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Cinq Semaines En Ballon

Page 11

by Jules Verne


  " En avant! hardi! s'ecria Joe au comble de la joie, excitant de son mieux cet etrange equipage. Voila encore une nouvelle maniere de voyager! Plus que cela de cheval! un elephant, s'il vous plaet.

  —Mais ou nous mene-t-il! demanda Kennedy, agitant sa carabine qui lui brillait les mains.

  —Il nous mene ou nous voulons aller, mon cher Dick! Un peu de patience!

  —" Wig a more! Wig a more! " comme disent les paysans d'Ecosse, s'ecriait le joyeux Joe. En avant! en avant! "

  L'animal prit un galop fort rapide; il projetait sa trompe de droite et de gauche, et, dans ses ressauts, il donnait de violentes secousses a la nacelle. Le docteur, la hache a la main, etait pret a couper la corde s'il y avait lieu.

  " Mais, dit-il, nous ne nous separerons de notre ancre qu'au dernier moment. "

  Cette course, a la suite d'un elephant, dura pres d'une heure et demie; l'animal ne paraissait aucunement fatigue; ces enormes pachydermes peuvent fournir des trottes considerables, et, d'un jour a l'autre, on les retrouve a des distances immenses, comme les baleines dont ils ont la masse et la rapidite.

  " Au fait, disait Joe, c'est une baleine que nous avons harponnee, et nous ne faisons qu'imiter la maneuvre des baleiniers pendant leurs peches. "

  Mais un changement dans la nature du terrain obligea le docteur a modifier son moyen de locomotion.

  Un bois epais de camaldores apparaissait au nord de la prairie et a trois milles environ; il devenait des lors necessaire que le ballon fut separe de son conducteur.

  Kennedy fut donc charge d'arreter l'elephant dans sa course; il epaula sa carabine; mais sa position n'etait pas favorable pour atteindre l'animal avec succes; une premiere balle, tiree au crane, s'aplatit comme sur une plaque de tole; l'animal n'en parut aucunement trouble; au bruit de la decharge, son pas s'accelera, et sa vitesse fut celle d'un cheval lance au galop.

  " Diable! dit Kennedy.

  —Quelle tete dure! fit Joe.

  —Nous allons essayer de quelques balles coniques au defaut dore au defaut de l'epaule, " reprit Dick en chargeant; sa carabine avec soin, et il fit feu.

  L'animal poussa un cri terrible, et continua de plus belle.

  " Voyons, dit Joe en s'armant de l'un des fusils, il faut que je vous aide, Monsieur Dick, ou cela n'en finira pas. "

  Et deux balles allerent se loger dans les flancs de la bete.

  L'elephant s'arreta, dressa sa trompe, et reprit a toute vitesse sa course vers le bois; il secouait sa vaste tete, et le sang commencait a couler a flots de ses blessures.

  " Continuons notre feu, Monsieur Dick.

  —Et un feu nourri, ajouta le docteur, nous ne sommes pas a vingt toises du bois! "

  Dix coups retentirent encore. L'elephant fit un bond effrayant; la nacelle et le ballon craquerent a faire croire que tout etait brise; la secousse fit tomber la hache des mains du docteur sur le sol.

  La situation devenait terrible alors; le cable de l'ancre fortement assujetti ne pouvait etre ni detache, ni entame par les couteaux des voyageurs; le ballon approchait rapidement du bois, quand l'animal recut une balle dans l'eil au moment ou il relevait la tete; il s'arreta, hesita; ses genoux plierent; il presenta son flanc au chasseur.

  " Une balle au ceur, " dit celui-ci, en dechargeant une derniere fois la carabine.

  L'elephant poussa un rugissement de detresse et d'agonie; il se redressa un instant en faisant tournoyer sa trompe, puis il retomba de tout son poids sur une de ses defenses qu'il brisa net. Il etait mort.

  " Sa defense est brisee! s'ecria Kennedy. De l'ivoire qui en Angleterre vaudrait trente-cinq guinees les demi-livres!

  —Tant que cela, fit Joe, en s'affalant jusqu'a terre par la corde de l'ancre.

  —A quoi servent tes regrets, mon cher Dick? repondit le docteur Fergusson. Est-ce que nous sommes des trafiquants d'ivoire? Sommes-nous venus ici pour faire fortune? "

  Joe visita l'ancre; elle etait solidement retenue a la defense demeuree intacte. Samuel et Dick sauterent sur le sol, tandis que l'aerostat a demi degonfle se balancait au-dessus du corps de l'animal.

  La magnifique bete! s'ecria Kennedy. Quelle masse! Je n'ai jamais vu dans l'Inde un elephant de cette taille!

  —Cela n'a rien d'etonnant, mon cher Dick; les elephants du centre de L'Afrique sont les plus beaux. Les Anderson, les Cumming les ont tellement chasses aux environs du Cap, qu'ils emigrent vers l'equateur, ou nous les rencontrerons souvent en troupes nombreuses.

  —En attendant, repondit Joe, j'espere que nous gouterons un peu de celui-la! Je m'engage a vous procurer un repas succulent aux depens de cet animal. M. Kennedy va chasser pendant une heure ou deux, M. Samuel va passer l'inspection du Victoria, et, pendant ce temps, je vais faire la cuisine.

  —Voila qui est bien ordonne, repondit le docteur. Fais a ta guise.

  —Pour moi, dit le chasseur, Je vais prendre le deux heures de liberte que Joe a daigne m'octroyer.

  —Va, mon ami; mais pas d'imprudence. Ne t'eloigne pas.

  —Sois tranquille. "

  Et Dick, arme de son fusil, s'enfonca dans le bois.

  Alors Joe s'occupa de ses fonctions. Il fit d'abord dans la terre un trou profond de deux pieds; il le remplit de branches seches qui couvraient le sol, et provenaient des trouees faites dans le bois par les elephants dont on voyait les traces. Le trou rempli, il entassa au-dessus du bucher haut de deux pieds, et il y mit le feu.

  Ensuite il retourna vers le cadavre de l'elephant, tombe a dix toises du bois a peine; il detacha adroitement la trompe qui mesurait pres de deux pieds de largeur a sa naissance; il en choisit la partie la plus delicate, et y joignit un des pieds spongieux de l'animal; ce sont en effet les morceaux par excellence, comme la bosse du bison, la patte de l'ours ou la hure du sanglier.

  Lorsque le bucher fut entierement consume a l'interieur et a l'exterieur, le trou, debarrasse des cendres et des charbons, offrit une temperature tres elevee; les morceaux de l'elephant, entoures de feuilles aromatiques, furent deposes au fond de ce four improvise, et recouverts de cendres chaudes; puis, Joe eleva un second bucher sur le tout, et quand le bois fut consume, la viande etait cuite a point.

  Alors Joe retira le dener de la fournaise; il deposa cette viande appetissante sur des feuilles vertes, et disposa son repas au milieu d'une magnifique pelouse; il apporta des biscuits, de l'eau-de-vie, du cafe, et puisa une eau fraeche et limpide a un ruisseau voisin.

  Ce festin ainsi dresse faisait plaisir a voir, et Joe pensait, sans etre trop fier, qu'il ferait encore plus de plaisir a manger.

  Un voyage sans fatigue et sans danger! repetait-il. Un repas a ses heures! un hamac perpetuel! qu'est-ce que l'on peut demander de plus?

  Et ce bon M. Kennedy qui ne voulait pas venir! "

  De son cote, le docteur Fergusson se livrait a un examen serieux de l'aerostat. Celui-ci ne paraissait pas avoir souffert de la tourmente; le taffetas et la gutta-perca avaient merveilleusement resiste; en prenant la hauteur actuelle du sol, et en calculant la force ascensionnelle du ballon, il vit avec satisfaction que l'hydrogene etait en meme quantite; l'enveloppe Jusque-la demeurait entierement impermeable.

  Depuis cinq jours seulement, les voyageurs avaient quitte Zanzibar; le pemmican n'etait pas encore entame; les provisions de biscuit et de viande conservee suffisaient pour un long voyage; il n'y eut donc que la reserve d'eau a renouveler.

  Les tuyaux et le serpentin paraissaient etre en parfait etat; grace a leurs articulations de caoutchouc, ils s'etaient pretes a toutes les oscillations de l'aerostat.

  Son examen termine, le docteur s'occupa de mettre ses notes en ordre. Il fit une esquisse tres reussie de la campagne environnante, avec la longue prairie a perte de vue, la foret de camaldores, et le ballon immobile sur le corps du monstrueux elephant.

  Au bout de ses deux heures, Kennedy revint avec un chapelet de perdrix grasses, et un cuissot d'oryx, sorte de gemsbok, appartenant a l'espece la plus agile des antilopes. Joe se chargea de preparer ce surcroet de provisions.

  " Le dener est servi, " s'ecria-t-il bientot de sa plus bel
le voix.

  Et les trois voyageurs n'eurent qu'a s'asseoir sur la pelouse verte; les pieds et la trompe d'elephant furent declares exquis; on but a l'Angleterre comme toujours, et de delicieux havanes parfumerent pour la premiere fois cette contree charmante.

  Kennedy mangeait, buvait et causait comme quatre; il etait enivre; il proposa serieusement a son ami le docteur de s'etablir dans cette foret, d'y construire une: cabane de feuillage, et d'y commencer la dynastie des Robinsons africains.

  La proposition n'eut pas autrement de suite, bien que Joe se fut propose pour remplir le role de Vendredi.

  La campagne semblait si tranquille, si deserte, que le docteur resolut de passer la nuit a terre. Joe dressa un cercle de feux, barricade indispensable contre les betes feroces; les hyenes, les couguars, les chacals, attires par l'odeur de la chair d'elephant, roderent aux alentours. Kennedy dut a plusieurs reprises decharger sa carabine sur des visiteurs trop audacieux; mais enfin la nuit s'acheva sans incident facheux.

  CHAPITRE XVIII

  Le Karagwah.—Le lac Ukereoue.—Une nuit dans une ele.—L'Equateur.—Traversee du lac.—Les cascades.—Vue du pays.—Les sources du Nil.—L'ele Benga.—La signature d'Andres.—Debono.—Le pavillon aux armes d'Angleterre.

  Le lendemain des cinq heures, commencaient les preparatifs du depart. Joe, avec la hache qu'il avait heureusement retrouvee, brisa les defenses de l'elephant. Le Victoria, rendu a la liberte, entraena les voyageurs vers le nord-est avec une vitesse de dix-huit milles.

  Le docteur avait soigneusement releve sa position par la hauteur des etoiles pendant la soiree precedente. Il etait par 2 degrees 40' de latitude au-dessous de l'equateur, soit a cent soixante milles geographiques; il traversa de nombreux villages sans se preoccuper des cris provoques par son apparition; il prit note de la conformation des lieux avec des vues sommaires; il franchit les rampes du Rubemhe, presque aussi roides que les sommets de l'Ousagara, et rencontra plus tard, a Tenga, les premiers ressauts des chaenes de Karagwah, qui, selon lui, derivent necessairement des montagnes de la Lune Or, la legende ancienne qui faisait de ces montagnes le berceau du Nil s'approchait de la verite, puisqu'elles confinent au lac Ukereoue, reservoir presume des eaux du grand fleuve.

  De Kafuro, grand district des marchands du pays, il apercut enfin a l'horizon ce lac tant cherche, que le capitaine Speke entrevit le 3 aout 1858.

  Samuel Fergusson se sentait emu, il touchait presque a l'un des points principaux de son exploration, et, la lunette a l'eil, il ne perdait pas un coin de cette contree mysterieuse que son regard detaillait ainsi:

  Au-dessous de lui, une terre generalement effritee; a peine quelques ravins cultives; le terrain, parseme de cones d'une altitude moyenne, se faisait plat aux approches du lac; les champs d'orge remplacaient les rizieres; la croissaient ce plantain d'ou se lire le vin du pays, et le " mwani ", plante sauvage qui sert de cafe. La reunion d'une cinquantaine de huttes circulaires recouvertes d'un chaume en fleurs, constituait la capitale du Karagwah:

  On apercevait facilement les figures ebahies d'une race assez belle, au teint jaune brun. Des femmes d'une corpulence invraisemblable se traenaient dans les plantations, et le docteur etonna bien ses compagnons en leur apprenant que cet embonpoint, tres apprecie, s'obtenait par un regime obligatoire de lait caille.

  A midi, le Victoria se trouvait par 1 degrees 45' de latitude australe; a une heure, le vent le poussait sur le lac.

  Ce lac a ete nomme Nyauza [Nyanza signifie lac] Victoria par le capitaine Speke. En cet endroit, il pouvait mesurer quatre-vingt-dix milles de largeur; a son extremite meridionale, le capitaine trouva un groupe d'eles, qu'il nomma archipel du Bengale. Il poussa sa reconnaissance jusqu'a Muanza, sur la cote de l'est, ou il fut bien recu par le sultan. Il fit la triangulation de cette partie du lac, mais il ne put se procurer une barque, ni pour le traverser, ni pour visiter la grande ele d'Ukereoue; cette ele, tres populeuse, est gouvernee par trois sultans, et ne forme qu'une presqu'ele a maree basse.

  Le Victoria abordait le lac plus au nord, au grand regret du docteur, qui aurait voulu en determiner les contours inferieurs. Les bords, herisses de boissons epineux et de broussailles enchevetrees, disparaissaient litteralement sous des myriades de moustiques d'un brun clair; ce pays devait etre inhabitable et inhabite; on voyait des troupes d'hippopotames se vautrer dans des forets de roseaux, ou s'enfuir sous les eaux blanchatres du lac.

  Celui-ci, vu de haut offrait vers l'ouest un horizon si large qu'on eut dit une mer; la distance est assez grande entre les deux rives pour que des communications ne puissent s'etablir; d'ailleurs les, tempetes y sont fortes et frequentes, car les vents font rage dans ce bassin eleve et decouvert.

  Le docteur eut de la peine a se diriger; il craignait d'etre entraene vers l'est; mais heureusement un courant le porta directement au nord, et, a six heures du soir, le Victoria s'etablit dans une petite ele deserte, par 0 degrees 30' de latitude, et 32 degrees 52' de longitude a vingt milles de la cote.

  Les voyageurs purent s'accrocher a un arbre, et, le vent s'etant calme vers le soir, ils demeurerent tranquillement sur leur ancre. On ne pouvait songer a prendre terre; ici, comme sur les bords du Nyanza, des legions de moustiques couvraient le sol d'un nuage epais Joe meme revint de l'arbre couvert de piqures; mais il ne se facha pas, tant il trouvait cela naturel de la part des moustiques.

  Neanmoins, le docteur, moins optimiste; fila le plus de corde qu'il put, afin d'echapper a ces impitoyables insectes qui s'elevaient avec un murmure inquietant.

  Le docteur reconnut la hauteur du lac au-dessus du niveau de la mer, telle que l'avait determinee le capitaine Speke, soit trois mille sept cent cinquante pieds.

  " Nous voici donc dans une ele! dit Joe, qui se grattait a se rompre les poignets.

  —Nous en aurions vite fait le tour, repondit le chasseur, et, sauf ces aimables insectes, on n'y apercoit pas un etre vivant.

  —-Les eles dont le lac est parseme, repondit le docteur Fergusson, ne sont, a vrai dire, que des sommets de collines immergees; mais nous sommes heureux d'y avoir rencontre un abri, car les rives du lac sont habitees par des tribus feroces. Dormez donc, puisque le ciel nous prepare une nuit tranquille.

  —Est-ce que tu n'en feras pas autant, Samuel?

  —Non; je ne pourrais fermer l'eil. Mes pensees chasseraient tout sommeil. Demain, mes amis, si le vent est favorable, nous marcherons droit au nord, et nous decouvrirons peut-etre les sources du Nil, ce secret demeure impenetrable. Si pres des sources du grand fleuve, je ne saurais dormir. "

  Kennedy et Joe, que les preoccupations scientifiques ne troublaient pas a ce point, ne tarderent pas a s'endormir profondement sous la garde du docteur.

  Le mercredi 23 avril, le Victoria appareillait a quatre heures du matin par un ciel grisatre; la nuit quittait difficilement les eaux du lac, qu'un epais brouillard enveloppait, mais bientot un vent violent dissipa toute cette brume. Le Victoria fut balance pendant quelques minutes en sens divers et enfin remonta directement vers le nord.

  Le docteur Fergusson frappa des mains avec joie.

  " Nous sommes en bon chemin! s'ecria-t-il. Aujourd'hui ou jamais nous verrons le Nil! Mes amis, voici que nous franchissons l'Equateur! nous entrons dans notre hemisphere!

  —Oh! fit Joe; vous pensez, mon maetre, que l'equateur passe par ici?

  —Ici meme mon brave garcon!

  —Eh bien! sauf votre respect, il me paraet convenable de l'arroser sans perdre de temps.

  —Va pour un verre de grog! repondit le docteur en riant; tu as une maniere d'entendre la cosmographie qui n'est point sotte.

  Et voila comment fut celebre le passage de la ligne a bord du Victoria.

  Celui-ci filait rapidement. On apercevait dans l'ouest la cote basse et peu accidentee; au fond, les plateaux plus eleves de l'Uganda et de l'Usoga. La vitesse du vent devenait excessive: pres de trente milles a l'heure.

  Les eaux du Nyanza, soulevees avec violence, ecumaient comme les vagues d'une mer. A certaines lames de fond qui se balancaient longtemps apres les accalmies, le docteur rec
onnut que le lac devait avoir une grande profondeur A peine une ou deux barques grossieres furent-elles entrevues pendant cette rapide traversee.

  " Le lac, dit le docteur, est evidemment, par sa position elevee, le reservoir naturel des fleuves de la partie orientale d'Afrique; le ciel lui rend en pluie ce qu'il enleve en vapeurs a ses effluents Il me paraet certain que le Nil doit y prendre sa source.

  —Nous verrons bien, " repliqua Kennedy.

  Vers neuf heures, la cote de l'ouest se rapprocha; elle paraissait deserte et boisee. Le vent s'eleva un peu vers l'est, et l'on put entrevoir l'autre rive du lac. Elle se courbait de maniere a se terminer par un angle tres ouvert, vers 2 degrees40' de latitude septentrionale. De hautes montagnes dressaient leurs pics arides a cette extremite du Nyanza; mais entre elles une gorge profonde et sinueuse livrait passage a une riviere bouillonnante.

  Tout en maneuvrant son aerostat, le docteur Fergusson examinait le pays d'un regard avide.

  " Voyez! s'ecria-t-il, voyez, mes amis! les recits des Arabes etaient exacts! Ils parlaient d'un fleuve par lequel le lac Ukereoue se dechargeait vers le nord, et ce fleuve existe, et nous le descendons, et il coule avec une rapidite comparable a notre propre vitesse! Et cette goutte d'eau qui s'enfuit sous nos pieds va certainement se confondre avec les flots de la Mediterranee! C'est le Nil!

  —C'est le Nil! repeta Kennedy, qui se laissait prendre a l'enthousiasme de Samuel Fergusson.

  —Vive le Nil! dit Joe, qui s'ecriait volontiers vive quelque chose quand il etait en joie.

  Des rochers enormes embarrassaient ca et la le cours de cette mysterieuse riviere. L'eau ecumait; il se faisait des rapides et des cataractes qui confirmaient le docteur dans ses previsions. Des montagnes environnantes se deversaient de nombreux torrents, ecumants dans leur chute; l'eil les comptait par centaines. On voyait sourdre du sol de minces filets d'eau eparpilles, se croisant, se confondant, luttant de vitesse, et tous couraient a cette riviere naissante, qui se faisait fleuve apres les avoir absorbes.

  " Voila bien le Nil, repeta le docteur avec conviction. L'origine de son nom a passionne les savants comme l'origine de ses eaux; on l'a fait venir du grec, du copte, du sanscrit [Un savant byzantin voyait dans Neilos un nom arithmetique. N representait 50, E 5, I 10, L 30, O 70, S 200: ce qui fait le nombre des jours de l'annee]; peu importe, apres tout, puisqu'il a du livrer enfin le secret de ses sources!

 

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