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Mon fiancé, sa mère et moi

Page 8

by Brenda Janowitz


  — De toute façon, je suis certain que vous avez des sujets de conversation plus intéressants chez vous, dit le juge. J’aimerais également régler cette affaire au plus vite. J’ai cru comprendre en lisant les documents déposés par Me Miller que les deux parties sont des célébrités qui ne souhaitent pas attirer l’attention des médias. Voilà pourquoi j’ai décidé d’apposer les scellés sur tous les comptes rendus d’audience concernant cette affaire et de ne pas perdre de temps. Est-ce clair ?

  Miranda et moi répondons en chœur :

  — Oui, Votre Honneur.

  — Oui, juge Martin, répond Jack pour sa part.

  — Très bien, la communication des pièces du dossier avant l’audience commencera cette semaine et je vous verrai dans trois mois pour faire le point.

  — Merci, Votre Honneur, répondons-nous en chœur en notant la date sur nos Blackberry. J’essaie de conserver mon sang-froid malgré le calendrier très serré décidé par le juge. Dans mon ancienne société, cela n’aurait pas posé de problème, car GHT a une importante équipe d’avocats, mais comme je suis toute seule à mener cette affaire, cela peut devenir un vrai cauchemar. Cela dit, je n’aurai pas de problème pour demander une extension des délais puisque je couche avec l’avocat de la partie adverse.

  Comment ?

  Le juge a dit de construire une muraille de Chine, pas de faire chambre à part !

  A peine sortie de la salle d’audience, je libère mes cheveux, puis je me dirige vers les ascenseurs derrière Jack et Miranda. Dès que nous ne risquons plus d’être entendus par le juge Martin ou par un membre de son équipe, j’attaque Jack.

  — Ce n’est pas juste, tu ne voulais même pas être avocat !

  D’accord, c’est puéril et pleurnichard, mais c’est vrai. Ce n’est un secret pour personne que Jack est devenu avocat parce que son rêve de devenir acteur est tombé à l’eau. C’est ce qui explique sa fascination pour les effets de manche et les plaidoiries théâtrales.

  — C’est une super-affaire, vous ne croyez pas ? s’exclame Miranda tout excitée.

  Je résiste au désir violent de l’envoyer balader et de lui demander de nous laisser seuls, Jack et moi.

  Jack, comme s’il m’avait entendu, se tourne vers elle et lui demande de nous excuser. Aussitôt, d’une façon inexpliquée, comme un réflexe, elle pose sa main sur son bras.

  Je résiste à l’envie irrépressible de hurler :

  — Enlève immédiatement ta sale patte du bras de mon fiancé !

  Ce n’est pas que je sois jalouse.

  Mais je suis sûre que c’est une technique pour m’éloigner. Elle veut me rendre furieuse pour que je n’arrive plus à me concentrer sur l’affaire.

  Mais je vois clair dans son jeu! Je ne suis pas un amateur et je ne suis pas née de la dernière pluie ! Il en faudrait un peu plus pour démonter un adversaire de ma trempe !

  Du reste, pourquoi serais-je jalouse? Jack et moi avons une relation solide, fondée sur la confiance, et ce n’est pas parce que mon dernier petit ami sérieux m’a trompée et m’a laissée tomber pour une autre que Jack va en faire autant. Parce que Jack n’est pas comme ça. Il est bien plus qu’un petit ami sérieux. C’est mon fiancé et, avec lui, notre relation est différente. Plus forte, plus solide.

  Compris ?

  — Nous avons beaucoup de choses à nous dire, dit Miranda à Jack quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent devant nous. On se voit tout à l’heure au bureau, Jack ?

  Je jurerais qu’elle fait exprès de serrer ses dossiers sur sa poitrine pour faire remonter ses seins sous le nez de mon fiancé. L’effet est spectaculaire! Son décolleté pigeonne outrageusement dans son caraco de dentelle. Je scrute le visage de Jack pour voir s’il a remarqué.

  — Merci, Miranda, répond-il distraitement, les yeux toujours braqués sur moi, tu n’as qu’à commencer à étudier les documents qu’on nous a communiqués et nous en discuterons cet après-midi.

  Je ne peux pas m’empêcher de l’imaginer attendant Jack, uniquement vêtue de son caraco de dentelle, après s’être débarrassée de sa veste de tailleur et de son chemisier de soie crème.

  Quelle dévergondée !

  Les portes se referment sur elle, et Jack et moi nous retrouvons seuls face à face.

  — Comment ça, pas juste? C’est le genre d’argument imparable que tu vas sortir devant la cour? Honnêtement, Brooke, il me semble que je t’ai appris autre chose !

  — Ce n’est pas drôle. (D’accord, je pleurniche, mais un peu de pitié, je suis encore sous l’effet du stress !) C’est ma première grosse affaire et je veux faire de mon mieux.

  — Eh bien, dit Jack en se dirigeant vers l’extrémité du hall désert, c’est un client très en vue pour notre firme, un gros challenge pour moi, et je veux prouver que je suis l’homme de la situation. Je veux que tout le monde sache que j’ai cette magie en moi, que je peux régler l’affaire de mon client au mieux de ses intérêts et qu’après lui, il y en aura d’autres qui pourront compter sur moi et seront tout aussi satisfaits.

  — Mes arguments étaient plus sérieux.

  — Laisse-moi te citer quelque chose : « Quoi qu’il arrive, tu vas avoir cette affaire et tu vas la gagner. Et moi, je serai la fiancée admirative, fière et aimante qui te soutiendra et t’assistera à chaque étape… » Cela ne te rappelle rien ?

  — Heu, oui, mais c’était avant que la plus grosse affaire de ta carrière corresponde avec la plus grosse affaire de la mienne !

  — Mais je suis avocat partenaire, souligne Jack. A ce stade de ma carrière, j’ai besoin, plus que toi, de me distinguer dans une grosse affaire.

  — Mauvais argument. J’ai plus besoin de cette affaire que toi car je veux devenir partenaire.

  Jack passe sa main dans ses cheveux.

  — Depuis quand est-ce important pour toi de mener toi-même une affaire ? Lorsque nous étions chez Gilson, Hecht et Trattner, tu n’as jamais montré un quelconque intérêt pour les grosses affaires, tu essayais au contraire d’être affectée aux plus petites et celles qui te laissaient le plus de temps libre, dit Jack en posant son porte-document par terre. Regarde les choses telles qu’elles sont, Brooke, tu n’aimes même pas tellement travailler, alors dis-moi ce qui te motive ?

  — Personne n’aime travailler, mais je n’ai pas le choix si je veux continuer à m’offrir des chaussures chez Manolo Blahnik.

  — Tu t’achèteras toutes les Manolos que tu veux, dit Jack en me prenant dans ses bras. Tu pourras même acheter des Baby Manolo quand tu auras une fille.

  — Ils ne font pas de Baby Manolo, dis-je avec une moue.

  Il me soulève le menton pour que je le regarde.

  — Si tu voulais des Baby Manolo, dit-il en rapprochant son visage du mien, je t’en offrirais. Je t’offrirai tout ce que tu désires, tu le sais, n’est-ce pas ?

  — Oui, dis-je en lui souriant. Sais-tu ce que je désire en ce moment ?

  Jack sourit, ses yeux bleus brillent et il m’embrasse. Chaque fois, j’ai l’impression que c’est la première fois. Ses lèvres se posent sur les miennes et je plane. Vraiment, je plane! Dès qu’il m’embrasse, je suis ailleurs et le monde disparaît. Quand je suis dans ses bras, je ferme les yeux et je pourrais être, je n’en sais rien, pourquoi pas dans une île des Caraïbes ?

  Ou dans un tribunal de grande instance, en l’occurrence.

  — Hum ! Y a-t-il un problème, maîtres ?

  Je sursaute, puis je me retourne. Le Juge Martin est juste derrière nous. Jack ne desserre pas son étreinte. En revanche, mes bras tombent comme si je voulais souligner l’évidence énoncée plus tôt. Ne vous ai-je pas dit que cet homme est complètement, furieusement, désespérément, amoureux de moi ?

  Fin de la démonstration.

  Quant à savoir s’il y a un problème, je répondrais volontiers que plaider sa première grosse affaire contre son propre fiancé tout en organisant une cérémonie nuptiale ne devrait poser aucun problème… Le choix des fleurs et de leur composition, de la robe et du tissu, ne me distrai
ra-t-il pas de la lourde tâche que je me suis moi-même assignée, c’est-à-dire être une avocate inflexible et irréprochable ?

  Mais je suis une femme, écoutez-moi rugir ! Je peux faire tout ce que mon esprit a décidé. J’ai affronté des choses plus difficiles dans le passé. Après tout, j’ai survécu aux cérémonies de mariage de trois de mes ex, où je n’ai été humiliée qu’une seule fois. Et je n’ai été sanctionnée par la cour que lors d’un seul procès majeur. L’un dans l’autre, c’est plutôt un bon bilan. Tout ce que j’ai à faire maintenant, c’est organiser le merveilleux mariage de mes rêves (enfin, plutôt, le super-mariage des rêves de ma mère) et gagner ce procès.

  Qu’est-ce qui pourrait clocher?

  8

  Dans ma prochaine vie, j’ai décidé que je serai Monique de Vouvray.

  Pas seulement parce qu’elle est très belle et hyperglamour, mais aussi parce qu’elle est la grâce incarnée, même dans la tempête.

  Chacun de ses gestes a beau être examiné à la loupe par les médias, et aussitôt commenté dans la presse, elle reste impassible. La présence constante des paparazzis sous ses fenêtres ne semble pas la déranger non plus et elle ne réagit pas plus aux potins dont se délectent les pages people des magazines. Même les coups de fil incessants des échotiers voulant savoir pourquoi son mari, Jean Luc, s’est installé à l’hôtel Lowell en tant que client permanent, ne l’inquiète pas. Elle n’attache aucune importance au fait que son attachée de presse reçoive en moyenne trois ou quatre appels par jour pour commenter le départ de Lowell, et le fait que cette information ait fait la une d’Entertainment Tonight quatre soirs de suite la laisse apparemment indifférente. (Ce qui est impressionnant, car c’est tout de même elle qui avait créé la robe de mariée de Mary Hart en 1989.) Monique n’a même pas cillé en apprenant que Perez Hilton lui-même, le plus célèbre des bloggeurs, s’était donné la peine de venir de Los Angeles pour s’installer dans un café proche de chez Monique, et être au cœur de l’action.

  Non, alors que son univers s’écroule à la face du monde, Monique de Vouvray organise une grande soirée. Et alors que je monte les marches de sa maison pour lui rendre compte de l’audience préliminaire, j’ai l’impression d’entrer dans le monde décrit dans Mrs Dalloway. Fleuristes, chefs, photographes et musiciens courent dans tous les sens, sous les ordres d’un grand ordonnateur de soirée, afin de préparer ce qui sera sans nul doute la party la plus branchée de la saison : le renouvellement des vœux de mariage de Monique de Vouvray et de Jean-Luc Renault.

  — Brooke ! s’écrie Monique depuis le bas de l’escalier qui surplombe l’entrée principale, venez me rejoindre ici. Je suis à vous tout de suite.

  Je traverse la foule affairée et nous grimpons à l’étage, bras dessus bras dessous comme deux collégiennes françaises. Nous nous dirigeons comme convenu vers son studio de création et non vers son bureau, car elle ne veut pas que la presse – ou, à plus forte raison, un membre de l’organisation de la soirée – apprenne que je suis son avocate. Aujourd’hui, je suis inscrite sur son carnet de rendez-vous comme la mariée de 15 heures. Pour que la ruse fonctionne, elle m’a demandé de venir chez elle avec mon sac à main et non un porte-document. Et de n’emporter qu’un sac fourre-tout avec une paire de chaussures à talons et un soutien-gorge sans bretelles. Surtout aucun dossier. Le plan semble avoir parfaitement fonctionné puisque je suis passée incognito devant les paparazzis, mais je sais que ce n’est qu’une question de temps. Tôt ou tard, je serai repérée comme l’avocate de Monique. Celle-ci ignore qui a vendu la mèche à propos de l’installation de son mari à l’hôtel, mais elle est certaine que ce n’est pas le personnel de Lowell. J’ai l’impression qu’elle tire sa certitude d’une longue expérience et que ce n’est pas le premier séjour de Jean-Luc dans cet hôtel, mais je me garde bien de l’interroger sur ce point. Elle soupçonne plutôt quelqu’un de son équipe, mais comme elle emploie une vingtaine de personnes, elle ne peut garantir la discrétion de chacun. C’est pourquoi elle a insisté pour que, chaque fois que j’aurai besoin de la rencontrer pour préparer l’action qu’elle a engagée, je fasse comme si j’étais une future mariée venue faire les essayages de sa robe.

  Je commence à enfiler la robe en mousseline qu’elle a préparée pour moi. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si c’est celle d’une autre ou bien si elle crée réellement une robe pour moi afin de faire encore plus vrai.

  — Nous aurons peut-être un problème dans cette affaire, mais ne vous faites pas de souci pour cela, je m’en occupe.

  — Alors, pourquoi m’en parler ? demande Monique avant de s’interrompre pour répondre à un fleuriste venu lui demander son avis sur une composition florale.

  Des hortensias blanc et rose pâle mêlés à des roses blanches et à des orchidées fuchsia. D’une beauté à couper le souffle ! Et très approprié pour l’occasion – le blanc et le pastel sont les couleurs traditionnelles de la cérémonie mais le fuchsia rappelle que c’est un renouvellement de vœux entre deux personnes déjà mariées. Monique étudie le bouquet d’un œil critique avant de hocher la tête d’un air approbateur. Le fleuriste nous quitte l’air satisfait.

  — Je tenais à ce vous sachiez que votre mari a engagé un avocat de mon ancienne firme, dis-je lentement, alors que Monique m’aide à fermer la robe en mousseline.

  Elle drape les plis de la robe puis me prend par la main et me dirige vers une petite estrade ronde placée devant un miroir à trois faces. J’adore ! C’est magnifique. La robe recouvre l’estrade et les quinze centimètres de hauteur supplémentaire me font paraître à la fois plus grande et plus mince.

  C’est la façon idéale de voir tous les détails de ma robe de mariée.

  Euh, je veux dire, de ma fausse robe de mariée.

  — Ce n’est pas un problème, commente Monique, cela ne me concerne pas.

  La tête baissée, les sourcils froncés, elle étudie ma silhouette puis se met à ajuster le tissu sur moi à l’aide d’épingles. J’ai envie de lui dire que ce n’est peut-être pas la peine d’en faire autant, que c’est une fausse robe et que nous sommes en réalité en train de travailler sur son affaire. Mais, après tout, cela ne coûte rien d’en profiter.

  — Peut-être, mais l’avocat principal est Jack Solomon, dis-je avec un rire bref dont l’humour échappe totalement à Monique, toujours concentrée sur la robe. Jack est mon fiancé.

  Malgré les épingles qu’elle tient entre ses lèvres, elle a un petit rire amusé. Au moment où elle s’apprête à me dire quelque chose, nous sommes de nouveau interrompues, cette fois par un chef qui veut lui faire goûter un échantillon d’un plat qu’il proposera dans le buffet de la party de ce soir. J’adore son allure – veste blanche, toque blanche et pantalon rayé noir et blanc ; l’ensemble lui donne toute la pompe que son art mérite. Son visage ne m’est pas inconnu, je suis certaine de l’avoir déjà vu sur Food Network dans une émission culinaire. Sur sa veste est brodé son prénom : Daniel.

  — Madame et mademoiselle, dit-il avec un accent français à couper au couteau, encore plus prononcé que celui de Monique. Puis-je vous interrompre ?

  — Vous pouvez, dit Monique, qui étudie mon reflet dans le miroir.

  — La sole ! annonce-t-il en posant son plateau sur une table voisine d’un geste théâtral, comme s’il se présentait devant la famille royale. Je serais très honoré que vous la goûtiez.

  Monique se dirige vers la table. Que faire ? Je suis épinglée de la tête aux pieds dans cette mousseline qui moule mon corps des hanches aux chevilles. Je peux à peine respirer, alors marcher, n’y pensons pas ! Avec la forme qu’elle a donnée à la jupe, je ne crois même pas pouvoir descendre de mon estrade pour aller dire deux mots à la fameuse sole. Mais l’odeur est tellement délicieuse! Cela embaume le beurre, le citron et le basilic, c’est si tentant que soudain je ne résiste plus, je dois absolument goûter cette merveille. Je pivote sur moi-même le plus doucement possible pour ne pas tomber et je tente de faire un pas. Alors que j’avance mon
pied droit, la robe s’enroule autour de mon pied gauche et je titube un peu. Je me redresse, heureusement, personne ne s’est aperçu que j’ai failli tomber. Je prends délicatement le tissu à deux mains pour soulever ma robe comme les dames autrefois. Voilà, cette fois, ça y est. Je vais faire de tout petits pas et avancer lentement vers la table. Lorsque je serai arrivée à destination, je demanderai gracieusement à Monique si elle peut m’aider et alors, tout naturellement, ils me proposeront de goûter la sole. Vous savez, par politesse. Depuis que je fréquente Monique, j’ai appris une chose, c’est que les Français sont extrêmement polis, contrairement aux stéréotypes habituels à leurs propos. J’avance centimètre par centimètre en traînant des pieds et, en approchant du bord de l’estrade, je commence à sentir le goût de la sole sur ma langue. Au moment où j’atteins enfin mon but, Monique se tourne vers moi et s’adresse au chef :

  — Daniel, permettez-moi de vous présenter Brooke Miller, une de mes futures mariées.

  C’est à ce moment que je tombe la tête la première de l’estrade, entre Monique et Daniel.

  — Ah, Brooke ! s’exclame Monique en se précipitant sur moi pour m’aider à me relever, est-ce que ça va? Mon Dieu, Brooke, vous êtes-vous blessée avec les épingles ?

  — Non, pas du tout.

  Si, si, absolument, c’est une vraie torture. Il y a au moins vingt-deux épingles plantées dans ma chair. Mais quand vous êtes une avocate reçue par sa cliente et que vous vous faites passer pour une future mariée venue essayer sa robe et que vous tombez de l’estrade parce que l’odeur d’une sole vous faisait saliver, vous faites comme si tout allait bien et vous essayez de sauver la face. Mieux vaut tard que jamais, comme je dis toujours.

  — Je vais bien, tout va très bien, ne vous inquiétez surtout pas.

  Monique et Daniel se mettent à deux pour me relever. Ils m’attrapent chacun sous un bras et me redressent. Dans cette robe avec laquelle je ne peux pas faire un pas, je suis raide comme un piquet.

 

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