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TENTATION Page 22

by Stephenie Meyer

— Seul à seule ! ripostai-je aussi brutalement que lui, en recouvrant mes forces.

  Il se retourna, je devinai vers qui. D'ailleurs, tous guettaient la réaction de Sam. Ce dernier hocha le menton, juste une fois, imperturbable. Il émit un bref commentaire dans une langue qui m'était inconnue — je savais seulement que ce n'était ni du français ni de l'espagnol, du quileute sans doute. Puis il tourna les talons et entra dans la maison de Jacob. Les autres (Paul, Jared et Embry, devinai-je) l'y suivirent.

  Aussitôt, Jacob sembla perdre de son animosité. Ses traits s'apaisèrent, ce qui, paradoxalement, leur donna une expression encore plus désespérée. Une moue permanente rabaissait les coins de sa bouche.

  — Je t'écoute, dit-il.

  J'inspirai profondément.

  — Tu sais pourquoi je suis ici.

  Il ne répondit pas, se borna à me vriller de ses prunelles pleines de rancœur. Sans me démonter, je lui retournai la pareille, et le silence s'étira. La souffrance qu'exprimait son visage me bouleversait, une boule se forma dans ma gorge.

  — On marche ? proposai-je pendant que je pouvais encore m'exprimer.

  Il ne réagit ni par des mots ni par une quelconque mimique. Je descendis de voiture, sentant que l'on m'observait de derrière les fenêtres, et me dirigeai vers la lisière de la forêt. Seul le son de mes pieds foulant l'herbe humide et la boue des bas-côtés de la route perturbait la quiétude, au point que je crus, d'abord, qu'il ne m'avait pas emboîté le pas. Quand je jetai un coup d'œil par-dessus mon épaule, il était pourtant juste derrière moi. Simplement, il paraissait avoir trouvé un sentier moins bruyant que le mien.

  Une fois près des arbres, je respirai mieux. Sam ne pouvait nous y apercevoir. Je cherchai désespérément la bonne phrase à dire, en vain. J'étais juste de plus en plus en colère que Jacob ait été aspiré dans... que Billy ait permis que... que Sam puisse se montrer aussi calme et sûr de lui... Brusquement, Jacob me dépassa et pivota pour m'affronter, se plantant au milieu du chemin et m'obligeant à m'arrêter. La grâce de ses mouvements me frappa. Depuis quand le Jacob en pleine croissance et presque aussi empoté que moi était-il devenu cet être presque félin ? Il ne me laissa pas le loisir d'y songer.

  — Terminons-en ! décréta-t-il avec des accents sourds et durs.

  J'attendis. Il savait ce que je voulais.

  — Ce n'est pas ce que tu crois, reprit-il d'un ton soudain très las. Ni ce que je croyais. J'étais loin du compte.

  — Qu'est-ce que c'est, alors ?

  Il m'observa un long moment, pesant le pour et le contre, sans que le courroux déserte jamais complètement ses iris.

  — Je n'ai pas le droit de te le révéler, finit-il par lâcher.

  — Je pensais que nous étions amis, répliquai-je, les dents serrées.

  — Nous l'étions, riposta-t-il aussitôt en appuyant sur le passé.

  — Mais tu n'as plus besoin d'amis, c'est ça ? Tu as Sam, maintenant. Sam que tu as toujours tellement respecté, si je me souviens bien.

  — Je me trompais.

  — Et tu as eu la révélation. Alléluia !

  — C'est autre chose. Sam n'y est pour rien. Il m'aide du mieux qu'il peut.

  Sa voix se cassa, et il regarda au-dessus de ma tête, au-delà de moi, brûlant de rage.

  — C'est ça, répondis-je, dubitative.

  Jacob ne m'écoutait pas, cependant. Il respirait lentement et profondément pour tenter de se calmer. Il était si furieux que ses mains tremblaient.

  — Je t'en prie, Jake, raconte-moi ce qui se passe. Moi, je te serai peut-être d'un quelconque secours.

  — Plus personne ne me soulagera, geignit-il.

  — Mais que t'a-t-il fait ? m'écriai-je, et les larmes me montèrent aux yeux.

  J'avança vers lui, bras ouverts ; il recula, mains levées en un geste défensif.

  — Ne me touche pas ! souffla-t-il.

  — Pourquoi ? Sam est contagieux ?

  Je pleurais comme une idiote, maintenant. J'essuyai mes yeux du revers de la main avant de croiser mes bras sur ma poitrine.

  — Cesse d'accuser Sam !

  La réplique lui était venue automatiquement. Il porta ses doigts à ses cheveux, comme pour tordre sa queue-de-cheval. Ne rencontrant plus rien, il les laissa retomber mollement.

  — Qui c'est le coupable, sinon lui ?

  Il sourit à demi, une pauvre chose pâlotte.

  — Je pense que tu préférerais l'ignorer.

  — Oh que non ! m'emportai-je. J'y tiens, et tout de suite même !

  — Tu as tort ! aboya-t-il à son tour.

  — Je t'interdis de me dire que j'ai tort ! Ce n'est pas moi qui ai subi un lavage de cerveau. À qui la faute, si ce n'est pas celle de ton Sam adoré ?

  — Tu l'auras voulu ! S'il faut blâmer quelqu'un, prends-en-toi donc à ces répugnants buveurs de sang que tu aimes tant.

  J'en fus estomaquée. Ses mots m'avaient poignardée. La douleur se répandit dans mon corps en suivant ses chemins habituels, la plaie béante me déchirant le cœur. Le pire cependant, c'était l'assurance avec laquelle il avait proféré ses accusations, et la colère qui le dominait.

  — Je t'avais prévenue, ajouta-t-il.

  — Je ne vois pas de qui tu parles.

  — Je crois que si, au contraire. Ne m'oblige pas à préciser, je n'ai pas envie de te faire du mal.

  — Je ne vois pas de qui tu parles, répétai-je.

  — Des Cullen, lâcha-t-il lentement en scrutant mon visage. Je sais comment tu réagis lorsqu'on prononce ce nom.

  Je secouai la tête de droite à gauche pour nier, tout en essayant de reprendre mes esprits. Comment était-il au courant ? Et quel était le rapport avec la secte de Sam ? S'agissait-il d'une bande qui combattait les vampires ? Et à quoi bon, maintenant que plus aucun d'eux ne vivait à Forks ? Pourquoi Jacob se mettait-il à gober les histoires colportées sur les Cullen, alors que les preuves avaient disparu depuis longtemps et à jamais ?

  — Ne me dis pas que tu adhères aux sottises superstitieuses de Billy, finis-je par répondre.

  — Il est plus sage que je le pensais.

  — Sois sérieux, Jake.

  Il me fusilla du regard.

  — Superstitions mises à part, m'empressai-je de préciser, je ne comprends pas pourquoi tu accuses les... Cullen (aïe !). Ils sont partis il y a plus de six mois. Comment oses-tu justifier l'attitude de Sam en leur en collant la responsabilité sur le dos ?

  — L'attitude de Sam n'a rien à faire là-dedans, Bella, et je sais qu'ils ont fichu le camp. Mais parfois... parfois, lorsque les choses sont en marche, il est trop tard.

  — Qu'est-ce qui est en marche ? Qu'est-ce qui est trop tard ? Que leur reproches-tu ?

  Soudain, il colla son visage à un centimètre du mien, les yeux incendiés par la fureur.

  — D'exister ! siffla-t-il.

  À cet instant, Edward s'exprima, ce qui me surprit, vu que je ne ressentais nulle peur.

  « Tais-toi, Bella. Ne le pousse pas à bout. »

  Depuis que le prénom d'Edward avait renversé la prison dans laquelle je l'avais emmuré, je n'avais pas été capable de le tenir au secret. Il ne provoquait plus de douleur, désormais, en tout cas pas durant les précieuses secondes où il s'adressait à moi. Jacob fulminait, certes. Je ne saisissais pas pourquoi l'illusion edwardienne avait décidé de se manifester, car même blême de fureur, Jacob restait Jacob. Il ne présentait aucun danger.

  « Laisse-lui le temps de se calmer », insista le ténor.

  — Tu es ridicule, répondis-je, tant à Edward qu'à Jacob.

  — Très bien, répliqua ce dernier en respirant profondément. Je n'ai pas l'intention de me disputer avec toi. Ça n'a pas d'importance, de toute façon, le mal est fait.

  — Quel mal ? lui braillai-je à la figure.

  Il encaissa sans broncher.

  — Rentrons. Nous n'avons plus rien à nous dire.

  — Tu plaisantes ? bégayai-je. Tu ne m'as encore rien dit du tout !

  Il s'éloigna à grands pas, me plantant l
à.

  — J'ai vu Quil, aujourd'hui ! lançai-je dans son dos.

  Il s'arrêta, ne se retourna pas néanmoins.

  — Tu te souviens de ton ami Quil ? repris-je. Il est terrifié.

  Il virevolta, l'air peiné.

  — Quil..., se borna-t-il à murmurer.

  — Il a peur d'être le suivant, l'aiguillonnai-je.

  Il s'appuya contre un tronc, et une drôle de couleur verte teinta sa peau brune.

  — Ça n'arrivera pas, marmonna-t-il. Pas lui. C'est fini, maintenant. Ça ne devrait plus se produire. Pourquoi ? Pourquoi ?

  Il abattit son poing contre l'arbre. Ce n'était pas un colosse, juste un jeune arbre, je n'en fus pas moins stupéfaite quand le tronc se brisa. Jacob contempla la cassure avec un ahurissement qui ne tarda pas à se transformer en horreur.

  — Il faut que j'y aille, s'écria-t-il.

  Il fit demi-tour et s'éloigna si vite que je fus obligée de courir pour ne pas être distancée.

  — Où ça ? le provoquai-je. Dans les jupes de Sam ?

  — Si tu veux le considérer comme ça, à ta guise, crus-je l'entendre marmonner.

  Je le poursuivis jusqu'à la Chevrolet.

  — Attends ! hurlai-je quand il fila vers la maison.

  Il me regarda. Ses mains tremblaient de nouveau.

  — Rentre chez toi, Bella. Je ne peux plus te fréquenter.

  Le chagrin, bête et futile, se révéla incroyablement puissant. Les larmes revinrent.

  — Es-tu en train de... rompre avec moi ?

  Les mots n'étaient pas les bons, mais ils étaient ceux qui, le mieux, exprimaient ma prière. Ce que Jacob et moi avions partagé était plus qu'une amourette de cour de récréation.

  — Même pas ! ricana-t-il, amer. Sinon, je t'aurais dit « restons amis ». Je n'ai même pas le droit à ça.

  — Pourquoi ? Sam t'interdit d'avoir des amis ? Je t'en supplie... Tu as promis. J'ai besoin de toi !

  Le néant glacé de mon existence avant que Jacob y rapporte un semblant de raison resurgit devant moi. L'impression de solitude m'étrangla.

  — Je suis désolé, Bella, répondit-il avec une froideur qui n'était pas lui.

  Je ne parvenais pas à croire qu'il fût sincère. J'avais plutôt l'impression que ses yeux furieux essayaient de me transmettre autre chose ; hélas, le message m'échappait. Il se pouvait, finalement, que Sam n'eût rien à voir là-dedans. Ni les Cullen. Peut-être Jacob s'efforçait-il de se tirer d'une situation impossible. Alors, je devais sans doute le laisser tranquille, si c'était ce qu'il y avait de mieux pour lui. Oui, il fallait que j'agisse ainsi. C'était la bonne attitude. Pourtant, les mots m'échappèrent, filet de voix.

  — Je suis navrée de ne pas avoir pu... plus tôt... j'aimerais changer ce que j'éprouve pour toi, Jacob.

  J'étais si désespérée à l'idée de le perdre que je déformais la vérité au point de la transformer en mensonge.

  — Peut-être que... que j'arriverai à changer, ajoutai-je. Si tu m'en donnes le temps... s'il te plaît, ne m'abandonne pas maintenant, je ne le supporterai pas.

  En un éclair, ses traits passèrent de l'irritation à la douleur. Ses doigts tremblants se tendirent vers moi.

  — Non, Bella, je t'en prie. Ne pense pas ça. Ne crois pas que c'est ta faute. Je suis responsable. Je te jure que tu n'y es pour rien.

  — Non, c'est moi.

  — Je ne plaisante pas, Bella. Je ne suis...

  Il s'interrompit, la voix encore plus rauque que d'ordinaire, luttant contre ses émotions, ses yeux hurlant sa tristesse.

  — Je ne suis plus assez bien pour rester ton ami, précisa-t-il. Je ne suis plus le même. Je ne t'apporterai rien de bon.

  — Quoi ? m'exclamai-je, ébahie. Qu'est-ce que tu racontes, Jake ? Tu vaux mille fois mieux que moi ! Tu m'apportes des tas de bonnes choses. Qui a osé prétendre le contraire ? Sam ? C'est un mensonge éhonté, Jacob ! Ne le laisse pas dire des trucs pareils !

  Son visage se ferma.

  — Personne n'a eu besoin de me dire quoi que ce soit. Je sais ce que je suis.

  — Mon ami, voilà ce que tu es. Jake... je t'en supplie !

  Il reculait.

  — Je suis désolé, Bella, répéta-t-il, à peine audible.

  Sur ce, il s'enfuit à toutes jambes dans la maison.

  Je restai figée sur place. Incapable de bouger, je fixais la maisonnette rouge, qui paraissait trop petite pour accueillir quatre grands gaillards et deux hommes non moins imposants. À l'intérieur, tout était calme. Pas un rideau dont on soulevât le coin, pas un mouvement, pas une voix. Les lieux m'opposaient leur néant.

  Il se mit à bruiner, les gouttes glacées me piquant la peau çà et là. J'avais les yeux rivés sur la maison. Jacob allait ressortir. C'était obligé. La pluie prit de l'ampleur, le vent aussi. Les gouttes ne tombaient plus tout droit ; elles venaient de l'ouest, porteuses de senteurs marines. Mes cheveux me fouettaient le visage, se collant aux endroits humides, s'accrochant à mes cils. J'attendais. La porte finit par s'ouvrir et, soulagée, j'avançai d'un pas.

  Billy roula son fauteuil dans l'encadrement ; je n'apercevais personne derrière lui.

  — Charlie vient d'appeler, Bella. Je lui ai dit que tu étais sur le chemin du retour.

  Son regard était empli de pitié. C'est elle qui eut raison de moi. Muette, je grimpai dans ma voiture, tel un robot. J'avais laissé les fenêtres baissées, et les sièges étaient humides et glissants. Aucune importance, j'étais déjà trempée.

  « Ce n'est pas si grave ! Ce n'est pas si grave ! » me répétait mon cerveau pour tenter de me réconforter. Vrai. Ce n'était pas un drame. Pas une deuxième fin du monde. Ce n'était que la fin du peu de paix que je laissais ici. Rien de plus. « Ce n'est pas si grave ! » J'étais d'accord. Mais grave quand même. J'avais cru que Jacob soignait le trou de mon cœur. Du moins, qu'il le comblait, en muselait la souffrance. Je m'étais trompée. Il avait juste creusé son propre trou, si bien que, maintenant, j'étais perforée comme un gruyère. À se demander comment je ne tombais pas encore en mille morceaux.

  Sur le porche, Charlie guettait mon arrivée. Je me garai, et il vint à ma rencontre.

  — Billy a téléphoné, se justifia-t-il en m'ouvrant la portière. Toi et Jake vous seriez disputés, et tu serais bouleversée.

  Il me regarda, et l'horreur se peignit sur ses traits, une horreur de déjà-vu. Je tentai de sentir mon visage de l'intérieur, histoire de voir ce qu'il voyait, je n'y trouvai que vacuité et froideur. Je compris alors ce qu'il lui rappelait.

  — Ça ne s'est pas passé exactement comme ça, marmonnai-je.

  M'enlaçant la taille, il m'aida à sortir de voiture. Il ne fit aucun commentaire sur mes vêtements mouillés.

  — Comment ça s'est passé, alors ? me demanda-t-il, une fois à l'intérieur.

  Ôtant le plaid du divan, il en drapa mes épaules. Je m'aperçus que je grelottais.

  — Sam Uley interdit à Jacob de me fréquenter, annonçai-je d'une voix morne.

  — Qui t'a raconté ça ? s'exclama Charlie en me jetant un étrange coup d'œil.

  — Jacob.

  Si les mots n'étaient pas tout à fait exacts, c'était néanmoins la vérité.

  — Tu crois vraiment que ce Uley trafique quelque chose de pas catholique ? commenta mon père en fronçant les sourcils.

  — Je le sais. Même si Jacob a refusé de m'avouer de quoi il s'agit. Je monte me changer, ajoutai-je en entendant mes vêtements qui dégouttaient en éclaboussant le lino de la cuisine.

  — Oui, oui, marmonna-t-il distraitement, perdu dans ses pensées.

  Je pris une douche pour me réchauffer, en vain. Lorsque je coupai l'eau, j'entendis Charlie qui parlait, au rez-de-chaussée. M'enveloppant dans une serviette, j'entrebâillai la salle de bains.

  — Pas question que j'avale ces bêtises ! tempêtait-il. Ça n'a aucun sens !

  Il y eut un silence, et je compris qu'il était au téléphone. Une minute s'écoula.

  — Ne mets pas ça sur le dos de Bella ! hurla-t-il soudain.
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  Je sursautai. Quand il reprit la parole, sa voix était plus sourde, prudente.

  — Dès le début, Bella a été très claire : elle et Jacob n'étaient que des amis... Dans ce cas, pourquoi ne l'as-tu pas dit plus tôt ? Non, Billy, je pense qu'elle a raison... Parce que je connais ma fille, et si elle affirme que Jake avait peur...

  Il fut interrompu au milieu de sa phrase.

  — Comment ça, je ne connais pas ma fille aussi bien que j'aime à le répéter ? brailla-t-il.

  Il y eut un silence, et je faillis ne pas entendre la suite tant il s'exprimait doucement.

  — Si tu crois que je vais remettre ça sur le tapis, tu rêves, mon pote ! Elle commence tout juste à s'en relever, essentiellement grâce à Jacob. Si ce qui occupe Jacob et Sam, quoi que ce soit d'ailleurs, la replonge dans la dépression, j'aime autant t'avertir que ton fiston aura à en répondre devant moi. Tu es mon ami, Billy, mais là, c'est ma famille qui est menacée.

  Il y eut une nouvelle pause pendant que Billy répondait.

  — Tu ne crois pas si bien dire. Que ces gars franchissent la ligne blanche, ne serait-ce que d'un orteil, et je serai au courant. Nous les aurons à l'œil, sois-en sûr. (Ce n'était plus Charlie, là, c'était le Chef Swan.) Très bien. C'est ça, salut.

  Il raccrocha violemment l'appareil. Je filai dans ma chambre sur la pointe des pieds. En bas, Charlie marmonnait d'un air pas content.

  Ainsi, Billy rejetait la faute sur moi. J'avais trompé Jacob qui avait fini par en avoir assez. C'était étrange, car j'avais été la première à craindre cette réaction. Sauf que, après la dernière phrase qu'avait prononcée Jacob cet après-midi-là, ça ne collait plus. Son comportement dépassait de loin la déception qu'aurait provoquée une amourette non réciproque, et je m'étonnais que Billy s'abaisse à recourir à de tels faux-semblants. Ma conviction que leur secret était encore plus gros que ce que j'imaginais en sortait renforcée. Enfin, à présent, Charlie était de mon côté au moins. J'enfilai mon pyjama et me mis au lit. L'existence était si sombre, en ce moment, que je m'autorisai à tricher. Le trou — les trous, désormais — étaient déjà douloureux, alors un peu plus ou un peu moins. Ressortant le souvenir — pas un vrai, ça aurait été trop dur, un faux, celui de la voix d'Edward telle qu'elle avait résonné dans ma tête -, je me le repassai encore et encore jusqu'à ce que je m'endorme, le visage trempé de larmes silencieuses.

 

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