où prendre la fièvre montée sur 300.000 lucioles
sans heure autre que les couteaux de jet du soleil lancés à toute volée
autour de l’encolure des climats
hourless except for the birds that peck at the heavenly millraces to quench their thirst-for-sleeping-in-the-deluge
hourless except for the inconsolable blood bird that from waiting lights up in the agriculture of your eyes undoers of fair weather
hourless except for the prodigious voice of the forests that suddenly fill their sails in the drydocks of swamp and coke
hourless except for the low water mark of lunations in the brain accountant of peoples fed on insults and millennia
sans heure autre que les oiseaux qui picorent les biefs du ciel pour apaiser leur soif-de-dormir-dans-le-déluge
sans heure autre que l’inconsolable oiseau sang qui d’attendre s’allume dans l’agriculture de tes yeux à défaire le beau temps
sans heure autre que la voix fabuleuse des forêts qui gonflent subitement leur voilure dans les radoubs du marais et du coke
sans heure autre que l’étiage des lunaisons dans la cervelle comptable des peuples nourris d’insultes et de millénaires
hourless except for oh! hourless except for your phlegm incorruptible
bull
that never snows a more healthy and deadly call
than when wheat-spike and novena of the disaster (the true one)
the woman
who on her drinkable lips rocks the palanquin of the sea’s oubliettes
from the rivulets of my bark awakens
sans heure autre oh ! sans heure autre que ton flegme taureau
incorruptible
qui jamais ne neige d’appel plus salubre et mortel
que quand s’éveille des ruisseaux de mon écorce
épi et neuvaine du désastre (le vrai)
la femme
qui sur ses lèvres à boire berce le palanquin des oubliettes de la mer
The Woman and the Knife
La femme et le couteau
flesh rich to the teeth shavings of loyal flesh
burst into bits of day into bits of night into kisses of wind
into prows of light into sterns of silence
burst tracked-down entanglements anvils of dark flesh burst
burst into children’s shoes into jets of silver
burst and defy the cataphracts of the night mounted on their wild asses
chair riche aux dents copeaux de chair sûre
volez en éclats de jour en éclats de nuit en baisers de vent
en étraves de lumière en poupes de silence
volez emmêlements traqués enclumes de la chair sombre volez
volez en souliers d’enfant en jets d’argent
volez et défiez les cataphractaires de la nuit montés sur leurs onagres
you birds
you blood
who said I shall not be there?
not there my heart without marginal notes
my heart-at-the-no-regrets my heart on non-secured loan
and the high timber of sovereign rain?
vous oiseaux
vous sang
qui a dit que je ne serai pas là ?
pas là mon cœur sans-en-marge
mon cœur-au-sans-regrets mon cœur à fonds perdus
et des hautes futaies de la pluie souveraine ?
numbers sacred jewels eternal snows ice cubes jousts
there will be pollens moons seasons with hearts of bread and cowbell
the blast furnaces of the strike and the impossible shall emit saliva bullets male choirs mitres candelabras
o mute pandanus peopled by migrations
o blue niles o dwarf prayers o my mother o path
and heart spattered wild
the greatest of thrills is still to bloom in
vain
nombres bijoux sacrés neiges éternelles glaçons tournois
il y aura des pollens des lunes des saisons au cœur de pain et de clarine
les hauts fourneaux de la grève et de l’impossible émettront de la salive des balles des orphéons des mitres des candélabres
ô pandanus muet peuplé de migrations
ô nils bleus ô prières naines ô ma mère ô piste
et le cœur éclaboussé sauvage
le plus grand des frissons est encore à fleurir
futile
And The Dogs Were Silent
(Tragedy)
Et les chiens se taisaient
(Tragédie)
(As the curtain slowly rises the Echo is heard.)
(Pendant que lentement se lève le rideau on entend l’écho).
ECHO
Surely he is going to die the Rebel. Oh, there will be no flag not even a black one no gun salutes no ceremony. It will be very simple something that will change nothing of the apparent order but that will cause coral in the depths of the sea birds in the depths of the heavens stars in the depths of women’s eyes to crackle for the instant of a tear or the batting of an eyelash.
L’ÉCHO
Bien sûr qu’il va mourir le Rebelle. Oh, il n’y aura pas de drapeau même noir pas de coup de canon pas de cérémonial. Ça sera très simple quelque chose qui de l’ordre évident ne déplacera rien mais qui fait que les coraux au fond de la mer les oiseaux au fond du ciel les étoiles au fond des yeux des femmes tressailliront le temps d’une larme ou d’un battement de paupière.
Surely he is going to die the Rebel, the best reason being that there is nothing more to be done in this crippled world: confirmed and prisoner of himself. . . he is going to die as it is written implicitly on the wind and in the sand by the hoofs of wild horses and the meanders of rivers. . .
Bien sûr qu’il va mourir le Rebelle, la meilleure raison étant qu’il n’y a plus rien à faire dans cet univers invalide : confirmé et prisonnier de lui-même… Qu’il va mourir comme cela est écrit en filigrane dans le vent et dans le sable par le sabot des chevaux sauvages et les boucles des rivières…
Fair game for the morgue it is not tears that befit you it is the falcons of my fists and my flinty thoughts it is my mute invocation to the gods of disaster
Gibier de morgue ce ne sont pas des larmes qui te conviennent ce sont les faucons de mes poings et mes pensées de silex c’est ma muette invocation vers les dieux du désastre
Blue-eyed architect
I defy you
beware architect for if the Rebel dies it shall not be without having made clear to everyone that you are the builder of a pestilential world
Architecte aux yeux bleus
je te défie
prends garde à toi architecte car si meurt le Rebelle ce ne sera pas sans avoir fait clair pour tous que tu es le bâtisseur d’un monde de pestilence
architect beware
who crowned you? In what night did you exchange the compass for the dagger?
architecte prends garde à toi
qui t’a sacré ? En quelle nuit as-tu troqué le compas contre le poignard ?
architect deaf to things clear as the tree but enclosed like armor each of your steps is a conquest and a spoliation and a misconception and an assassination
architecte sourd aux choses clair comme l’arbre mais fermé comme une cuirasse chacun de tes pas est une conquête et une spoliation et un contresens et un attentat
Surely he is going to leave this world the Rebel your world of rape where the victim is by your grace a brute and an infidel
architect Orcus without portal or star without wellspring or orientation
architect of the peacock tail of the cancer step of the blue mushroom and steel word
beware
Bien sûr qu’il va quitter le monde le Rebelle ton monde de viol où la victime est par ta grâce une brute et un impie
architecte Orcus sans porte et sans étoile sans source et sans orient
architecte à la queue de paon au pas de cancer à la parole bleue de champignon et d’acier pren
ds garde à toi
(The curtain is raised).
(In the barathrum of terror, a vast collective prison populated by black candidates for madness and death; the thirtieth day of famine, torture and delirium).
(Silence).
(Le rideau est levé).
(Dans la barathre des épouvantements, vaste prison collective, peuplée de nègres candidats à la folie et à la mort ; jour trentième de la famine, de la torture et du délire).
(Un silence).
NARRATRESS
Go home young women; play-time is over; the orbits of death thrust fulgurating eyes through the pale mica.
LA RÉCITANTE
Rentrez chez vous jeunes filles ; il n’est plus temps de jouer ; les orbites de la mort poussent des yeux fulgurants à travers le mica blême.
FIRST MADWOMAN (seriously)
Is that a riddle?
PREMIÈRE FOLLE (sérieuse)
c’est une devinette ?
NARRATOR
the season of burning stars is now at hand.
LE RÉCITANT
c’est la saison des étoiles brûlantes qui commence.
SECOND MADWOMAN (laughing)
Ah, it’s a story.
DEUXIÈME FOLLE (riant)
Ah, c’est un conte.
THE CHORUS (menacingly)
The island stiffens its venomous spider legs over the muck of the barracoons.
LE CHŒUR (menaçant)
L’île raidit ses pattes d’araignée venimeuse sur la gadoue des barracoons.
FIRST MADWOMAN
shame, shame.
PREMIÈRE FOLLE
hou, hou.
SECOND MADWOMAN
shame, shame.
DEUXIÈME FOLLE
hou, hou.
NARRATOR
young women, respect the strangers who pass by in the rich ruts of dusk.
(The madwomen step aside)
LE RÉCITANT
jeunes filles, respectez les étrangers qui passent sur les riches ornières du crépuscule.
(Les folles s’écartent).
THE BELOVED
Embrace me: life is here, out of its tatters the banana tree polishes its violet sex; a speck of dust sparks, it’s the fur of the sun, a lapping of red leaves, it’s the forest’s mane . . . my life surrounded by threats of life, by promises of life.
L’AMANTE
Embrasse-moi : la vie est là, le bananier hors des haillons lustre son sexe violet ; une poussière étincelle, c’est la fourrure du soleil, un clapotis de feuilles rouges, c’est la crinière de la forêt… ma vie est entourée de menaces de vie, de promesses de vie.
THE REBEL
O death in which hunger ceases to gnaw, o soft bite, two black children on your door sill are without parents, fat death two skinny children holding hands on your door sill are crepuscular and barely alive.
LE REBELLE
Ô mort où la faim n’avarie, ô dent douce, deux enfants noirs sur ton seuil ils sont sans parentage, mort grasse deux enfants maigres se tenant par la main sur ton seuil, ils sont crépusculaires et faillis.
THE BELOVED
O sea, o undertow, o herd of flames full of fury, spread your seed before my untouched feet.
L’AMANTE
Ô mer, ô ressac, ô troupeau de flammes furibondes, moutonnez vos semences à mes pieds intouchés.
THE REBEL
O death two black children in your sun, be peaceful and warm to them, o death devourer of pigment, great equalizer, great just one without sheriff or policeman, great encircler, great luller of brothers.
LE REBELLE
Ô mort deux enfants noirs dans ton soleil, sois-leur tranquille et tiède, ô mort dévoreuse de pigments, grande égale grande juste sans sherif ni gendarme, grande enrouleuse, grande endormeuse de frères.
THE BELOVED
Embrace me, this hour is beautiful; what is beauty if not this full measure of threats that the innocent batting of an eyelash mesmerizes and lures into impotence? . . .
L’AMANTE
Embrasse-moi, l’heure est belle ; qu’est-ce que la beauté sinon ce poids complet de menaces que fascine et séduit à l’impuissance le battement désarmé d’une paupière ?…
THE REBEL
what is beauty if not the lacerated poster of a smile on the thunderstruck door of a face? What is dying if not the stony face of discovery, the voyage beyond the calendar and beyond the color on the other side of the sun?
LE REBELLE
qu’est-ce la beauté sinon l’affiche lacérée d’un sourire sur la porte foudroyée d’un visage ? Qu’est-ce mourir sinon la face pierreuse de la découverte, le voyage hors de la semaine et de la couleur à l’envers du soleil ?
THE BELOVED
Slander not the sun. And I, do I curse the shadows?
I cherish you shadow, fisher of the beautiful maned screams of the sun, in your uncertain rivulets o the wind and its belated gold-washer fingers.
L’AMANTE
Ne calomnie pas le soleil. Est-ce que je maudis l’ombre, moi ?
je te chéris ombre, pêcheur des beaux cris chevelus du soleil, dans tes ruisseaux incertains ô le vent et ses doigts d’orpailleur attardé.
THE REBEL
O death, o queen, o fair-armed weaver, o carder, o cold unnumbed fingers, we are here before you both of us moaning and knees knocking across the warp, toward simple silence hurl your shuttle of sumptuous verse.
LE REBELLE
Ô mort, ô reine, ô tisseuse aux bons bras, ô cardeuse, ô doigts froids sans onglée, nous sommes là devant toi deux râleux et cagneux au travers de la chaîne, et vers le simple silence lancez votre navette faite de vers somptueux.
THE BELOVED
Fair dear love, without us will the ungrateful sky swarm with open-eyed falcons,
without us will the pearl oysters appease with long sleepy gestures beneath the lid of time the sinuosity of the obscure wound?
fair dear love, without us will the wind go on deflowering, moaning toward the arched awaiting?
L’AMANTE
Beau doux ami, le ciel ingrat sans nous se peuplera-t-il de faucons désillés,
les huîtres perlières sans nous sous le couvercle du temps apaiseront-elles de longs gestes dormants le serpentement de la blessure obscure ?
beau doux ami, sans nous le vent s’en ira-t-il déflorant, gémissant vers l’attente cambrée ?
THE REBEL
The scent of mandrake has evaporated; the hill is dragging its hawsers; the great eddies of the valleys are making waves; forests are losing their masts, birds are making signs of distress in which our lost bodies are rocking their whitened wreckage.
LE REBELLE
Le parfum de la mandragore s’est séché ; la colline chasse sur ses aussières ; les grands remous des vallées font des vagues ; les forêts démâtent, les oiseaux font des signaux de détresse où nos corps perdus bercent leurs épaves blanchies.
THE CHORUS
Who is it who tarries, who is it who fades into oblivescence?
LE CHŒUR
Quel est celui qui tarde, quel est celui qui se fane en oubliance ?
SEMICHORUS
brimstone fallen from the clouds.
LE DEMI-CHŒUR
pierre de soufre tombé des nues
SEMICHORUS
beautiful arch
LE DEMI-CHŒUR
bel arc
CHORUS
beautiful blood
LE CHŒUR
beau sang
SEMICHORUS
beautiful rain
LE DEMI-CHŒUR
belle pluie
SEMICHORUS
Inciter oh,
LE DEMI-CHŒUR
Susciteuse oh,
CHORUS
Inciter oh, I cannot chase that image from my eyes: women eating dirt in a field of clay.
LE CHŒUR
Susciteuse oh, je ne puis chasser de mes yeux cette image : des mangeuses de terre dans un champ d’argile.
SEMICHORUS
all the bronzings and all the hope on the backs of our hands, in the palms of the hands of star apple leaves will not console me
LE DEMI-CHŒUR
toutes les mordorures et tout l’espoir au dos des mains, au creux des mains des feuilles de caïmitier ne me consoleront pas.
REBEL
I captured extraordinary messages from space. . . full of knives of night of groans; I hear louder than praises a vast improvisation of tornadoes, of sunstrokes, of evil spells
of stones brewing strange dawns, torpor imbibed sip by sip.
LE REBELLE
J’ai capté dans l’espace d’extraordinaires messages… pleins de poignards de nuit de gémissements ; j’entends plus haut que les louanges une vaste improvisation de tornades, de coups de soleil, de maléfices
de pierres qui cuisent de petits jours étranges, l’engourdissement bu à petites gorgées.
THE BELOVED
a fearless bird casts its young flame cry into the hot belly of night.
L’AMANTE
un oiseau sans peur jette son cri de flamme jeune dans le ventre chaud de la nuit.
THE REBEL
. . .a great blaze of red sloes and of crabs.
a sowing just to see them of flies of palavers of bad memories, of termite trails, of fevers to cure, of wrongs to right an alligator’s yawn an immense injustice.
LE REBELLE
…un grand brasier de prunelles rouges et de crabes.
un ensemencement pour voir de mouches de palabres de mauvais souvenirs, de piste de termites, de fièvres à guérir, de torts à redresser un bâillement d’alligator une immense injustice.
The Complete Poetry of Aimé Césaire Page 18