RÉVÉLATION
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— Arrête !
— Mais arrêter quoi ?
— De te comporter comme si je n’étais pas le monstre qui a accepté de t’infliger cela.
— Edward ! protestai-je, vraiment secouée à présent, parce qu’il entachait mes merveilleux souvenirs, qu’il les salissait. Ne redis jamais ça !
Il avait fermé les paupières. Comme s’il refusait de me voir.
— Regarde-toi, Bella. Ensuite, ose me dire que je ne suis pas un monstre.
Blessée, choquée, j’obéis sans réfléchir.
Ma mâchoire se décrocha. Que m’était-il arrivé ? Je n’identifiais pas l’origine de la neige blanche et duveteuse qui s’accrochait à ma peau. Je secouai la tête, et une cascade blanche dégringola de mes cheveux. Je pinçai un morceau entre mes doigts. Du duvet.
— Pourquoi suis-je couverte de plumes ? m’exclamai-je.
— J’ai mordu un oreiller, soupira-t-il, impatient. Ou deux. Mais je ne parle pas de cela.
— Tu… as mordu un oreiller ? Pourquoi donc ?
— Regarde, Bella ! s’emporta-t-il presque. Regarde !
Il brandissait un de mes bras. Cette fois, je vis.
Sous la poussière duveteuse, de grands bleus avaient commencé à s’épanouir sur ma peau. Je suivis des yeux le sentier qu’ils formaient jusqu’à mon épaule, puis au niveau de mes côtes. Je libérai ma main afin de palper une décoloration sur mon avant-bras gauche, je l’observai s’estomper quand je la touchai et réapparaître quand je cessai d’appuyer dessus. Elle m’élançait un peu. Si légèrement que je sentis à peine son contact, Edward posa une paume sur les hématomes de mon bras, l’un après l’autre, ses longs doigts épousant leurs formes.
— Oh ! soufflai-je.
Je m’efforçai de me rappeler la douleur – en vain. Je ne me souvenais pas d’un instant où il aurait trop serré, où ses mains se seraient faites trop brutales. Je gardais seulement en mémoire mon exigence d’être étreinte plus fort, mon plaisir quand il avait obéi…
— Je… je suis tellement désolé, Bella, chuchota-t-il pendant que j’observais les marques. J’aurais dû m’en douter. Je n’aurais pas… (Un son révolté et sourd résonna au fond de sa gorge.) Je suis si navré que je n’ai pas les mots pour l’exprimer.
Se cachant derrière son bras, il se pétrifia. Longtemps, je restai moi aussi sans bouger, parfaitement ahurie, m’efforçant d’accepter son désarroi, maintenant que j’en connaissais l’origine. Mais il était si contraire à ce que je ressentais que cela me fut difficile. Ma stupeur s’effaça lentement, pour laisser la place à un grand vide. Le néant. Mon cerveau était désert. La parole me manquait. Comment lui expliquer de la bonne manière ? Comment le rendre aussi heureux que je l’étais, ou plutôt, que je l’avais été, quelques instants auparavant ?
Je l’effleurai, il ne réagit pas. J’enroulai mes doigts autour de son poignet pour tenter d’écarter son bras de son visage – autant essayer de déplacer une statue.
— Edward.
Rien.
— Edward ?
Rien. Bon. Ce serait donc un monologue.
— Moi, je ne suis pas désolée, Edward. Je suis… je n’arrive même pas à le formuler. Je suis tellement comblée ! Et encore, le mot est faible. Ne sois pas fâché. Vraiment. Franchement, je vais…
— Stop ! lâcha-t-il d’une voix réfrigérante. Je ne veux pas entendre que tu vas bien. Si tu tiens à ma raison, ne me dis pas ça.
— Mais c’est vrai !
— Je t’en supplie, Bella.
— Non, Edward. Moi, je t’en supplie.
Il cessa enfin de se cacher, et ses prunelles dorées me regardèrent avec précaution.
— Ne me gâche pas ça, insistai-je. Je. Suis. Heureuse.
— J’ai déjà tout gâché.
— Tais-toi !
Il grinça des dents.
— Bon Dieu ! Pourquoi ne peux-tu lire dans mon esprit ? Ce mutisme mental est un sacré inconvénient !
Il écarquilla les yeux, désarçonné.
— C’est nouveau, ça. Tu adores que je ne sois pas en mesure de deviner tes pensées.
— Pas aujourd’hui.
— Pourquoi ?
Agacée, je levai les mains, ressentant – et ignorant – au passage un élancement dans l’épaule, et les abattis brutalement sur son torse.
— Parce que ton angoisse serait inutile si tu pouvais voir ce que j’éprouve en ce moment. Enfin, il y a cinq minutes. J’étais parfaitement comblée, au nirvana. À présent, je suis… furax, en fait.
— Tu as raison d’être en colère après moi.
— Je le suis, tu es content ?
Il soupira.
— Non. Je crois que rien ne pourra me satisfaire, aujourd’hui.
— Voilà ce qui me rend furieuse. Tu me gâtes mon plaisir, Edward !
Il secoua la tête en levant les yeux au ciel. J’inspirai profondément. Mes douleurs commençaient à s’éveiller, mais ce n’était pas horrible. Un peu comme après une séance de musculation. Je m’y étais risquée, un jour, avec Renée, lors d’une de ces périodes où sa forme l’obsédait. Soixante-cinq mouvements d’affilée, des poids de cinq kilos dans chaque main. J’avais à peine réussi à marcher le lendemain. Ce que je ressentais en ce moment était beaucoup moins pénible. Ravalant mon irritation, je tâchai de m’exprimer d’une voix apaisante.
— Nous savions que cela serait risqué. Je croyais que c’était entendu. Par ailleurs… eh bien, ç’a été bien plus facile que ce que je prévoyais. Et ces bleus sont des broutilles. À mon avis, pour une première, nous nous sommes débrouillés comme des chefs, alors que nous allions vers l’inconnu. Avec un peu d’entraînement…
Il devint tellement livide que je m’interrompis au milieu de ma phrase.
— Franchement, Bella, tu avais deviné cela ? Que je te ferais du mal ? Avais-tu envisagé pire ? Considères-tu la chose comme un succès parce que tu es encore capable de marcher ? Pas d’os brisés, donc c’est une victoire ?
Je le laissai évacuer sa rage. Et se calmer. Alors, je repris la parole, détachant chaque mot :
— J’ignorais à quoi m’attendre. La seule chose certaine, c’est que je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi… merveilleux… parfait. Enfin, je ne sais pas comment ç’a été pour toi, mais moi, j’ai trouvé ça génial.
Un doigt froid me releva le menton.
— Tu t’inquiètes donc de cela ? demanda-t-il. De mon absence de plaisir ?
Je refusai de croiser son regard.
— J’ai conscience que ce n’est pas pareil. Tu n’es pas humain. J’essayais juste de t’expliquer que, en tant qu’humaine, je n’imagine rien d’aussi bon.
Il observa un silence si long que je me résolus à me tourner vers lui. Ses traits étaient empreints de plus de douceur, désormais.
— J’ai l’impression que j’ai d’autres excuses à te présenter, finit-il par dire. Je n’aurais pas osé imaginer que tu puisses interpréter mon bouleversement après ce que je t’ai infligé hier comme… eh bien, comme si ça n’avait pas été la meilleure nuit de ma vie. Mais je m’interdis de l’envisager ainsi, pas quand tu…
— C’est vrai ? La meilleure ?
— Après que toi et moi avons conclu notre accord, j’ai discuté avec Carlisle, dans l’espoir qu’il saurait m’aider. Naturellement, il m’a prévenu que cela risquait d’être très dangereux pour toi. Mais il a eu foi en moi… une foi imméritée.
Je voulus protester, il m’en empêcha en posant deux doigts sur ma bouche.
— Je lui ai également demandé ce que j’allais éprouver… parce que je suis un vampire. (Il s’autorisa un demi-sourire.) Il m’a répondu que c’était une sensation très puissante, qui ne ressemblait à rien. Pour lui, l’amour physique n’est pas une chose à prendre à la légère. Vu nos tempéraments changeants, les émotions violentes peuvent nous altérer de façon permanente. Il m’a cependant conseillé de ne pas m’inquiéter de cela, que tu m’avais déjà complètement transformé.
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br /> Cette fois, son sourire fut plus authentique.
— J’ai aussi parlé à mes frères. Ils ont évoqué un intense plaisir. En deuxième position après celui que procure le sang humain. Mais j’ai déjà goûté le tien, et aucun sang n’est aussi puissant que ça… Je ne crois pas que Jasper et Emmett se trompent. Juste que, pour nous, ç’a été différent. Plus fort.
— Oui, ç’a été plus fort. Ç’a été tout.
— Cela n’enlève rien à mes torts. Même si ce que tu affirmes est vrai.
— Comment ça ? Tu crois que j’invente ? Pourquoi ferais-je un truc pareil ?
— Pour alléger ma conscience. Je ne peux pas ignorer l’évidence, Bella. Ni ta mauvaise habitude de vouloir m’innocenter quand je commets des erreurs.
Attrapant son menton, je me penchai vers lui, mon visage à seulement quelques centimètres du sien.
— Écoute-moi, Edward Cullen. Je ne raconte pas d’histoires pour que tu te sentes mieux, pigé ? Je ne savais même pas qu’il fallait te rassurer avant de comprendre que tu étais mal. Je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie, même le jour où tu as décidé que tu m’aimais trop pour me tuer, même le matin où je me suis réveillée pour découvrir que tu m’attendais… même lorsque j’ai entendu ta voix dans le studio de danse (il tressaillit à l’évocation de la fois où j’avais frôlé la mort, mais je poursuivis), ni quand tu as dit « oui » et que j’ai compris que tu étais mien pour toujours. Voilà les moments les plus heureux de mon existence, or la nuit que nous venons de vivre est encore mieux. Alors, fais avec et cesse de te torturer !
Il frôla les rides qui s’étaient formées entre mes sourcils.
— Je te rends malheureuse, en ce moment. Je n’ai pas envie de te rendre malheureuse.
— Alors, ne le sois pas toi-même. C’est le seul truc qui cloche, là.
Il plissa les yeux, respira un bon coup puis hocha la tête.
— Tu as raison. Le passé est le passé, je ne peux rien y changer. Inutile de laisser mon humeur gâcher la tienne. Je ferai tout ce que tu voudras pour que ton bonheur perdure.
Soupçonneuse, j’étudiai ses traits. Il me gratifia d’un sourire serein.
— Tout ?
Au même instant, mon ventre gargouilla.
— Tu as faim, s’empressa-t-il de constater.
Et il se leva vivement, dans un tourbillon de duvet blanc.
— Pour quelle raison as-tu décidé de détruire les oreillers d’Esmé ? m’enquis-je en m’asseyant.
Il avait déjà enfilé un pantalon de toile large et se tenait sur le seuil de la chambre, ôtant quelques plumes de ses cheveux.
— Je ne suis pas sûr d’avoir décidé de quoi que ce soit, marmonna-t-il. Disons que nous avons eu de la chance que ce soit les oreillers et pas toi.
Il prit une profonde inspiration puis secoua la tête, comme pour se débarrasser d’idées noires. Un sourire très sincère se dessina ensuite sur ses lèvres, mais je devinai qu’il lui demandait beaucoup d’efforts. Sortant du lit à mon tour, je m’étirai précautionneusement, plus consciente à présent des douleurs et des raideurs. Il étouffa un cri, et se détourna de moi, les poings serrés, les jointures blanchies.
— Suis-je tellement hideuse ? lançai-je d’un ton volontairement léger.
Il ne répondit pas, ne me fit pas face, sans doute pour ne pas me montrer son expression. Je me rendis dans la salle de bains afin d’évaluer l’ampleur des dégâts.
Devant le miroir en pied accroché à la porte, j’examinai mon corps nu. J’avais connu pire. L’une de mes pommettes s’ornait d’une ombre ténue, et mes lèvres étaient un peu enflées – à part ça, mon visage était intact. Le reste de ma petite personne s’ornait de taches bleues et mauves. Certains hématomes, sur les bras et les épaules, seraient difficiles à cacher. Rien de très grave cependant. J’avais tendance à marquer facilement. Le temps qu’un bleu se manifeste, j’avais en général oublié sa cause. Certes, ceux-ci commençaient seulement à se développer. J’aurais bien plus piètre allure le lendemain. Ce qui ne faciliterait pas la tâche.
En revanche, lorsque je vis mes cheveux, je gémis.
— Bella ?
Il était juste derrière moi.
— Je n’arriverai jamais à retirer tout ça de ma tête ! m’exclamai-je en montrant mon crâne, qui ressemblait à un nid d’oiseau.
— Nom d’un chien ! maugréa-t-il. C’est ça qui te préoccupe le plus !
Il s’approcha cependant et entreprit de m’aider à me débarrasser du duvet.
— Comment as-tu réussi à ne pas rire ? ronchonnai-je. J’ai l’air ridicule.
Sans répondre, il continua à s’activer. Il était évident que rien ne parviendrait à le dérider ce jour-là.
— On n’y arrivera pas comme ça, soupirai-je au bout d’une minute. Ils sont tout secs, je vais devoir les laver. Tu veux m’aider ? ajoutai-je en me retournant pour le prendre par la taille.
— Mieux vaut que je m’occupe de remplir ton estomac, murmura-t-il en s’écartant doucement de moi.
Il disparut aussitôt, pour ma plus grande frustration.
Apparemment, ma lune de miel était bel et bien terminée. Une grosse boule se forma dans ma gorge.
Lorsque je fus à peu près nettoyée de mes plumes et vêtue d’une robe de coton blanc que je ne connaissais pas et qui dissimulait mes pires hématomes, je suivis pieds nus l’odeur d’œufs, de bacon et de cheddar.
Devant une cuisinière en inox, Edward était en train de faire glisser une omelette sur une assiette bleu pâle. Le délicieux arôme me submergea, et j’eus l’impression que je pourrais dévorer l’assiette et la poêle. Mon estomac gronda.
— Tiens, me dit Edward en souriant.
Il posa mon petit déjeuner sur une petite table carrelée. Je m’assis sur l’une des chaises métalliques et entrepris d’engloutir le repas chaud. Je me brûlai la bouche, mais ça m’était bien égal.
— Je ne te nourris pas assez souvent, commenta-t-il en s’installant en face de moi.
— Je dormais, lui rappelai-je après avoir dégluti. À propos, c’est exquis. Impressionnant de la part de quelqu’un qui ne mange pas.
— Internet, répondit-il en me gratifiant du sourire en biais que j’adorais.
Je fus heureuse de le voir sur ses lèvres, heureuse qu’il parût d’humeur plus normale.
— D’où viennent ces œufs ?
— J’ai chargé l’équipe d’entretien de remplir la cuisine. Une première, ici. Il faudra que je leur demande comment nous débarrasser des plumes…
Sa voix mourut, et son regard se fixa quelque part au-dessus de ma tête. J’évitai de répondre, histoire de ne pas envenimer les choses.
Il avait beau avoir cuisiné pour deux, j’avalai le tout.
— Merci, dis-je à la fin en me penchant afin de l’embrasser.
Il me rendit automatiquement mon baiser, puis se raidit et recula. Serrant les dents, je lançai la question qui me turlupinait. Elle sonna comme une accusation.
— Tu n’as plus l’intention de me toucher tant que nous serons ici, hein ?
Il hésita puis me caressa la joue. Ses doigts s’attardèrent, légers, sur ma peau, et je ne pus m’empêcher de presser ma tête dans sa paume.
— Tu sais que ce n’est pas ce que j’escomptais.
— Oui, soupira-t-il en laissant tomber sa main. Et tu as raison.
Il se tut, releva le menton, puis reprit sur un ton ferme et définitif :
— Je ne ferai plus l’amour avec toi tant que tu n’auras pas été transformée. Je ne te ferai plus jamais de mal.
6
DISTRACTIONS
Me divertir devint la priorité. Nous fîmes de la plongée (enfin moi, car lui affichait son aptitude à nager sans avoir à reprendre son souffle) ; nous explorâmes la jungle miniature qui bordait le petit piton rocheux ; nous rendîmes visite aux perroquets qui nichaient dans la canopée, au sud-est de l’îlot. Nous admirâmes les couchers de soleil depuis les falaises de la côte ouest ; nous nage
âmes avec les marsouins qui jouaient dans les eaux peu profondes et chaudes (enfin moi, car les animaux disparaissaient dès qu’Edward approchait, comme s’il avait été un requin).
Je savais très bien ce qui se passait. Il essayait de m’occuper, de me distraire, afin que je cesse de le harceler à propos de nos ébats intimes. Dès que je tentais de le convaincre qu’il serait peut-être bien de se calmer, en regardant par exemple l’un des millions de DVD entreposés sous la télévision à grand écran plasma, il m’attirait hors de la maison à l’aide de mots magiques tels « récif corallien », « grottes sous-marines » et « tortues des mers ». Nous nous dépensions toute la journée, et j’étais totalement morte de faim et de fatigue lorsque la nuit venait.
Tous les soirs après dîner, je somnolais sur mon assiette. Une fois, même, je m’endormis carrément à table, et il dut me porter au lit. Il faut dire qu’Edward me préparait toujours trop de nourriture, mais j’étais si affamée, après avoir nagé et crapahuté pendant des heures, que j’en mangeais la plupart. Puis, rassasiée et éreintée, j’avais du mal à garder les yeux ouverts. Tout cela relevait d’un stratagème soigneusement établi, sans aucun doute.
Ma fatigue handicapait mes tentatives pour le convaincre de changer d’avis. Pourtant, je ne renonçai pas. Je raisonnai, je suppliai, je boudai – en vain. En général, je sombrais avant que d’avoir pu vraiment plaider ma cause. Alors, mes rêves semblaient si réels – les cauchemars surtout, rendus encore plus vivants par les couleurs criardes de l’île – que je m’éveillais épuisée, quel que soit le nombre d’heures pendant lesquelles j’avais dormi.
Une semaine après notre arrivée environ, je décidai de risquer un compromis. Cela avait déjà fonctionné entre nous par le passé.
Je couchais à présent dans la chambre bleue. L’équipe de nettoyage ne viendrait que le lendemain, et la blanche était encore recouverte d’un tapis de plumes. Celle-ci était plus petite, le lit de proportions plus raisonnables. Les murs étaient lambrissés de teck sombre, et tous les accessoires étaient en luxueuse soie bleue.