The Illustrated Salomé in English & French (with Active Table of Contents)
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UN QUATRIEME JUIF. Il ne faut pas dire cela. C’est une idee tres dangereuse. C’est une idee qui vient des ecoles d’Alexandrie ou on enseigne la philosophie grecque. Et les Grecs sont des gentils. Ils ne sont pas meme circoncis.
UN CINQUIEME JUIF. On ne peut pas savoir comment Dieu agit, ses voies sont tres mysterieuses. Peut-etre ce que nous appelons le mal est le bien, et ce que nous appelons le bien est le mal. On ne peut rien savoir. Le necessaire c’est de se soumettre a tout. Dieu est tres fort. Il brise au meme temps les faibles et les forts. Il n’a aucun souci de personne.
LE PREMIER JUIF. C’est vrai cela. Dieu est terrible. Il brise les faibles et les forts comme on brise le ble dans un mortier. Mais cet homme n’a jamais vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophete Elie.
HERODIAS. Faites-les taire. Ils m’ennuient
HERODE. Mais j’ai entendu dire qu’Iokanaan lui-meme est votre prophete Elie.
UN JUIF. Cela ne se peut pas. Depuis le temps du prophete Elie il y a plus de trois cents ans.
HERODE. Il y en a qui disent que c’est le prophete Elie.
UN NAZAREEN. Mais, je suis sur que c’est le prophete Elie.
UN JUIF. Mais non, ce n’est pas le prophete Elie.
LA VOIX D’IOKANAAN. Le jour est venu, le jour du Seigneur, et j’entends sur les montagnes les pieds de celui qui sera le Sauveur du monde.
HERODE. Qu’est ce que cela veut dire? Le Sauveur du monde?
TIGELLIN. C’est un titre que prend Cesar.
HERODE. Mais Cesar ne vient pas en Judee. J’ai recu hier des lettres de Rome. On ne m’a rien dit de cela. Enfin, vous, Tigellin, qui avez ete a Rome pendant l’hiver, vous n’avez rien entendu dire de cela?
TIGELLIN. En effet, Seigneur, je n’en ai pas entendu parler. J’explique seulement le titre. C’est un des titres de Cesar.
HERODE. Il ne peut pas venir, Cesar. Il est goutteux. On dit qu’il a des pieds d’elephant. Aussi il y a des raisons d’Etat. Celui qui quitte Rome perd Rome. Il ne viendra pas. Mais, enfin, c’est le maitre, Cesar. Il viendra s’il veut. Mais je ne pense pas qu’il vienne.
LE PREMIER NAZAREEN. Ce n’est pas de Cesar que le prophete a parle, Seigneur.
HERODE. Pas de Cesar?
LE PREMIER NAZAREEN. Non, Seigneur.
HERODE. De qui donc a-t-il parle?
LE PREMIER NAZAREEN. Du Messie qui est venu.
UN JUIF. Le Messie n’est pas venu.
LE PREMIER NAZAREEN. Il est venu, et il fait des miracles partout.
HERODIAS. Oh! Oh! les miracles. Je ne crois pas aux miracles. J’en ai vu trop. [Au page.] Mon eventail.
LE PREMIER NAZAREEN. Cet homme fait de veritables miracles. Ainsi, a l’occasion d’un mariage qui a eu lieu dans une petite ville de Galilee, une ville assez importante, il a change de l’eau en vin. Des personnes qui etaient la me l’ont dit. Aussi il a gueri deux lepreux qui etaient assis devant la porte de Capharnaum, seulement en les touchant.
LE SECOND NAZAREEN. Non, c’etaient deux aveugles qu’il a gueris a Capharnaum.
LE PREMIER NAZAREEN. Non, c’etaient des lepreux. Mais il a gueri des aveugles aussi, et on l’a vu sur une montagne parlant avec des anges.
UN SADDUCEEN. Les anges n’existent pas.
UN PHARISIEN. Les anges existent, mais je ne crois pas que cet homme leur ait parle.
LE PREMIER NAZAREEN. Il a ete vu par une foule de passants parlant avec des anges.
UN SADDUCEEN. Pas avec des anges.
HERODIAS. Comme ils m’agacent, ces hommes! Ils sont betes. Ils sont tout a fait betes. [Au page.] Eh! bien, mon eventail. [Le page lui donne l’eventail.] Vous avez l’air de rever. Il ne faut pas rever. Les reveurs sont des malades. [Elle frappe le page avec son eventail.]
LE SECOND NAZAREEN. Aussi il y a le miracle de la fille de Jaire.
LE PREMIER NAZAREEN. Mais oui, c’est tres certain cela. On ne peut pas le nier.
HERODIAS. Ces gens-la sont fous. Ils ont trop regarde la lune. Dites-leur de se taire.
HERODE. Qu’est-ce que c’est que cela, le miracle de la fille de Jaire?
LE PREMIER NAZAREEN. La fille de Jaire etait morte. Il l’a ressuscitee.
HERODE. Il ressuscite les morts?
LE PREMIER NAZAREEN. Oui, Seigneur. Il ressuscite les morts.
HERODE. Je ne veux pas qu’il fasse cela. Je lui defends de faire cela. Je ne permets pas qu’on ressuscite les morts. Il faut chercher cet homme et lui dire que je ne lui permets pas de ressusciter les morts. Ou est-il a present, cet homme?
LE SECOND NAZAREEN. Il est partout, Seigneur, mais il est tres difficile de le trouver.
LE PREMIER NAZAREEN. On dit qu’il est en Samarie a present.
UN JUIF. On voit bien que ce n’est le Messie, s’il est en Samarie. Ce n’est pas aux Samaritains que le Messie viendra. Les Samaritains sont maudits. Ils n’apportent jamais d’offrandes au temple.
LE SECOND NAZAREEN. Il a quitte la Samarie il y a quelques jours. Moi, je crois qu’en ce moment-ci il est dans les environs de Jerusalem.
LE PREMIER NAZAREEN. Mais non, il n’est pas la. Je viens justement d’arriver de Jerusalem. On n’a pas entendu parler de lui depuis deux mois.
HERODE. Enfin, cela ne fait rien! Mais il faut le trouver et lui dire de ma part que je ne lui permets pas de ressusciter les morts. Changer de l’eau en vin, guerir les lepreux et les aveugles . . . il peut faire tout cela s’il le veut. Je n’ai rien a dire contre cela. En effet, je trouve que guerir les lepreux est une bonne action. Mais je ne permets pas qu’il ressuscite les morts . . . Ce serait terrible, si les morts reviennent.
LA VOIX D’IOKANAAN. Ah! l’impudique! la prostituee! Ah! la fille de Babylone avec ses yeux d’or et ses paupieres dorees! Voici ce que dit le Seigneur Dieu. Faites venir contre elle une multitude d’hommes. Que le peuple prenne des pierres et la lapide . . .
HERODIAS. Faites-le taire!
LA VOIX D’IOKANAAN. Que les capitaines de guerre la percent de leurs epees, qu’ils l’ecrasent sous leurs boucliers.
HERODIAS. Mais, c’est infame.
LA VOIX D’IOKANAAN. C’est ainsi que j’abolirai les crimes de dessus la terre, et que toutes les femmes apprendront a ne pas imiter les abominations de celle-la.
HERODIAS. Vous entendez ce qu’il dit contre moi? Vous le laissez insulter votre epouse?
HERODE. Mais il n’a pas dit votre nom.
HERODIAS. Qu’est-ce que cela fait? Vous savez bien que c’est moi qu’il cherche a insulter. Et je suis votre epouse, n’est-ce pas?
HERODE. Oui, chere et digne Herodias, vous etes mon epouse, et vous avez commence par etre l’epouse de mon frere.
HERODIAS. C’est vous qui m’avez arrachee de ses bras.
HERODE. En effet, j’etais le plus fort . . . mais ne parlons pas de cela. Je ne veux pas parler de cela. C’est a cause de cela que le prophete a dit des mots d’epouvante. Peut-etre a cause de cela va-t-il arriver un malheur. N’en parlons pas . . . Noble Herodias, nous oublions nos convives. Verse-moi a boire, ma bien-aimee. Remplissez de vin les grandes coupes d’argent et les grandes coupes de verre. Je vais boire a la sante de Cesar. Il y a des Romains ici, il faut boire a la sante de Cesar.
TOUS. Cesar! Cesar!
HERODE. Vous ne remarquez pas comme votre fille est pale.
HERODIAS. Qu’est-ce que cela vous fait qu’elle soit pale ou non?
HERODE. Jamais je ne l’ai vue si pale.
HERODIAS. Il ne faut pas la regarder.
LA VOIX D’IOKANAAN. En ce jour-la le soleil deviendra noir comme un sac de poil, et la lune deviendra comme du sang, et les etoiles du ciel tomberont sur la terre comme les figues vertes tombent d’un figuier, et les rois de la terre auront peur.
HERODIAS. Ah! Ah! Je voudrais bien voir ce jour dont il parle, ou la lune deviendra comme du sang et ou les etoiles tomberont sur la terre comme des figues vertes. Ce prophete parle comme un homme ivre . . . Mais je ne peux pas souffrir le son de sa voix. Je deteste sa voix. Ordonnez qu’il se taise.
HERODE. Mais non. Je ne comp
rends pas ce qu’il a dit, mais cela peut etre un presage.
HERODIAS. Je ne crois pas aux presages. Il parle comme un homme ivre.
HERODE. Peut-etre qu’il est ivre du vin de Dieu!
HERODIAS. Quel vin est-ce, le vin de Dieu? De quelles vignes vient-il? Dans quel pressoir peut-on le trouver?
HERODE. [Il ne quitte plus Salomé du regard.] Tigellin, quand tu as ete a Rome dernierement, est-ce que l’empereur t’a parle au sujet . . .?
TIGELLIN. A quel sujet, Seigneur?
HERODE. A quel sujet? Ah! je vous ai adresse une question, n’est- ce pas? J’ai oublie ce que je voulais savoir.
HERODIAS. Vous regardez encore ma fille. Il ne faut pas la regarder. Je vous ai deja dit cela.
HERODE. Vous ne dites que cela.
HERODIAS. Je le redis.
HERODE. Et la restauration du temple dont on a tant parle? Est-ce qu’on va faire quelque chose? On dit, n’est-ce pas que le voile du sanctuaire a disparu?
HERODIAS. C’est toi qui l’a pris. Tu parles a tort et a travers. Je ne veux pas rester ici. Rentrons.
HERODE. Salomé, dansez pour moi.
HERODIAS. Je ne veux pas qu’elle danse.
SALOMÉ. Je n’ai aucune envie de danser, tetrarque.
HERODE. Salomé, fille d’Herodias, dansez pour moi.
HERODIAS. Laissez la tranquille.
HERODE. Je vous ordonne de danser, Salomé.
SALOMÉ. Je ne danserai pas, tetrarque.
HERODIAS [riant] Voila comme elle vous obeit!
HERODE. Qu’est-ce que cela me fait qu’elle danse ou non? Cela ne me fait rien. Je suis heureux ce soir. Je suis tres heureux. Jamais je n’ai ete si heureux.
LE PREMIER SOLDAT. Il a l’air sombre, le tetrarque. N’est-ce pas qu’il a l’air sombre?
LE SECOND SOLDAT. Il a l’air sombre.
HERODE. Pourquoi ne serais-je pas heureux? Cesar, qui est le maitre du monde, qui est le maitre de tout, m’aime beaucoup. Il vient de m’envoyer des cadeaux de grande valeur. Aussi il m’a promis de citer a Rome le roi de Cappadoce qui est mon ennemi. Peut-etre a Rome il le crucifiera. Il peut faire tout ce qu’il veut, Cesar. Enfin, il est le maitre. Ainsi, vous voyez, j’ai le droit d’etre heureux. Il n’y a rien au monde qui puisse gater mon plaisir.
LA VOIX D’IOKANAAN. Il sera assis sur son trone. Il sera vetu de pourpre et d’ecarlate. Dans sa main il portera un vase d’or plein de ses blasphemes. Et l’ange du Seigneur Dieu le frappera. Il sera mange des vers.
HERODIAS. Vous entendez ce qu’il dit de vous. Il dit que vous serez mange des vers.
HERODE. Ce n’est pas de moi qu’il parle. Il ne dit jamais rien contre moi. C’est du roi de Cappadoce qu’il parle, du roi de Cappadoce qui est mon ennemi. C’est celui-la qui sera mange des vers. Ce n’est pas moi. Jamais il n’a rien dit contre moi, le prophete, sauf que j’ai eu tort de prendre comme epouse l’epouse de mon frere. Peut-etre a-t-il raison. En effet, vous etes sterile.
HERODIAS. Je suis sterile, moi. Et vous dites cela, vous qui regardez toujours ma fille, vous qui avez voulu la faire danser pour votre plaisir. C’est ridicule de dire cela. Moi j’ai eu un enfant. Vous n’avez jamais eu d’enfant, meme d’une de vos esclaves. C’est vous qui etes sterile, ce n’est pas moi.
HERODE. Taisez-vous. Je vous dis que vous etes sterile. Vous ne m’avez pas donne d’enfant, et le prophete dit que notre mariage n’est pas un vrai mariage. Il dit que c’est un mariage incestueux, un mariage qui apportera des malheurs . . . J’ai peur qu’il n’ait raison. Je suis sur qu’il a raison. Mais ce n’est pas le moment de parler de ces choses. En ce moment-ci je veux etre heureux. Au fait je le suis. Je suis tres heureux. Il n’y a rien qui me manque.
HERODIAS. Je suis bien contente que vous soyez de si belle humeur, ce soir. Ce n’est pas dans vos habitudes. Mais il est tard. Rentrons. Vous n’oubliez pas qu’au lever du soleil nous allons tous a la chasse. Aux ambassadeurs de Cesar il faut faire tout honneur, n’est-ce pas?
LE SECOND SOLDAT. Comme il a l’air sombre, le tetrarque.
LE PREMIER SOLDAT. Oui, il a l’air sombre.
HERODE. Salomé, Salomé, dansez pour moi. Je vous supplie de danser pour moi. Ce soir je suis triste. Oui, je suis tres triste ce soir. Quand je suis entre ici, j’ai glisse dans le sang, ce qui est d’un mauvais presage, et j’ai entendu, je suis sur que j’ai entendu un battement d’ailes dans l’air, un battement d’ailes gigantesques. Je ne sais pas ce que cela veut dire . . . Je suis triste ce soir. Ainsi dansez pour moi. Dansez pour moi, Salomé, je vous supplie. Si vous dansez pour moi vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez et je vous le donnerai. Oui, dansez pour moi, Salomé, et je vous donnerai tout ce que vous me demanderez, fut-ce la moitie de mon royaume.
SALOMÉ [se levant] Vous me donnerez tout ce que je demanderai, tetrarque?
HERODIAS. Ne dansez pas, ma fille.
HERODE. Tout, fut-ce la moitie de mon royaume.
SALOMÉ. Vous le jurez, tetrarque?
HERODE. Je le jure, Salomé.
HERODIAS. Ma fille, ne dansez pas.
SALOMÉ. Sur quoi jurez-vous, tetrarque?
HERODE. Sur ma vie, sur ma couronne, sur mes dieux. Tout ce que vous voudrez je vous le donnerai, fut-ce la moitie de mon royaume, si vous dansez pour moi. Oh! Salomé, Salomé, dansez pour moi.
SALOMÉ. Vous avez jure, tetrarque.
HERODE. J’ai jure, Salomé.
SALOMÉ. Tout ce que je vous demanderai, fut-ce la moitie de votre royaume?
HERODIAS. Ne dansez pas, ma fille.
HERODE. Fut-ce la moitie de mon royaume. Comme reine, tu serais tres belle, Salomé, s’il te plaisait de demander la moitie de mon royaume. N’est-ce pas qu’elle serait tres belle comme reine? . . . Ah! il fait froid ici! il y a un vent tres froid, et j’entends . . . pourquoi est-ce que j’entends dans l’air ce battement d’ailes? Oh! on dirait qu’il y a un oiseau, un grand oiseau noir, qui plane sur la terrasse. Pourquoi est-ce que je ne peux pas le voir, cet oiseau? Le battement de ses ailes est terrible. Le vent qui vient de ses ailes est terrible. C’est un vent froid . . . Mais non, il ne fait pas froid du tout. Au contraire, il fait tres chaud. Il fait trop chaud. J’etouffe. Versez-moi l’eau sur les mains. Donnez-moi de la neige a manger. Degrafez mon manteau. Vite, vite, degrafez mon manteau . . . Non. Laissez-le. C’est ma couronne qui me fait mal, ma couronne de roses. On dirait que ces fleurs sont faites de feu. Elles ont brule mon front.
[Il arrache de sa tete la couronne, et la jette sur la table.] Ah! enfin, je respire. Comme ils sont rouges ces petales! On dirait des taches de sang sur la nappe. Cela ne fait rien. Il ne faut pas trouver des symboles dans chaque chose qu’on voit. Cela rend la vie impossible. Il serait mieux de dire que les taches de sang sont aussi belles que les petales de roses. Il serait beaucoup mieux de dire cela . . . Mais ne parlons pas de cela. Maintenant je suis heureux. Je suis tres heureux. J’ai le droit d’etre heureux, n’est-ce pas? Votre fille va danser pour moi. N’est-ce pas que vous allez danser pour moi, Salomé? Vous avez promis de danser pour moi.
HERODIAS. Je ne veux pas qu’elle danse.
SALOMÉ. Je danserai pour vous, tetrarque.
HERODE. Vous entendez ce que dit votre fille. Elle va danser pour moi. Vous avez bien raison, Salomé, de danser pour moi. Et, apres que vous aurez danse n’oubliez pas de me demander tout ce que vous voudrez. Tout ce que vous voudrez je vous le donnerai, fut-ce la moitie de mon royaume. J’ai jure, n’est-ce pas?
SALOMÉ. Vous avez jure, tetrarque.
HERODE. Et je n’ai jamais manque a ma parole. Je ne suis pas de ceux qui manquent a leur parole. Je ne sais pas mentir. Je suis l’esclave de ma parole, et ma parole c’est la parole d’un roi. Le roi de Cappadoce ment toujours, mais ce n’est pas un vrai roi. C’est un lache. Aussi il me doit de l’argent qu’il ne veut pas payer. Il a meme insulte mes ambassadeurs. Il a dit des choses tres blessantes. Mais Cesar le crucifiera quand il viendra a Rome. Je suis sur que Cesar le crucifiera. Sinon il mourra mange des vers. Le prophete l’a predit. Eh bien
! Salomé, qu’attendez-vous?
SALOMÉ. J’attends que mes esclaves m’apportent des parfums et les sept voiles et m’otent mes sandales.
[Les esclaves apportent des parfums et les sept voiles et otent les sandales de Salomé.]
HERODE. Ah! vous allez danser pieds nus! C’est bien! C’est bien! Vos petits pieds seront comme des colombes blanches. Ils ressembleront a des petites fleurs blanches qui dansent sur un arbre . . . Ah! non. Elle va danser dans le sang! Il y a du sang par terre. Je ne veux pas qu’elle danse dans le sang. Ce serait d’un tres mauvais presage.
HERODIAS. Qu’est-ce que cela vous fait qu’elle danse dans le sang? Vous avez bien marche dedans, vous . . .
HERODE. Qu’est-ce que cela me fait? Ah! regardez la lune! Elle est devenue rouge. Elle est devenue rouge comme du sang. Ah! le prophete l’a bien predit. Il a predit que la lune deviendrait rouge comme du sang. N’est-ce pas qu’il a predit cela? Vous l’avez tous entendu. La lune est devenue rouge comme du sang. Ne le voyez-vous pas?
HERODIAS. Je le vois bien, et les etoiles tombent comme des figues vertes, n’est-ce pas? Et le soleil devient noir comme un sac de poil, et les rois de la terre ont peur. Cela au moins on le voit. Pour une fois dans sa vie le prophete a eu raison. Les rois de la terre ont peur . . . Enfin, rentrons. Vous etes malade. On va dire a Rome que vous etes fou. Rentrons, je vous dis.
LA VOIX D’IOKANAAN. Qui est celui qui vient d’Edom, qui vient de Bosra avec sa robe teinte de pourpre; qui eclate dans la beaute de ses vetements, et qui marche avec une force toute puissante? Pourquoi vos vetements sont-ils teints d’ecarlate?
HERODIAS. Rentrons. La voix de cet homme m’exaspere. Je ne veux pas que ma fille danse pendant qu’il crie comme cela. Je ne veux pas qu’elle danse pendant que vous la regardez comme cela. Enfin, je ne veux pas qu’elle danse.
HERODE. Ne te leve pas, mon epouse, ma reine, c’est inutile. Je ne rentrerai pas avant qu’elle n’ait danse. Dansez, SALOMÉ, dansez pour moi.
HERODIAS. Ne dansez pas, ma fille.
SALOMÉ. Je suis prete, tetrarque.