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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 456

by Gustave Flaubert


  (Il la pose, avec mille précautions, sur une chaise, et court ouvrir la porte de droite.) Holà ! (d’une voix désespérée)

  Personne ! (Il court à gauche, après s’être retourné vers Mme de Saint-Laurent.) A l’aide !... si tout le monde est parti, me voilà bien ! (revenant et cherchant à détacher sa ceinture) Elle étouffe... (ne pouvant y parvenir) Victoire ! (le fichu tombe) Elle a des épaules charmantes, cette fille-là !...

  (lui frottant les tempes) Ma toute belle ! (Mme de SaintLaurent lui jette un regard languissant, devant lequel il demeure saisi.) Madame ! (à part) Quels yeux ! (la soulevant à moitié) Mettez-vous, au moins, dans le fauteuil, Madame !

  Mme DE SAINT-LAURENT (refusant d’une voix faible)

  Quand vous êtes là ?

  M. VARIN DES ILOTS

  (la soutenant et la plaçant amoureusement dans le fauteuil, dont il arrange les coussins)

  Je l’exige ! (Il lui met le tabouret sous les pieds.) De cette façon, vous serez mieux.

  (apercevant au fond la table servie)

  Attendez ! attendez ! (Il remplit un verre et remue le sucre avec une cuillère, puis revient.)

  MME DE SAINT-LAURENT

  Vous, Monsieur le général, me servir !

  M. VARIN DES ILOTS

  (lui tendant le verre qu’elle finit par accepter)

  Pourquoi pas ?

  Mme DE SAINT-LAURENT (hésitant à boire)

  Je serais trop confuse !

  M. VARIN DES ILOTS

  Allons ! buvez ! (Elle boit.) Servir la beauté, n’est-ce pas le rôle d’un soldat ? (Il reprend le verre, et va le poser sur la table.)

  Mme DE SAINT-LAURENT

  Vous vous moquez... c’est cruel !

  M. VARIN DES ILOTS (éclatant)

  Je ne me moque pas, mille tonnerres ! et il faut que Paul soit un fier dindon, s’il n’a pu oublier devant de pareils charmes...

  Mme DE SAINT-LAURENT (jouant la surprise)

  Que dites-vous ?

  M. VARIN DES ILOTS (embarrassé)

  Je... moi ?... je ne dis rien... (courant vers la table) Encore un peu d’eau sucrée, peut-être ?

  Mme DE SAINT-LAURENT (faisant signe que non)

  Mille grâces !

  M. VARIN DES ILOTS

  (s’asseyant sur une chaise en face d’elle)

  Vous vous trouvez tout à fait bien maintenant ?

  Mme DE SAINT-LAURENT

  (cachant son visage dans ses deux mains)

  Ah ! Monsieur le général, que je suis donc malheureuse de vous avoir vu !

  M. VARIN DES ILOTS (abasourdi)

  Comment cela ?

  Mme DE SAINT-LAURENT

  Cette rupture... elle devait éclater... un de ces jours... fatalement... je la sentais venir aux dédains de Paul, à ses colères ; mais, alors, j’aurais quitté la vie sans un regret, avec tout mon désespoir... et toute ma haine... je ne me serais pas souvenue, au départ, qu’on trouve des cœurs d’hommes faits autrement que le sien !

  M. VARIN DES ILOTS

  Pauvre enfant !

  Mme DE SAINT-LAURENT

  (jetant sur lui un regard d’admiration)

  Que vous ne lui ressemblez guère ! vous avez pleuré votre bonne Gertrude, vous !

  M. VARIN DES ILOTS (très ému)

  Je la pleure encore.

  Mme DE SAINT-LAURENT

  Ce n’était pas une servante, c’était une véritable amie...

  une compagne...

  M. VARIN DES ILOTS

  C’est vrai, c’est vrai.

  Mme DE SAINT-LAURENT (avec émotion)

  Ah ! si l’on recommençait son existence, s’il n’était pas si tard ! si je me sentais assez pure ! avec quelle joie et quelle affection de toutes les heures... j’aurais pu continuer près de vous, moi plus jeune, plus forte, et aussi dévouée...

  peut-être... (changeant de ton) Mais il n’y faut pas songer, c’est un rêve ! le malheur a son châtiment, comme le crime, et quelle que soit la cause qui nous perd, le monde ne voit que notre flétrissure, lui !

  M. VARIN DES ILOTS (rêveur et frémissant)

  Oh ! la jolie petite Gertrude !

  Mrae DE SAINT-LAURENT (d’une voix brisée)

  Au lieu de cette félicité... de cet honneur... je n’ai plus, devant moi, qu’une mort prochaine... ou qu’un avenir misérable !...

  M. VARIN DES ILOTS

  Qui dit cela ?

  Mme DE SAINT-LAURENT

  (désignant les objets d’un bras découragé)

  Il faudra vendre, à l’enchère, mes meubles, mes tapis, tous ces riens élégants dont j’ignorais jusqu’au nom, mais auxquels on finit par s’attacher... malgré soi...

  M. VARIN DES ILOTS (l’interrompant)

  Laissez donc !

  Mme DE SAINT-LAURENT (énergiquement)

  A moins que je ne les abandonne avec mépris... (regardant à terre) comme ces bracelets d’or qui sont à terre !

  M. VARIN DES ILOTS

  (les ramassant avec peine, ainsi que le peigne et le collier)

  Vous les garderez, Madame !

  Mme DE SAINT-LAURENT (les repoussant de la main)

  Que je les garde ! pour qu’ils me rappellent encore qui me les a donnés !

  M. VARIN DES ILOTS

  Ils vous rappelleront celui qui les paie...

  Mme DE SAINT-LAURENT

  (feignant de ne pas comprendre)

  Comment ?

  M. VARIN DES ILOTS (les lui tendant toujours)

  ...et qui vous les offre...

  Mme DE SAINT-LAURENT

  Mais...

  M. VARIN DES ILOTS

  ... à la condition de les rattacher, lui-même, à vos beaux bras ! (Il lui remet les bracelets, en embrassant les deux mains tour à tour.)

  Mme DE SAINT-LAURENT (comme dans un songe)

  Est-ce possible ?

  M. VARIN DES ILOTS

  Voici le collier. (Il le lui passe au cou.) Voici le peigne !

  (Il le lui met dans la main.)

  Mme DE SAINT-LAURENT

  Ah ! Monsieur ! Monsieur ! qu’ai-je besoin de tout cela ?

  je ne suis pas assez grande dame pour qu’on m’enterre avec mes bijoux.

  M. VARIN DES ILOTS (se récriant)

  Vous enterrer !

  Mrae DE SAINT-LAURENT

  (ouvrant les bras, d’un air accablé)

  Seule au monde !

  M. VARIN DES ILOTS (lui prenant la main)

  Mais moi...

  Mme DE SAINT-LAURENT

  Maudite !

  M. VARIN DES ILOTS

  Que dites-vous ?

  Mme DE SAINT-LAURENT

  Méprisée !

  M. VARIN DES ILOTS

  Jamais ! pauvre innocente ! un piège tendu !... je comprends tout !

  MME DE SAINT-LAURENT

  Mais qui me défendra ? qui me défendra ?

  M. VARIN DES ILOTS (avec force)

  Je ne suis donc pas là, mille bombes !

  Mme DE SAINT-LAURENT (avec un grand cri)

  Vous !

  M. VARIN DES ILOTS

  Moi ! (bas) sans compter ma maison qui sera la tienne...

  Il faut bien que je répare les torts de mon filleul !

  Mme DE SAINT-LAURENT

  (se précipitant à ses pieds, et posant sa tête échevelée sur les mains de M. Varin des Ilots)

  Merci ! merci !

  M. VARIN DES ILOTS (à part)

  Oh ! la jolie petite Gertrude !

  (La toile tombe.)

  ACTE V

  Scène 1

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Il n’est pas rentré ?

  VALENTINE

  Non, maman, je l’attends.

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Et moi aussi ! (à part) Sans en compter un autre ! mais celui-là ! (comme pour dire : je m’en moque !)

  MME DUVERNIER

  Une bien triste fête, Mesdames.

  Mme DE MÉRILHAC

  Manquer au mariage de son ami intime et de sa belle-sœur !

 
; Mme DUVERNIER

  Et son pauvre parrain qu’on n’a pas revu !

  MME DE GRÉMONVILLE

  Jugez donc ! un coup de cette force à son âge ! lui qui aimait Paul comme son fils ! Il y a de quoi le tuer.

  Mme DE MÉRILHAC

  Surtout s’il n’a pas pu encore l’arracher aux séductions de cette... misérable !

  MME DE GRÉMONVILLE (à Mme Duvernier)

  Un vieillard qui succombe, une femme délaissée, une orpheline, voilà l’œuvre de Monsieur Paul, Madame !

  Mme DUVERNIER

  J’en souffre plus que vous, moi, sa mère !

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Je suis mère aussi, permettez !

  Mme DUVERNIER

  Sans doute ! et quand j’aurais des excuses à apporter...

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Lesquelles, s’il vous plaît ?

  Mme DUVERNIER

  Car enfin, vous l’avez abandonné un peu vite, comtesse ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Dites qu’il s’est abandonné lui-même ! Devant un scandale qui arrive à ces proportions...

  Mme DE GRÉMONVILLE

  C’est juste ! et peut-être Madame Duvernier comprend-elle maintenant où mène une éducation... trop... libérale.

  Mme DUVERNIER

  Parfaitement ! surtout quand elle vient se heurter à une cohabitation imprudente !

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Oh ! il avait déjà ses petits projets.

  MME DUVERNIER

  Tout le monde ne peut avoir votre perspicacité, Madame !

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Elle n’a pas suffi toutefois à défendre ma fille chérie !

  Cette pauvre enfant, la première victime, qu’a-t-elle fait, je vous le demande ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Rien, à coup sûr ! et au lieu de vous accuser mutuellement d’un malheur dont vous êtes innocentes l’une et l’autre, mieux vaudrait nous unir pour en empêcher le retour.

  Mme DUVERNIER

  Volontiers.

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Tout de suite.

  Mme DE MÉRILHAC

  Mais si nous consultions Monsieur des Orbières ? Il reviendra tout à l’heure. (à Mme de Grémonville) Son petit cadeau de noces ! vous savez ? (Mme de Grémonville lui répond par un signe d’intelligence.)

  Mrae DUVERNIER

  N’importe ! nous pourrions, dès maintenant, commencer.

  Mme DE GRÉMONVILLE

  (ià part, regardant la pendule, et agitée)

  Un retard inexplicable... pas de lettres ! rien !

  Mme DE MÉRILHAC

  Je crois donc que la première chose à faire serait...

  VALENTINE (en sursaut)

  Lui !

  Scène 2

  PAUL (sur le seuil)

  Tout le monde au mariage ! je m’en doutais ! Valentine !...

  (Il fait un pas vers elle.)

  Mme DE GRÉMONVILLE

  (lui barrant le passage, sévèrement)

  Vous vous trompez, Monsieur !

  PAUL (interdit)

  Vous, Madame !

  Mme DE MÉRILHAC (s’approchant, dédaigneusement)

  Vous vous trompez !

  PAUL (éperdu)

  Comtesse !

  Mme DUVERNIER (s’avançant, d’un ton solennel)

  Vous vous trompez !

  PAUL (avec épouvante)

  Ma mère ! (cherchant avec anxiété) Où est Amédée ? où est le général ? (à part, avec terreur) Pas un homme ! pas un pan d’habit où me raccrocher !... et toutes ces crinolines amoncelées autour de moi comme des vagues !

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Vous auriez trouvé plus commode qu’elle fût abandonnée, n’est-ce pas ?

  PAUL

  J’avoue qu’une explication pareille, en public...

  Mrae DE MÉRILHAC

  Si ma présence vous gêne ?

  Mme DUVERNIER

  Restez, comtesse ! vous avez ici des droits, le fils a pu se jouer de vos bontés, la mère se fait un devoir de s’en souvenir.

  PAUL (allant vers sa femme)

  Valentine !

  VALENTINE (détourne la tête en sanglotant)

  Mon Dieu ! mon Dieu !

  Mme DE GRÉMONVILLE

  (se précipite entre lui et Valentine, et croisant les bras)

  Vous ne comprenez donc pas qu’elle sait tout ?

  Scène 3

  (La nourrice portant l’enfant et entrant par la gauche.)

  PAUL (va pour embrasser sa fille)

  Celle-là, au moins !

  Mme DE GRÉMONVILLE

  [relève vivement le voile du maillot de manière à le couvrir tout entier)

  C’est ma fille ! vos lèvres ne sont plus celles d’un père !

  elle m’appartient plus qu’à vous, maintenant ! Peut-être sa petite âme comprend-elle déjà son malheur, et si sa faible bouche pouvait parler, elle vous jetterait votre condamnation à la face !

  PAUL [saluant profondément le maillot)

  Oui ! vous avez raison, c’est une femme aussi, je m’incline.

  Mme DE GRÉMONVILLE (à la nourrice)

  Emportez l’enfant, nourrice ! (La nourrice sort par la gauche.)

  PAUL

  Je vous prie instamment de la suivre, Mesdames, j’ai à parler à ma femme.

  Mrae DE GRÉMONVILLE

  Bien, Monsieur ! nous allons réfléchir sur le parti qu’il faut prendre.

  (Valentine fait un mouvement pour suivre les trois dames, Paul l’arrête par le bras.)

  Scène 4

  VALENTINE

  Laissez-moi, Monsieur, laissez-moi !

  PAUL

  Seulement deux mots !

  VALENTINE

  Impossible ! on m’attend.

  PAUL

  Ecoute-moi !

  VALENTINE

  Après toutes les choses qui se sont passées !

  PAUL

  Continue ! je ne me défendrai pas ! tes torts, si tu en as eu, sont absorbés dans ma faute. Te rappelles-tu ce soir où tu refusas de m’accompagner au théâtre ? j’en ai honte :

  tout vient de là... Que veux-tu ? l’amour-propre blessé, un moment de dépit... j’étais fou !

  VALENTINE

  Cette femme ! cette femme !

  PAUL

  N’en sois pas jalouse, j’ai trouvé mon premier châtiment dans la vulgarité de son âme... et peut-être me fallait-il cette épreuve pour comprendre moi-même jusqu’à quel point je t’adore.

  VALENTINE

  Une épreuve terrible où l’on a brisé mon cœur sans retour.

  PAUL

  Ne dis jamais de ces mots-là, Valentine ! rien n’est brisé, rien n’est mort ! Me voilà sorti de ma folie comme d’un mauvais rêve, je me sens désormais assez de dévouement et de tendresse pour effacer dans ton âme jusqu’au souvenir de mon erreur.

  VALENTINE (les yeux au ciel)

  Comme s’il m’était possible de le croire, maintenant !

  PAUL (avec désespoir)

  Que faut-il faire ? est-ce un éclat que tu demandes ? une séparation ? un scandale ? ou supposes-tu que notre raccommodement sera mieux cimenté par les autres que par nousmêmes ? Non, n’est-ce pas ?... Détourne-toi ! réponds-moi !

  nos mains pour s’étreindre n’ont pas besoin qu’on les pousse, et le pardon que j’attends de ma femme ne veut pas d’autre intermédiaire qu’un baiser.

  VALENTINE (émue)

  Mon Dieu !

  PAUL (s’agenouillant)

  Valentine ! aimes-tu mieux que je meure, Valentine ?

  VALENTINE (le regardant)

  Paul ! (Paul couvre sa main de baisers.)

  Scène 5

  THÉRÈSE

  Malheureuse ! le regarder ! lui parler ! (se tournant avec un rire dépité) Et moi qui accourais ici pour la plaindre !

  PAUL (dignement)

  Ici, Madame ?

  THÉRÈSE

  Oh ! ne craignez rien, je me retire ; ouvrez la porte, Amédée ! />
  VALENTINE

  (court vers Thérèse, Amédée reste la main sur la porte)

  Il voulait mourir, Thérèse !

  THÉRÈSE (haussant les épaules et regardant Amédée)

  Pauvre tête ! (à Valentine, bas) Mais tu ne comprends pas que c’est donner tort à ma mère et déshonorer tout ton sexe ?... Votre bras Amédée ! (à Valentine, haut) Tu devrais rougir, te dis-je ! tu es plus coupable que lui ! (à Paul) Adieu, Monsieur !

  PAUL

  Est-ce pour toujours, Thérèse ?

  THÉRÈSE

  Mais rester plus longtemps, il me semble, ce serait encourager votre conduite...

  PAUL

  Ah ! vous oubliez un peu le service que je vous ai rendu ?

  Quel service ?

  AMÉDÉE (s’avançant)

  Oui, lequel ?

  PAUL (après un long silence)

  Il est considérable, je vous jure ; je dis bien considérable.

  (voyant que Valentine va sortir) Valentine ! (à Thérèse, lui montrant la porte de droite par où vient de s’en aller Valentine) Ne sortez pas, Madame, on délibère ici contre moi, c’est votre place.

 

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