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Selected Poems (Penguin Classics)

Page 19

by Charles-Pierre Baudelaire


  Pendant que des mortels la multitude vile,

  Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,

  Va cueillir des remords dans la fête servile,

  Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,

  Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,

  Sur les balcons du ciel, en robes surannées;

  Surgir du fond des eaux le Regret souriant;

  Le Soleil moribond s’endormir sous une arche,

  Et, comme un long linceul traînant à l’Orient,

  Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

  * * *

  Self-Communion

  Calm down, Sorrow dear, and be at peace; you said you wanted Evening; it’s coming; here it is: a shadowy atmosphere is enfolding the city, bringing peace to some and to others cares.

  While the vile throng of mortals, flying before the whip of Pleasure, that merciless torturer, goes gathering remorse in the slavish carnival, you, Sorrow dear, give me your hand, come over here,

  Away from them. Look, see the departed Years leaning out from the balconies of heaven, in old-fashioned dresses; see, rising from the depths of the waters, smiling Regret;

  The dying Sun going to sleep under an arch, and, like a long shroud trailing in the East, listen, darling, listen to soft Night approaching.

  90 Les Plaintes d’un Icare

  Les amants des prostituées

  Sont heureux, dispos et repus;

  Quant à moi, mes bras sont rompus

  Pour avoir étreint des nuées.

  C’est grâce aux astres nonpareils,

  Qui tout au fond du ciel flamboient,

  Que mes yeux consumés ne voient

  Que des souvenirs de soleils.

  En vain j’ai voulu de l’espace

  Trouver la fin et le milieu;

  Sous je ne sais quel œil de feu

  Je sens mon aile qui se casse;

  Et brûlé par l’amour du beau,

  Je n’aurai pas l’honneur sublime

  De donner mon nom à l’abîme

  Qui me servira de tombeau.

  * * *

  The Complaints of an Icarus

  The lovers of prostitutes are happy, healthy and sated; as for me, my arms are broken from having embraced clouds.

  It’s thanks to the matchless stars that blaze in the furthest skies that my burnt-out eyes now see only memories of suns.

  In vain I tried to find the limits and centre of space; under some unknown fiery eye I feel my wing breaking;

  And, consumed by the love of the beautiful, I shall not have the sublime honour of giving my name to the abyss that will be my tomb.

  91 L’Examen de Minuit

  La pendule, sonnant minuit,

  Ironiquement nous engage

  A nous rappeler quel usage

  Nous fîmes du jour qui s’enfuit:

  – Aujourd’hui, date fatidique,

  Vendredi, treize, nous avons,

  Malgré tout ce que nous savons,

  Mené le train d’un hérétique.

  Nous avons blasphémé Jésus,

  Des Dieux le plus incontestable!

  Comme un parasite à la table

  De quelque monstrueux Crésus,

  Nous avons, pour plaire à la brute,

  Digne vassale des Démons,

  Insulté ce que nous aimons

  Et flatté ce qui nous rebute;

  Contristé, servile bourreau,

  Le faible qu’à tort on méprise;

  Salué l’énorme Bêtise,

  La Bêtise au front de taureau;

  Baisé la stupide Matière

  Avec grande dévotion,

  Et de la putréfaction

  Béni la blafarde lumière.

  Enfin, nous avons, pour noyer

  Le vertige dans le délire,

  Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,

  Dont la gloire est de déployer

  L’ivresse des choses funèbres,

  Bu sans soif et mangé sans faim!…

  – Vite soufflons la lampe, afin

  De nous cacher dans les ténèbres!

  * * *

  The Midnight Examination

  The clock, striking midnight, ironically invites us to recall what use we made of the departing day. – Today, on the fateful date of Friday the thirteenth, we, in spite of all we know, lived like a very heretic.

  We blasphemed Jesus, the most undeniable of Gods; like a parasite at the table of some monstrous Croesus, we, to please the brute, worthy vassal of the Demons, insulted what we love and flattered what disgusts us;

  A slavish torturer, we brought sadness to the poor man who is unjustly despised; we saluted enormous Stupidity, Stupidity with its bull’s forehead; we kissed dumb Matter with great devotion, and, faced with putrefaction, blessed its pale light.

  Finally, to drown vertigo in delirium, we, proud priest of the Lyre, whose glory it is to unfold the rapture of death and its appurtenances, instead drank without thirst and ate without hunger!… Quick, blow out the lamp and let us hide our shame in the darkness!

  OTHER VERSE POEMS

  92

  Je n’ai pas pour maîtresse une lionne illustre:

  La gueuse, de mon âme, emprunte tout son lustre;-

  Invisible aux regards de l’univers moqueur,

  Sa beauté ne fleurit que dans mon triste cœur.

  Pour avoir des souliers elle a vendu son âme;

  Mais le bon Dieu rirait si, près de cette infâme,

  Je tranchais du Tartufe et singeais la hauteur,

  Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur.

  Vice beaucoup plus grave, elle porte perruque.

  Tous ses beaux cheveux noirs ont fui sa blanche nuque;

  Ce qui n’empêche pas les baisers amoureux

  De pleuvoir sur son front plus pelé qu’un lépreux.

  Elle louche, et l’effet de ce regard étrange

  Qu’ombragent des cils noirs plus longs que ceux d’un ange,

  Est tel que tous les yeux pour qui l’on s’est damné

  Ne valent pas pour moi son œil juif et cerné.

  Elle n’a que vingt ans; la gorge déjà basse

  Pend de chaque côté comme une calebasse,

  Et pourtant, me traînant chaque nuit sur son corps,

  Ainsi qu’un nouveau-né, je la tette et la mords;

  Et bien qu’elle n’ait pas souvent même une obole

  Pour se frotter la chair et pour s’oindre l’épaule,

  Je la lèche en silence avec plus de ferveur

  Que Madeleine en feu les deux pieds du Sauveur.

  La pauvre créature, au plaisir essoufflée,

  A de rauques hoquets la poitrine gonflée,

  Et je devine au bruit de son souffle brutal

  Qu’elle a souvent mordu le pain de l’hôpital.

  Ses grands yeux inquiets, durant la nuit cruelle,

  Croient voir deux autres yeux au fond de la ruelle,

  Car, ayant trop ouvert son cœur à tous venants,

  Elle a peur sans lumière et croit aux revenants.

  Ce qui fait que de suif elle use plus de livres

  Qu’un vieux savant couché jour et nuit sur ses livres,

  Et redoute bien moins la faim et ses tourments

  Que l’apparition de ses défunts amants.

  Si vous la rencontrez, bizarrement parée,

  Se faufilant, au coin d’une rue égarée,

  Et la tête et l’œil bas comme un pigeon blessé,

  Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,

  Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d’ordure

  Au visage fardé de cette pauvre impure

  Que déesse Famine a, par un soir d’hiver,

  Contrainte à relever ses jupons en plein air.

  Cette bohème-là, c’est mon tout, ma richesse,

  Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,

  Celle qui m’a bercé sur son giron vainqueur,
>
  Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon cœur.

  * * *

  92

  My mistress is no society star: if she glitters, the tramp, it’s in the light reflected from my soul; invisible to the eyes of the mocking universe, her beauty flowers only in my sad heart.

  To buy shoes she sold her soul; but God above would laugh if, when I am with this disgraced creature, I played the hypocrite and affected high principles, when I sell my mind and want to be an author.

  What is much worse, she wears a wig. All her beautiful black hair has fled her white nape; but that does not stop amorous kisses from raining on her forehead, balder than a leper.

  She squints, and the effect of her strange look, shaded by black lashes longer than an angel’s, is such that all the eyes for which men have damned themselves cannot equal, for me, her Jewish eye with its black circle.

  She is only twenty; her already fallen bosom hangs down on both sides like a gourd, and still, dragging myself over her body each night, like a newborn baby I suck it and bite it;

  And even though she often does not have even a copper coin to rub her flesh and to grease her shoulder, I lick her silently, with more fervour than the burning Magdalen the Saviour’s two feet.

  The poor creature, breathless with pleasure, has her chest swollen with hoarse hiccups, and I can tell from the sound of her rough breath that she has often bitten the bread of the poor-hospital.

  Her wide-open, anxious eyes, during the cruel night, imagine they see two other eyes in the space beside the bed, for, having opened her heart too often to all comers, she is afraid of the dark and believes in ghosts.

  That’s why she gets through more pounds of tallow than an old scholar bent day and night over his books, and fears hunger and its torments much less than the apparition of her dead lovers.

  If you meet her, bizarrely got up, slipping by, round the corner of some forgotten street, carrying her head and eye low like a wounded pigeon and dragging a bare foot in the gutters,

  Gentlemen, do not spit oaths or foul words in the painted face of this poor fallen creature whom the goddess Famine reduced, one winter evening, to raising her skirts in the open air.

  That gypsy that you see is my everything, my treasure, my pearl, my jewel, my queen, my duchess; it is she who rocked me on her all-conquering lap and, between her two hands, warmed my heart back to life.

  93 [Drafts for an epilogue to the edition of 1861]

  [i] EPILOGUE

  Le cœur content, je suis monté sur la montagne

  D’où l’on peut contempler la ville en son ampleur,

  Hôpital, lupanar, purgatoire, enfer, bagne,

  Où toute énormité fleurit comme une fleur.

  Tu sais bien, ô Satan, patron de ma détresse,

  Que je n’allais pas là pour répandre un vain pleur;

  Mais, comme un vieux paillard d’une vieille maîtresse,

  Je voulais m’enivrer de l’énorme catin,

  Dont le charme infernal me rajeunit sans cesse.

  Que tu dormes encor dans les draps du matin,

  Lourde, obscure, enrhumée, ou que tu te pavanes

  Dans les voiles du soir passementés d’or fin,

  Je t’aime, ô capitale infâme! Courtisanes

  Et bandits, tels souvent vous offrez des plaisirs

  Que ne comprennent pas les vulgaires profanes.

  [ii]

  […]

  Anges revêtus d’or, de pourpre et d’hyacinthe,

  O vous! soyez témoins que j’ai fait mon devoir

  Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.

  Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,

  Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.

  * * *

  [i] EPILOGUE

  Content at heart, I went up into the high place from where one can look down on the whole expanse of the city, poor-hospital, brothel, purgatory, hell, prison,

  Where every outrage flourishes like a flower. You know, o Satan, patron of my distress, that I did not go there to shed an idle tear,

  But, like on old lecher with an old mistress, I wanted to drink deep of the immense whore, whose hellish charm never fails to restore me to youth.

  Whether you are still asleep in the sheets of morning, heavy, dark, your breathing blocked, or parading in the veils of evening embroidered with fine gold,

  I love you, infamous capital! Courtesans and bandits, thus you also often offer pleasures that the common uninitiated cannot understand.

  [ii]

  Angels clad in gold, in crimson and in hyacinth, o you! Bear witness that I did my duty like a perfect chemist and a holy soul. For from each thing I extracted its quintessence, you [Paris] gave me your mud and of it I made gold.

  PETITS POËMES EN PROSE

  94 L’Etranger

  «Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère?

  – Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.

  – Tes amis?

  – Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.

  – Ta patrie?

  – J’ignore sous quelle latitude elle est située.

  – La beauté?

  – Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.

  – L’or?

  – Je le hais comme vous haïssez Dieu.

  – Eh! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger?

  – J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages!»

  * * *

  The Stranger

  ‘Whom do you love best, puzzling man, tell us: your father, your mother, your sister or your brother?’

  ‘I have no father, no mother, no sister and no brother.’

  ‘Your friends?’

  ‘Now you are using a word whose meaning to this day remains unknown to me.’

  ‘Your country?’

  ‘I do not know in which latitude it lies.’

  ‘Beauty?’

  ‘I would willingly love her, were she a goddess and immortal.’

  ‘Gold?’

  ‘I hate it as you hate God.’

  ‘What do you love then, extraordinary stranger?’

  ‘I love the clouds… the passing clouds… there… there… the wonderful clouds!’

  95 Le Confiteor de L’Artiste

  Que les fins de journées d’automne sont pénétrantes! Ah! pénétrantes jusqu’à la douleur! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague n’exclut pas l’intensité; et il n’est pas de pointe plus acérée que celle de l’Infini.

  Grand délice que celui de noyer son regard dans l’immensité du ciel et de la mer! Solitude, silence, incomparable chasteté de l’azur! une petite voile frissonnante à l’horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite mon irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le moi se perd vite!); elles pensent, dis-je, mais musicalement et pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions.

  Toutefois, ces pensées, qu’elles sortent de moi ou s’élancent des choses, deviennent bientôt trop intenses. L’énergie dans la volupté crée un malaise et une souffrance positive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des vibrations criardes et douloureuses.

  Et maintenant la profondeur du ciel me consterne; sa limpidité m’exaspère. L’insensibilité de la mer, l’immuabilité du spectacle, me révoltent… Ah! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil! L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu.

  * * *

  The Artist’s Confiteor

  The close of autumn days, how penetrating they are! Oh! Penetrating to the point of pain! For there are some delicious
sensations whose vagueness does not preclude intensity; and there is no sharper point than that of the Infinite.

  What delight it is to dissolve one’s gaze in the immensity of the sky and the sea! Solitude, silence, incomparable chastity of the blue yonder! A little sail trembling on the horizon, in its tininess and its isolation an image of my irremediable existence, the monotonous melody of the waves, all these things are thinking through me, or I am thinking through them (for in the expanse of dreams the self is soon lost!); they think, I repeat, but musically and in a painterly fashion, without clever points, without syllogisms, without inferences.

  All the same, these thoughts, whether they come from me or spring out of things, soon become too intense. Violent pleasure creates a feeling of sickness and positive suffering. My nerves, too tense, now produce only shrill and painful vibrations.

  And now the depth of the sky appals me; its limpidity enrages me. The unfeeling sea, the unchanging spectacle, revolt me… Oh! must one suffer eternally, or eternally flee the beautiful? Nature, pitiless enchantress, ever-victorious rival, leave me alone! Stop tempting my desires and my pride! The study of the beautiful is a duel in which the artist cries out in fear before being defeated.

  96 La Chambre Double

  Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu.

 

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