The Penguin Book of French Poetry
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Et Messa, la divine, agréable aux colombes,
Et le front chevelu du Pélion changeant,
Et le bleu Titarèse, et le golfe d’argent,
Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire,
La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
Dis-moi, quel songe d’or nos chants vont-ils bercer?
D’où vont venir les pleurs que nous allons verser?
Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière,
Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet,
Secouait des lilas dans sa robe légère,
Et te contait tous bas les amours qu’il rêvait?
Chanterons-nous l’espoir, la tristesse ou la joie?
Tremperons-nous de sang les bataillons d’acier?
Suspendrons-nous l’amant sur l’échelle de soie?
Jetterons-nous au vent l’écume du coursier?
Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre
De la maison céleste, allume nuit et jour
L’huile sainte de vie et d’éternel amour?
Crierons-nous à Tarquin: “Il est temps, voici l’ombre!”
Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers?
Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers?
Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie?
Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés?
La biche le regarde; elle pleure et supplie;
Sa bruyère l’attend: ses faons sont nouveau-nés;
Il se baisse, il l’égorge, il jette à la curée
Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant.
Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée,
S’en allant à la messe, un page la suivant,
Et d’un regard distrait, à côté de sa mère,
Sur sa lèvre entr’ouverte oubliant sa prière?
Elle écoute en tremblant, dans l’écho du pilier,
Résonner l’éperon d’un hardi cavalier.
Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France
De monter tout armés aux créneaux de leurs tours,
Et de ressusciter la naïve romance
Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours?
Vêrirons-nous de blanc une molle élégie?
L’homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie,
Et ce qu’il a fauché du troupeau des humains
Avant que l’envoyé de la nuit éternelle
Vînt sur son tertre vert l’abattre d’un coup d’aile,
Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains?
Clouerons-nous au poteau d’une satire altière
Le nom sept fois vendu d’un pâle pamphlétaire,
Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli
S’en vient, tout grelottant d’envie et d’impuissance,
Sur le front du génie insulter l’espérance
Et mordre le laurier que son souffle a sali?
Prends ton luth! prends ton luth! je ne peux plus me taire.
Mon aile me soulève au souffle du printemps.
Le vent va m’emporter; je vais quitter la terre.
Une larme de toi! Dieu m’écoute; il est temps.
LE POÈTE
S’il ne te faut, ma sœur chérie,
Qu’un baiser d’une lèvre amie
Et qu’une larme de mes yeux,
Je te les donnerai sans peine;
De nos amours qu’il te souvienne,
Si tu remontes dans les cieux.
Je ne chante ni l’espérance,
Ni la gloire, ni le bonheur,
Hélas! pas même la souffrance.
La bouche garde le silence
Pour écouter parler le coeur.
LA MUSE
Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne,
Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,
Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau?
O poète! un baiser, c’est moi qui te le donne.
THE POET
If you need, my beloved sister, only a kiss from friendly lips, only a tear from my eyes, I will give them to you without trouble; may you remember our loves, if you climb once more to the heavens. I sing neither hope nor glory nor happiness, alas! not even suffering. The mouth keeps silent to hear the heart speak.
THE MUSE
Do you believe then that I am like the autumn wind, which feeds on tears even upon a grave, and for whom suffering is merely a drop of water? O poet! a kiss, it is I who give it to you. The weed which I wanted to tear up from this place is your indolence; your suffering belongs to God. Whatever cares your youth endures, let it open up, that sacred wound made deep in your heart by the black seraphs; nothing makes us so sublime as a sublime grief. But, in your stricken state, do not believe, O poet, that your voice here below must stay silent. The songs of deepest despair are the loveliest songs, and I know immortal songs that are pure sobs. When the pelican, weary after a long journey, returns to its reeds in the mists of evening, its hungry children run along the bank, seeing it in the distance swoop down upon the waters. Already, as if seizing and sharing their prey, they run to their father with cries of joy, shaking their beaks above their hideous pouches. Climbing slowly upon a high rock, sheltering his brood with his drooping wing, a melancholy fisherman, he surveys the heavens. Blood flows in great waves from his open breast; in vain he has searched the depths of the seas: the Ocean was empty and the beach deserted; he brings for their only food his heart. Dark and silent, stretched out on the stone, sharing out to his sons his paternal entrails, in his sublime love he cradles his pain and, watching the flow from his bleeding breast, upon his funeral banquet he sinks down and staggers, his senses drunk with pleasure, with tenderness and horror. But sometimes, in the midst of the holy sacrifice, weary of dying in a torture too prolonged, he fears that his children may leave him alive; so he rises, opening his wings to the wind, and, striking his heart with a wild cry, he utters into the night a farewell so deathly that the birds of the ocean desert the shore, and the lingering traveller on the beach, feeling death pass by, commends himself to God. Poet, thus it is with the great poets. They let those who live amuse themselves a while; but the human banquets that they serve at their feasts resemble for the most part those of the pelicans. When they speak in these terms of hopes deceived, of sadness and oblivion, of love and misfortune, it is not music to swell the heart. Their utterances are like swords: they trace a dazzling circle in the air, but there hangs on them always some drop of blood.
L’herbe que je voulais arracher de ce lieu,
C’est ton oisiveté; ta douleur est à Dieu.
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure
Que les noirs séraphins t’ont faite au fond du cœur;
Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage,
En le voyant au loin s’abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie,
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;
En vain il a des mers fouillé la profondeur:
L’Océan était vide et la plage déserte;
Pour toute nourriture il apporte son coeur.
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sp; Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur,
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et se frappant le cœur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
Poète, c’est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps;
Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées,
De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur,
Ce n’est pas un concert à dilater le cœur.
Leurs déclamations sont comme des épées:
Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant,
Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.
LE POÈTE
O Muse! spectre insatiable,
Ne m’en demande pas si long.
L’homme n’écrit rien sur le sable
A l’heure où passe l’aquilon.
J’ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau;
Mais j’ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j’en pourrais dire,
Si je l’essayais sur ma lyre,
La briserait comme un roseau.
THE POET
O Muse! insatiable spectre, do not ask so much of me. Man writes nothing on the sand at the hour when the north wind passes. I have seen the time when my youth was forever ready on my lips to sing like a bird; but I have suffered a harsh martyrdom, and the least that I could say of it, were I to venture it on my lyre, would break it like a reed.
Rappelle-toi
(VERGISS MEIN NICHT)
Paroles faites sur la musique de Mozart.
Rappelle-toi, quand l’Aurore craintive
Ouvre au soleil son palais enchanté;
Rappelle-toi, lorsque la Nuit pensive
Passe en rêvant sous son voile argenté;
A l’appel du plaisir lorsque ton sein palpite,
Aux doux songes du soir lorsque l’ombre t’invite,
Écoute au fond des bois
Murmurer une voix–
Rappelle-toi.
Remember
(VERGISS MEIN NICHT)
Words composed to the music of Mozart.
Remember, when timid Dawn opens to the sun its enchanted palace; remember, when pensive Night passes dreaming beneath its silvery veil; when your breast quivers at the call of pleasure, when the shadows beckon you to the sweet dreams of evening, listen to a murmuring voice deep in the woods – Remember.
Rappelle-toi, lorsque les destinées
M’auront de toi pour jamais séparé,
Quand le chagrin, l’exil et les années
Auront flétri ce coeur désespéré;
Songe à mon triste amour, songe à l’adieu suprême!
L’absence ni le temps ne sont rien quand on aime.
Tant que mon coeur battra,
Toujours il te dira:
Rappelle-toi.
Rappelle-toi, quand sous la froide terre
Mon coeur brisé pour toujours dormira;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire
Sur mon tombeau doucement s’ouvrira.
Je ne te verrai plus; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi comme une soeur fidèle.
Écoute, dans la nuit,
Une voix qui gémit–
Rappelle-toi.
Remember, when fortunes have parted me from you for ever, when grief, exile and the years have withered this despairing heart; think of my sorrowful love, think of the supreme farewell! Absence and time are nothing when we love. For as long as my heart shall beat, it will always say to you: Remember.
Remember, when beneath the cold earth my broken heart sleeps for ever; remember, when the solitary flower on my tomb gently opens. I shall see you no more; but my immortal soul will come back close to you like a faithful sister. Listen in the darkness to a voice that moans – Remember.
Théophile Gautier
(1811–72)
Gautier came to Paris from Tarbes in the Pyrenees. His poor eyesight cut short his intended career as a painter, but he found through his association with Hugo a taste and talent for poetry, and later wrote fiction, criticism and journalism. His early verse was elegiac and intimate, then macabre, but in time he found his true voice in a transposition of the spirit of the plastic artist into poetry.
Moving away in the late 1830s from Romantic emotionalism and morbidity, Gautier expounded the doctrine known as ‘Art for Art’s Sake’ (‘L’Art pour l’Art’). This separated beauty from utility, the aesthetic from the moral, the eternal from the contingent, the stylized creation from the shapeless banality of life. Though Gautier’s own poetic achievements were perhaps limited, he set in motion one of the essential trains of thought in nineteenth-century aesthetics. The key is now to be found in a refined process of selection, and in a search, based on mastery of technique, for an impersonal mode of creation. The chisel of the sculptor-poet is to exclude transparent emotion from the ‘marble block’ that is the completed poem. Thus old distinctions between form and content, and between art and craft, are abolished in a superior and ritualistic kind of creativity that becomes a way of life. In Gautier’s own words, ‘Art for us is not the means, but the end.’
Major volume: Emaux et Camées 1852.
Other works: Poésies 1830, Albertus 1832, La Comédie de la Mort 1838, España 1845.
Chinoiserie
Ce n’est pas vous, non, madame, que j’aime,
Ni vous non plus, Juliette, ni vous,
Ophélia, ni Béatrix, ni même
Laure la blonde, avec ses grands yeux doux.
Celle que j’aime, à prèsent, est en Chine;
Elle demeure avec ses vieux parents,
Dans une tour de porcelaine fine,
Au fleuve Jaune, où sont les cormorans.
Elle a des yeux retroussés vers les tempes,
Un pied petit à tenir dans la main,
Le teint plus clair que le cuivre des lampes,
Les ongles longs et rougis de carmin.
Chinoiserie
No, it is not you, madame, that I love, nor you Juliet, nor you Ophelia, nor Beatrice, nor even the fair Laura, with her large and gentle eyes.
The one I love just now is in China; she dwells with her old parents, in a tower of delicate porcelain, by the Yellow River, where the cormorants are.
Her eyes are turned up towards her temples, her foot small enough to be held in the hand, her complexion brighter than the copper of the lamps, her nails long and reddened with carmine.
Par son treillis elle passe sa tête,
Que l’hirondelle, en volant, vient toucher,
Et, chaque soir, aussi bien qu’un poète,