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Surrealist, Lover, Resistant

Page 40

by Robert Desnos


  ET DU VENT FERMANT SES CISEAUX.

  A S’ENDORMIR À LA LÉGÈRE,

  SUR LA TERRE, DANS QUEL FOUILLIS,

  TERRIENS, SOMBREZ-VOUS? LA FOUGÈRE

  S’ÉCROULE EN PANIERS DE LINGÈRE

  DANS UNE ARMOIRE DE TAILLIS

  BRODÉS DE SOIE OÙ S’EXAGÈRE

  LA LUMIÈRE, HORS DU MANTEAU,

  DE TA CHAIR, NYMPHE CALIXTO.

  Hors du manteau, la lumière

  De ta chair, nymphe Calixto,

  En pleine étoile se libère

  Du clair de jour et nous éclaire

  Tard ou, suivant la saison, tôt.

  Mais qu’importe si l’on préfère,

  Jailli du manteau de ta chair,

  Ton cœur lui-même sombre et clair.

  Que l’éclair sombre sur les rives

  Où ta chair décline un couchant

  Érotique au ciel où s’inscrivent

  Nord, Sud, Est, Ouest et leurs dérives

  Et les ourses qui dans ce champ

  Vont brouter des herbes cursives,

  Aurores, nuages, lueurs

  Et boire aux rêves les sueurs.

  C’est l’heure où les robes s’écroulent,

  Où les cuisses, le ventre rond,

  Un sourire sous la cagoule,

  Les hanches, la croupe qui roule

  Vigne promise au vigneron,

  Au bain de la nuit qui s’écoule

  S’abandonnent dans les baisers

  Et s’irritent pour s’apaiser.

  Avec des femmes que j’ignore,

  Ô mes amis d’Outre-Océan,

  Sous un plafond de météores

  Vous déterrez la mandragore.

  Je suis toujours du même clan,

  Je guette au même sémaphore,

  Nymphe prétexte, Calixto,

  Le prochain signal de morte-eau.

  Que ton chariot, avec ses roues,

  Ne puisse franchir l’horizon,

  Ou qu’Artémis, le vent en proue,

  Te rencontre en ourse garoue

  Et t’ajoute à ses venaisons,

  Que ton sang colore la boue

  Avec celui, ô libation,

  Du fruit de ta parturition

  Au ciel des couches solitaires

  Enfantant des rêves de feu

  Ou de glace ou sentant la terre.

  Sur les étreintes adultères,

  Sur l’équivoque et sur le jeu

  Dessinant ton quadrilatère,

  Tu es froide comme le Nord,

  Nymphe en peine, vaisseau sans port.

  Depuis longtemps tu fais la bête

  Mais la belle est sous le manteau,

  Ainsi dans le poisson l’arête,

  Ainsi sous ta chair le squelette

  Sur quoi se brise le couteau,

  Ainsi la pensée en ta tête,

  Le souvenir, le vœu, l’espoir,

  La lumière pour mieux voir.

  Et de même sous le langage

  Se dissimulent maints secrets.

  La toute belle en ses bagages

  Cache l’étoile aux bons présages

  Et le prisonnier aux aguets,

  Rêve de belle et de voyages

  Comme aux jours de la nef Argo

  Dont les marins parlaient argot.

  Au rif d’abord, sans qui les châsses

  N’auraient plus que dalle à bigler

  Et seraient creuses comme un glasse

  Lorsque le siffleur en a clâsse,

  Au rif d’abord, la bonne clé

  Ouvrant les lourdes pour la câsse,

  Au rif d’abord, donnons condé

  Pour cronir ceux qui sont ladé.

  À la tardé, dans le silence,

  Amis, c’est pallas d’esgourder

  À la source, bonir la lance.

  À la tardé, pourtant méfiance

  Car elle peut tout inonder

  Tout estourbir dans sa violence.

  Ah! Que la lance à la tardé

  Maccabe ceux qui sont ladé.

  Pour escoffier ces yeux de bronze,

  Que l’air se frime en pur cambouis

  Avant qu’ils prennent le train onze.

  Et qu’il les sale et les déronce,

  Les entubant jusqu’aux ripouis,

  Jusqu’au battant, jusqu’aux engonces!

  Qu’il soit bléchard et débridé

  Pour pourrir ceux qui sont ladé.

  Quant au bouzin, quant à la crotte

  Qui pavoise et fait son persil,

  Lorsque la moulana bagotte

  À fond de baba sur les mottes,

  Que son bide en soit bien farci,

  Et que jamais ils n’en déhottent.

  Qu’elle soit un Bagneux fadé

  Pour saper ceux qui sont ladé!

  La grande borgne est loucedoque!

  C’est encor marre pour leur blot

  Lorsque, mettant les loucepoques,

  Ils chialeront la lousseroque

  De les assister au pajot

  Tant ils auront la loussefroque

  De voir les largues en pétard

  À labactem les passer dar.

  Notre sorgue à nous sera douce,

  Toute au béguin, toute aux bécots.

  Sans gaffer rien, même la rousse,

  Nous pioncerons jusqu’à plus pouce.

  Même n’ayant qu’un monaco

  Nous le piccolerons sans frousse

  Tandis que les vers de sapin

  Leur boufferont châsses et tarin.

  Mais plus vif que rif, air, bouzin, lance

  Feront les pognes des butteurs

  Pour liquider la connivence

  Et le sapement en instance.

  C’est le boniment des lutteurs

  Le cri des piafs, le jour de danse

  Le coup de bambou au château,

  C’est du billard, c’est du gâteau.

  Mais toi Calixto la grande ourse

  N’aurais-tu pas largué ton bled?

  Icicaille à tes grandes ourses,

  Le raisiné cascade à sources

  Rien n’est plus droit, tout est en Z.

  Comme des faisans à la Bourse,

  Les demi-sels se croient des mecs.

  Mektoub! un jour ils l’auront sec.

  Car le trèpe est toujours le trèpe,

  Il la boucle et prend ses biftons

  Pour régler leur compte à ces crèpes,

  Visant leur mesure de crêpe

  Pour le jour de la Saint-Bâton.

  Elle n’est pas folle la guêpe

  Qui, dans la noye, ô Calixto

  Entrave ce jour pour bientôt.

  Les clignotantes dans la sorgue

  En attendant font leur tapin,

  Le bourguignon fait ronfler l’orgue

  Pendant que se bourre la morgue,

  Le piaf des bois gouale aux lapins

  Et le piscaille à pleines forgues

  Ripe en fusant dans les coinstos

  Où le flot frise et fait château.

  DANS L’ALLÉE où la nuit s’épaissit sous les chênes

  Le pas lent d’un cheval retentit et, parfois

  S’attarde. Un son de cor s’efface dans la plaine

  Et les arbres jumeaux grincent de tous leur bois

  Comme le brodequin qu’aux mises en géhenne

  On serrait sur le pied d’un captif aux abois.

  Chambre ardente, réveils quand les hommes de peine

  Chargent douze fusils pour outrager les lois.

 
Dans l’allée, à travers les feuilles de Septembre,

  Je vois briller des nœuds d’étoiles à tes membres

  Comme des feux de quart sur le pont des bateaux.

  J’entends chanter un chant de meurtre et de torture

  Par la coque et la barre et le bruit des mâtures

  Imite un brodequin faisant craquer des os.

  PAR LES ARBRES brisée en ténébreuse écume

  La nuit connaît une agonie et sa fureur

  Se transforme en cyclone où la flamme s’allume,

  D’où le vent est absent, où le calme est terreur.

  Tout est silence alors. La nébuleuse fume

  Au trépied d’un destin convoité par la peur,

  Le feu danse et, déjà, le marteau sur l’enclume

  Attend le forgeron pour le dernier labeur.

  Un milliard d’êtres souhaitaient voir ce spectacle

  Et voici qu’en la nuit, où les constellations

  Se rangent sans erreur en forme de pentacles,

  Tout s’accomplit tandis que tout dort, homme ou femme;

  Ah! que le jour se lève à la fin de l’action

  Et je leur montrerai les vestiges du drame.

  L’AUBE À LA FIN S’ENFUIT d’une cruche brisée

  Quand tu trébuches, Calixto, et ta lanterne

  Change et le paysage, avec lui-même, alterne

  Révélant des tessons sur la terre baisée.

  Tes baisers Calixto dans la vague alizée

  Sont roulés et polis et tes yeux dans leur cerne

  Sombrent à fond de larme et ton regard en berne

  N’atteint plus ton reflet sur la mer apaisée.

  Ourse, rejoins, c’est l’heure, une tanière obscure

  À force de soleil et, courbant l’encolure,

  Continue, invisible, à marcher par les airs.

  On entendra pourtant tes râles et tes plaintes

  Dans la vie où s’embrouille un fil de labyrinthe:

  Écoutez Calixto rugir dans son désert.

  QUE FUREUR soit ton cri! Les laves et les neiges

  Se mêlent dans ce cœur vomissant les rayons,

  Les dents mordant la langue et tranchant le bâillon

  Plus dures qu’à ta chair les mâchoires du piège.

  Et tournant et ruant autour de ton manège,

  Soleil d’algèbre et son moyeu de tourbillons

  Et tire et brise et scelle un à un les maillons

  D’une chaîne enserrant les membres du cortège.

  Râle, à quoi bon les cris, la bave et le salpêtre

  Un sommeil de mangeaille et de pourpre renaître

  Tu, vous, les autres, nous, clames, clamez, clamons,

  Trois serpents plein la gueule et l’averse d’ordure

  Qui tombe sur tes yeux et dans ta chevelure.

  Le jour qui t’effaça disperse les démons.

  CESSE, ô Calixto, de crier qu’un ciel, ce ciel, est ton exil

  Loin de l’amant olympien, celui qui ouvrit ta tunique.

  (Car tu en as fait de belles sur terre aux jours de ton avril

  Avant de sentir dans ta chair, non la chair, mais la flèche antique)

  Un pape ou deux, à l’opposé, au dernier jour de la semaine,

  Cherchent au fond des catacombes le chemin de ton domaine.

  La belle engeance de tomber dans des abîmes de ténèbres

  Que le vin, lui-même banni, ne peut briser à coups de trique.

  Bel avantage! renoncer à l’ivresse de ton algèbre

  Si on ne la retrouve, ô Calixto, dans le fond des barriques.

  Ah! que le destin nous préserve toujours du pain sans levain,

  Des nuits sans rêves, des ciels sans astres et des caves sans vin.

  Mais ris, ô Calixto, de celui qui espère après sa mort

  Retrouver le souvenir de ses amours avec sa conscience:

  Autant enterrer le cheval avec sa bride, avec son mors,

  Et cependant la mort ainsi ne sera que nuit et silence.

  Le système du monde et la morale ont chacun leur ornière,

  Crimes ou vertus, rien d’humain ne change ton itinéraire.

  N’attendre rien ni châtiment, ni récompense ici ou là

  Et que ce là, soit haut ou bas, à la vertu plumer les ailes

  Afin de retrouver, sous son travesti d’ange à falbalas,

  Avec la volupté, sa chair et son sourire de femelle

  Et la liberté sans laquelle il n’y a pas de vertu qui tienne.

  Mais, Calixto, tout cela n’appartient qu’à la raison humaine.

  Et s’il est une cause au tourbillon d’étoiles et d’atomes

  Éparpillés dans ce que nous savons d’un récent univers,

  Cause peut-être morte, ensevelie au fond de tant de psaumes,

  Ressemble-t-elle à notre image? a-t-elle aussi squelette et chair,

  Non, sans doute mais, si elle est, elle est indifférente à nous,

  À nos vertus et à nos lois. Époussetez donc vos genoux!

  Captive d’un paysage en perpétuelle dégradation

  C’est au chant des oiseaux, c’est au chant des moissons et des fontaines

  Que se tisse autour de ton corps cette robe de permission

  Qui t’habille à minuit et qui sonne et tinte comme des chaînes

  Froide comme le nord, chaude comme la mort, longue comme elle,

  Que nous dégrafons, Calixto, dans un rêve au tien parallèle.

  Et nous-mêmes, captifs de ce même univers et de sa chute,

  Même à sourire, condamnés, de tout ce que nous ignorons,

  Nous sourirons à l’ange avec lequel nous entamons la lutte,

  Ange fantôme, ange illusoire, ange menteur et fanfaron

  Qui, sans doute, vaincra mais qui ne connaîtra pas le laurier

  Tant une minute de vie a triomphé du meurtrier.

  Qu’il soit donc le cadavre bête, à la main gardant le couteau

  Sur quoi la rouille, avec le sang, compose un visage et son masque,

  Le sphinx à tête d’âne et muet, abandonné sur un coteau,

  Carcasse d’un épouvantail qui s’incline dans la bourrasque.

  N’y touchez pas, les vers eux seuls lui donnent vie et feu et cendre;

  Il ne s’anime que si nous tentons, contre eux, de le défendre.

  Surtout taisez-vous! Lui parler serait bêtise et temps perdu

  Mais, dans l’empreinte pleine d’eau de son pied dans la terre molle,

  Par ton image, Calixto, comme un œil le ciel est fendu.

  L’oiseau vient boire à la fois l’ombre et la lumière en sa corolle,

  Le dernier relent des charniers le vent l’emporte et le disperse,

  Le sol palpite comme un ventre et pressent la prochaine averse.

  TU VIENS AU LABYRINTHE où les ombres s’égarent

  Graver sur les parois la frise d’un passé

  Où la vie et le rêve et l’oubli, espacés

  Par les nuits, revivront en symboles bizarres.

  Je viens au labyrinthe où, plus gros qu’une amarre,

  Se noua le vieux fil avant de se casser.

  Ses deux bouts sur le sol roulent sans se lasser

  Tout se tait, mais je sens naître au loin la fanfare.

  Tu viens au labyrinthe et, d’un pas sans défaut,

  Du seuil au seuil tu vas, tu passes sans assaut,

  Ton être se dissout dans sa propre légende.

  Je viens au labyrinthe oublier mes cinq sens.

  J’ai choisi le courant sans en choisir le sens.

  La fanfare s’éteint avant que je l’entende.

  SUR LE BORD DE L’ABÎME où t
u vas disparaître,

  Contemple encore la rose, écoute la chanson

  Qu’autrefois tu chantais au seuil de ta maison

  Vis encore un instant consenti à ton être.

  Et puis tu rejoindras dans l’oubli tes ancêtres,

  Ô passante! Et passée avec tant de saisons

  Tu te perdras dans la planète et ses moissons.

  Ne va pas espérer pourtant un jour, renaître.

  Une étoile filante, au fond des temps, rejoint

  Maintes lueurs, maints crépuscules et maints points

  Du jour au bord d’un fleuve où tu te désappris.

  La matière est, en toi, consciente d’elle-même,

  Au loin l’écho se tait qui répétait «je t’aime»

  Et le pur mouvement n’émeut plus nul esprit.

  ABANDONNONS à toi, rivière,

  De nous, l’infidèle reflet

  Que tu laves, que tu lacères,

  À qui tu restes étrangère

  Et que tu laisses aux galets.

 

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