Adieu, je partirai comme on meurt un matin.
Ce ne sont pas les lieues qui feront la distance
Mais ces mots: Je l’aimais! murmurés au lointain.
Adorable signe inscrit dans les eaux mortes
Profondeurs boueuses
Ô poissons qui rôdez autour des algues
Où est la source que j’entends couler depuis si longtemps et que je n’ai jamais rencontrée
Qui ferme sans cesse des portes lourdes et sonores?
Eaux mortes Source invisible.
Criminel attends-moi au détour du sentier parmi les grandes ciguës.
Pareilles aux nuages les soirées sans raison naissent et meurent avec ce tatouage au-dessus du sein gauche: Demain
L’eau s’écoule lentement par une fêlure de la bouteille où les plus fameux astrologues viennent boire l’élixir de vie
Tandis que l’homme aux yeux clos ne sait que répéter: «Une cigogne de perdue deux de retrouvées»
Et que les ciguës se fanent dans l’ombre du rendez-vous
Et que demain ponctuel mais masqué en costume de prud’homme ouvre un grand parapluie rouge au milieu de la prairie où sèche le linge des fermières de l’aube.
Blêmes effigies fantômes de marbre dressés dans les palais nocturnes
Une lame de parquet craque
Une épée tombe toute seule et se fiche dans le sol
Et je marche sans arrêt à travers une succession
De grandes salles vides dont les parquets cirés ont le reflet de l’eau.
Il y a des mains dans cette nuit de marais
Une main blanche et qui est comme un personnage vivant
Et qui est la main sur laquelle je voudrais poser mes lèvres et où je n’ose pas les poser.
Il y a les mains terribles
Main noircie d’encre de l’écolier triste
Main rouge sur le mur de la chambre du crime
Main pâle de la morte
Mains qui tiennent un couteau ou un revolver
Mains ouvertes
Mains fermées
Mains abjectes qui tiennent un porte-plume
Ô ma main toi aussi toi aussi
Ma main avec tes lignes et pourtant c’est ainsi
Pourquoi maculer tes lignes mystérieuses
Pourquoi? plutôt les menottes plutôt te mutiler plutôt plutôt
Écris écris car c’est une lettre que tu écris à elle et ce moyen impur est un moyen de la toucher
Mains qui se tendent mains qui s’offrent
Y a-t-il une main sincère parmi elles
Ah je n’ose plus serrer les mains
Mains menteuses mains lâches mains que je hais
Mains qui avouent et qui tremblent quand je regarde les yeux
Y a-t-il encore une main que je puisse serrer avec confiance
Mains sur la bouche de l’amour
Mains sur le cœur sans amour
Mains au feu de l’amour
Mains à couper du faux amour
Mains basses sur l’amour
Mains mortes à l’amour
Mains forcées pour l’amour
Mains levées sur l’amour
Mains tenues sur l’amour
Mains hautes sur l’amour
Mains tendues vers l’amour
Mains d’œuvres de l’amour
Mains heureuses de l’amour
Mains à la pâte hors l’amour horribles mains
Mains liées par l’amour éternellement
Mains lavées par l’amour par des flots implacables
Mains à la main c’est l’amour qui rôde
Mains liées par l’amour éternellement
Mains pleines c’est encore l’amour
Mains armées c’est le véritable amour
Mains de maître mains de l’amour
Main chaude d’amour
Main offerte à l’amour
Main de justice main d’amour
Main forte à l’amour!
Mains Mains toutes les mains
Un homme se noie une main sort des flots
Un homme s’en va une main s’agite
Une main se crispe un cœur souffre
Une main se ferme ô divine colère
Une main encore une main
Une main sur mon épaule
Qui est-ce?
Est-ce toi enfin?
Il fait trop sombre! quelles ténèbres!
Je ne sais plus à qui sont les mains
Ce qu’elles veulent
Ce qu’elles disent
Les mains sont trompeuses
Je me souviens encore de mains blanches dans l’obscurité étendues sur une table dans l’attente
Je me souviens de mains dont l’étreinte m’était chère
Et je ne sais plus
Il y a trop de traîtres trop de menteurs
Ah même ma main qui écrit
Un couteau! une arme! un outil! Tout sauf écrire!
Du sang du sang!
Patience! Ce jour se lèvera.
Églantines flétries parmi les herbiers
Ô feuilles jaunes
Tout craque dans cette chambre
Comme dans l’allée nocturne les herbes sous le pied.
De grandes ailes invisibles immobilisent mes bras et le retentissement d’une mer lointaine parvient jusqu’à moi.
Le lit roule jusqu’à l’aube sa bordure d’écume et l’aube ne paraît pas
Ne paraîtra jamais.
Verre pile, boiseries pourries, rêves interminables, fleurs flétries,
Une main se pose à travers les ténèbres toute blanche sur mon front,
Et j’écouterai jusqu’au jour improbable
Voler en se heurtant aux murailles et aux meubles l’oiseau de paradis, l’oiseau que j’ai enfermé par mégarde
Rien qu’en fermant les yeux.
Jamais l’aube a grands cris bleuissant les lavoirs,
L’aube, savon trempé dans l’eau des fleuves noirs,
L’aube ne moussera sur cette nuit livide
Ni sur nos doigts tremblants ni sur nos verres vides.
C’est la nuit sans frontière et fille des sapins
Qui fait grincer au port la chaîne des grappins
Nuit des nuits sans amour étrangleuse du rêve
Nuit de sang nuit de feu nuit de guerre sans trêve
Nuit de chemin perdu parmi les escaliers
Et de pieds retombant trop lourds sur les paliers
Nuit de luxure nuit de chute dans l’abîme
Nuit de chaînes sonnant dans la salle du crime
Nuit de fantômes nus se glissant dans les lits
Nuit de réveil quand les dormeurs sont affaiblis.
Sentant rouler du sang sur leur maigre poitrine
Et monter à leurs dents la bave de l’angine
Ils caressent dans l’ombre un vampire velu
Et ne distinguent pas si le monstre goulu
N’est pas leur cœur battant sous leurs côtes souillées.
Nuit d’échos indistincts et de braises mouillées
Nuit d’incendies étincelant sur les miroirs
Nuit d’aveugle cherchant des sous dans les tiroirs
Nuit des nuits sans amour, où les draps se dérobent,
Où sur les boulevards sifflent les policiers
Ô nuit! cruelle nuit où frissonnent des robes
Où chuchotent des voix au chevet des malades,
Nuit close pour jamais par des verrous d’acier
Nuit ô nuit solitaire et sans astre et sans rade!
Dans tes yeux, dans ton cœur et dans le ciel aussi
Vois s’étoiler soudain l’univers imprécis,
La fissure grandir étroite et lumineuse
Comme si quelque fauve aux griffes paresseuses
Avait étreint la nuit et l’avait déchirée
(Mais la lueur sera pâle et lente la marée)
Des nervures courir dans le cristal fragile
Des fêlures mimer des couleuvres agiles
Qui rouleraient et se noueraient dans la lueur
Pâle d’une aube étrange. Ainsi lorsque le joueur
Fatigué de tourner les cartes symboliques
Voit le matin cruel éclairer les portiques
Maintes pensées et maints désirs presque oubliés
Maints éventails flétris tombent sur les paliers.
Tais-toi, pose la plume et ferme les oreilles
Aux pas lents et pesants qui montent l’escalier.
La nuit déjà pâlit mais cette aube est pareille
À des papillons morts au pied des chandeliers.
Une tempête de fantômes sacrifie
Tes yeux qui les défient aux larmes du désir.
Quant au ciel, plus fané qu’une photographie
Usée par les regards, il n’est qu’un long loisir.
Appelle la sirène et l’étoile à grands cris
Si tu ne peux dormir bouche close et mains jointes
Ainsi qu’un chevalier de pierre qui sourit
À voir le ciel sans dieux et les enfers sans plainte.
Ô Révolte!
THE NIGHT OF LOVELESS NIGHTS
Night of glaciation horrendous night putrescent
Night of febrile phantom rotting greenery
Night of white-hot well-shafts blazing incandescent
Dark without the lightning, lies and trickery
Who gazes on me in the rivers’ loud cascades?
Corpses, sailors, fishermen? Burst yourselves, you tumours
Malignant on the skin of transitory shades;
Those eyes have watched me – shout aloud, you clamours! –
They saw me in the city, that day, by setting sun:
Chestnut-trees threw shadows where great edifices rise,
Flags clack-clacked on towers, and summer nearly done
Piled up its harvest-fruits for annual sacrifice.
You who vomit serpents, you’ve come a weary way,
A cold-blooded killer but of course a hero too.
The lover goes out painlessly. You self-made fellow, say,
Self-slayer, do you blush, that bliss entices you?
Ghost, my mirror’s glassy-cold, where hearts are dripping blood!
Night drags out its darkness by the frigid cerement:
Love re-cooked, warmed over, like a dubious orange-hood,
And a loving lady with a man who’s impotent.
Yet I do not reckon you as one whom I despise.
We shall hug in warm embrace, a handshake too we’ll share,
Among love-letters, ribbons, and combs, and fripperies:
Those knees of yours have never been besmirched by prayer.
On the beach you searched below the rampant sea-cliffs there,
Traced the creek where ocean stars go plummeting to ground.
Night had fallen: points of fire careered through frozen air.
Dreamer in the salt-pans, you saw them circle round,
While the sky re-echoed, saw the frigate-birds in flight,
Swooping to their splashdown, unbelievably:
Nameless and tumultuous. Where’s that night tonight?
Waves, reload your cannon! Targets crowd the sky.
You were chained in servitude to female martinets,
Women whose bewitching hair can charm the colibri,
Women stony-breasted, a fateful hiding-place,
Women of the downy necks, nests of mystery,
Women swimming naked from a midnight shipwrecked hull,
Women of the firestorm, women of the wild,
Women aged before their time by loves unseasonal,
Women who are liars, though their eyes are undefiled.
Women ample-hearted, or poised on shapely limbs,
Women of nefarious and subtly smiling lips,
Women of sweet nature whose diamond never dims,
Women promenading with undulating hips,
Women with tight trousers clinging to their thighs,
Women with white panties underneath a skirt
Leaving free a little flesh, purposeful surprise,
In between the garter and the frills that float and flirt,
Women that you followed, in hope, or diffident,
Women that you followed, not a glance was offered back:
While the wilting posies they threw you as they went
Led you on for ages, to follow in their track.
You will follow doggedly till you or they are dead,
Bleary-eyed from staring into harsh obscurities,
Seeing how the dawn lights the heaven of their bed,
Sheltering their shadow in the closing of your eyes.
Roses between their teeth, doe-eyes of caresses,
With cruel hands they shall attack without remorse,
Torture your core, get your blood in bloody messes,
Seemingly to punish you for fighting in their cause.
Happy could it only be enough, to win their love,
Not to weaken faced with peril’s mysteries,
Keeping heart and soul with fortitude to prove,
To discern the love-light in their flashing eyes,
But the most audacious, never the sincerest,
Plunder, gobble-mouthed, mouthing pledges to the air:
Their smiles entice our thoughts, as prows pursue chimeras,
Those bright resplendent smiles, that bobbing hair.
For love and its pangs have a tyranny all their own:
Uniquely possessed is a passion-driven soul.
Many years of torture, that’s all that some have known,
Some who by misfortune accepted love’s control.
Others chase it, see how it metamorphoses:
Baby-blue eyes that become a death-black pair,
Glinting from a face full of wilting roses,
Deeper than the heavens, and deeper than despair.
Master of their sleeping and their sleepless reveries,
Love has dragged the lot of them through countries by the score,
Disembowelled oceans and epiphanies…
High tide, the water’s up, the star is bright no more.
Once a person told me that, lost among the floes,
In a mountain cauldron where the ocean was remote,
He was watching, smokeless and steady as she goes,
Hung about with flags, an enormous packet-boat.
High in the rigging the seabirds were screaming,
Jack-tars in the shrouds shinned silent up and down.
All along the stowage there were dancing-girls dreaming:
Each wore a turban and an evening gown.
At their throats were necklaces of icy brilliance,
Wrists all bejewelled waving ostrich-feather fans
Click-clacked to go ashore where masquerade cotillions
Blushed red on portals and on barbicans.
Male dancers, melancholy, broken and grieving,
Likened their desires in their dreams to steel.
High in the mountains, on a night of raving,
The glaciers were guiding great clouds downhill.
Down in a clearing, someone else discovered,
Hemmed about by fir-trees, a rose-bush in flower.
How many blood-r
ed roses had he gathered,
Till he slept on mosses in the night’s last hour?
That uncanny landscape on his eyes was leaving
Imprints of a vision and his failing heartbeat chose
This place to cease from its chicken-hearted heaving,
Sequestered in the essences of wild thyme and rose.
Since the days we sang, when our voices all resounded,
Through these peculiar lands we’ve made our way.
Loving women questioned us and echoes responded
In words of simple meanings that we used every day.
But, now that night has come crumbling down around us,
In our hearts these words acquire an eerie resonance.
Sometimes repetitive in memory they hound us,
Then we disobey their imperious commands.
Can you hear those voices that sing in the sierras,
Sounds of battle-trumpet and of hunting-horn?
Why is our only song the chain-gang’s chorus,
While forever blaring the dismal sirens warn?
Might it be Don Juan on the prowl in every alley
Where the shadows mingle with love’s spectral revenants:
Footfall that goes echoing through nights of melancholy,
Did it stamp on human hearts a bruising dominance?
Surrealist, Lover, Resistant Page 16