À ses yeux, à ses mains, à son étoile, aux cieux.
Mais lui, le cœur meurtri par de mortes chimères,
Gardant leur bec pourri planté dans ses amours,
Pour un baiser viril, ô beautés éphémères,
Vous sauvera sans doute au seuil du dernier jour.
Le rire sur sa bouche écrasera des fraises,
Ses yeux seront marqués par un plus pur destin.
C’est Bacchus renaissant des cendres et des braises,
Les cendres dans les dents, les braises dans les mains.
Mais pour un qui renait combien qui, sans mourir,
Portent au cœur, portent aux pieds de lourdes chaines.
Les fleuves couleront et les morts vont pourrir…
Chaque an reverdira le feuillage des chênes.
J’habite quand il me plaît un ravin ténébreux au-dessus duquel le ciel se découpe en un losange déchiqueté par l’ombre des sapins, des mélèzes et des rochers qui couvrent les pentes escarpées.
Dans l’herbe du ravin poussent d’étranges tubéreuses, des ancolies et des colchiques survolés par des libellules et des mantes religieuses et si pareils sans cesse, le ciel la flore et la faune où succèdent aux insectes les corneilles moroses et les rats musqués, que je ne sais quelle immuable saison s’est abattue sur ce toujours nocturne ravin, avec son dais en losange constellé que ne traverse aucun nuage.
Sur les troncs des arbres deux initiales, toujours les mêmes, sont gravées. Par quel couteau, par quelle main, pour quel cœur?.
Le vallon était désert quand j’y vins pour la première fois. Nul n’y était venu avant moi. Nul autre que moi ne l’a parcouru.
La mare où les grenouilles nagent dans l’ombre avec des mouvements réguliers reflète des étoiles immobiles et le marais que les crapauds peuplent de leur cri sonore et triste possède un feu follet toujours le même.
La saison de l’amour triste et immobile plane en cette solitude.
Je l’aimerai toujours et sans doute ne pourrai-je jamais franchir l’orée des mélèzes et des sapins, escalader les rochers baroques, pour atteindre la route blanche ou elle passe à certaines heures. La route où les ombres n’ont pas toujours la même direction.
Parfois il me semble que la nuit vient seulement de s’abattre. Des chasseurs passent sur la route que je ne vois pas. Le chant des cors de chasse résonne sous les mélèzes. La journée a été longue, parmi les terres de labour, à la poursuite du renard, du blaireau ou du chevreuil. Le naseau des chevaux fume blanc dans la nuit.
Les airs de chasse s’éteignent. Et je déchiffre difficilement les initiales identiques sur le tronc des mélèzes qui bornent le ravin.
Nulle étoile en tombant n’a fait jaillir l’écume,
Rien ne trouble les monts, les cieux, le feu, les eaux,
Excepte cet envol horizontal de plumes
Qui révèle la chute et la mort d’un oiseau.
Et rien n’arrêtera cette plume envolée,
Ni les cheveux luisants d’un cavalier sauvage,
Ni l’encre méprisable au fond d’un encrier,
Ni la vague chantante et le grondant orage,
Ni le cou séduisant des belles misérables,
Ni la branche de l’arbre et le tombeau fermé,
Ni les bateaux qui font la nuit grincer des câbles,
Ni le mur où des cœurs par des noms sont formés,
Ni le chant des lépreux dans les marais austères,
Ni la glace qui dort au fond des avenues
En reflétant sans cesse un tremblant réverbère
Et jamais, belle neige, un corps de femme nue,
Ni les monstres marins aux écailles fumeuses,
Ni les brouillards du nord avec leurs plaies d’azur,
Ni la vitre où le soir une femme rêveuse
Retrace en sa mémoire un amour au futur,
Ni l’écho des appels d’un voyageur perdu,
Ni les nuages fuyards, ni les chevaux en marche,
Ni l’ombre d’un plongeur sur les quais et les arches,
Ni celle du pavé a son cou suspendu,
Ni toi Fouquier-Tinville aux mains de cire claire:
Les étoiles, les mains, l’amour, les yeux, le sang
Sont autant de fusées surgissant d’un cratère.
Adieu! C’est le matin blanchi comme un brisant.
Ô mains qui voudriez vous meurtrir à l’amour
Nous saurons vous donner le plus rouge baptême
Près duquel pâliront le feu des hauts fourneaux
Et le soleil mourant au sein des brouillards blêmes.
Les plus beaux yeux du monde ont connu nos pensées,
Nous avons essayé tous les vices fameux,
Mais les baisers et les luxures insensées
N’ont pas éteint l’espoir dans nos cœurs douloureux.
Je vis alors s’ouvrir des portes de cristal
Sur le cristal plus pur d’un fantôme adorable:
«Jetez dans le ruisseau votre cœur de métal
«Et brisez les flacons sur le marbre des tables!
«Crevez vos yeux et vos tympans; et que vos langues
«Par vos bouches crachées soient mangées par les chiens,
«Dites adieu à vos désirs, bateaux qui tanguent,
«Que vos mains et vos pieds soient meurtris par des liens!
«Soyez humbles, perdez au courant de vos transes
«Votre espoir, votre orgueil et votre dignité
«Pour que je puisse encore augmenter vos souffrances
«Instituant sur vous d’exquises cruautés.»
C’est elle qui parla. C’est aussi l’amoureuse,
C’est le cœur de cristal et les yeux sans pitié,
Les plus beaux yeux du monde, ô sources lumineuses,
La belle bouche avec des dents de carnassier.
Enfonce tes deux mains dans mon cerveau docile,
Mords ma lèvre en feignant de m’offrir un baiser,
Si la force et l’orgueil sont des vertus faciles,
Dure est la solitude à 1’amour imposée.
Je parlais d’un fantôme et d’un oiseau qui tombe,
Mon rêve perd les mots que ma bouche employait.
La prairie où je parle est creusée par les tombes
Et 1’écho retentit du bruit clair des maillets.
On dresse l’échafaud dans la prison prochaine.
Le condamné qui dort dans un lit trop étroit
Rêve des grands corbeaux qui survolaient la plaine
Quand il y rencontra le désir et l’effroi.
Ces deux spectres zélés cheminaient côte à côte
Déchirant leur manteau et leur face aux branchages,
De faux amants frappés sans merci par leur faute
À leur suite faisaient un long pèlerinage.
Des incendies sifflaient sur les toits des hameaux.
Les poissons attirés par de célestes nasses
Montaient avec lenteur à travers les rameaux.
Des bûcherons sortaient de leurs chaumières basses.
Le condamné qui dort parlait avec 1’un d’eux,
Plus spectral que le chêne où se plantait la hache:
«Ecoutez, disait-il, mugir au loin les bœufs,
Le vent qui souffle ici brisera leur attache.»
Écoute jusqu’au jour la voix de la cruelle,
Sa bouche à la saveur d’un fruit empoisonné,
Le ciel et la montagne ou les troupeaux s’appellent
Viennent de se confondre à nos yeux étonnés.
Charmé par les oiseaux, et par 1’amour trompé,
Dans de noirs corridors, sous de sombres portiques
L’am
ant recherchera la marque de 1’épée
Qu’Isis au cœur de feu dans son cœur a trempée…
Ô lame au fil parfait, sœur des fleuves mystiques!
L’oiseau qui chantait pour elle
Dans sa cage ne chante plus
Et la reine des hirondelles
Ne tourne plus, ne tourne plus.
Un jour j’ai rencontré le vautour et l’orfraie.
Leur ombre sur le sol ne m’a pas étonné.
J’ai déchiffré plus tard sur des remparts de craie
L’initiale au charbon d’un nom que je connais.
Un vampire a frappé ma vitre de son aile:
Qu’il entre, couronné des algues de l’étang,
Avec son beau collier de vives coccinelles
Qui prédisent l’amour, la pluie et le beau temps.
Coucher avec elle
Pour le sommeil côte à côte
Pour les rêves parallèles
Pour la double respiration
Coucher avec elle
Pour l’ombre unique et surprenante
Pour la même chaleur
Pour la même solitude
Coucher avec elle
Pour l’aurore partagée
Pour le minuit identique
Pour les mêmes fantômes
Coucher coucher avec elle
Pour l’amour absolu
Pour le vice pour le vice
Pour les baisers de toute espèce
Coucher avec elle
Pour un naufrage ineffable
Pour se prostituer l’un à l’autre
Pour se confondre
Coucher avec elle
Pour se prouver et prouver vraiment
Que jamais n’a pesé sur l’âme et le corps des amants
Le mensonge d’une tache originelle
Toujours avoir le plus grand amour pour elle
N’est pas difficile
Mais tout est douteux pour les cœurs de feu, pour les cœurs fidèles
Toujours avoir le plus grand amour
Y a-t-il des trahisons involontaires
Non la chair n’est jamais menteuse
Et le corps du plus vicieux reste pur
Pur comme le plus grand amour pour elle
Dans mon seul cœur il fleurit sans contrainte
Nulle boue jamais n’atteignit l’image de celle
La seule aimée dans le cœur de l’amant.
Nulle boue jamais n’atteignit le plus grand amour pour elle
C’est pour sa pureté qu’on admire le diamant
Nulle boue ne tache le diamant ni le cœur de celle
La plus aimée dans le cœur de l’amant
Le plus sincère amant capable du plus grand amour
N’est pas un chaste ni un ascète ni un puritain
Et s’il éprouve le corps des plus belles
C’est qu’il sait bien que le plus beau est celui de l’aimée
Le plus sincère amant est un débauché
Sa bouche a connu et éprouvé tous les baisers
Se livrerait-il à tous les vices
Il n’en vaudrait que mieux
Car le plus sincère amant s’il n’est pas aimé par celle qu’il aime
Peu lui importe, il l’aimera
Eternellement désirera d’être aimé
Et d’aimer sans espoir deviendra pur comme un diamant.
Tout son corps ne sera qu’une proie décevante
Pour les fausses amantes et pour les faux amours
Et sans pitié
L’amant le véritable sacrifiera tout pour celle qu’il aime
Qu’importe s’il a toujours le plus grand amour pour elle
Au jour de la rencontre désirée
Il sera plus pur que l’aube et le feu
Et prêt pour l’extase
Toujours avoir le plus grand amour pour elle
Il n’y a pas de trahison corporelle
Et que ton cœur batte toujours pour elle
Que tes yeux se ferment sur son unique image.
Être aimé par elle
Nul bonheur nulle félicité
Désir pas même
Mais volonté ou plutôt destin
Être aimé par elle
Non pas une nuit de toutes les nuits
Mais à jamais pour l’éternel présent
Sans paysage et sans lumières
Être aimé par elle
Écrit dans les signes du temps
Malgré tout contre antan et futur
À jamais
Mais pour être aimé par elle
Faut-il perdre jusqu’a l’amour
La vie n’en parlons pas
L’amour l’amour non plus
Être aimé par elle
C’est inévitable
Pas de chants pas de cris
Nul sentiment
Être aimé par elle
Marbre impassible Mers figées Ciels implacables
Mais attendre attendre longtemps attendre encore
Attendre? nié par l’éternité.
Mourir après elle
Est le rôle dévolu à l’amant
À lui seul le droit suprême
De graver un nom sur une pierre périssable
De graver un nom sur un arbre périssable
Et de s’éteindre pour jamais
S’éteindre lui après elle
Mais l’amour le plus grand amour
Brûlera comme une flamme éternelle.
Depuis de si longs mois, ma chère, que je t’aime
Pourquoi ne pas vouloir connaître mes travaux?
Si mes jours sont soumis à de mornes systèmes
Mes nuits sont escortées par de nobles prévôts.
Dois-je veiller encore un bûcher renaissant,
Si vif que le Phénix ne pourrait y survivre,
Ou dois-je, naufragé, vers les vaisseaux passant
Effeuiller sans raison les pages de ce livre?
Dois-je m’anéantir pour éteindre ma foi?
L’univers de mon rêve exalte ton image
Mais les pays fameux que j’ai créés pour toi
Seront-ils traversés mieux que par ton mirage?
S’il faut mourir au pied des idoles rivales,
Je suis prêt. Confessant ta cruelle grandeur
Je mourrai si tu veux pour n’être en tes annales
Que l’écho faiblissant d’une inutile ardeur.
Je donne tout pour toi, jusqu’au cœur des fantômes,
Soumis à mon fatal et délicieux tourment
Quitte pour disparaître en deux lignes d’un tome
Et sans être invoqué le soir par les amants.
Je suis las de combattre un sort qui se dérobe,
Las de tenter l’oubli, las de me souvenir
Du moindre des parfums émanant de ta robe,
Las de te détester et las de te bénir.
Je valais mieux que ça mais tu l’as méconnu.
Un jour d’entre les jours de soleil sur les roches
Souviens-toi de l’amant dont le cœur était nu
Et qui sut te servir sans peur et sans reproche.
Attends-tu que j’aborde à de lointains rivages
Pour dire en regardant tes genoux désertés:
«Qui donc s’en est allé, j’ignore son visage
«Mais pourquoi s’en va-t-il seul vers sa liberté?
«Il faut le retrouver, serviteur infidèle,
«L’enchaîner à mon bagne après l’avoir châtié
«Et qu’il me serve encore avec un cœur modèle
«Sans même pour sa peine é
prouver ma pitié.
«Car je suis impérieuse et veux qu’on m’obéisse,
«Nul ne doit me quitter sans être congédié.
«Tant pis pour celui-là qui rentre à mon service
«Si son orgueil hautain ne l’a pas répudié.
«Je connais pour les cœurs des prisons fantastiques:
«Que l’amant fugitif y retourne au plus tôt
«Car il me faut ce soir de nombreux domestiques
«Pour cirer mes souliers et m’offrir le manteau.»
À quoi bon? L’évadé connaît bien sa prison.
Sans doute a-t-il choisi de trop précieux otages
Pour vouloir à nouveau te payer sa rançon:
Les trésors d’un cœur pur ne souffrent pas partage.
Évade-toi de l’eau, des prisons, des potences,
Surrealist, Lover, Resistant Page 15