The Penguin Book of French Poetry
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Et moi aussi
J’ai une voix, et j’écoute, et j’entends le bruit qu’elle fait.
Et je fais l’eau avec ma voix, telle l’eau qui est l’eau pure, et parce qu’elle nourrit toutes choses, toutes choses se peignent en elle.
Ainsi la voix avec qui de vous je fais des mots éternels! je ne puis rien nommer que d’éternel.
La feuille jaunit et le fruit tombe, mais la feuille dans mes vers ne périt pas,
Ni le fruit mÛr, ni la rose entre les roses!
Elle périt, mais son nom dans l’esprit qui est mon esprit ne périt plus. La voici qui échappe au temps.
Et moi qui fais les choses éternelles avec ma voix, faites que je sois tout entier
Cette voix, une parole totalement intelligible!
Libérez-moi de l’esclavage et du poids de cette matière inerte!
And I too have a voice, and I listen, and I hear the sound it makes. And I create the water with my voice, like the water that is the pure water in which, since it nourishes all things, all things are depicted. Thus speaks the voice with which I make eternal words of you! I can name only what is eternal. The leaf yellows and the fruit falls, but the leaf in my lines does not perish, nor the ripe fruit, nor the rose among roses! It perishes, but its name no longer perishes in the spirit which is my spirit. Here it is, escaping from time. And I who make eternal things with my voice, grant that I may be wholly this voice, a totally intelligible form of words! Free me from slavery and the weight of this inert matter! Purify me now! strip these abominable shadows from me and grant that I may be at last all that which within me is obscurely desired. Quicken me, according as the air breathed in by our machine makes our intellect shine like live coals! God who breathed over chaos, dividing the dry from the wet, over the Red Sea, and it parted before Moses and Aaron, over the wet earth, and man was made, equally you command the waters within me, you have put into my nostrils the same spirit of creation and form. It is not the impure that ferments, it is the pure that is the seed of life. What is water but the need to be liquid and perfectly clear in the sunlight of God like a translucid drop? What do you say to me of this blue of air that you liquefy? O how the human soul is a more precious elixir! If the dew glows in the sun, how much more brightly the human carbuncle and the substantial soul in the light of understanding! God who baptized chaos with your spirit and who on Easter eve exorcize the pagan fount with the letter psi in the mouth of your priest, you seed with the water of baptism our human water, Nimble, glorious, impassive, imperishable! The water that is clear sees through our eyes and, sonorous, it hears through our ears and tastes through the vermilion mouth quenched by the sextuple source, and colours our flesh and moulds our malleable body. And as the seminal drop fertilizes the mathematical form, distributing the abundant catalyst of the elements of its theorem, thus the body of glory yearns within the body of clay, and the darkness of being dissolves into visibility!
Clarifiez-moi donc! dépouillez-moi de ces ténèbres exécrables et faites que je sois enfin
Toute cette chose en moi obscurément désirée.
Vivifiez-moi, selon que l’air aspiré par notre machine fait briller notre intelligence comme une braise!
Dieu qui avez soufflé sur le chaos, séparant le sec de l’humide,
Sur la Mer Rouge, et elle s’est divisée devant Moïse et Aaron,
Sur la terre mouillée, et voici l’homme,
Vous commandez de même à mes eaux, vous avez mis dans mes narines le même esprit de création et de figure.
Ce n’est point l’impur qui fermente, c’est le pur qui est semence de la vie.
Qu’est-ce que l’eau que le besoin d’être liquide
Et parfaitement clair dans le soleil de Dieu comme une goutte translucide?
Que me parlez-vous de ce bleu de l’air que vous liquéfiez? O que l’âme humaine est un plus précieux élixir!
Si la rosée rutile dans le soleil,
Combien plus l’escarboucle humaine et l’âme substantielle dans le rayon intelligible!
Dieu qui avez baptisé avec votre esprit le chaos
Et qui la veille de Pâques exorcisez par la bouche de votre prêtre la font païenne avec la lettre psi,
Vous ensemencez avec l’eau baptismale notre eau humaine
Agile, glorieuse, impassible, impérissable!
L’eau qui est claire voit par notre œil et sonore entend par notre oreille et goÛte
Par la bouche vermeille abreuvée de la sextuple source,
Et colore notre chair et façonne notre corps plastique.
Et comme la goutte séminale féconde la figure mathématique, départissant
L’amorce foisonnante des éléments de son théorème,
Ainsi le corps de gloire désire sous le corps de boue, et la nuit
D’être dissoute dans la visibilité!
Mon Dieu, ayez pitié de ces eaux désirantes!
Mon Dieu, vous voyez que je ne suis pas seulement esprit, mais eau! ayez pitié de ces eaux en moi qui meurent de soif!
Et l’esprit est désirant, mais l’eau est la chose désirée.
O mon Dieu, vous m’avez donné cette minute de lumière à voir,
Comme l’homme jeune pensant dans son jardin au mois d’aoÛt qui voit par intervalles tout le ciel et la terre d’un seul coup,
Le monde d’un seul coup tout rempli par un grand coup de foudre doré!
My God, have pity on these yearning waters! My God, you see that I am not only spirit but water! have pity on these waters within me that are dying of thirst! And the spirit yearns, but water is the thing it yearns for. O my God, you have given me this moment of light to see, like the young man meditating in his August garden who at moments sees all heaven and earth in a single flash, the world in one flash filled with a great gilded thunderbolt! O strong and sublime stars and what fruit glimpsed in the black chasm! o holy curvature of the long bough of the Little Bear! I shall not die. I shall not die, but I am immortal! And all dies, but I grow like a purer light! And as they put death to death, so from its annihilation I create my immortality. May I cease wholly to be dark! Make use of me! Express me in your fatherly hand! Bring out at last all the sunlight within me and capacity for your light, that I may see you not with my eyes only now, but with all my body and my substance and the sum of my, resplendent and sonorous abundance! The separable water which holds the measure of man does not lose its nature which is to be liquid and perfectly pure so that all things are mirrored in it. Like those waters which bore God in the beginning, so these hypostatic waters within us do not cease to desire him, there is no desire but for him alone! But that which is desirable in me is not yet mature. Then let there be darkness as I await my portion in which will be created from my soul the drop ready to fall in its greatest heaviness. Let me offer a libation to you in the shadows, like the mountain spring that offers drink to the Ocean in its little shell!
O fortes étoiles sublimes et quel fruit entr’aperçu dans le noir abîme! ô flexion sacrée du long rameau de la Petite-Ourse!
Je ne mourrai pas.
Je ne mourrai pas, mais je suis immortel!
Et tout meurt, mais je croîs comme une lumière plus pure!
Et, comme ils font mort de la mort, de son extermination je fais mon immortalité.
Que je cesse entièrement d’être obscur! Utilisez-moi!
Exprimez-moi dans votre main paternelle!
Sortez enfin
Tout le soleil qu’il y a en moi et capacité de votre lumière, que je vous voie
Non plus avec les yeux seulement, mais avec tout mon corps et ma substance et la somme de ma quantité resplendissante et sonore!
L’eau divisible qui fait la mesure de l’homme
Ne perd pas sa nature qui est d’être liquide
Et parfaitement pure par quoi toutes choses se reflètent en elle.
Comme ces eaux qui portèrent Dieu au commencement,
Ainsi ces eaux hypostatiques en nous
Ne cessent de le désirer, il n’
est désir que de lui seul!
Mais ce qu’il y a en moi de désirable n’est pas mÛr.
Que la nuit soit donc en attendant mon partage où lentement se compose de mon âme
La goutte prête à tomber dans sa plus grande lourdeur.
Laissez-moi vous faire une libation dans les ténèbres,
Comme la source montagnarde qui donne à boire à l’Océan avec sa petite coquille!
Quatrième Ode: La Muse qui est la Grâce (première partie)
Encore! encore la mer qui revient me rechercher comme une barque,
La mer encore qui retourne vers moi à la marée de syzygie et qui me lève et remue de mon ber comme une galère allègée.
Comme une barque qui ne tient plus qu’à sa corde, et qui danse furieusement, et qui tape, et qui saque, et qui fonce, et qui encense, et qui culbute, le nez à son piquet,
Comme le grand pur sang que l’on tient aux naseaux et qui tangue sous le poids de l’amazone qui bondit sur lui de côté et qui saisit brutalement les rênes avec un rire éclatant!
Encore la nuit qui revient me rechercher,
Comme la mer qui atteint sa plénitude en silence à cette heure qui joint à l’Océan les ports humains pleins de navires attendants et qui décolle la porte et le batardeau!
Encore le départ, encore la communication établie, encore la porte qui s’ouvre!
Ah, je suis las de ce personnage que je fais entre les
Fourth Ode: The Muse who is Grace (opening section)
Once more! once more the sea coming back to seek me as if I were a boat, the sea once more coming back to me in the tide of syzygy and lifting me and moving me from my cradle like an unburdened galley, like a boat held now only by its hawser, dancing furiously, slapping, jerking, driving forward, tossing its head and stumbling, nose to the hitching-post, like the great thoroughbred held by the nostrils and pitching under the weight of the amazon who leaps on him from the side and brutally seizes the reins with a burst of laughter! Once more the night coming back to seek me, like the sea silently reaching its fullness at this hour which joins to the Ocean the human ports filled with waiting ships, unfastening the gate and the cofferdam! Once more the departure, once more the contact made, once more the opening gate! Ah, I am weary of this figure I cut among men! Here is the night! Once more the opening window! And I am like the girl at the window of the beautiful white castle, in the moonlight, who hears, with a leaping heart, that blessed whistling under the trees and the sound of two restless horses, and feels no regret for home, but she is like a little tiger gathering itself to spring, and her whole heart is uplifted by love of life and by the great force of laughter! Outside of me the night, and within me the fuse of night’s power, and the wine of Glory, and the ache of this overflowing heart! If the wine-grower does not go with impunity into the vat, will you believe that I have the power to tread my great harvest of words, without the fumes going to my head! Ah, this evening is mine! ah, this great night is mine! the entire chasm of night like the hall lit for the girl at her first ball! She is just beginning! there will be time to sleep another day! Ah, I am drunk! ah, I am delivered to the god! I hear a voice within me and a tempo that gathers speed, the movement of joy, the coming to life of the Olympic cohort, their progress divinely tempered! What do all men matter to me now! It is not for them that I am made, but for the ecstasy of this holy metre! O the cry of the muted trumpet! O muffled drumming on the cask of orgy! What do any of them matter to me? This rhythm alone! Whether or not they follow me? What does it matter if they hear me or not? And now the great Wing of poetry unfolds! What speak you to me of music? let me simply put on my golden sandals! I have no need for all its paraphernalia. I do not ask you to blindfold your eyes. The words which I use, they are everyday words, and yet they are not the same! You will find no rhymes in my verses nor any sorcery. They are your very phrases. Not one of your phrases that I cannot take up once more! These flowers are your flowers and you say you do not recognize them. And these feet are your feet, but see now how I walk on the sea and tread the waters of the sea in triumph!…
hommes! Voici la nuit! Encore la fenêtre qui s’ouvre!
Et je suis comme la jeune fille à la fenêtre du beau château blanc, dans le clair de lune,
Qui entend, le cœur bondissant, ce bienheureux sifflement sous les arbres et le bruit de deux chevaux qui s’agitent,
Et elle ne regrette point la maison, mais elle est comme un petit tigre qui se ramasse, et tout son coeur est soulevé par l’amour de la vie et par la grande force comique!
Hors de moi la nuit, et en moi la fusée de la force nocturne, et le vin de la Gloire, et le mal de ce coeur trop plein!
Si le vigneron n’entre pas impunément dans la cuve,
Croirez-vous que je sois puissant à fouler ma grande vendange de paroles,
Sans que les fumées m’en montent au cerveau!
Ah, ce soir est à moi! ah, cette grande nuit est à moi! tout le
gouffre de la nuit comme la salle illuminée pour la jeune fille à son premier bal!
Elle ne fait que de commencer! il sera temps de dormir dans autre jour!
Ah, je suis ivre! ah, je suis livré au dieu! j’entends une voix en moi et la mesure qui s’accélère, le mouvement de la joie,
L’ébranlement de la cohorte Olympique, la marche divinement tempérée!
Que m’importent tous les hommes à présent! Ce n’est pas pour eux que je suis fait, mais pour le
Transport de cette mesure sacrée!
O le cri de la trompette bouchée! ô le coup sourd sur la tonne orgiaque!
Que m’importe aucun d’eux? Ce rythme seul! Qu’ils me suivent ou non? Que m’importe qu’ils m’entendent ou pas?
Voici le dépliement de la grande Aile poétique!
Que me parlez-vous de la musique? laissez-moi seulement mettre mes sandales d’or!
Je n’ai pas besoin de tout cet attirail qu’il lui faut. Je ne demande pas que vous vous bouchiez les yeux.
Les mots que j’emploie,
Ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont point les mêmes!
Vous ne trouverez point de rimes dans mes vers ni aucun sortilège. Ce sont vos phrases mêmes. Pas aucune de vos phrases que je ne sache reprendre!
Ces fleurs sont vos fleurs et vous dites que vous ne les reconnaissez pas.
Et ces pieds sont vos pieds, mais voici que je marche sur la mer et que je foule les eaux de la mer en triomphe!…
Ballade
Les négociateurs de Tyr et ceux-là qui vont à leurs affaires aujourd’hui sur l’eau dans de grandes imaginations mécaniques,
Ceux que le mouchoir par les ailes de cette mouette encore accompagne quand le bras qui l’agitait a disparu,
Ceux à qui leur vigne et leur champ ne suffisaient pas, mais Monsieur avait son idée personnelle sur l’Amérique,
Ceux qui sont partis pour toujours et qui n’arriveront pas non plus,
Tous ces dévoreurs de la distance, c’est la mer elle-même a présent qu’on leur sert, penses-tu qu’ils en auront assez?
Qui une fois y a mis les lèvres ne lâche point facilement la coupe:
Ce sera long d’en venir à bout, mais on peut tout de même essayer:
Il n’y a que la première gorgée qui coÛte.
Ballad
The traders of Tyre and those who go about their business on the water today in great mechanical imaginings, those still accompanied by the handkerchief in the form of that seagull’s wings when the waving arm has disappeared, those for whom their vine and field were not enough, but Sir had his own ideas about America, those who have left for ever and will not arrive either, all those consumers of distance, it’s the sea itself that’s served up to them now, do you think they’ll have enough of it? He who once has put his lips to it does not easily give up the cup: it will take a long time to be done with it, but one can try all the same:
It’s only the first mouthful that’s hard to swallow.
Equipages des bâtiments
torpillés dont on voit les noms dans les statistiques,
Garnisons des cuirassés tout à coup qui s’en vont par le plus court à la terre,
Patrouilleurs de chalutiers poitrinaires, pensionnaires de sous-marins ataxiques,
Et tout ce que décharge un grand transport pêle-mêle quand il se met la quille en l’air,
Pour eux tous voici le devoir autour d’eux à la mesure de cet horizon circulaire.
C’est la mer qui se met en mouvement vers eux, plus besoin d’y chercher sa route.
Il n’y a qu’à ouvrir la bouche toute grande et à se laisser faire:
Ce n’est que la première gorgée qui coÛte.
Crews of torpedoed vessels, their names in the statistics, garrisons of ironclads gone suddenly to ground by the shortest route, consumptive patrollers on trawlers, ataxic lodgers in submarines, and all that is discharged pell-mell by a great transport ship when it turns its keel in the air, for them all here is duty around them on the scale of this circular horizon. It is the sea that starts to move towards them, no need now to seek one’s course. All that’s needed is to open the mouth wide and offer no resistance:
It’s only the first mouthful that’s hard to swallow.
Qu’est-ce qu’ils disaient, la dernière nuit, les passagers des grands transatlantiques,
La nuit même avant le dernier jour où le sans-fil a dit:
“Nous sombrons!”
Pendant que les émigrants de troisième classe là-bas faisaient timidement un peu de musique
Et que la mer inlassablement montait et redescendait à chaque coupée du salon?
“Les choses qu’on a une fois quittées, à quoi bon leur garder son cœur?
“Qui voudrait que la vie recommence quand il sait qu’elle est finie toute?
“Retrouver ceux qu’on aime serait bon, mais l’oubli est encore meilleur:
Il n’y a que la première gorgée qui coÛte.”