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Surrealist, Lover, Resistant

Page 14

by Robert Desnos

Lasses all with modest eye

  When he reached them up ahead

  Bravo Toro! the fairest said

  Bravo Toro! the fairest said

  Here’s my body and my soul

  Here’s my love unlimited

  Hugs and kisses twists of gold

  He was loved by two insane

  Ladies with no brain in Spain

  Are you the one I surnamed the obscure

  With your great flares at mountains’ foot aflame

  Your streets and precincts and that cynosure

  The midnight lady-love without a name

  Her body sketched perhaps across the skies

  By some astronomer who joined the stars

  Joined dot to dot on charts of galaxies

  Her body goaded nations into wars

  In orchards of the sky she promenades

  Unheard and plucks the fruit of starry trees

  Watched by the suns that rear on colonnades

  Beneath their fiery pillars she proceeds

  The sky in turn reduced to sailors’ lore

  Rejoins the sea there’s none it shall be said

  The crystal moons are stranded on the shore

  Where lie the wreck the rigging and the dead

  Plague sailors stars and waves and reefs and boat

  The phantom boat the plague the milky way

  The portholes’ shabby eyes shall meet their fate

  In quicksands with the statues’ fine display

  What night was worth the closing of our eyes

  We roamed their golden gardens and we heard

  The frightened ocean yes our lifeblood rise

  Hammering for the cruel ones we loved.

  LE POÈME À FLORENCE

  Comme un aveugle s’en allant vers les frontières

  Dans les bruits de la ville assaillie par le soir

  Appuie obstinément aux vitres des portières

  Ses yeux qui ne voient pas vers l’aile des mouchoirs

  Comme ce rail brillant dans l’ombre sous les arbres

  Comme un reflet d’éclair dans les yeux des amants

  Comme un couteau brisé sur un sexe de marbre

  Comme un législateur parlant à des déments

  Une flamme a jailli pour perpétuer Florence

  Non pas celle qui haute au détour d’un chemin

  Porta jusqu’à la lune un appel de souffrance

  Mais celle qui flambait au bûcher quand les mains

  dressées comme cinq branches d’une étoile opaque

  attestaient que demain surgirait d’aujourd’hui

  Mais celle qui flambait au chemin de saint Jacques

  Quand la déesse nue vers le nadir a fui

  Mais celle qui flambait aux parois de ma gorge

  Quand fugitive et pure image de l’amour

  Tu surgis tu partis et que le feu des forges

  Rougeoyait les sapins les palais et les tours

  J’inscris ici ton nom hors des deuils anonymes

  Où tant d’amantes ont sombré corps âme et biens

  Pour perpétuer un soir où dépouilles ultimes

  Nous jetions tels des os nos souvenirs aux chiens

  Tu fonds tu disparais tu sombres mais je dresse

  au bord de ce rivage où ne brille aucun feu

  Nul phare blanchissant les bateaux en détresse

  Nulle lanterne de rivage au front des bœufs

  Mais je dresse aujourd’hui ton visage et ton rire

  Tes yeux bouleversants ta gorge et tes parfums

  Dans un olympe arbitraire où l’ombre se mire

  dans un miroir brisé sous les pas des défunts

  Afin que si le tour des autres amoureuses

  Venait avant le mien de s’abîmer tu sois

  Et l’accueillante et l’illusoire et l’égareuse

  la sœur de mes chagrins et la flamme à mes doigts

  Car la route se brise au bord des précipices

  je sens venir les temps où mourront les amis

  Et les amantes d’autrefois et d’aujourd’hui

  Voici venir les jours de crêpe et d’artifice

  Voici venir les jours où les œuvres sont vaines

  où nul bientôt ne comprendra ces mots écrits

  Mais je bois goulûment les larmes de nos peines

  quitte à briser mon verre à l’écho de tes cris

  Je bois joyeusement faisant claquer ma langue

  le vin tonique et mâle et j’invite au festin

  Tous ceux-là que j’aimai. Ayant brisé leur cangue

  qu’ils viennent partager mon rêve et mon butin

  Buvons joyeusement! chantons jusqu’à l’ivresse!

  nos mains ensanglantées aux tessons des bouteilles

  Demain ne pourront plus étreindre nos maîtresses.

  Les verrous sont poussés au pays des merveilles.

  THE POEM TO FLORENCE

  Like a blind man with border-posts to pass

  And noises of a town that dusk aggrieves

  Stubbornly pressing to the carriage glass

  His sightless eyes towards winged handkerchieves

  Like the rail glinting in the shade of trees

  Lightning that lovers’ eyes reflect again

  Knife trashed on marble sex of effigies

  A statesman who addresses the insane

  A flame flared up that Florence may live on

  Not that which high above the journey’s bends

  Carried a cry of anguish to the moon

  But that which flamed on funeral-pyres when hands

  Like a dark star’s five branches were upraised

  Tomorrow rises from today they said

  But that which flamed along the milky road

  When the nude goddess to the nadir fled

  But that which flamed on walls about my gorge

  When you love’s image fugitive and pure

  Rose up and left us and the glowing forge

  Cast a red light on palace tower and fir

  I carve your name and shun that nameless dirge

  For sea-drowned lovers body soul and goods

  I mark that night we sloughed our full discharge

  And threw our memories like bones to dogs

  You melt you sink you vanish but I raise

  Beside this haven where no signal glows

  No lighthouse blanching vessels in distress

  No harbour-lanterns hung on heads of cows

  I raise today your laughter and your face

  Your stunning eyes your throat your wafting scents

  Shade in a mirror smashed by ghosts who pace

  On some Olympus of inconsequence

  So if the turn of other sweethearts came

  Before my own to perish, you shall play

  My sorrows’ sister and my fingers’ flame

  Shall welcome and deceive and lead astray

  For the road’s breaking up on the precipice-rim

  The time is at hand when my friends have to die

  My loves of the past and my loves of this time

  The days of black crepe and contrivance are nigh

  The time is at hand when these works are in vain

  When none can make sense of these readable runes

  But I greedily swallow the tears of our pain

  Short of breaking my glass on your echoing groans

  I am drinking with joy and a smack of the tongue

  A manly strong wine I invite to the party

  All those whom I loved having broken their kang

  Let them come and partake of my dream and my booty

  Let’s drink up with
joy, draining songs to the lees!

  The sharp broken bottles have bloodied our hand

  So tomorrow we can’t give our darlings a squeeze

  The gates have been bolted on wonderland.

  kang – pillory

  THE NIGHT OF LOVELESS NIGHTS

  Nuit putride et glaciale, épouvantable nuit,

  Nuit du fantôme infirme et des plantes pourries,

  Incandescente nuit, flamme et feu dans les puits,

  Ténèbres sans éclairs, mensonges et roueries.

  Qui me regarde ainsi au fracas des rivières?

  Noyés, pêcheurs, marins? Éclatez les tumeurs

  Malignes sur la peau des ombres passagères,

  Ces yeux m’ont déjà vu, retentissez clameurs!

  Le soleil ce jour-là couchait dans la cité

  L’ombre des marronniers au pied des édifices,

  Les étendards claquaient sur les tours et l’été

  Amoncelait ses fruits pour d’annuels sacrifices.

  Tu viens de loin, c’est entendu, vomisseur de couleuvres,

  Héros, bien sûr, assassin môme, l’amoureux

  Sans douleur disparaît, et toi, fils de tes œuvres,

  Suicide, rougis-tu du désir d’être heureux?

  Fantôme, c’est ma glace où la nuit se prolonge

  Parmi les cercueils froids et les cœurs dégouttants,

  Amour cuit et recuit comme une fausse oronge

  Et l’ombre d’une amante aux mains d’un impotent.

  Et pourtant tu n’es pas de ceux que je dédaigne.

  Ah! serrons-nous les mains, mon frère, embrassons-nous

  Parmi les billets doux, les rubans et les peignes,

  La prière jamais n’a sali tes genoux.

  Tu cherchais sur la plage au pied des rochers droits

  La crique où vont s’échouer les étoiles marines:

  C’était le soir, des feux à travers le ciel froid

  Naviguaient et, rêvant au milieu des salines,

  Tu voyais circuler des frégates sans nom

  Dans l’éclaboussement des chutes impossibles.

  Où sont ces soirs? Ô flots rechargez vos canons

  Car le ciel en rumeur est encombré de cibles.

  Quel destin t’enchaîna pour servir les sévères,

  Celles dont les cheveux charment les colibris,

  Celles dont les seins durs sont un fatal abri

  Et celles dont la nuque est un nid de mystère,

  Celles rencontrées nues dans les nuits de naufrage,

  Celles des incendies et celles des déserts,

  Celles qui sont flétries par l’amour avant l’âge,

  Celles qui pour mentir gardent les yeux sincères,

  Celles au cœur profond, celles aux belles jambes,

  Celles dont le sourire est subtil et méchant,

  Celles dont la tendresse est un diamant qui flambe

  Et celles dont les reins balancent en marchant,

  Celles dont la culotte étroite étreint les cuisses,

  Celles qui, sous la jupe, ont un pantalon blanc

  Laissant un peu de chair libre par artifice

  Entre la jarretière et le flot des volants,

  Celles que tu suivis dans l’espoir ou le doute,

  Celles que tu suivis ne se retournaient pas

  Et les bouquets fanés qu’elles jetaient en route

  T’entraînèrent longtemps au hasard de leurs pas

  Mais tu les poursuivras à la mort sans répit,

  Les yeux las de percer des ténèbres moroses,

  De voir lever le jour sur le ciel de leur lit

  Et d’abriter leur ombre en tes prunelles closes.

  Une rose à la bouche et les yeux caressants

  Elles s’acharneront avec des mains cruelles

  À torturer ton cœur, à répandre ton sang

  Comme pour les punir d’avoir battu pour elles.

  Heureux s’il suffisait, pour se faire aimer d’elles,

  D’affronter sans faiblir des dangers merveilleux

  Et de toujours garder l’âme et le cœur fidèle

  Pour lire la tendresse aux éclairs de leurs yeux,

  Mais les plus audacieux, sinon les plus sincères,

  Volent à pleine bouche à leur bouche un aveu

  Et devant nos pensées, comme aux proues les chimères,

  Resplendit leur sourire et flottent leurs cheveux.

  Car l’unique régit l’amour et ses douleurs,

  Lui seul a possédé les âmes passionnées

  Les uns s’étant soumis à sa loi par malheur

  N’ont connu qu’un bourreau pendant maintes années.

  D’autres l’ont poursuivi dans ses métamorphoses:

  Après les yeux très bleus voici les yeux très noirs

  Brillant dans un visage où se flétrit la rose,

  Plus profonds que le ciel et que le désespoir.

  Maître de leur sommeil et de leurs insomnies

  Il les entraîne en foule, à travers les pays,

  Vers des mers éventrées et des épiphanies…

  La marée sera haute et l’étoile a failli.

  Quelqu’un m’a raconté que, perdu dans les glaces,

  Dans un chaos de monts, loin de tout océan,

  Il vit passer, sans heurt et sans fumée, la masse

  Immense et pavoisée d’un paquebot géant.

  Des marins silencieux s’accrochaient aux cordages

  Et des oiseaux gueulards volaient dans les haubans

  Des danseuses rêvaient au bord des bastingages

  En robes de soirée et coiffées de turbans.

  Les bijoux entouraient d’étincelles glaciales

  Leur gorge et leurs poignets et de grands éventails

  De plumes, dans leurs mains, claquaient vers des escales

  Où les bals rougissaient les tours et les portails.

  Les danseurs abîmés dans leur mélancolie

  En songe comparaient leurs désirs à l’acier.

  C’était parmi les monts, dans un soir de folie,

  De grands nuages coulaient sur le flanc des glaciers.

  Un autre découvrit, au creux d’une clairière,

  Un rosier florissant entouré de sapins.

  Combien a-t-il cueilli de roses sanguinaires

  Avant de s’endormir sous la mousse au matin?

  Mais ses yeux ont gardé l’étrange paysage

  Inscrit sur leur prunelle et son cœur incertain

  A choisi pour cesser de battre sans courage

  Ce lieu clos par l’odeur de la rose et du thym.

  Du temps où nous chantions avec des voix vibrantes

  Nous avons traversé ces pays singuliers

  Où l’écho répondait aux questions des amantes

  Par des mots dont le sens nous était familier.

  Mais, depuis que la nuit s’écroule sur nos têtes,

  Ces mots ont dans nos cœurs des accents mystérieux

  Et quand un souvenir parfois nous les répète

  Nous désobéissons à leur ordre impérieux.

  Entendez-vous chanter des voix dans les montagnes

  Et retentir le bruit des cors et des buccins?

  Pourquoi ne chantons-nous que les refrains du bagne

  Au son d’un éternel et lugubre tocsin?

  Serait-ce pas Don Juan qui parcourt ces allées

  Où l’ombre se marie aux spectres de l’amour?

  Ce pas qui retentit dans les nuits désolées

  A-t-il marqué les cœurs avec un talon lourd?

  Ce n’est pas le Don Juan qui descend impassible

  L’escalier ruissel
ant d’infernales splendeurs

  Ni celui qui crachait aux versets de la Bible

  Et but en ricanant avec le commandeur.

  Ses beaux yeux incompris n’ont pas touche les cœurs,

  Sa bouche n’a connu que le baiser du rêve,

  Et c’est celui que rêve en de sombres ardeurs

  Celle qui le dédaigne et l’ignore et sans trêve

  Heurte ses diamants froids, ses lèvres sépulcrales,

  Sa bouche silencieuse à sa bouche et ses yeux,

  Ses yeux de sphinx cruels et ses mains animales

 

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