes tournantes de l'hémisphère austral.

  Ah ! ce Gulf-Stream ! Il justifiait bien son nom de roi des tempêtes ! C'est lui qui crée ces formidables cyclones par la différence de température des couches d'air superposées a ses courants.

  A la pluie avait succédé une averse de feu. Les gouttelettes d'eau se changeaient en aigrettes fulminantes. On eût dit que le capitaine Nemo, voulant une mort digne de lui, cherchait à se faire foudroyer. Dans un effroyable mouvement de tangage, le Nautilus dressa en l'air son éperon d'acier, comme la tige d'un paratonnerre, et j'en vis jaillir de longues étincelles.

  Brisé, à bout de forces, je me coulai à plat ventre vers le panneau. Je l'ouvris et je redescendis au salon. L'orage atteignait alors son maximum d'intensité. Il était impossible de se tenir debout à l'intérieur du Nautilus.

  Le capitaine Nemo rentra vers minuit. J'entendis les réservoirs se remplir peu à peu, et le Nautilus s'enfonça doucement au-dessous de la surface des flots.

  Par les vitres ouvertes du salon, je vis de grands poissons effarés qui passaient comme des fantômes dans les eaux en feu. Quelques-uns furent foudroyés sous mes yeux !

  Le Nautilus descendait toujours. Je pensais qu'il retrouverait le calme à une profondeur de quinze mètres. Non. Les couches supérieures étaient trop violemment agitées. Il fallut aller chercher le repos jusqu'à cinquante mètres dans les entrailles de la mer.

  Mais là, quelle tranquillité, quel silence, quel milieu paisible ! Qui eût dit qu'un ouragan terrible se déchaînait alors à la surface de cet Océan ?

  XX. PAR 47°24' DE LATITUDE ET DE 17°28' DE LONGITUDE

  A la suite de cette tempête, nous avions été rejetés dans l'est. Tout espoir de s'évader sur les atterrages de New York ou du Saint-Laurent s'évanouissait. Le pauvre Ned, désespéré, s'isola comme le capitaine Nemo. Conseil et moi, nous ne nous quittions plus.

  J'ai dit que le Nautilus s'était écarté dans l'est. J'aurais dû dire, plus exactement, dans le nord-est. Pendant quelques jours, il erra tantôt à la surface des flots, t
antôt au-dessous, au milieu de ces brumes si redoutables aux navigateurs. Elles sont principalement dues à la fonte des glaces, qui entretient une extrême humidité dans l'atmosphère. Que de navires perdus dans ces parages, lorsqu'ils allaient reconnaître les feux incertains de la côte ! Que de sinistres dus à ces brouillards opaques ! Que de chocs sur ces écueils dont le ressac est éteint par le bruit du vent ! Que de collisions entre les bâtiments, malgré leurs feux de position, malgré les avertissements de leurs sifflets et de leurs cloches d'alarme !

  Aussi, le fond de ces mers offrait-il l'aspect d'un champ de bataille, où gisaient encore tous ces vaincus de l'Océan ; les uns vieux et empâtés déjà ; les autres jeunes et réfléchissant l'éclat de notre fanal sur leurs ferrures et leurs carènes de cuivre. Parmi eux, que de bâtiments perdus corps et biens, avec leurs équipages, leur monde d'émigrants, sur ces points dangereux signalés dans les statistiques, le cap Race, l'île Saint-Paul, le détroit de Belle-Ile, l'estuaire du Saint-Laurent ! Et depuis quelques années seulement que de victimes fournies à ces funèbres annales par les lignes du Royal-Mail, d'Inmann, de Montréal, le Solway, I'Isis, le Paramatta, I'Hungarian, le Canadian, l'Anglo-Saxon , le Humboldt, l'United-States, tous échoués, l'Artic , le Lyonnais, coulés par abordage, le Président, le Pacific, le City-of-Glasgow, disparus pour des causes ignorées, sombres débris au milieu desquels naviguait le Nautilus , comme s'il eût passé une revue des morts !

  Le 15 mai, nous étions sur l'extrémité méridionale du banc de Terre-Neuve. Ce banc est un produit des alluvions marines, un amas considérable de ces détritus organiques, amenés soit de l'Équateur par le courant du Gulf-Stream, soit du pôle boréal, par ce contre-courant d'eau froide qui longe la côte américaine. Là aussi s'amoncellent les blocs erratiques charriés par la débâcle des glaces. Là s'est formé un vaste ossuaire de poissons de mollusques ou de zoophytes qui y périssent par milliards.

 

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