Surrealist, Lover, Resistant

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Surrealist, Lover, Resistant Page 15

by Robert Desnos


  À ses yeux, à ses mains, à son étoile, aux cieux.

  Mais lui, le cœur meurtri par de mortes chimères,

  Gardant leur bec pourri planté dans ses amours,

  Pour un baiser viril, ô beautés éphémères,

  Vous sauvera sans doute au seuil du dernier jour.

  Le rire sur sa bouche écrasera des fraises,

  Ses yeux seront marqués par un plus pur destin.

  C’est Bacchus renaissant des cendres et des braises,

  Les cendres dans les dents, les braises dans les mains.

  Mais pour un qui renait combien qui, sans mourir,

  Portent au cœur, portent aux pieds de lourdes chaines.

  Les fleuves couleront et les morts vont pourrir…

  Chaque an reverdira le feuillage des chênes.

  J’habite quand il me plaît un ravin ténébreux au-dessus duquel le ciel se découpe en un losange déchiqueté par l’ombre des sapins, des mélèzes et des rochers qui couvrent les pentes escarpées.

  Dans l’herbe du ravin poussent d’étranges tubéreuses, des ancolies et des colchiques survolés par des libellules et des mantes religieuses et si pareils sans cesse, le ciel la flore et la faune où succèdent aux insectes les corneilles moroses et les rats musqués, que je ne sais quelle immuable saison s’est abattue sur ce toujours nocturne ravin, avec son dais en losange constellé que ne traverse aucun nuage.

  Sur les troncs des arbres deux initiales, toujours les mêmes, sont gravées. Par quel couteau, par quelle main, pour quel cœur?.

  Le vallon était désert quand j’y vins pour la première fois. Nul n’y était venu avant moi. Nul autre que moi ne l’a parcouru.

  La mare où les grenouilles nagent dans l’ombre avec des mouvements réguliers reflète des étoiles immobiles et le marais que les crapauds peuplent de leur cri sonore et triste possède un feu follet toujours le même.

  La saison de l’amour triste et immobile plane en cette solitude.

  Je l’aimerai toujours et sans doute ne pourrai-je jamais franchir l’orée des mélèzes et des sapins, escalader les rochers baroques, pour atteindre la route blanche ou elle passe à certaines heures. La route où les ombres n’ont pas toujours la même direction.

  Parfois il me semble que la nuit vient seulement de s’abattre. Des chasseurs passent sur la route que je ne vois pas. Le chant des cors de chasse résonne sous les mélèzes. La journée a été longue, parmi les terres de labour, à la poursuite du renard, du blaireau ou du chevreuil. Le naseau des chevaux fume blanc dans la nuit.

  Les airs de chasse s’éteignent. Et je déchiffre difficilement les initiales identiques sur le tronc des mélèzes qui bornent le ravin.

  Nulle étoile en tombant n’a fait jaillir l’écume,

  Rien ne trouble les monts, les cieux, le feu, les eaux,

  Excepte cet envol horizontal de plumes

  Qui révèle la chute et la mort d’un oiseau.

  Et rien n’arrêtera cette plume envolée,

  Ni les cheveux luisants d’un cavalier sauvage,

  Ni l’encre méprisable au fond d’un encrier,

  Ni la vague chantante et le grondant orage,

  Ni le cou séduisant des belles misérables,

  Ni la branche de l’arbre et le tombeau fermé,

  Ni les bateaux qui font la nuit grincer des câbles,

  Ni le mur où des cœurs par des noms sont formés,

  Ni le chant des lépreux dans les marais austères,

  Ni la glace qui dort au fond des avenues

  En reflétant sans cesse un tremblant réverbère

  Et jamais, belle neige, un corps de femme nue,

  Ni les monstres marins aux écailles fumeuses,

  Ni les brouillards du nord avec leurs plaies d’azur,

  Ni la vitre où le soir une femme rêveuse

  Retrace en sa mémoire un amour au futur,

  Ni l’écho des appels d’un voyageur perdu,

  Ni les nuages fuyards, ni les chevaux en marche,

  Ni l’ombre d’un plongeur sur les quais et les arches,

  Ni celle du pavé a son cou suspendu,

  Ni toi Fouquier-Tinville aux mains de cire claire:

  Les étoiles, les mains, l’amour, les yeux, le sang

  Sont autant de fusées surgissant d’un cratère.

  Adieu! C’est le matin blanchi comme un brisant.

  Ô mains qui voudriez vous meurtrir à l’amour

  Nous saurons vous donner le plus rouge baptême

  Près duquel pâliront le feu des hauts fourneaux

  Et le soleil mourant au sein des brouillards blêmes.

  Les plus beaux yeux du monde ont connu nos pensées,

  Nous avons essayé tous les vices fameux,

  Mais les baisers et les luxures insensées

  N’ont pas éteint l’espoir dans nos cœurs douloureux.

  Je vis alors s’ouvrir des portes de cristal

  Sur le cristal plus pur d’un fantôme adorable:

  «Jetez dans le ruisseau votre cœur de métal

  «Et brisez les flacons sur le marbre des tables!

  «Crevez vos yeux et vos tympans; et que vos langues

  «Par vos bouches crachées soient mangées par les chiens,

  «Dites adieu à vos désirs, bateaux qui tanguent,

  «Que vos mains et vos pieds soient meurtris par des liens!

  «Soyez humbles, perdez au courant de vos transes

  «Votre espoir, votre orgueil et votre dignité

  «Pour que je puisse encore augmenter vos souffrances

  «Instituant sur vous d’exquises cruautés.»

  C’est elle qui parla. C’est aussi l’amoureuse,

  C’est le cœur de cristal et les yeux sans pitié,

  Les plus beaux yeux du monde, ô sources lumineuses,

  La belle bouche avec des dents de carnassier.

  Enfonce tes deux mains dans mon cerveau docile,

  Mords ma lèvre en feignant de m’offrir un baiser,

  Si la force et l’orgueil sont des vertus faciles,

  Dure est la solitude à 1’amour imposée.

  Je parlais d’un fantôme et d’un oiseau qui tombe,

  Mon rêve perd les mots que ma bouche employait.

  La prairie où je parle est creusée par les tombes

  Et 1’écho retentit du bruit clair des maillets.

  On dresse l’échafaud dans la prison prochaine.

  Le condamné qui dort dans un lit trop étroit

  Rêve des grands corbeaux qui survolaient la plaine

  Quand il y rencontra le désir et l’effroi.

  Ces deux spectres zélés cheminaient côte à côte

  Déchirant leur manteau et leur face aux branchages,

  De faux amants frappés sans merci par leur faute

  À leur suite faisaient un long pèlerinage.

  Des incendies sifflaient sur les toits des hameaux.

  Les poissons attirés par de célestes nasses

  Montaient avec lenteur à travers les rameaux.

  Des bûcherons sortaient de leurs chaumières basses.

  Le condamné qui dort parlait avec 1’un d’eux,

  Plus spectral que le chêne où se plantait la hache:

  «Ecoutez, disait-il, mugir au loin les bœufs,

  Le vent qui souffle ici brisera leur attache.»

  Écoute jusqu’au jour la voix de la cruelle,

  Sa bouche à la saveur d’un fruit empoisonné,

  Le ciel et la montagne ou les troupeaux s’appellent

  Viennent de se confondre à nos yeux étonnés.

  Charmé par les oiseaux, et par 1’amour trompé,

  Dans de noirs corridors, sous de sombres portiques

  L’am
ant recherchera la marque de 1’épée

  Qu’Isis au cœur de feu dans son cœur a trempée…

  Ô lame au fil parfait, sœur des fleuves mystiques!

  L’oiseau qui chantait pour elle

  Dans sa cage ne chante plus

  Et la reine des hirondelles

  Ne tourne plus, ne tourne plus.

  Un jour j’ai rencontré le vautour et l’orfraie.

  Leur ombre sur le sol ne m’a pas étonné.

  J’ai déchiffré plus tard sur des remparts de craie

  L’initiale au charbon d’un nom que je connais.

  Un vampire a frappé ma vitre de son aile:

  Qu’il entre, couronné des algues de l’étang,

  Avec son beau collier de vives coccinelles

  Qui prédisent l’amour, la pluie et le beau temps.

  Coucher avec elle

  Pour le sommeil côte à côte

  Pour les rêves parallèles

  Pour la double respiration

  Coucher avec elle

  Pour l’ombre unique et surprenante

  Pour la même chaleur

  Pour la même solitude

  Coucher avec elle

  Pour l’aurore partagée

  Pour le minuit identique

  Pour les mêmes fantômes

  Coucher coucher avec elle

  Pour l’amour absolu

  Pour le vice pour le vice

  Pour les baisers de toute espèce

  Coucher avec elle

  Pour un naufrage ineffable

  Pour se prostituer l’un à l’autre

  Pour se confondre

  Coucher avec elle

  Pour se prouver et prouver vraiment

  Que jamais n’a pesé sur l’âme et le corps des amants

  Le mensonge d’une tache originelle

  Toujours avoir le plus grand amour pour elle

  N’est pas difficile

  Mais tout est douteux pour les cœurs de feu, pour les cœurs fidèles

  Toujours avoir le plus grand amour

  Y a-t-il des trahisons involontaires

  Non la chair n’est jamais menteuse

  Et le corps du plus vicieux reste pur

  Pur comme le plus grand amour pour elle

  Dans mon seul cœur il fleurit sans contrainte

  Nulle boue jamais n’atteignit l’image de celle

  La seule aimée dans le cœur de l’amant.

  Nulle boue jamais n’atteignit le plus grand amour pour elle

  C’est pour sa pureté qu’on admire le diamant

  Nulle boue ne tache le diamant ni le cœur de celle

  La plus aimée dans le cœur de l’amant

  Le plus sincère amant capable du plus grand amour

  N’est pas un chaste ni un ascète ni un puritain

  Et s’il éprouve le corps des plus belles

  C’est qu’il sait bien que le plus beau est celui de l’aimée

  Le plus sincère amant est un débauché

  Sa bouche a connu et éprouvé tous les baisers

  Se livrerait-il à tous les vices

  Il n’en vaudrait que mieux

  Car le plus sincère amant s’il n’est pas aimé par celle qu’il aime

  Peu lui importe, il l’aimera

  Eternellement désirera d’être aimé

  Et d’aimer sans espoir deviendra pur comme un diamant.

  Tout son corps ne sera qu’une proie décevante

  Pour les fausses amantes et pour les faux amours

  Et sans pitié

  L’amant le véritable sacrifiera tout pour celle qu’il aime

  Qu’importe s’il a toujours le plus grand amour pour elle

  Au jour de la rencontre désirée

  Il sera plus pur que l’aube et le feu

  Et prêt pour l’extase

  Toujours avoir le plus grand amour pour elle

  Il n’y a pas de trahison corporelle

  Et que ton cœur batte toujours pour elle

  Que tes yeux se ferment sur son unique image.

  Être aimé par elle

  Nul bonheur nulle félicité

  Désir pas même

  Mais volonté ou plutôt destin

  Être aimé par elle

  Non pas une nuit de toutes les nuits

  Mais à jamais pour l’éternel présent

  Sans paysage et sans lumières

  Être aimé par elle

  Écrit dans les signes du temps

  Malgré tout contre antan et futur

  À jamais

  Mais pour être aimé par elle

  Faut-il perdre jusqu’a l’amour

  La vie n’en parlons pas

  L’amour l’amour non plus

  Être aimé par elle

  C’est inévitable

  Pas de chants pas de cris

  Nul sentiment

  Être aimé par elle

  Marbre impassible Mers figées Ciels implacables

  Mais attendre attendre longtemps attendre encore

  Attendre? nié par l’éternité.

  Mourir après elle

  Est le rôle dévolu à l’amant

  À lui seul le droit suprême

  De graver un nom sur une pierre périssable

  De graver un nom sur un arbre périssable

  Et de s’éteindre pour jamais

  S’éteindre lui après elle

  Mais l’amour le plus grand amour

  Brûlera comme une flamme éternelle.

  Depuis de si longs mois, ma chère, que je t’aime

  Pourquoi ne pas vouloir connaître mes travaux?

  Si mes jours sont soumis à de mornes systèmes

  Mes nuits sont escortées par de nobles prévôts.

  Dois-je veiller encore un bûcher renaissant,

  Si vif que le Phénix ne pourrait y survivre,

  Ou dois-je, naufragé, vers les vaisseaux passant

  Effeuiller sans raison les pages de ce livre?

  Dois-je m’anéantir pour éteindre ma foi?

  L’univers de mon rêve exalte ton image

  Mais les pays fameux que j’ai créés pour toi

  Seront-ils traversés mieux que par ton mirage?

  S’il faut mourir au pied des idoles rivales,

  Je suis prêt. Confessant ta cruelle grandeur

  Je mourrai si tu veux pour n’être en tes annales

  Que l’écho faiblissant d’une inutile ardeur.

  Je donne tout pour toi, jusqu’au cœur des fantômes,

  Soumis à mon fatal et délicieux tourment

  Quitte pour disparaître en deux lignes d’un tome

  Et sans être invoqué le soir par les amants.

  Je suis las de combattre un sort qui se dérobe,

  Las de tenter l’oubli, las de me souvenir

  Du moindre des parfums émanant de ta robe,

  Las de te détester et las de te bénir.

  Je valais mieux que ça mais tu l’as méconnu.

  Un jour d’entre les jours de soleil sur les roches

  Souviens-toi de l’amant dont le cœur était nu

  Et qui sut te servir sans peur et sans reproche.

  Attends-tu que j’aborde à de lointains rivages

  Pour dire en regardant tes genoux désertés:

  «Qui donc s’en est allé, j’ignore son visage

  «Mais pourquoi s’en va-t-il seul vers sa liberté?

  «Il faut le retrouver, serviteur infidèle,

  «L’enchaîner à mon bagne après l’avoir châtié

  «Et qu’il me serve encore avec un cœur modèle

  «Sans même pour sa peine é
prouver ma pitié.

  «Car je suis impérieuse et veux qu’on m’obéisse,

  «Nul ne doit me quitter sans être congédié.

  «Tant pis pour celui-là qui rentre à mon service

  «Si son orgueil hautain ne l’a pas répudié.

  «Je connais pour les cœurs des prisons fantastiques:

  «Que l’amant fugitif y retourne au plus tôt

  «Car il me faut ce soir de nombreux domestiques

  «Pour cirer mes souliers et m’offrir le manteau.»

  À quoi bon? L’évadé connaît bien sa prison.

  Sans doute a-t-il choisi de trop précieux otages

  Pour vouloir à nouveau te payer sa rançon:

  Les trésors d’un cœur pur ne souffrent pas partage.

  Évade-toi de l’eau, des prisons, des potences,

 

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