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Sexe, Meurtres et Cappuccino

Page 19

by Kyra Davis


  J’agitai un tyrannosaure d’un air menaçant. Jack s’assit sur le sol et ouvrit de grands yeux brillant de curiosité. Mon poisson était ferré. Restait à capter son attention jusqu’au retour de Leah.

  — Ce dragon s’appelait Smirnoff. Smirnoff le Terrible. Et son compagnon…

  Je pris dans mon autre main un vélociraptor que je posai près du tyrannosaure.

  — Jack Daniels. JD pour les intimes. Il était très rusé et très méchant. Chaque samedi soir, Smirnoff et JD entraînaient les plus faibles des villageois dans leur repaire et le lendemain matin, tous les habitants étaient affreusement malades. Cela durait depuis des années, et tous étaient persuadés d’être voués pour l’éternité aux nausées, aux maux de tête et aux comportements idiots. Mais un jour… Da da dam !

  Je pris un tricératops et le plaçai face aux deux terreurs.

  — Regarde, voici notre héroïne. Elle s’appelle… Janice ! Tu vas voir ce qu’elle va faire !

  — Qu’est-ce que tu racontes à mon fils ?

  En levant les yeux, je croisai le regard furieux de Leah.

  — Je lui fais faire connaissance avec les monstres de la dépendance et de l’addiction. Ce n’est pas toi qui dis qu’il faut aborder très tôt ces questions avec les enfants ?

  Leah m’arracha le triceratops des mains et le déposa sur la table près du canapé, puis elle alla ouvrir la porte à Cheryl, qui venait de sonner. Je me penchai vers Jack.

  — Certaines personnes peuvent très bien se passer de l’aide de Janice, murmurai-je à son oreille. Par contre, elles auraient bien besoin de notre autre héros, M. Bong. Je te raconterai la suite plus tard, si tu es sage.

  — Sophie ! Je ne t’ai pas vue depuis une éternité !

  Je me redressai et me composai un sourire de bienvenue à l’intention de la bimbo qui faisait son entrée.

  — Bonjour, Cheryl. Comment vas-tu ?

  — Très bien. Oh, mais voici notre petit Jacky !Bonjour mon chéri ! On fait un bisou à tatie Cheryl ?

  Jack, sans répondre, fourra dans sa bouche deux crayons de couleur, sans doute pour en tester l’absence de toxicité, comme c’était indiqué sur l’étiquette. Cheryl fronça le nez d’un air de dégoût lorsque j’ôtai de la bouche de Jack les crayons couverts de bave.

  — A défaut d’avoir une maison présentable, tu pourrais au moins débarbouiller et habiller correctement ton enfant, commenta-t-elle à l’adresse de Leah.

  Celle-ci, derrière Cheryl, fit semblant d’enfoncer un couteau dans son dos. Je me mordis les lèvres pour ne pas sourire.

  — Vous ne devinerez jamais qui je viens de croiser ! reprit-elle en changeant de ton.

  Elle marqua une pause, sans doute destinée à éveiller notre curiosité, mais comme nous ne réagîmes pas plus l’une que l’autre, elle poursuivit :

  — Je suis passée au Ritz tout à l’heure prendre mon chèque, et qui était là ? Leonardo DiCaprio !Evidemment, ceux d’entre nous qui le connaissent l’appellent juste Leo.

  — Eh bien, c’est…

  Je cherchai un adjectif pour exprimer ma surprise, puis je renonçai. A quoi bon feindre un enthousiasme que je ne ressentais pas ? D’ailleurs Cheryl ne parut pas s’apercevoir de mon manque de réaction.

  — Et toi ? demanda-t-elle. Tu vas écrire d’autres scénarios pour les Productions Tolsky ?

  — Depuis que le malheureux est mort, c’est un peu tombé à l’eau.

  — Quel dommage.

  Puis, se tournant vers Leah :

  — Tu ne m’as pas parlé de snacks ? Je meurs de faim.

  En toute innocence, Leah croisa les mains dans son dos.

  — Tout à fait. J’ai trouvé un Brie dont tu me diras des nouvelles.

  — Tu as une idée de la quantité de matières grasses qu’il y a là-dedans ?

  Elle détailla la silhouette de Leah et ajouta :

  - Non, bien sûr. Tu ne fais pas partie de ces personnes superficielles qui s’inquiètent à l’idée de prendre du poids. Ça doit être tellement agréable de pouvoir se laisser aller !

  Je reculai d’un pas pour éviter d’être électrocutée par le coup de tonnerre qui allait jaillir du regard de ma sœur, mais celle-ci parvint à se contenir et répondit d’un ton égal :

  - C’est vrai que c’est un bonheur d’être aimée pour ce qu’on est et non pour son apparence, et de vivre une relation solide et durable avec un homme… Oups ! Pardon…

  Elle posa une main sur sa joue d’un air embarrassé.

  — Désolée, je ne voulais pas faire allusion au fait que tu n’as jamais été capable de nouer une relation amoureuse stable et équilibrée !

  Je dus me retenir pour ne pas applaudir. A la place de Leah, j’aurais proféré une quelconque insulte, ou grommelé : « Fous le camp de chez moi, pétasse ! », sans me soucier des conséquences de mes paroles. Leah avait réussi le tour de force de renvoyer sa belle-sœur dans ses buts sans ternir son image d’épouse et de mère irréprochable.

  Près de nous, Jack prit Janice et s’amusa à la cogner contre Smirnoff de toutes ses forces en criant : « Zack Daniels ! A l’aide ! » Je fis un pas de côté de façon à le cacher derrière mes jambes.

  — Au fait, Cheryl, j’ai cru comprendre que Tolsky avait réservé au Ritz, la veille de sa mort ?

  — Exact, s’empressa-t-elle de confirmer, visiblement soulagée de changer de sujet. Je n’ai pas eu le temps de faire sa connaissance.

  — Pourtant, il était déjà descendu au même hôtel ? Quand je l’ai rencontré, il a fait allusion au fait qu’il séjournait au Ritz.

  Cheryl me regarda avec un intérêt nouveau.

  — J’avais oublié que tu avais déjeuné avec lui. Il était seul ? Il paraît qu’il était très proche de Quentin.

  — Quentin ?

  — Tarantino, dit Cheryl d’un ton blasé.

  — Non, désolée. Je n’ai jamais croisé… Quentin.

  Le regard de Cheryl se ternit aussitôt. Je cherchai le nom d’une autre célébrité à agiter devant elle pour la stimuler de nouveau, le temps de lui poser quelques questions.

  — Au fait, Leah, dis-je, prise d’une soudaine inspiration, tu as parlé à Cheryl de ce bar où on est allées boire des cocktails avec Alex et George, après notre entretien ?

  — George ? répéta Cheryl.

  — Clooney, bien sûr.

  Leah m’adressa un sourire à faire pâlir le soleil.

  — A vrai dire, je ne me souviens pas, dit-elle. Il se peut que j’aie oublié. Tu devrais faire sa connaissance, Cheryl. C’est un homme tellement charmant ! Quoique… je ne sais pas s’il sympathise avec les réceptionnistes.

  Cheryl la toisa d’un regard assassin. Certaine à présent d’avoir toute son attention, je lui demandai :

  — Donc, Alex était au Ritz ?

  — Oui, il descend toujours chez nous quand il est de passage à San Francisco, mais je n’étais pas de service quand il est venu. Tu es restée en contact avec George ?

  — On boit une bière de temps en temps… Est-ce que Tolsky est souvent venu à San Francisco ces derniers temps ?

  — A ma connaissance, seulement trois fois, dont deux durant les trois mois avant sa mort.

  Cela faisait beaucoup pour une aussi courte période, d’autant qu’il avait prévu de revenir. Je tenais peut-être une piste…

  — Est-ce qu’il projetait de tourner un film ici ?

  — Comme beaucoup de gens. Tiens, il n’y a pas longtemps, Keanu Reeves était ici pour la même raison. Il est tellement adorable ! Il m’a parlé à son arrivée et à son départ de l’hôtel. Je crois qu’il a craqué sur moi. Vous n’avez pas idée de ce que c’est que de subir à longueur de journées les avances d’hommes beaux, riches et célèbres !

  — Ça doit être terrible, dit Leah. Il paraît que maintenant, les stars de Hollywood ne font plus appel à des prostituées. Ils trouvent plus excitant de tirer leur coup avec des filles ordinaires. En plus, il n’y a pas besoin de payer… Jack, pose ce tisonnier !

  C’était mieu
x qu’un combat de catch. Je m’éloignai à regret pour répondre à mon portable, dûment rechargé, que j’avais laissé dans mon sac.

  — Sophie ? C’est Dena. Tu es assise ?

  — Oui, mentis-je. Il y a du neuf ?

  — Et comment ! Je viens d’avoir les parents de Barbie. Il paraît que la police a arrêté quelqu’un.

  — Quoi ? Attends une minute, je cherche un coin plus tranquille pour discuter.

  Du coin de l’œil, je vis que Leah et Cheryl étaient parties vers la cuisine, Jack sur leurs talons. Leah n’avait-elle vraiment pas remarqué le marqueur indélébile que ce dernier avait à présent dans la main, ou espérait-elle que la minijupe de Cheryl éveillerait les talents de son Picasso en herbe ?

  — Leah, dis-je en haussant la voix, il faut que je me sauve. Si tu vois maman avant moi, dis-lui que je vais bien et que je passe la voir un de ces jours.

  — Mais… tu ne peux pas partir comme ça ! Qui va manger le Brie ?

  — J’y goûterai la prochaine fois.

  Cheryl m’adressa un sourire engageant.

  — Ravie de t’avoir revue. Appelle-moi la prochaine fois que tu vas boire un verre avec George. Je connais un petit bar très sympa.

  — Pas de problème, Cheryl ! Leah…

  Sur un signe de la main, je quittai la maison, mon téléphone toujours collé à mon oreille.

  — Me voilà, Dena. Alors ils ont arrêté quelqu’un ? Tu sais de qui il s’agit ?

  — L’ex de Barbie.

  — Je l’aurais parié. Il n’est plus à Vegas ?

  — Il n’y était pas cette semaine, en tout cas. On l’a vu suivre Barbie dans San Francisco. Ses parents m’ont un peu parlé de lui. A côté de lui, Jack l’Eventreur était un gentil scout.

  — On est sûr que c’est lui ? Je n’arrive pas à y croire.

  — Ce dont on est absolument certain, c’est qu’il était sur les lieux du crime, au moment du crime ou du moins juste après.

  — Comment le savent-ils ?

  — Le briquet lui appartient. De plus, on a retrouvé son sang à elle sur ses vêtements.

  Je me dirigeai vers ma Mustang, que j’avais laissée en face du garage de Leah.

  — Dena, ça n’a aucun sens.

  — Possible, mais vu son passé, ce n’est pas étonnant que les flics le croient coupable.

  Je m’appuyai contre le capot de ma voiture pour écouter les explications de Dena.

  — Il a été impliqué dans différentes affaires d’agression sexuelle dans son adolescence. Plus tard, il a fait de la prison pour avoir battu sa femme et vendu de la coke. Là où je veux en venir, c’est qu’il est multirécidiviste. Il en est arrivé au point où il peut prendre perpète pour vol à l’étalage, alors à présent qu’ils ont la preuve qu’il a violé l’interdiction qu’on lui avait faite de s’approcher de Barbie…

  — Je vois… Il faut que je lui parle.

  — Moi aussi. Pour lui expliquer ma façon de penser, à ce salaud.

  — Je crois qu’il vaut mieux que j’y aille seule.

  — Dis tout de suite que je te dérange !

  — Non, mais tu vas le braquer et je ne pourrai rien en tirer.

  — Parce que toi, en revanche, tu vas lui apporter des cookies faits maison ?

  — Je vais lui poser des questions précises auxquelles j’attends des réponses précises. Ça risque d’être assez difficile si tu ne peux pas t’empêcher de le traiter de brute et de salaud.

  Un grincement me parvint depuis l’autre bout de la ligne. Probablement les dents de Dena qui frottaient les unes contre les autres.

  — Tu te trompes, je sais me tenir. Je crois au contraire qu’on ferait un tandem du tonnerre, toi et moi. Tu joues la gentille, moi la…

  — Franchement, tu crois que ça marcherait ?

  — Non, mais j’ai vraiment envie d’être méchante.

  — Une autre fois. Tiens, quand on sera sûres que Jason n’est pas dangereux, tu n’auras qu’à essayer ses jeux de rôle avec lui. Tu as déjà les costumes et les accessoires.

  — C’est déjà fait.

  — Oh ! Et alors ?

  — Pas mal, mais ça ne vaut pas la réalité. Quoique… j’ai mis au point une technique d’interrogatoire qui donne d’assez bons résultats.

  — Intéressant. C’est le truc avec la plume ?

  — Je te dis tout si tu me laisses venir.

  — Ce n’est pas du jeu.

  — C’est à prendre ou à laisser, dit Dena d’un ton boudeur.

  — Tant pis, j’improviserai. Tu sais où se trouve notre ami ?

  — Ils l’ont écroué à Bryant Street. Tu es sûre que tu n’as pas besoin de mon aide pour le faire parler ?

  Sur le trajet qui me menait à la prison où était retenu Mark Baccon, je tentai de démêler l’écheveau de cette affaire qui s’embrouillait un peu plus chaque jour.

  Bien sûr, il était possible que — par une extraordinaire coïncidence — l’ex de Barbie ait décidé de tuer celle-ci comme Kitty dans Sex, Drugs & Murder, quelques jours après qu’un vandale avait abîmé ma voiture exactement comme dans le même roman.

  J’estimais le taux de probabilité de cette hypothèse à environ un pour cent milliards.

  En d’autres termes, plus le temps passait, plus j’étais convaincue que celui qui s’en était pris à ma voiture et celui qui avait assassiné Barbie n’étaient qu’un seul et même individu. Mais de qui s’agissait-il ? Baccon allait-il me fournir une piste ?

  En entrant dans la prison, je pris quelques informations auprès d’un shérif adjoint. Plusieurs chefs d’inculpation avaient été retenus contre Baccon : harcèlement, mise en danger d’autrui et détention de stupéfiants. Un quatrième allait bientôt s’y ajouter : meurtre avec préméditation. Le district attorney prenait son temps, sans doute pour s’assurer que la procédure ne présentait pas une seule faille juridique. Après tout, pourquoi se précipiter ? Baccon n’était plus dangereux, à présent.

  L’un des adjoints m’accompagna jusqu’au parloir. Derrière l’épaisse vitre qui coupait la pièce en deux, s’alignaient déjà plusieurs détenus aux mines patibulaires. On aurait dit un concours pour le prix de la Gueule de Tueur de l’année.

  — Le voilà, dit l’adjoint.

  En regardant dans la direction qu’il m’indiquait, je vis un petit homme mince au regard effrayé. Bizarre. Il me semblait l’avoir déjà vu. Ou alors, il me faisait penser à quelqu’un d’autre… Tout en m’asseyant face à lui, de l’autre côté de la vitre, je pris le téléphone tandis qu’il en faisait de même. Son regard passa de ma taille à mes seins. Je réprimai un frisson de dégoût. Pourquoi ne croisait-il pas mon regard ?

  — Vous êtes la fille du magasin.

  — Pardon ?

  — C’est vous qui m’avez dit que c’était plein de trucs chouettes et que je devais entrer.

  J’y étais ! Ce type était celui que j’avais croisé en quittant Plaisirs secrets, le jour où Dena m’avait officiellement présenté Jason.

  Il était aussi le touriste qui avait failli me renverser la veille, lorsque j’arrivais au jardin botanique.

  13

  Il y a des tas de gens qui essaient d’avoir l’air sordide. Quelques-uns, fort rares, sont des orfèvres en la matière.

  Sex, Drugs & Murder

  J’eus un mouvement de recul involontaire en voyant Baccon gratter sa barbe. Avait-il des poux ?

  — Qu’est-ce que vous voulez ? grommela-t-il. Vous n’avez pas l’air d’une avocate.

  — Normal, je n’en suis pas une.

  — Alors allez vous faire foutre.

  — Je m’appelle Sophie Katz. Je connais… je connaissais Barbie.

  — Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

  Il frappa la table du plat de sa main.

  — D’abord, elle s’appelle Bonita. Ensuite, je ne l’ai pas tuée. Ce n’est pas moi !

  — C’est effectivement mon avis.

  Il réussit enfin à lever les yeux plus haut que mon décoll
eté.

  — Quoi ?

  — Je dis que je ne crois pas que vous soyez l’assassin.

  L’ex-fiancé de Barbie me jeta un regard stupéfait. Puis, après un silence, il haussa les épaules d’un air indifférent.

  — C’est aux flics qu’il faut le dire, pas à moi. Vous l’avez fait ?

  — Non.

  — Qu’est-ce que vous attendez ?

  — J’ai dit que je vous crois innocent du meurtre de Barbie, et uniquement de cela. Le reste, ce n’est pas mon affaire. Le véritable assassin court toujours et je suis déterminée à le faire arrêter. Je suis venue vous demander votre aide.

  — Vous voulez que je vous aide ?

  — Vous avez très bien compris.

  Un rire sans joie lui échappa.

  — Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Je suis en taule.

  — Oui, je l’avais remarqué. Tout ce que je vous demande, c’est de répondre à quelques questions.

  — Ça ne me fera pas sortir d’ici. Pourquoi est-ce que j’irais perdre mon temps avec vos histoires ?

  — Je ne sais pas… Pour échapper à une inculpation pour un meurtre que vous n’avez pas commis, par exemple ?

  — Parce que vous croyez que ça va changer quelque chose, pauvre niaise ? J’en suis à ma troisième condamnation. Que je l’aie tué ou pas, je vais en prendre pour perpète, alors…

  — Vous avez l’air d’oublier qu’ici, la peine de mort est encore en vigueur. Vous êtes sûr que ça ne change vraiment rien ?

  Comme il ne répondait pas, je poursuivis :

  — Avez-vous vu le cadavre de Barb… de Bonita ?

  Il détourna le regard.

  — Oui.

  — Elle a été tuée à coups de hache. Une vraie boucherie. Vous croyez que vu votre passé, le juge demandera la clémence pour vous ?

  Baccon garda le silence.

  — Dans ce cas, vous accepterez peut-être de prendre quelques minutes sur votre emploi du temps surchargé pour répondre à deux ou trois questions qui peuvent vous éviter l’injection létale ?

  — Allez vous faire foutre.

  De nouveau, un rire sec, sans joie, lui échappa. Si l’Antéchrist existait, il devait avoir ce regard fuyant et ce rictus ignoble.

 

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