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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 142

by Gustave Flaubert


  Le soir tombait, des senteurs de baume s'exhalaient. Pendant longtemps, ils se regardèrent en silence, — et les yeux de Salammbô, au fond de ses longues draperies, avaient l'air de deux étoiles dans l'ouverture d'un nuage. Avant que le soleil fût couché, il se retira.

  Les Anciens se sentirent soulagés d'une grande inquiétude quand il partit de Carthage. Le peuple l'avait reçu avec des acclamations encore plus enthousiastes que la première fois. Si Hamilcar et le roi des Numides triomphaient seuls des Mercenaires, il serait impossible de leur résister. Donc ils résolurent, pour affaiblir Barca, de faire participer à la délivrance de la République celui qu'ils aimaient, le vieil Hannon.

  Il se porta immédiatement vers les provinces occidentales, afin de se venger dans les lieux mêmes qui avaient vu sa honte. Mais les habitants et les Barbares étaient morts, cachés ou enfuis. Alors sa colère se déchargea sur la campagne. Il brûla les ruines des ruines, il ne laissa pas un seul arbre, pas un brin d'herbe ; les enfants et les infirmes que l'on rencontrait, on les suppliciait ; il donnait à ses soldats les femmes à violer avant leur égorgement ; les plus belles étaient jetées dans sa litière, — car son atroce maladie l'enflammait de désirs impétueux ; il les assouvissait avec toute la fureur d'un homme désespéré.

  Souvent, à la crête des collines, des tentes noires s'abattaient comme renversées par le vent, et de larges disques à bordure brillante, que l'on reconnaissait pour des roues de chariot, en tournant avec un son plaintif, peu à peu s'enfonçaient dans les vallées. Les tribus, qui avaient abandonné le siège de Carthage, erraient ainsi par les provinces, attendant une occasion, quelque victoire des Mercenaires pour revenir. Mais, soit terreur ou famine, elles reprirent toutes le chemin de leurs contrées, et disparurent.

  Hamilcar ne fut point jaloux des succès d'Hannon. Cependant il avait hâte d'en finir ; il lui ordonna de se rabattre sur Tunis ; et Hannon, qui aimait sa patrie, au jour fixé se trouva sous les murs de la ville.

  Elle avait pour se défendre sa population d'autochtones, douze mille Mercenaires, puis tous les Mangeurs-de-choses-immondes, car ils étaient comme Mâtho rivés à l'horizon de Carthage, et la plèbe et le Schalischim contemplaient de loin ses hautes murailles, en rêvant par- derrière des jouissances infinies. Dans cet accord de haines, la résistance fut lestement organisée. On prit des outres pour faire des casques, on coupa tous les palmiers dans les jardins pour avoir des lances, on creusa des citernes et, quant aux vivres, ils pêchaient aux bords du lac de gros poissons blancs, nourris de cadavres et d'immondices. Leurs remparts, maintenus en ruine par la jalousie de Carthage, étaient si faibles, que l'on pouvait, d'un coup d'épaule, les abattre. Mâtho en boucha les trous avec les pierres des maisons. C'était la dernière lutte ; il n'espérait rien, et cependant il se disait que la fortune était changeante.

  Les Carthaginois, en approchant, remarquèrent, sur le rempart, un homme qui dépassait les créneaux de toute la ceinture. Les flèches volant autour de lui n'avaient pas l'air de plus l'effrayer qu'un essaim d'hirondelles. Aucune, par extraordinaire, ne le toucha.

  Hamilcar établit son camp sur le côté méridional -. Narr'Havas, à sa droite, occupait la plaine de Rhàdès. Hannon le bord du Lac ; et les trois généraux devaient garder leur position respective pour attaquer l'enceinte, tous, en même temps.

  Mais Hamilcar voulut d'abord montrer aux Mercenaires qu'il les châtierait comme des esclaves. Il fit crucifier les dix ambassadeurs, les uns près des autres, sur un monticule, en face de la ville.

  A ce spectacle, les assiégés abandonnèrent le rempart.

  Mâtho s'était dit que, s'il pouvait passer entre les murs et les tentes de Narr'Havas assez rapidement pour que les Numides n'eussent pas le temps de sortir, il tomberait sur les derrières de l'infanterie carthaginoise, qui se trouverait prise entre sa division et ceux de l'intérieur. Il s'élança dehors avec les vétérans.

  Narr'Havas l'aperçut ; il franchit la plage du Lac et vint avertir Hannon d'expédier des hommes au secours d'Hamilcar. Croyait-il Barca trop faible pour résister aux Mercenaires ? Etait-ce une perfidie ou une sottise ? Nul jamais ne put le savoir.

  Hannon, par désir d'humilier son rival, ne balança pas. Il cria de sonner les trompettes, et toute son armée se précipita sur les Barbares. Ils se retournèrent et coururent droit aux Carthaginois ; ils les renversaient, les écrasaient sous leurs pieds, et, les refoulant ainsi, ils arrivèrent jusqu'à la tente d'Hannon qui était alors, au milieu de trente Carthaginois, les plus illustres des Anciens.

  Il parut stupéfait de leur audace ; il appelait ses capitaines. Tous avançaient leurs poings sous sa gorge, en vociférant des injures. La foule se poussait, et ceux qui avaient la main sur lui le retenaient à grand- peine. Cependant, il tâchait de leur dire à l'oreille : — " Je te donnerai tout ce que tu veux ! Je suis riche ! Sauve-moi ! - " Ils le tiraient ; si lourd qu'il fût, ses pieds ne touchaient plus la terre. On avait entraîné les Anciens. Sa terreur redoubla. — " Vous m'avez battu ! Je suis votre captif ! Je me rachète ! Ecoutez-moi, mes amis ! " Et, porté par toutes ces épaules qui le serraient aux flancs, il répétait : " Qu'allez-vous faire ? Que voulez-vous ? Je ne m'obstine pas, vous voyez bien ! J'ai toujours été bon ! "

  Une, croix gigantesque était dressée à la porte. Les Barbares hurlaient : " Ici ! ici ! " mais il éleva la voix encore plus haut ; et, au nom de leurs Dieux, il les somma de le mener au Schalischim, parce qu'il avait à lui confier une chose d'où leur salut dépendait.

  Ils s'arrêtèrent, quelques-uns prétendant qu'il était sage d'appeler Mâtho. On partit à sa recherche.

  Hannon tomba sur l'herbe ; et il voyait, autour de lui, encore d'autres croix, comme si le supplice dont il allait périr se fût d'avance multiplié, il faisait des efforts pour se convaincre qu'il se trompait, qu'il n'y en avait qu'une seule, et même pour croire qu'il n'y en avait pas du tout. Enfin on le releva.

  — " Parle ! " dit Mâtho.

  Il offrit de livrer Hamilcar, puis ils entreraient dans Carthage et seraient rois tous les deux.

  Mâtho s'éloigna, en faisant signe aux autres de se hâter. C'était, pensait- il, une ruse pour gagner du temps.

  Le Barbare se trompait ; Hannon était dans une de ces extrémités où l'on ne considère plus rien, et d'ailleurs il exécrait tellement Hamilcar que, sur le moindre espoir de salut, il l'aurait sacrifié avec tous ses soldats.

  A la base des trente croix, les Anciens languissaient par terre ; déjà des cordes étaient passées sous leurs aisselles. Alors le vieux Suffète, comprenant qu'il fallait mourir, pleura. Ils arrachèrent ce qui lui restait de vêtements — et l'horreur de sa personne apparut. Des ulcères couvraient cette masse sans nom ; la graisse de ses jambes lui cachait les ongles des pieds ; il pendait à ses doigts comme des lambeaux verdâtres ; et les larmes qui ruisselaient entre les tubercules de ses joues donnaient à son visage quelque chose d'effroyablement triste, ayant l'air d'occuper plus de place que sur un autre visage humain. Son bandeau royal, à demi dénoué, traînait avec ses cheveux blancs dans la poussière.

  Ils crurent n'avoir pas de cordes assez fortes pour le grimper jusqu'au bout de la croix, et ils le clouèrent dessus, avant qu'elle fût dressée, à la mode punique. Mais son orgueil se réveilla dans la douleur. Il se mit à les accabler d'injures. Il écumait et se tordait, comme un monstre marin que l'on égorge sur un rivage, en leur prédisant qu'ils finiraient tous plus horriblement encore et qu'il serait vengé.

  Il l'était. De l'autre côté de la ville, d'où s'échappaient maintenant des jets de flammes avec des colonnes de fumée, les ambassadeurs des Mercenaires agonisaient.

  Quelques-uns, évanouis d'abord, venaient de se ranimer sous la fraîcheur du vent ; mais ils restaient le menton sur la poitrine, et leur corps descendait un peu, malgré les clous de leurs bras fixés plus haut que leur tête ; de leurs talons et de leurs mains, du sang tombait par grosses gouttes, lentement, comme des branches d'un arbre tombent des fruits mûrs, — et Carthage, le golfe, les montagnes et les plaines, tout leur parai
ssait tourner, tel qu'une immense roue ; quelquefois, un nuage de poussière montant du sol les enveloppait dans ses tourbillons ; ils étaient brûlés par une soif horrible, leur langue se retournait dans leur bouche, et ils sentaient sur eux une sueur glaciale couler, avec leur âme qui s'en allait.

  Cependant, ils entrevoyaient à une profondeur infinie des rues, des soldats en marche, des balancements de glaives ; et le tumulte de la bataille leur arrivait vaguement, comme le bruit de la mer à des naufragés qui meurent dans la mâture d'un navire. Les Italiotes, plus robustes que les autres, criaient encore ; les Lacédémoniens, se taisant, gardaient leurs paupières fermées ; Zarxas, si vigoureux autrefois, penchait comme un roseau brisé ; l'Ethiopien, près de lui, avait la tête renversée en arrière par-dessus les bras de la croix ; Autharite, immobile, roulait des yeux ; sa grande chevelure, prise dans une fente de bois, se tenait droite sur son front, et le râle qu'il poussait semblait plutôt un rugissement de colère. Quant à Spendius, un étrange courage lui était venu ; maintenant il méprisait la vie, par la certitude qu'il avait d'un affranchissement presque immédiat et éternel, et il attendait la mort avec impassibilité.

  Au milieu de leur défaillance, quelquefois ils tressaillaient à un frôlement de plumes, qui leur passait contre la bouche. De grandes ailes balançaient des ombres autour d'eux, des croassements claquaient dans l'air ; et comme la croix de Spendius était la plus haute, ce fut sur la sienne que le premier vautour s'abattit. Alors il tourna son visage vers Autharite, et lui dit lentement, avec un indéfinissable sourire :

  — " Te rappelles-tu les lions sur la route de Sicca ? "

  — " C'étaient nos frères ! " répondit le Gaulois en expirant.

  Le Suffète, pendant ce temps-là, avait troué l'enceinte, et il était parvenu à la citadelle. Sous une rafale de vent, la fumée tout à coup s'envola, découvrant l'horizon jusqu'aux murailles de Carthage ; il crut même distinguer des gens qui regardaient sur la plate-forme d'Eschmoûn ; puis, en ramenant ses yeux, il aperçut, à gauche, au bord du Lac, trente croix démesurées.

  En effet, pour les rendre plus effroyables, ils les avaient construites avec les mâts de leurs tentes attachés bout à bout ; et les trente cadavres des Anciens apparaissaient tout en haut dans le ciel. Il y avait sur leurs poitrines comme des papillons blancs ; c'étaient les barbes des flèches qu'on leur avait tirées d'en bas.

  Au faîte de la plus grande, un large ruban d'or brillait ; il pendait sur l'épaule, le bras manquait de ce côté-là, et Hamilcar eut de la peine à reconnaître Hannon. Ses os spongieux ne tenant pas sous les fiches de fer, des portions de ses membres s'étaient détachées, — et il ne restait à la croix que d'informes débris, pareils à ces fragments d'animaux suspendus contre la porte des chasseurs.

  Le Suffète n'avait rien pu savoir : la ville, devant lui, masquait tout ce qui était au-delà, par-derrière ; et les capitaines envoyés successivement aux deux généraux n'avaient pas reparu. Alors, des fuyards arrivèrent, racontant la déroute ; et l'armée punique s'arrêta. Cette catastrophe, tombant au milieu de leur victoire, les stupéfiait. Ils n'entendaient plus les ordres d'Hamilcar.

  Mâtho en profitait pour continuer ses ravages dans les Numides.

  Le camp d'Hannon bouleversé, il était revenu sur eux. Les éléphants sortirent. Mais les Mercenaires, avec des brandons arrachés aux murs, s'avancèrent par la plaine en agitant des flammes, et les grosses bêtes, effrayées, coururent se précipiter dans le golfe, où elles se tuaient les unes les autres en se débattant, et se noyèrent sous le poids de leurs cuirasses. Déjà Narr'Havas avait lâché sa cavalerie ; tous se jetèrent la face contre le sol ; puis, quand les chevaux furent à trois pas d'eux, ils bondirent sous leurs ventres qu'ils ouvraient d'un coup de poignard, et la moitié des Numides avait péri quand Barca survint.

  Les Mercenaires, épuisés, ne pouvaient tenir contre ses troupes. Ils reculèrent en bon ordre jusqu'à la montagne des Eaux-Chaudes. Le Suffète eut la prudence de ne pas les poursuivre. Il se porta vers les embouchures du Macar.

  Tunis lui appartenait ; mais elle ne faisait plus qu'un amoncellement de décombres fumants. Les ruines descendaient par les brèches des murs, jusqu'au milieu de la plaine ; — tout au fond, entre les bords du golfe, les cadavres des éléphants, poussés par la brise, s'entrechoquaient, comme un archipel de rochers noirs flottant sur l'eau.

  Narr'Havas, pour soutenir cette guerre, avait épuisé ses forêts, pris les jeunes et les vieux, les mâles et les femelles, et la force militaire de son royaume ne s'en releva pas. Le peuple, qui les avait vus de loin périr, en fut désolé ; des hommes se lamentaient dans les rues en les appelant par leurs noms, comme des amis défunts :

  — " Ah ! l'invincible ! la Victoire ! le Foudroyant ! l'Hirondelle ! " Le premier jour même, on en parla plus que des citoyens morts. Mais le lendemain on aperçut les tentes des Mercenaires sur la montagne des Eaux-Chaudes. Alors le désespoir fut si profond, que beaucoup de gens, des femmes surtout, se précipitèrent, la tête en bas, du haut de l'Acropole.

  On ignorait les desseins d'Hamilcar. Il vivait seul, dans sa tente, n'ayant près de lui qu'un jeune garçon, et jamais personne ne mangeait avec eux, pas même Narr'Havas. Cependant, il lui témoignait des égards extraordinaires depuis la défaite d'Hannon ; mais le roi des Numides avait trop d'intérêts à devenir son fils pour ne pas s'en méfier.

  Cette inertie voilait des manoeuvres habiles. Par toutes sortes d'artifices, Hamilcar séduisit les chefs des villages ; et les Mercenaires furent chassés, repoussés, traqués comme des bêtes féroces. Dès qu'ils entraient dans un bois, les arbres s'enflammaient autour d'eux ; quand ils buvaient à une source, elle était empoisonnée ; on murait les cavernes où ils se cachaient pour dormir. Les populations qui les avaient jusque-là défendus, leurs anciens complices, maintenant les poursuivaient ; ils reconnaissaient toujours dans ces bandes des armures carthaginoises.

  Plusieurs étaient rongés au visage par des dartres rouges ; cela leur était venu, pensaient-ils, en touchant Hannon. D'autres s'imaginaient que c'était pour avoir mangé les poissons de Salammbô, et, loin de s'en repentir, ils rêvaient des sacrilèges encore plus abominables, afin que l'abaissement des Dieux puniques fût plus grand. Ils auraient voulu les exterminer.

  Ils se traînèrent ainsi pendant trois mois le long de la côte orientale, puis derrière la montagne de Selloum et jusqu'aux premiers sables du désert. Ils cherchaient une place de refuge, n'importe laquelle. Utique et Hippo- Zaryte seules ne les avaient pas trahis ; mais Hamilcar enveloppait ces deux villes. Puis ils remontèrent dans le nord, au hasard, sans même connaître les routes. A force de misères, leur tête était troublée.

  Ils n'avaient plus que le sentiment d'une exaspération qui allait en se développant ; et ils se retrouvèrent un jour dans les gorges du Cobus, encore une fois devant Carthage !

  Alors les engagements se multiplièrent. La fortune se maintenait égale ; mais ils étaient, les uns et les autres, tellement excédés, qu'ils souhaitaient, au lieu de ces escarmouches, une grande bataille, pourvu qu'elle fût bien la dernière.

  Mâtho avait envie d'en porter lui-même la proposition au Suffète. Un de ses Libyens se dévoua. Tous, en le voyant partir, étaient convaincus qu'il ne reviendrait pas.

  Il revint le soir même.

  Hamilcar acceptait leur défi. On se rencontrerait le lendemain, au soleil levant, dans la plaine de Rhadès.

  Les Mercenaires voulurent savoir s'il n'avait rien dit de plus, et le Libyen ajouta :

  — " Comme je restais devant lui, il m'a demandé ce que j'attendais : j'ai répondu : " Qu'on me tue ! "

  Alors il a repris : " Non, va-t'en ! ce sera pour demain avec les autres. "

  Cette générosité étonna les Barbares ; quelques-uns en furent terrifiés, et Mâtho regretta que le parlementaire n'eût pas été tué.

  Il lui restait encore trois mille Africains, douze cents Grecs, quinze cents Campaniens, deux cents Ibères, quatre cents Etrusques, cinq cents Samnites, quarante Gaulois et une troupe de Naffur,
bandits nomades rencontrés dans la région-des-dattes, en tout, sept mille deux cent dix- neuf soldats, mais pas une syntagme complète. Ils avaient bouché les trous de leurs cuirasses avec des omoplates de quadrupèdes et remplacé leurs cothurnes d'airain par des sandales en chiffons. Des plaques de cuivre ou de fer alourdissaient leurs vêtements ; leurs cottes de mailles pendaient en guenilles autour d'eux et les balafres apparaissaient, comme des fils de pourpre, entre les poils de leurs bras et de leurs visages.

  Les colères de leurs compagnons morts leur revenaient à l'âme et multipliaient leur vigueur ; ils sentaient confusément qu'ils étaient les desservants d'un dieu épandu dans les coeurs d'opprimés, et comme les pontifes de la vengeance universelle ! Puis la douleur d'une injustice exorbitante les enrageait et surtout la vue de Carthage à l'horizon. Ils firent le serment de combattre les uns pour les autres jusqu'à la mort.

  On tua les bêtes de somme et l'on mangea le plus possible, afin de se donner des forces ; ensuite ils dormirent. Quelques-uns prièrent, tournés vers des constellations différentes.

  Les Carthaginois arrivèrent dans la plaine avant eux. Ils frottèrent le bord des boucliers avec de l'huile pour faciliter le glissement des flèches ; les fantassins, qui portaient de longues chevelures, se les coupèrent sur le front, par prudence ; et Hamilcar, dès la cinquième heure, fit renverser toutes les gamelles, sachant qu'il est désavantageux de combattre l'estomac trop plein. Son armée montait à quatorze mille hommes, le double environ de l'armée barbare. Jamais il n'avait éprouvé, cependant, une pareille inquiétude ; s'il succombait, c'était l'anéantissement de la république et il périrait crucifié ; s'il triomphait au contraire, par les Pyrénées, les Gaules et les Alpes il gagnerait l'Italie, et l'empire des Barca deviendrait éternel. Vingt fois pendant la nuit il se releva pour surveiller tout, lui-même, jusque dans les détails les plus minimes. Quant aux Carthaginois, ils étaient exaspérés par leur longue épouvante.

 

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