ELEANOR DÉBARQUE !
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SEBASTIAN, MAESENEER ET BRONSON
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
© 2004, Lee Naftali. © 2005, 2007, Traduction française : Harlequin S.A.
978-2-280-85006-3
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise
sous le titre :
TALES OF A DRAMA QUEEN
Traduction française de
NADINE GINAPE-MERCIER
Ce roman a déjà été publié dans la même collection
en avril 2005
HARLEQUIN®
et Red Dress Ink® sont des marques déposées du Groupe Harlequin
Illustration de couverture
© VIRGINIE JACQUIOT
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SEBASTIAN, MAESENEER ET BRONSON
21 août 2004
Objet : notre récent déjeuner
A l’attention de mademoiselle Eleanor Medina
J’ai le regret de t’informer que je n’ai pu quitter l’hôpital avant hier. Les blessures se sont révélées profondes et, comme tu t’en souviens certainement, je cicatrise difficilement.
D’après le Dr Armitage, au moment de l’impact, le sucre devait atteindre la température d’environ 190 °C. Maître Maeseneer a été assez aimable pour suggérer que j’engage des poursuites à l’encontre du restaurant, du chef pâtissier, et bien sûr de toi-même. Mais, comme tu le sais, le gratin de coquilles Saint-Jacques me manquerait trop. De plus, comme je suis très conscient de l’état de tes finances, espérer une compensation financière me semble plus qu’osé.
Elle, s’il te plaît, comprends que je ne regrette pas les six longues années que nous avons passées ensemble. Tu es une personne très spéciale, dotée de beaucoup de vivacité, et je suis certain que la fin de ce chapitre te conduira au début d’un autre. Mais si tu autorises un ex-fiancé aimant à te donner un conseil, tu devrais apprendre à maîtriser tes élans. Sincèrement,
Louis M. Ferris
P.S. Je suis arrivé à la conclusion que, lors de ton départ un peu désordonné, tu dois avoir pris possession par inadvertance de ma collection de timbres en même temps que de tes effets. A renvoyer au plus tôt, s’il te plaît.
1665 Massachusetts Avenue NW • Washington, DC 20036 • Tél. : (202) 555 02 21
1
C'est moi qui ai la râpe à fromage de luxe de chez Williams-Sonoma. Et la bougie à trois mèches, d’une épaisseur indécente, que sa sœur nous a offerte. J’ai aussi gardé les bandes dessinées du New Yorker, découpées et conservées afin d’être enfin décryptées un jour de pluie. J’ai même le thermomètre à affichage instantané pour prendre la température dans l’oreille (je ne tombe jamais malade, mais il y tenait particulièrement).
J’ai récupéré tout ça lors d’une scène de rupture digne de celle de The Jerk, durant laquelle un Steve Martin ivre, son pantalon sur les chevilles, titube jusqu’à la porte, s’emparant de tout ce qui lui tombe sous la main. Sur le moment, j’étais fière que mes hurlements l’aient obligé à m’abandonner le mode d’emploi de la bougie, rédigé à la main par sa sœur. Mais j’ai été profondément déçue quand je l’ai lu : « Ne pas faire brûler plus d’une heure. » Je me suis torturé l’esprit tout le long du vol pour Santa Barbara à me demander à quoi je m’exposais en la laissant brûler plus longtemps. Une explosion ? Des fumées toxiques ?
Pour la première fois de ma vie, je bois de vrais bloody mary durant le vol, au lieu d’un simple jus de tomate assaisonné de sel de céleri. Mes inquiétudes concernant la bougie fatale fondent comme de la cire et se transforment en une jovialité avinée. Je régale ma voisine, une vieille dame distinguée vêtue d’une robe Laura Ashley, des détails de ma rupture avec Louis. Quand je traite la garce de l’Iowa de « traînée machiavélique », les sourcils de la dame se rapprochent. Serait-elle originaire de l’Iowa ? Je lui assure que je ne prends pas toutes les garces de l’Iowa pour des traînées machiavéliques.
Je suis agréablement surprise quand la vieille dame remarque qu’il reste des sièges libres dans le fond, sourit gentiment et s’esquive, un parfum de grand-mère dans son sillage. Je me glisse côté hublot et laisse aller ma tête contre la paroi de plastique froid.
Je sombre dans le sommeil en pensant à mon mariage, mon grand mariage, mon très cher et parfait mariage. Et à mon brillant avenir, fortement compromis.
Je m’éveille quand l’avion touche le sol. Des applaudissements retentissent et, dans une minute d’euphorie, je crois qu’ils me sont destinés.
J’étais en train de rêver que j’essayais des vêtements dans une version irréelle du rayon « robes de soirée » du grand magasin de mon enfance. Les modèles de chez Donna Karan, Armani, Gucci, et Dior s’amoncelaient dans la vaste cabine d’essayage rose nacré. Tout ce que j’enfilais transformait mon corps en copie de celui de Halle Berry. Depuis quand avais-je des fesses aussi parfaites ? Je ne pouvais plus m’arrêter de tourner encore et encore afin de m’admirer dans le miroir. Comme un vieux labrador cherchant à s’allonger pour la sieste, je tournais, tournais, à la recherche du meilleur point de vue.
Je tendais la main vers l’étiquette d’un fourreau Missoni, mais ne parvenais pas à déchiffrer le prix inscrit dessus. Je demandais au responsable (qui bizarrement était mon professeur de CM2, M. Bott) de m’aider. Il me répondait : « Tu n’as jamais bien su lire, Elle », me remettait une carte de crédit de chez Neiman Marcus et me déclarait : « Prends le tout, somptueuse créature. » Les jeunes et ravissantes employées applaudissaient.
Un sourire modeste aux lèvres, j’ouvre les yeux. De l’autre côté de l’allée, un couple d’un certain âge applaudit. Parce que l’avion a atterri. Comme si un atterrissage réussi avait davantage d’importance que des fesses parfaites dans une robe Missoni…
Je me redresse dans mon siège, grognon à cause d’un torticolis. Que mon shopping orgasmique ne soit qu’un rêve n’arrange rien. Ni le fait que mes pieds aient enflé jusqu’à atteindre la taille d’ananas et refusent de réintégrer mes boots, me forçant à laisser les fermetures Eclair ouvertes.
J’observe l’aéroport de Santa Barbara à travers le hublot. Il ressemble à une hacienda espagnole. Je ne suis revenue qu’une fois depuis l’université. A la vue de cet endroit familier, la nostalgie m’envahit et je me sens rajeunir — j’ai hâte d’impressionner mes amis et ma famille par toutes les choses brillantes que j’ai apprises à Georgetown, sans parler de mon fabul
eux fiancé avocat et du style de vie des milieux mondains de Washington. Rassérénée, je descends les marches en direction du tarmac, me préparant presque aux flashes des appareils photo des paparazzi.
Quelque chose cloche. Les feux de piste m’aveuglent et l’air glacé gifle mon visage. Un vertige à donner la nausée me submerge. Tandis que je me cramponne à la rampe, la vérité m’assaille : je n’ai plus vingt et un ans, et tout ce qu’il me reste de Georgetown, c’est le souvenir de mon soulagement quand j’ai obtenu mon diplôme. Ma famille ne vit plus ici, mon fabuleux fiancé m’a plaquée pour une garce de l’Iowa, je n’ai jamais eu de style de vie particulier — et maintenant, je n’ai même plus de vie.
Je me mets à pleurer. La vieille dame aux allures de grand-mère pose une main sur mon bras. Elle me dépasse dans un frôlement en murmurant : « Ecartez-vous, espèce de débauchée ! »
Je décide à l’avenir d’éviter la vodka dans mes bloody mary aériens.
A la livraison des bagages, j’aligne sur le chariot ma septième valise (sur treize, mais certaines sont vraiment petites) quand Maya déboule. Elle est toujours aussi mignonne qu’au lycée, avec ses courtes boucles blondes ébouriffées, ses immenses yeux verts et sa menue silhouette d’adolescente qui ne lui fait pas paraître ses vingt-six ans. Tout le contraire de moi. Je suis grande, avec de longues boucles sombres, et plus en courbes que menue.
Le visage épanoui, elle me sourit et je me sens soudain fatiguée et misérable, avec mes cheveux tout emmêlés et mes yeux bouffis. Elle remarque mes boots ouverts, mon expression désorientée, et ouvre les bras. Je m’y jette, en larmes.
— Oh ! Elle, pouffe-t-elle, tu n’as pas changé !
2
Parfait. Le petit copain de Maya. Brad.
Rien n’a changé. Au lycée, elle avait des petits copains beaux et attentionnés à la pelle. Moi, j’alignais les clowns du cours de chimie. Le samedi soir, je me soûlais avec l’allumeur du bec Bunsen de service, m’envoyais en l’air, et me comportais le lundi comme si nous ne nous étions jamais parlé. J’ai eu un C — en chimie.
Brad est parfait. Charmant, élégant, jamais un mot de trop. Pas à la manière d’Eddie Haskell, mais comme quelqu’un qui prête réellement attention aux autres. Pour une fille comme moi, pratiquement certaine que personne n’organiserait de funérailles si elle venait à avoir un accident mortel, il me fait… de l’effet. O.K., un effet cataclysmique. Mais je décide de ne pas tomber amoureuse de lui. Cela relèverait de l’inceste — et honnêtement, quand vous vivez avec Maya, pourquoi l’échangeriez-vous contre moi ?
Il nous attend à la maison quand nous rentrons de l’aéroport. Maya a droit à un baiser de bienvenue, et moi à un gentil petit bisou sur la joue.
Il nous propose un verre. Je prends un doigt de bourbon, comme une vraie dame, tandis qu’ils savourent un verre de vin.
— Tu dois avoir des prix sur l’alcool, dis-je, sachant que Maya tient un bar avec son père dans le centre-ville.
Elle bâille avant d’acquiescer.
— Ouais. Nous en profitons bien.
Elle est assise sur le divan, lovée au creux des bras de M. Perfection. Il est tard et je sais qu’ils voudraient bien aller se coucher, mais je n’ai pas envie de rester seule. Je siffle mon bourbon, comme ça je peux en demander un autre avant qu’ils ne finissent leur verre de vin et ne m’abandonnent.
Ils ont l’air tellement heureux et normaux que je ne sais pas quoi dire. Ma seule participation à la conversation a porté sur le prix de l’alcool. En fait, j’ai peur que Maya ne s’interroge sur ma vie privée :que s’est-il passé à Washington, qu’est-il advenu de Louis, de mon mariage avorté et de ma carrière inexistante ? Certaine qu’elle s’apprête à bondir, je fais diversion avec des questions du style Guide Michelin à propos des nouveaux restaurants en ville.
— Il y a un super bar à tapas sur la Mesa, répond-elle. Et un ou deux nouveaux mexicains sur Milpas. Superica existe toujours, mais la file d’attente s’étire maintenant jusqu’au bout de la rue. Tout Santa Barbara semble s’être donné le mot !
Je lâche :
— La rupture s’est bien passée.
Elle lance un regard inquiet à Brad. Il me reverse à boire. Ils ont forcément parlé de moi.
— Bien, dit Maya. J’en suis heureuse.
— Enfin, nous avons rompu en toute amitié, de manière raisonnable, après une discussion posée…
— O.K., Elle. Que s’est-il passé ?
Vous voyez ? Je savais qu’elle allait poser des questions.
— Nous avons compris que nous nous étions éloignés l’un de l’autre, que nous avions des buts différents, des priorités différentes…
Comme par exemple le fait que ce que je désirais, c’était un mariage, et lui, une fille de l’Iowa.
— C'était très… il a été très… j’ai été très… nous avons été très… civilisés !
Je décris de grands gestes avec mon verre et un peu de bourbon gicle. J’essuie le bord du verre avec ma langue.
— Bref, il n’y a rien à ajouter, vraiment.
Ils me regardent, leurs visages empreints de pitié et de sympathie. Je parviens à ne pas hurler.
— Et le mariage ? demande doucement Maya. Nous avions tout arrangé pour nous y rendre…
— Oh ça… Ce n’est rien, dis-je, balayant la question d’un geste de la main. Mais il aurait été magnifique. Avec des pivoines de serre, du linge de table couleur pêche, le canon à confettis était déjà réservé…
Les larmes envahissent mes yeux.
— ... j’avais même retenu M. Whistle comme traiteur.
— M. Whistle ?
Oui. M. Whistle.
Ça s’est passé chez Citronnelle, à Washington. J’aime Citronnelle — les cuisines en métal chromé, la carte raffinée, la clientèle élégante. Et puis c’est rigolo de prononcer le nom du chef, Michel Richard, avec un accent français complètement nul !
Je m’étais assise à l’une des tables avec vue sur les cuisines pour attendre Louis, et je dégustais mon thé glacé en observant un cuisinier qui faisait frire des champignons. J’arrivais de chez M. Whistle, avec qui j’avais discuté du menu du mariage. Menu d’un montant exorbitant totalement au-dessus de mes moyens. En fait, M. Whistle était à deux doigts d’annuler ma réservation. Il avait demandé un acompte sur ma carte de crédit — ce qui n’est jamais une bonne idée.
Ce qui nous amène à Louis, avocat gagnant des tonnes de fric. Ces tonnes de fric étaient la seule raison pour laquelle M. Whistle avait accepté de me recevoir. Je l’avais quitté sur la promesse que je reviendrais après déjeuner, avec Louis et sa carte platine.
Problème : Louis ignorait que c’était lui qui payait le mariage.
J’ai pensé demander à mon père de le financer. Mais quand je lui ai annoncé mes fiançailles, qu’a-t-il répondu ? Pas « Félicitations, chérie ! », ni « Qui est l’heureux élu ? » Pas même un « Il était temps ! »
J’ai eu droit à :
— J’espère que tu ne t’attends pas à ce que je paie, Eleanor. J’ai dépensé assez d’argent comme ça en cérémonies inutiles. Pourquoi ne pas te marier simplement, entre deux témoins ?
Papa a eu cinq épouses et ne se montre jamais aussi généreux que durant les procédures de divorce.
Quant à Louis, sa radinerie est permanente. Mais comme il est pratiquement associé de son cabinet d’avocats, financer le mariage de mes rêves n’allait pas le tuer, financièrement parlant — juste l'égratigner.
J’étais en train de regarder grésiller les champignons quand le maître d’hôtel a escorté Louis à notre table.
— Hello, Loouuiis !
Chez Citronnelle, je prononçais toujours son nom à la française. J’avais mis un peu plus de oouuii que d’ordinaire dans mon baiser.
— Tu m’as manqué !
Il revenait d’un voyage d’affaires de deux semaines dans l’Iowa et je m’étais sentie affreusement seule. Mais le sacrifice s’était révélé payant. Je ne sava
is rien de l’affaire en question, mais il devait en tirer un bénéfice plus que substantiel. Peut-être au point de couvrir les dépenses du mariage.
— Salut, Ellie.
Il m’avait étreinte, sans aucune marque d’attention particulière.
Le voir me faisait du bien. Il était fatigué, chiffonné, mais sa présence m’avait instantanément réconfortée. Il était mon bâton de soutien : solide et vrai. Il déclenchait chez moi l’envie de devenir une bonne épouse, dans le genre de, disons… Barbara Bush. En moins conservatrice, évidemment. Avec moins de cheveux gris et, euh… moins vieille aussi.
— Ellie. Tu m’écoutes ?
— Quoi ?
Aïe, les bonnes épouses écoutent attentivement.
— Oui ! Je vais prendre le poulet.
— Je disais que j’essaie de te joindre depuis une semaine mais que tu ne réponds jamais.
— Ils ont des coquilles Saint-Jacques aujourd’hui, avais-je dit — c’était son plat préféré.
Je ne voulais pas lui dire que j’avais évité de répondre au téléphone parce que je redoutais un appel de la banque au sujet des paiements. Mais le visage de Louis s’était assombri et j’avais compris que je n’allais pas m’en tirer aussi facilement.
— Désolée de ne pas avoir rappelé, dis-je, j’ai été très prise par les préparatifs.
— Les préparatifs ?
— Ohé ! avais-je ri. Les préparatifs du mariage.
— Oh. C'est vrai. Euh, écoute…
— Tu viens avec moi voir M. Whistle après le déjeuner ? Il faut établir le menu définitif et je voudrais ton avis.
Et ton portefeuille.
— Non. Je ne peux pas aller chez le traiteur.
N’importe quoi.
— Tu dois retourner travailler tout de suite ?
Peut-être pouvais-je subtiliser sa carte Visa dans son portefeuille pendant qu’il allait aux toilettes. Mais comment faire pour qu’il laisse son portefeuille ?
— Ellie, j’ai rencontré quelqu’un d’autre.
J’aurais pu lui demander de me laisser son portefeuille pour régler l’addition ? Je pouvais peut-être prétendre que je voulais voir s’il avait toujours ma photo — quoi ?