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Sexe, Meurtres et Cappuccino

Page 29

by Kyra Davis


  Un troisième policier entra et commença à me poser des questions, dont je ne compris pas un mot. La tête me tournait. Ou plutôt, c’était la pièce qui tournait autour de moi, de plus en plus vite. Un voile noir tomba devant mes yeux.

  Lorsque je revins à moi, il me fallut une fois de plus me rendre au commissariat et subir un interrogatoire au beau milieu de la nuit, à l’heure où les honnêtes gens dorment tranquillement.

  Je répondis à toutes les questions du détective, en m’accordant toutefois une certaine licence poétique dans ma présentation des événements. Je commençai par évoquer mes doutes à propos de Darinsky, puis je citai les meurtres que je le soupçonnais d’avoir perpétrés, avant de récapituler l’enchaînement de faits qui m’avait conduite à supposer qu’il pouvait en être l’auteur.

  Je décrivis ensuite le déroulement de la soirée, ou plus exactement la version personnelle que j’en avais élaborée pendant mon trajet en voiture pour me rendre chez moi. Anatoly m’avait proposé d’aller boire un verre avec lui en ville et avait réussi à me convaincre que je me trompais sur son compte. Puis il m’avait raccompagnée à mon appartement en me faisant croire qu’il ne cherchait qu’à me rassurer.

  Tout avait dérapé lorsqu’il avait commencé à se montrer trop entreprenant. Il m’avait frappée, je m’étais échappée, j’avais réussi à composer le numéro des urgences, puis j’avais lancé l’appareil dans l’escalier de secours afin que mon agresseur ne puisse pas raccrocher avant qu’on ne localise la provenance de l’appel. J’avais dû appuyer par inadvertance sur le bouton « muet ».

  Anatoly s’était de nouveau jeté sur moi mais je lui avais résisté, et il avait déchiré ma chemise en tentant de me maîtriser. J’avais voulu me défendre avec une bouteille, et c’était alors qu’il avait sorti une arme à feu et l’avait braquée sur moi.

  D’accord, c’était plus que de la licence poétique, c’était de l’invention pure et simple, d’autant que j’avais totalement occulté le rôle tenu par Marcus et Dena. Ce qui comptait, c’était qu’Anatoly avait été pris sur le fait, son revolver à la main, en train d’essayer de me tuer.

  Je refusai d’aller aux urgences faire examiner mes blessures. Après une séance de photos de mes plaies et bosses et de ma chemise en lambeaux, on me laissa rentrer chez moi. Je pris M. Katz, qui tout ce temps-là avait bravement gardé les moutons de poussière sous la table basse du salon et m’en allai afin de laisser les enquêteurs rechercher des traces d’empreintes digitales et autres signes incriminant Darinsky.

  Au rythme où allaient les choses, il ne faudrait plus longtemps pour que l’on songe enfin à perquisitionner l’appartement de ce dernier.

  Depuis mon portable, je demandai à Dena si je pouvais passer la nuit — du moins, ce qui en restait — chez elle. Dix minutes plus tard, elle se garait en bas de mon immeuble. Je déposai M. Katz à l’arrière et pris place à côté d’elle. Jamais je ne l’avais vue aussi bouleversée… ni aussi furieuse.

  — Tu as complètement perdu la tête, ma pauvre fille ! s’écria-t-elle en prenant la direction de Noe Valley. Ce n’est plus de la bravoure, c’est de la stupidité ! Et s’il t’avait violée ? S'il avait pressé la gâchette avant que la police n’arrive ? Est-ce que tu y as seulement pensé ?

  — Je n’ai pas eu ce luxe. Il fallait que je le piège, je n’avais pas d’autre solution.

  — On aurait trouvé autre chose. C'était de la folie !

  — Mon plan a fonctionné, oui ou non ?

  Je me retournai et souris à M. Katz, qui protestait derrière les barreaux de sa cage contre ce déménagement nocturne qui le dérangeait dans ses habitudes.

  — Oui, mais seulement parce que tu as eu une chance insensée. Quand Marcus m’a dit ce que tu allais faire, j’ai cru que j’allais mourir. Je suis trop jeune pour passer l’arme à gauche ! Je n’ai même pas encore atteint mon pic de potentialité sexuelle !

  — Dieu nous vienne en aide le jour où ça arrivera !

  Je laissai mon regard errer par la vitre.

  — Tu sais ce qui est étrange ?

  — Beaucoup trop de choses à mon goût, dans cette histoire.

  — Anatoly m’a menacée avec un revolver.

  — De la part d’un homme qui essaie de te tuer, ça semble plutôt logique, non ?

  — Tu ne comprends pas. Aucun des personnages de mes livres n’est assassiné avec un revolver. Il y a bien quelqu’un dans mon premier roman qui est abattu au fusil de chasse, et une femme dans le troisième qui meurt d’un coup de fusil à canon scié, mais personne n’est descendu, ni même menacé, par un meurtrier armé d’un revolver. Tu vois où je veux en venir ?

  — Non.

  — Il y a quelque chose qui ne colle pas dans cette histoire. J’ai l’impression que ce n’est pas la bonne conclusion.

  J’observai la réaction de Dena et poursuivis :

  — Pourquoi Anatoly s’est-il écarté du scénario ?

  — Je suppose, dit-elle en malmenant la boîte de vitesses, qu’il était très pressé d’en finir avec toi. Tu ne lui as pas laissé le choix.

  Le moteur de sa petite voiture rugit lorsqu’elle passa en trois secondes du point mort en troisième.

  — Oui, mais depuis le début, il a toujours suivi le même modus operandi. Il met en scène des meurtres tirés point par point de l’œuvre de ses victimes.

  — Sophie, ça sert à rien de chercher un sens à tout ça. Ce type est un malade mental.

  — Je suppose que tu as raison…

  Je fermai les yeux, épuisée.

  — J’en ai assez d’essayer de comprendre quelque chose à toute cette histoire. D’ici à demain, les flics auront trouvé la hache sous son lit, la preuve de sa culpabilité sera établie et tout sera fini. Rien d’autre ne compte pour l’instant.

  — Tout de même, te voilà raisonnable.

  Le lendemain, je fus reçue au commissariat par un détective Lorenzo un brin plus cordial que d’ordinaire, pour ne pas dire amical. La première partie de la conversation se déroula comme je l’avais prévu. Il me présenta de vagues excuses pour ne pas m’avoir prise au sérieux, sans excès de zèle toutefois. Puis il s’enquit poliment de l’état de mon œil poché et me demanda si j’avais réussi à dormir. Enfin, il aborda la question d’Anatoly.

  — Nous avons retrouvé l’arme du meurtre de Barbie Vega dans l’appartement de Darinsky. Celui-ci est à présent inculpé de cet assassinat, en plus de l’agression dont vous avez été victime hier.

  Je humai le liquide sombre et fumant qu’on m’avait servi sous l’appellation de café noir sucré et reposai mon gobelet sans y toucher. Une décoction de mégots aurait été plus appétissante.

  — Oh, dis-je d’un ton léger. Vous avez la preuve que vous ne cherchiez pas, finalement ?

  — Hmm.

  Il porta sa tasse à ses lèvres et but une gorgée avec un air de satisfaction qui me laissa perplexe.

  — Nous n’excluons pas qu’il soit impliqué dans les meurtres de J.J. Money et d’Alexis Tolsky, mais jusqu’à présent, rien ne permet de l’affirmer.

  — Il faut trouver une preuve, dis-je en me penchant vers lui. Un innocent est en prison à sa place.

  — Ne vous inquiétez pas. Si Darinsky est le coupable, c’est lui qui ira derrière les barreaux. A condition qu’il ne soit pas envoyé dans le couloir de la mort, ce qui n’est pas impossible.

  Je pressai mon front entre mes mains, soudain mal à l’aise. La peine de mort était déjà en soi un sujet qui me fâchait, mais l’idée de savoir Anatoly pieds et poings liés sur une chaise pour y être électrocuté me donnait la nausée. Machinalement, je bus une gorgée à mon gobelet… et me mordis les lèvres pour ne pas recracher l’infâme brouet sur les dossiers de Lorenzo. Comment pouvait-il ingurgiter cela ?

  — Je dois dire que je n’aurais jamais imaginé un tel comportement de la part de cet homme-là. Il a eu maille à partir avec la loi une ou deux fois, mais pour des broutilles, et il est reconnu comme l’un des meilleurs privés de la cô
te Ouest.

  Je le dévisageai sans cacher ma surprise.

  — Darinsky ? Il est détective privé ?

  — Vous ne le saviez pas ? Il a commencé comme enquêteur pour des boîtes d’assurance, à New York, puis il s’est installé à son compte. Il travaille pour des particuliers depuis quelques années et ça a l’air de bien marcher pour lui. Vous savez qui est sa dernière cliente en date ? Shannon Tolsky.

  Je tressaillis, renversant mon verre sur mes vêtements.

  — Lorsque j’ai rencontré Shannon, j’ai parlé de lui et elle ne m’a rien dit de tout cela.

  — D’après elle, c’est lui qui lui a demandé la plus grande discrétion. Elle l’a viré quelque temps après l’avoir engagé, en prétendant que son enquête n’avançait pas assez vite. Ça n’a pas l’air d’être le grand amour, entre ces deux-là. Elle semblait à deux doigts de reconnaître qu’elle n’aurait pas été surprise qu’il soit le meurtrier de son père.

  — Si je comprends bien, c’est lui qui vous a dit avoir été recruté pour enquêter sur l’assassinat d’Alex Tolsky ?

  — Exact. Selon lui, après avoir été remercié par Mlle Tolsky, il a poursuivi l’enquête pour son propre compte. Il savait que Tolsky avait une liaison avec une femme de San Francisco, et que celle-ci pouvait être impliquée dans son assassinat.

  Lorenzo marqua une pause. Pourquoi me fixait-il de ce regard bizarre ?

  — En fait, il affirme que vous pourriez être cette femme.

  — Moi ?

  Je bondis sur ma chaise, achevant de customiser mon chemisier façon Donato Balardi avec ce qui restait de café au fond de ma tasse.

  — Vous. En fait, il a même affirmé que vous avez forgé de toutes pièces la prétendue agression d’hier soir, mais c’est un peu tiré par les cheveux à notre goût. Je vous vois mal vous frapper vous-même au visage pour les besoins de la mise en scène !

  Je me carrai dans ma chaise et soutins le regard du détective.

  — En effet.

  — De plus, comme, de son propre aveu, vous n’êtes jamais allée chez lui, vous n’auriez pas eu la possibilité de cacher cette hache dans sa cuisine, n’est-ce pas ?

  L'arme était dans la chambre à coucher. Lorenzo me tendait un piège. Jusqu’au bout, il doutait de mon innocence ! songeai-je avec rage.

  — Je suppose, dis-je du ton le plus posé possible, qu’il tente par tous les moyens, y compris les plus ridicules, de sauver sa peau.

  Lorenzo me gratifia d’un sourire coincé.

  — Je ne vois pas d’autre explication. On aura besoin de votre témoignage pour le procès, je suppose qu’on peut compter sur vous ?

  — Absolument.

  — Dans ce cas, je vous verrai à la cour.

  Il se leva, signifiant que l’entretien était clos.

  Je l’imitai et lissai ma jupe avant de serrer la main qu’il me tendait.

  — Merci de votre aide. Je vais enfin pouvoir dormir sur mes deux oreilles !

  Il me sourit et me raccompagna jusqu’à la porte.

  — Prenez soin de vous, et n’invitez plus chez vous des hommes que vous soupçonnez de meurtre.

  20

  « Ma parole, gémit Kitty en poussant un profond soupir, si je dois encore assister à une soirée sadomaso, je hurle! »

  Sex, Drugs & Murder

  Je rentrai chez moi et retrouvai M. Katz, que j’avais déposé à l’appartement avant de me rendre à mon rendez-vous avec le détective Lorenzo.

  — Enfin seuls ! dis-je en le grattant entre les oreilles.

  Le chat toléra quelques instants mes démonstrations d’affection, puis retourna à sa gamelle.

  Je m’approchai de mon répondeur, dont le voyant clignotait énergiquement. Dix-huit messages m’attendaient. J’écoutai distraitement les cinq premiers, laissés par des journalistes, avant d’arriver à celui de Leah. Elle ne pouvait pas croire que j’aie refusé de parler avec elle de ses déboires conjugaux pour aller boire des cocktails avec un tueur en série et s’étonnait que nous possédions le même patrimoine génétique.

  Il y avait ensuite trois messages de ma mère. Un : il y avait des milliers de jeunes gens juifs bien sous tous rapports, et il fallait que j’aille pêcher le nouvel Hannibal Lecter ?Deux : c’était bien la peine qu’elle consente autant de sacrifices pour mon éducation ! Trois : si seulement je pouvais prendre exemple sur ma sœur qui, elle, avait trouvé un gentil mari qui s’occupait bien d’elle…

  Suivaient huit messages de journalistes qui me demandaient des rendez-vous ou proposaient de m’acheter l’exclusivité de mes déclarations, puis je reconnus la voix de Marcus.

  — Salut, mon chou. J’ai pensé qu’une petite fête s’imposait. On se retrouve tous chez moi ce soir, c’est moi qui régale. Jason travaille, mais il y aura Donato, Mary Ann et Dena. Appelle-moi au salon pour confirmer.

  Je composai le numéro de Oh-La-La pour dire à Marcus que j’acceptais son invitation et l’informer de ce que j’avais appris au commissariat.

  — Un privé ? Comme c’est excitant !

  — Je t’en prie, Marcus, ce n’est pas le moment. Tu ne trouves pas qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette histoire ?

  — Ne sois pas aussi naïve ! Il y a bien des pourris chez les flics, pourquoi n’y en aurait-il pas chez les détectives privés ?

  — Là n’est pas la question. On n’est pas dans une affaire de corruption, mais dans une histoire de psychopathe. Où est le motif du crime ?

  — Ne me dis pas que tu doutes de sa culpabilité, maintenant ! Ce type dormait sur une hache tachée de sang, que veux-tu de plus ?

  — Je ne sais pas. Ce n’est pas comme ça que je voyais les choses… Enfin, peu importe. Tout est fini et j’ai bien l’intention de célébrer ça dignement.

  — Tu veux dire, en t’enivrant dignement ?

  — Tout à fait.

  — Sage résolution. 19 h 30 chez moi ?

  — Compte sur moi.

  — Ciao, Bella !

  J’appelai ensuite ma mère et tentai durant trente-huit minutes de la rassurer, avant de renoncer et de la quitter en prétextant un rendez-vous urgent au commissariat. Puis, épuisée par les événements de la veille, je décrochai le téléphone et m’étendis sur le canapé. M. Katz sauta sur mon ventre, où il s’enroula sur lui-même en ronronnant. Je posai la main sur son dos.

  — Et si on faisait un gros dodo, sweetie ?

  A 19 h 30 précises, je sonnai à la porte de chez Marcus. C'est Donato qui vint m’ouvrir.

  — Ah, voilà notre héroïne !

  Je souris et entrai dans l’appartement.

  — Héroïne, c’est un bien grand mot. Disons une simple citoyenne qui n’aime pas qu’on joue au chat et à la souris avec elle. Surtout si elle doit être la souris.

  — Ne sous-estime pas ce que tu as fait. Je ne connais pas beaucoup de femmes aussi courageuses que toi.

  Non seulement il était beau à se pâmer, mais il savait parler aux dames. Si nous avions été seuls, je me serais jetée à son cou. Au fait… nous étions seuls. Un signe du destin ?

  — Où sont les autres ?

  — Dena et Mary Ann seront là dans un quart d’heure, Marcus est descendu racheter du vin.

  — Il avait peur qu’il n’y en ait pas assez ?

  J’enlevai ma veste et l’accrochai dans l’entrée.

  — Si je ne le connaissais pas mieux, je serais tentée de croire qu’il essaie de me soûler pour me séduire.

  Je m’apprêtais à suspendre mon sac à main lorsqu’une version aigrelette de Frère Jacques résonna à l’intérieur.

  — Allô ?

  — Mademoiselle Katz ? C'est Mme Tolsky à l’appareil. Je vous appelle pour vous demander de cesser de m’importuner.

  — Oh, ne vous inquiétez pas, je…

  — Non seulement vous, mais cet énergumène d’Anatoly Darinsky. J’ai parlé à Shannon, je sais quelle information vous voulez, et je vais vous la donner. Mais en contrepartie, j’exige que vous me fichiez la paix une bonne fois pour
toutes, c’est compris ?

  — En fait, je…

  — Mon mari avait effectivement une liaison avec quelqu’un de San Francisco, poursuivit-elle sans m’écouter. Mais pour que mon humiliation soit complète, il ne s’agissait pas d’une femme mais d’un homme.

  — Pardon ?

  — Vous m’avez très bien entendue. Avant la mort d’Alex, j’ai reçu une cassette vidéo de ses ébats avec la personne en question, sans adresse d’expéditeur ni courrier d’accompagnement. Il n’y a pas de mots pour qualifier cette horreur. Alex m’a juré ses grands dieux qu’il ne savait pas qu’il avait été filmé, mais là n’est pas la question.

  — En effet. Vous…

  — L'autre homme que l’on voyait sur l’enregistrement — si l’on peut employer le terme d’« homme » pour désigner quelqu’un qui fait des choses pareilles — était grand, mat, avec des cheveux noirs. Type méditerranéen. Je n’ai pas pris le temps d’étudier son physique avec attention. Bien entendu, j’ai détruit la cassette.

  Grand, mat, cheveux noirs.

  Prise d’un désagréable pressentiment, je balayai la pièce du regard. Il y avait là une table avec le couvert dressé pour cinq personnes, un bouquet de fleurs fraîches dans un vase de cristal, un meuble à CD…

  — Bien entendu, je vous saurais gré de ne pas divulguer un mot de tout ceci à la presse…

  … un paravent japonais, une console de jeux…

  — Maintenant que vous avez l’information que vous vouliez, vous allez cesser de me harceler au téléphone, bien entendu ?

  … un set de clubs de golf flambant neuf dans son boîtier de cuir…

  Bon sang ! Des clubs de golf !

  J’eus tout juste le temps de plonger avant que le putter ne me frappe en plein visage.

  Pivotant sur moi-même, je m’emparai du club par le manche. Donato lui imprima un mouvement assez vigoureux pour me faire tomber, mais je refusai de lâcher prise. Il profita de ce que j’étais à terre pour me donner un coup de pied au ventre, m’arrachant un gémissement de douleur. Je tenais toujours l’extrémité du club, mais mes forces déclinaient.

 

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