The Penguin Book of French Poetry
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Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair… puis la nuit! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?
Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!
Supple and stately, with her statuesque leg. And me, I was drinking, hunched up like a freak, in her eye, a pallid sky where the hurricane is born, the softness that fascinates and the pleasure that kills.
A lightning flash… then darkness! Transient beauty whose glance has brought me sudden rebirth, will I see you no more save in eternity?
Elsewhere, far away from here! too late! perhaps never! For I know not where you are gliding, you know not where I am going, O you whom I would have loved, O you who knew it!
La Destruction
Sans cesse à mes côtés s’agite le Démon;
Il nage autour de moi comme un air impalpable;
Je l’avale et le sens qui brÛle mon poumon
Et l’emplit d’un désir éternel et coupable.
Parfois il prend, sachant mon grand amour de l’Art,
La forme de la plus séduisante des femmes,
Et, sous de spécieux prétextes de cafard,
Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes.
Il me conduit ainsi, loin du regard de Dieu,
Haletant et brisé de fatigue, au milieu
Des plaines de l’Ennui, profondes et désertes,
Et jette dans mes yeux pleins de confusion
Des vêtements souillés, des blessures ouvertes,
Et l’appareil sanglant de la Destruction!
Destruction
Ceaselessly the Demon writhes beside me; he swims around me like an intangible vapour; I swallow him and feel him burn my lung and fill it with eternal, guilty desire.
Sometimes, knowing my passion for Art, he takes the form of the most captivating of women, and, on the specious pretext of depression, accustoms my lips to vile potions.
Thus he leads me, far from the sight of God, breathless and racked with fatigue, to the middle of the plains of Tedium, deep and forsaken,
And throws into my disordered eyes soiled clothes, open wounds, and the blood-soaked apparatus of Destruction!
Le Voyage
à Maxime du Camp
i
Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah! que le monde est grand à la clarté des lampes!
Aux yeux du souvenir que le monde est petit!
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers:
The Voyage
for Maxime du Camp
I
For the child, in love with maps and engravings, the universe is equal to his vast appetite. Ah! how great the world is by lamplight! How small the world is in the eyes of memory!
One morning we set off, our brains full of passion, hearts swollen with rancour and with bitter desires, and we go, following the rhythm of the waves, rocking our infinity on the finite seas:
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir; coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!
Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom!
Some, glad to leave an abhorrent homeland; others, the horror of their cradles, and some, astrologers drowned in the eyes of a woman, tyrannical Circe with the dangerous perfumes.
To avoid being changed into beasts, they get drunk on space and light and fiery skies; the ice that bites them, the suns that bronze them, slowly efface the traces of kisses.
But the only true travellers are those who leave for the sake of leaving; with hearts light as balloons, they never deviate from their destiny and, not knowing why, they always say: Let’s go!
Those whose desires have the form of clouds, and who dream, as a conscript dreams of cannon, of vast, shifting, unknown pleasures, whose name the human mind has never known!
ii
Nous imitons, horreur! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.
Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où!
Où l’Homme, dont jamais l’espérance n’est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou!
Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie;
Une voix retentit sur le pont: “Ouvre l’œil!”
Une voix de la hune, ardente et folle, crie:
“Amour… gloire… bonheur!” Enfer! c’est un écueil!
Chaque îlot signalé par l’homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin;
L’Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin.
II
We imitate, O horror! the spinning top and ball in their waltzing and their leaping; even in our sleep Curiosity torments us and rolls us on like a cruel Angel whipping suns.
Strange destiny in which the goal moves, and being nowhere may be anywhere! And in which Man, whose hope is never wearied, runs for ever like a madman in search of rest!
Our soul is a three-master seeking its Icaria; a voice resounds on deck: ‘Alert!’ A voice from the crow’s nest, passionate and wild, cries: ‘Love… renown… happiness!’ Hell! it is a rock!
Each islet signalled by the lookout is an Eldorado promised by Destiny; the Imagination, preparing its orgy, finds only a reef in the morning light.
O le pauvre amoureux des pays chimériques!
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer?
Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis;
Son oeil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis.
iii
Étonnants voyageurs! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers!
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile!
Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.
O the poor lover of illusory countries! Should we put him in irons or throw him i
n the sea, this drunken sailor, this inventor of Americas of which the mirage makes the abyss more bitter?
In the same way the old vagabond, tramping in the mud, dreams with nose in air of shining Edens; his bewitched eye discovers a Capua wherever a candle lights a hovel.
III
Astonishing travellers! what noble stories we read in your eyes as deep as the seas! Show us the coffers of your rich memories, those marvellous jewels made of stars and ether.
We want to travel without steam, without sail! To enliven the tedium of our prisons, set sailing over our minds, stretched out like canvas, your memories with the horizon for their frame.
Dites, qu’avez-vous vu?
iv
“Nous avons vu des astres
Et des flots; nous avons vu des sables aussi;
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.
La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.
Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.
Et toujours le désir nous rendait soucieux!
Tell us, what have you seen?
IV
‘We have seen stars and waves; we saw sand dunes too; and in spite of many shocks and unforeseen disasters we were often bored as we were here.
The glory of the sun on the violet sea, the glory of cities in the sunset, kindled in our hearts a restless urge to plunge into a sky whose reflection was so alluring.
The richest cities, the broadest landscapes never held the mysterious attraction of those that chance forms with the clouds. And always desire made us anxious!
– La jouissance ajoute au désir de la force.
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près!
Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès? – Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin!
Nous avons salué des idoles à trompe;
Des trônes constellés de joyaux lumineux;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux;
Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse.”
Gratification adds strength to desire. Desire, that old tree that pleasure serves to fertilize, while your bark thickens and hardens, your branches want a closer view of the sun!
Will you always go on growing, great tree, longer-lived than the cypress? – And yet with care we have gathered some sketches for your voracious album, you brothers who find everything beautiful that comes from afar!
We have bowed before idols with elephants’ trunks; thrones studded with luminous gems; carved palaces whose fairytale splendour would be a ruinous dream for your bankers;
Costumes that intoxicate the eyes; women whose teeth and nails are dyed, and skilful jugglers caressed by snakes.’
v
Et puis, et puis encore?
vi
“O cerveaux enfantins!
Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l’échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché:
La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoÛt;
L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égoÛt;
V
And then, and then what next?
VI
‘O infantile brains! Not to forget the essential thing, we saw everywhere, without having sought it, from top to bottom of the fatal ladder, the tedious spectacle of immortal sin:
Woman, a base slave, arrogant and stupid, worshipping herself without laughter and loving herself without disgust; man, a gluttonous dissolute tyrant, hard and grasping, slave of the slave and a drain into the sewer;
Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote;
La fête qu’assaisonne et parfume le sang;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant;
Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté;
L’Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie:
“O mon semblable, ô mon maître, je te maudis!”
Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l’opium immense!
– Tel est du globe entier l’éternel bulletin.”
The gratified torturer, the sobbing martyr; the feast flavoured and scented with blood; the poison of power that debilitates the despot, and the people in love with the brutalizing whip;
Several religions similar to ours, all scaling the walls of heaven; sanctity, like an aesthete wallowing in a feather bed, seeks pleasure in nails and hair-shirts;
Babbling humanity, drunk with its own genius, and, mad now as it was before, crying out to God in its frantic death-throes: “O my fellow creature, O my master, I curse thee!”
And the less foolish, bold lovers of Lunacy, shunning the great herd penned in by Fate, and taking refuge in the immensity of opium! – Such is the eternal report on the whole globe.’
vii
Amer savoir, celui qu’on tire du voyage!
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image:
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui!
Faut-il partir? rester? Si tu peux rester, reste;
Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit
Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,
Le Temps! Il est, hélas, des coureurs sans répit,
Comme le Juif errant et comme les apôtres,
A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme; il en est d’autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.
VII
What bitter knowledge we gain from travelling! The world, monotonous and small, today, yesterday, tomorrow, always, shows us our own image: an oasis of horror in a desert of tedium!
Should we go? stay? If you can stay, stay; leave, if you must. One man runs, the other cowers to deceive the watchful, baleful enemy, Time! There are, alas, runners who have no respite,
Like the wandering Jew and like the apostles, for whom nothing suffices, neither carriage nor ship, to flee this vile gladiator with his net; there are others who can kill him without leaving their cradle.
Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier: En avant!
De même qu’autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,
Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le coeur joyeux d’un jeune passager.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
Qui chantent: “Par ici! vous qui voulez manger
> Le Lotus parfumé! c’est ici qu’on vendange
Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n’a jamais de fin!”
When at last he places his foot on our spine, we will be able to hope and cry out: Forward! Just as once we set out for China, our eyes fixed on the horizon and our hair in the wind.
We will embark upon the sea of Darkness with the joyful heart of a young voyager. Do you hear those enchanting and funereal voices singing: ‘This way! you who wish to eat
The scented Lotus! here are harvested the wondrous fruits for which your heart hungers; come and get drunk on the strange sweetness of this afternoon that has no end!’
A l’accent familier nous devinons le spectre;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
“Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Électre!”
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.
viii
O Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l’ancre!
Ce pays nous ennuie, ô Mort! Appareillons!
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons!
Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte!