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LE GRAND VOYAGE

Page 10

by Jean M. Auel


  — Les Sharamudoï sont ceux avec qui tu as vécu, n’est-ce pas ? s’enquit-elle. Ton frère a été uni avec une de leurs femmes, c’est bien ça ?

  — Oui. Ils sont comme une famille pour moi.

  — Dans ce cas, allons par le sud pour que tu puisses leur rendre une dernière visite. Tu les aimes. Et si nous arrivons trop tard au glacier, tant pis. Nous patienterons jusqu’à l’année prochaine. C’est ta deuxième famille, Jondalar, ce n’est pas du temps perdu. Tu veux rentrer chez toi pour raconter à ta mère l’histoire de ton frère, alors ne penses-tu pas que les Sharamudoï voudraient savoir ce qui lui est arrivé ? Il faisait aussi partie de leur famille !

  Jondalar parut perplexe, puis son visage s’éclaira.

  — Tu as raison, décida-t-il. Ils ont le droit de savoir. Je me demandais si j’avais pris la bonne décision, en fait, je n’avais pas exploré toutes les possibilités.

  Soulagé, il sourit. Il contempla les flammes danser au-dessus des bûches noircies. Elles s’élançaient, sautillantes et éphémères, à l’assaut de l’obscurité environnante. Il but quelques gorgées d’infusion en songeant au long Voyage qui les attendait, mais son anxiété avait disparu.

  — C’était une bonne idée d’en parler, dit-il à Ayla en la regardant dans les yeux. Je n’ai pas encore l’habitude de... de me confier, tu sais. De plus, je crois que nous arriverons tout de même à temps, sinon je n’aurais jamais envisagé cette solution. Le Voyage sera plus long, mais au moins la route m’est-elle familière, alors que celle du nord m’est inconnue.

  — Je crois que ta décision est la bonne, Jondalar. Moi-même si je n’avais pas été bannie, je rendrais visite au Clan de Broud. Ah, si seulement je pouvais ! ajouta-t-elle dans un murmure à peine audible. J’irais voir Durc une dernière fois.

  La tristesse de sa voix fit comprendre à Jondalar avec quelle acuité elle ressentait la perte de son fils.

  — Ayla, veux-tu essayer de le retrouver ?

  — Bien sûr que je le veux ! S’exclama-t-elle. Mais c’est impossible, cela jetterait le désarroi parmi ceux que j’aime. Ils m’ont maudite et s’ils me revoient ils me prendront pour un esprit maléfique. Pour eux, je suis morte. Rien de ce que je pourrais faire ou dire ne les convaincrait du contraire. (Son regard se fit vague à l’évocation de souvenirs anciens.) En outre, Durc n’est plus le bébé que j’ai laissé derrière moi. Il approche de l’âge d’homme. Moi-même, je n’étais pas précoce pour une femme du Clan, et mon fils est peut-être à son tour à la traîne des autres garçons. Mais bientôt, Ura viendra vivre avec le clan de Brun... Ah, c’est vrai, c’est celui de Broud, à présent, rectifia Ayla d’un air malheureux. Cet été sera celui du Rassemblement du Clan, c’est donc à l’automne qu’Ura quittera son clan pour rejoindre Brun et Ebra. Elle sera unie à Durc dès qu’ils seront assez âgés. Je voudrais tant être là pour l’accueillir, soupira-t-elle. Mais je lui ferais peur, et elle penserait que Durc est marqué par la malchance puisque l’esprit de son étrange mère ne peut pas rester dans l’autre monde.

  — Es-tu sûre de ne pas le regretter, Ayla ? Tu sais, nous prendrons le temps de le rechercher, si c’est ce que tu souhaites.

  — Même si je le voulais, je ne saurais pas où chercher. Je ne connais pas l’emplacement de leur nouvelle caverne, et j’ignore où se tient le Rassemblement du Clan. Mon destin m’interdit de revoir Durc. Il n’est plus mon fils, je l’ai donné à Uba. C’est le sien, maintenant. (Au bord des larmes, Ayla jeta un regard désespéré à Jondalar.) Quand Rydag est mort, j’ai compris que je ne reverrais jamais Durc. Je l’ai enterré dans la couverture de Durc, que j’avais emportée en quittant le Clan, et dans mon cœur, c’était comme si j’enterrais mon fils en même temps. Je ne le verrai plus jamais. Pour lui, je suis morte, et il vaut mieux que je le considère mort pour moi.

  « J’ai vraiment de la chance, tu sais, reprit Ayla, indifférente aux larmes qui inondaient ses joues. Pense à Nezzie. Elle n’avait pas donné naissance à Rydag, mais elle l’aimait et le soignait comme son fils. Et pourtant, elle savait qu’il mourrait vite. Elle savait aussi qu’il ne mènerait jamais une existence normale. Les mères qui perdent leurs fils les imaginent dans l’autre monde, au milieu des esprits, mais moi, je peux penser à Durc vivant et heureux. Je peux me dire qu’il est avec Ura, qu’il a des enfants dans son foyer... quand bien même je ne les verrais jamais, ajouta-t-elle dans un sanglot.

  Elle s’abandonna enfin à sa douleur, et Jondalar la prit dans ses bras. Le souvenir de Rydag l’attristait. Personne n’aurait rien pu faire pour lui, et la Mère savait qu’Ayla avait tout essayé. C’était un enfant fragile, Nezzie prétendait qu’il l’avait toujours été. Mais Ayla lui avait apporté un bien précieux. Après qu’elle lui eut enseigné, ainsi qu’à tous ceux du Camp du Lion, le langage des signes, il avait enfin été heureux. Pour la première fois de sa jeune existence il avait pu communiquer avec ceux qu’il aimait. Il avait pu exprimer ses besoins et ses désirs, ses sentiments – et surtout sa reconnaissance envers Nezzie, qui s’était occupée de lui depuis la mort de sa mère, à sa naissance. Il avait enfin pu lui dire qu’il l’aimait.

  Les membres du Camp du Lion en avaient été stupéfaits. Et après qu’ils eurent compris que Rydag n’était pas un animal savant privé de la parole, mais au contraire quelqu’un de différent, pratiquant un langage différent, ils avaient fini par reconnaître son intelligence, et l’accepter en tant qu’humain. Jondalar n’avait pas été le dernier surpris. Il avait appris le langage des signes avec les autres, et en était venu à apprécier l’humour tendre et la profondeur de jugement qu’il découvrait chez le jeune descendant de cette race ancienne.

  Jondalar serrait dans ses bras la femme qu’il aimait, secouée par de longs sanglots. Il savait qu’Ayla avait refoulé son chagrin à la mort de l’enfant du Clan que Nezzie avait adopté, et qui lui rappelait tant son propre fils. Il comprit qu’aujourd’hui c’était aussi Durc qu’elle pleurait.

  Mais au-delà de Rydag ou Durc, Ayla pleurait sur tous ceux qu’elle avait perdus : ceux qui lui avaient donné le jour, ceux du Clan qu’elle avait aimés, et le Clan tout entier qu’elle ne reverrait plus. Le clan de Brun lui avait servi de famille, Iza et Creb l’avaient élevée avec affection, et malgré sa différence, il lui arrivait de se considérer comme une femme du Clan. Bien qu’elle eût décidé de suivre Jondalar et de vivre avec lui, leur dernière conversation lui avait fait comprendre à quel point son pays était éloigné, à une année de voyage d’ici, peut-être deux, même. L’évidence l’avait anéantie : elle n’y retournerait plus jamais.

  Ayla n’abandonnait pas seulement sa nouvelle famille adoptive, les Mamutoï, mais aussi le faible espoir de revoir le Clan et le fils qu’elle leur avait confié. Elle vivait avec son chagrin depuis si longtemps que sa peine s’était atténuée, mais la mort de Rydag avait réveillé ses anciennes blessures, et lorsqu’elle comprit que la distance enterrerait à jamais son passé, une tristesse immense l’envahit.

  Elle n’avait plus de souvenir de sa petite enfance. Elle ne connaissait pas sa mère, ni son peuple. Hormis de vagues réminiscences – des sensations plus qu’autre chose –, elle avait oublié tout ce qui avait précédé le tremblement de terre. Pour elle, sa vraie famille, c’était le Clan. Mais le Clan l’avait bannie. Broud l’avait condamnée à mort, et pour tous ceux du Clan, elle était retournée dans le monde des esprits. C’était seulement maintenant qu’elle comprenait qu’avec la Malédiction Suprême des pans entiers de son existence avaient disparu à jamais. Elle ne connaîtrait jamais ses origines, ne rencontrerait jamais un ami d’enfance, et personne, pas même Jondalar, ne comprendrait quel passé l’avait façonnée.

  Les êtres chers vivraient toujours dans son cœur, et elle se résignait à cette perte, mais elle en souffrait et se demandait ce que lui réservait ce Voyage. Quoi que le sort lui réserve, quel que soit le peuple de Jondalar, rien ne lui appartiendrait... que ses souvenirs... et l’avenir.

  La petite clairière était plongée dans une obscurité
totale. Pas une silhouette, ni une ombre. Seuls le pâle rougeoiement des braises qui finissaient de se consumer, et le scintillement des étoiles, trouaient le noir absolu. Il faisait doux, Ayla et Jondalar avaient transporté leurs couvertures de fourrure devant la tente. Ayla, que le sommeil fuyait, contemplait la coûte étoilée, la géométrie des constellations, l’oreille à l’affût des moindres bruits nocturnes : le bruissement du vent dans les arbres, le doux murmure de la rivière, le coassement d’une grenouille géante, le grésillement des grillons. Elle entendit le floc sonore d’un plongeon, le hululement d’une chouette, et dans le lointain, le rugissement d’un lion et le barrissement retentissant d’un mammouth.

  Plus tôt, Loup avait frémi aux hurlements d’un loup, et s’était élancé dans les sous-bois. Par la suite, Ayla avait entendu l’appel du loup et la réponse, plus proche. Elle attendit le retour du louveteau. Il arriva, haletant d’avoir couru, et se pelotonna à ses pieds, satisfait.

  Elle venait à peine de s’assoupir qu’elle se réveilla en sursaut. L’oreille aux aguets, elle essaya de discerner le bruit qui l’avait tirée du sommeil. A ses pieds, la masse chaude poussa un long grognement sourd. Puis, elle perçut un cri nasillard étouffé. On s’était introduit dans le campement.

  — Jondalar ! appela-t-elle doucement.

  — Je crois que la viande a attiré un animal, chuchota Jondalar. Ça pourrait être un ours, mais je penche plutôt pour un glouton ou une hyène.

  — Que faut-il faire ? Je ne veux pas qu’on me vole ma viande.

  — Rien, pour l’instant. Le rôdeur ne pourra peut-être pas l’attraper. Attendons.

  Mais Loup avait repéré l’intrus et n’avait nullement l’intention d’attendre. Partout où ils plantaient leur campement, Loup s’en appropriait le territoire et le défendait. Ayla sentit qu’il quittait sa couche, et peu après, elle l’entendit gronder, menaçant. Le grognement qui lui répondit sembla provenir de bien plus haut. Ayla se redressa et s’empara de sa fronde, mais Jondalar était déjà debout, la hampe de sa sagaie engagée dans son propulseur.

  — C’est un ours ! s’exclama-t-il. Il doit être dressé sur ses pattes arrière, mais je ne distingue rien.

  A mi-chemin entre l’âtre et les perches où la viande était suspendue, des bruits de piétinements leur parvinrent, puis les grondements des animaux prêts à s’affronter. Soudain, à l’opposé, Whinney puis Rapide hennirent nerveusement. Tout à coup, Ayla reconnut le cri particulier de Loup passant à l’attaque.

  — Loup ! appela-t-elle, anxieuse d’éviter une bataille dangereuse. Un hurlement de douleur retentit soudain et une gerbe d’étincelles jaillit autour d’une énorme silhouette qui trébuchait dans l’âtre. Près d’Ayla, un objet siffla en déchirant l’air. Elle en reconnut le son, qui fut suivi d’un cri, et aussitôt, des craquements de branches qu’un animal cassait dans sa fuite. Ayla siffla Loup. Elle ne voulait pas qu’il se lance à sa poursuite.

  Obéissant, le louveteau accourut et elle s’accroupit pour le caresser, soulagée. Jondalar arrangeait le feu, et à la lueur des flammes, il découvrit les traces de sang laissées par le fuyard.

  — Je suis sûr que ma sagaie l’a touché, affirma-t-il. Mais je n’ai pas pu voir où je visais. J’attendrai qu’il fasse jour pour suivre sa piste. Un ours blessé est souvent dangereux, et je ne sais pas qui va utiliser ce campement après nous.

  — On dirait qu’il a perdu beaucoup ce sang, déclara Ayla, venue observer les traces. Il n’ira sans doute pas loin. J’avais peur pour Loup. C’était un animal énorme, et il aurait pu le blesser gravement.

  — Loup n’aurait jamais dû l’attaquer, l’ours risquait de se retourner contre nous. Mais sa bravoure pour nous protéger m’a fait plaisir. Je me demande comment il réagirait si on te menaçait vraiment.

  — Je ne sais pas. Whinney et Rapide ont eu très peur de l’ours, je vais voir comment ils vont.

  Jondalar, inquiet lui aussi, la suivit. Les chevaux s’étaient rapprochés du feu. Whinney avait appris depuis longtemps que le feu des hommes signifiait la sécurité, et à son contact, Rapide l’apprenait à son tour. Après quelques paroles apaisantes et autant de caresses, les chevaux se calmèrent, mais Ayla n’était pas rassurée et elle savait qu’elle aurait du mal à s’endormir. Elle décida de se préparer une infusion calmante et alla quérir à l’intérieur de la tente son sac en peau de loutre.

  Pendant que les pierres chauffaient, elle caressait la fourrure du vieux sac qui lui rappelait tant de souvenirs : le jour où Iza le lui avait donné, sa vie avec le Clan, la Malédiction Suprême. Pourquoi Creb était-il retourné dans la caverne ? Il était peut-être toujours en vie, même s’il était vieux et fatigué. Pourtant, il n’était pas fatigué lorsqu’il avait intronisé Goov la nuit précédente. Il incarnait la puissance, cette nuit-là, c’était lui le mog-ur, comme autrefois. Goov ne sera jamais aussi fort que Creb.

  Jondalar remarqua son air absent. Il crut qu’elle pensait encore à la mort de l’enfant et au fils qu’elle ne reverrait plus, et il ne savait pas quoi lui dire. Désireux de l’aider, il craignait toutefois de la déranger. Assis côte à côte près du feu, ils buvaient leur breuvage en silence quand Ayla leva les yeux par hasard. Ce qu’elle vit lui coupa le souffle.

  — Regarde, Jondalar ! s’écria-t-elle. Regarde le ciel ! Il est tout rouge, on dirait un feu, mais un feu dans le ciel et loin, loin. Qu’est-ce que c’est ?

  — C’est le Feu de Glace ! C’est ainsi que nous l’appelons quand il est aussi rouge. On dit aussi : les Feux du Nord.

  Ils observèrent le spectacle des lumières nordiques décrivant un arc sinueux dans le ciel comme un voile arachnéen gonflé par un vent cosmique.

  — On voit des bandes blanches ! s’extasia Ayla. Et ça bouge, comme des volutes de fumée, ou des vagues d’eau blanchies par le calcaire. Il y a aussi d’autres couleurs.

  — Lorsqu’elle est blanche, on l’appelle Fumée d’Etoiles, ou Nuages d’Etoiles. On lui donne encore plusieurs noms, mais tout le monde comprend quand tu utilises l’un de ceux-là.

  — Pourquoi n’ai-je jamais vu une telle lumière auparavant ? demanda Ayla avec un émerveillement mêlé de frayeur.

  — Tu vivais trop au sud. C’est pourquoi on la nomme, entre autres, Feux du Nord. Je ne l’ai pas souvent vue et jamais si ample, ni aussi éclatante, mais ceux qui ont voyagé dans ces régions prétendent que plus on remonte vers le nord, plus ce phénomène est fréquent.

  — Mais le mur de glace empêche d’aller plus au nord.

  — Non, tu peux contourner le glacier par l’eau. A l’ouest de là où je suis né, à quelques jours de marche suivant la saison, la terre s’arrête au bord des Grandes Eaux. Elles sont très salées et elles ne gèlent jamais, bien qu’on y ait parfois vu des blocs de glace. On raconte que des hommes ont été au-delà du mur de glace en bateau pour chasser les animaux qui vivent dans l’eau.

  — Des bateaux ? Comme ceux qu’utilisent les Mamutoï pour traverser les rivières ?

  — Oui, je crois, mais plus grands et plus solides. Je n’en ai jamais vu, et je ne croyais pas à ces histoires avant de rencontrer les Sharamudoï. Près de leur Camp, au bord de la Rivière Mère, il y a beaucoup de grands arbres. C’est avec ces arbres qu’ils construisent leurs bateaux. Attends de les voir, tu n’en croiras pas tes yeux, Ayla. Ils ne traversent pas seulement les rivières, ils voyagent dessus. Ils peuvent remonter le courant et aussi le descendre.

  L’enthousiasme de Jondalar frappa Ayla. Maintenant qu’il avait résolu son dilemme, il avait manifestement hâte de retrouver les Sharamudoï. Mais Ayla ne pensait pas à cette future rencontre, l’étrange clarté qui rougissait le ciel l’inquiétait sans qu’elle sût pourquoi. Ce mystère la déconcertait mais ne l’effrayait pas comme les tremblements de terre, qui eux, la terrorisaient. Ce n’était pas seulement l’ébranlement d’un sol supposé stable qui la paniquait, mais ce phénomène avait toujours annoncé de dramatiques changements dans sa vie.

  Un tremblement de terre l’avait arrachée à son peuple e
t lui avait donné une enfance insolite dans un entourage étranger à tout ce qu’elle avait connu. C’était un autre tremblement de terre qui avait conduit le Clan à l’exclure, ou qui, en tout cas, avait fourni un prétexte à Broud. L’éruption volcanique qui avait déversé sur eux une pluie de cendres semblait avoir présagé son départ de chez les Mamutoï, quoique la décision lui eût appartenu à elle seule. Elle ignorait le sens de ce signe dans le ciel, si jamais c’en était un.

  — Si Creb avait été là, je suis sûre qu’il aurait vu là un présage, dit Ayla. C’était le mog-ur le plus puissant de tous les clans, et il aurait réfléchi et médité jusqu’à ce qu’il en découvre le sens. Mamut aussi y aurait vu un signe. Qu’en penses-tu, Jondalar ? Est-ce un signe de... de malheur ?

  — Euh... je n’en sais rien.

  Il hésitait à lui faire part des croyances de son peuple pour qui ces lumières du nord, lorsqu’elles étaient rougeâtres, étaient presque toujours un avertissement. Parfois, elles présageaient seulement un événement important.

  — Qui suis-je pour parler des présages ? poursuivit Jondalar. Je ne suis pas Celui Qui Sert la Mère, mais je pense que c’est un signe encourageant.

  — Le Feu de Glace est un signe puissant, non ?

  — En principe, oui. En tout cas, nombreux sont ceux qui le croient.

  Ayla, que l’étrange luminescence du ciel et l’incursion de l’ours dans le campement avaient rendue fébrile, ajouta dans son infusion de camomille un peu de racine d’ancolie et de l’armoise, sédatif assez puissant. Elle eut tout de même du mal à trouver le sommeil. Elle se tournait et se retournait dans sa fourrure, sûre de déranger Jondalar. Lorsqu’enfin elle sombra, son repos fut peuplé de rêves troublants.

  Les grognements d’un ours en colère déchirèrent le silence, les spectateurs effrayés reculèrent. Le gigantesque ours des cavernes défonça la porte de sa cage, et s’échappa fou de rage ! Broud était debout sur son cou, deux autres hommes s’accrochaient à sa fourrure. Soudain, l’un d’eux tomba dans les griffes du monstre, mais son cri de douleur mourut subitement, arrêté net par un coup de patte qui lui brisa la colonne vertébrale. Les mog-ur ramassèrent le corps et, dignes et solennels, le transportèrent dans une grotte. Creb, dans son manteau en peau d’ours, menait le cortège en trébuchant.

 

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