Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons!
But no more tears. Dawns have broken my heart,
And every moon is torment, every sun bitterness;
I am bloated with the stagnant fumes of acrid loving—
May I split from stem to stern and founder, ah founder!
I want none of Europe's waters unless it be
The cold black puddle where a child, full of sadness,
Squatting, looses a boat as frail
As a moth into the fragrant evening.
Steeped in the languors of the swell, I may
Absorb no more the wake of the cotton-freighters,
Nor breast the arrogant oriflammes and banners,
Nor swim beneath the leer of the pontoons.
GUILLAUME APOLLINAIRE
Zone
A la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici mêmes les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui
chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures
policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
Zone
In the end you are weary of this ancient world
This morning the bridges are bleating Eiffel Tower oh herd
Weary of living in Roman antiquity and Greek
Here even the motor-cars look antique
Religion alone has stayed young religion
Has stayed simple like the hangars at Port Aviation
You alone in Europe Christianity are not ancient
The most modern European is you Pope Pius X
And you whom the windows watch shame restrains
From entering a church this morning and confessing your
sins
You read the handbills the catalogues the singing posters
So much for poetry this morning and the prose is in
the papers
Special editions full of crimes
Celebrities and other attractions for 25 centimes
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue
des Ternes
Voilà la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant
Ta mère ne t'habille que de bleu et de blanc
Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades
René Dalize.
Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Église
Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez
du dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège
Tandis qu'éternelle et adorable profondeur améthyste
Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ
C'est le beau lys que tous nous cultivons
C'est la torche aux cheveux roux que n'éteint pas le vent
C'est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère
C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prières
C'est la double potence de l'honneur et de l'éternité
C'est l'étoile à six branches
C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
This morning I saw a pretty street whose name is gone
Clean and shining clarion of the sun
Where from Monday morning to Saturday evening four
times a day
Directors workers and beautiful shorthand typists go their
way
And thrice in the morning the siren makes its moan
And a bell bays savagely coming up to noon
The inscriptions on walls and signs
The notices and plates squawk parrot-wise
I love the grace of this industrial street
In Paris between the Avenue des Ternes and the Rue
Aumont-Thiéville
There it is the young street and you still but a small child
Your mother always dresses you in blue and white
You are very pious and with René Dalize your oldest crony
Nothing delights you more than church ceremony
It is nine at night the lowered gas burns blue you steal away
From the dormitory and all night in the college chapel pray
Whilst everlastingly the flaming glory of Christ
Wheels in adorable depths of amethyst
It is the fair lily that we all revere
It is the torch burning in the wind its auburn hair
It is the rosepale son of the mother of grief
It is the tree with the world's prayers ever in leaf
It is of honour and eternity the double beam
It is the six-branched star it is God
Who Friday dies and Sunday rises from the dead
C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il détient le record du monde pour la hauteur
Pupille Christ de l'œil
Vingtième pupille des siècles il sait y faire
Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l'air
Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder
Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judée
Ils crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare Enoch Élie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aéroplane
Ils s'écartent parfois pour laisser passer ceux que transporte
la Sainte-Eucharistie
Ces prêtres qui montent éternellement élevant l'hostie
L'avion se pose enfin sans refermer les ailes
Le ciel s'emplit alors de millions d'hirondelles
A tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
D'Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts
L'oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes
Plane tenant dans les serres le crâne d'Adam la première
tête
L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri
Et d'Amérique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs et souples
Qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couples
Puis voici la colombe esprit immaculé
Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocellé
Le phénix ce bucher qui soi-même s'engendre
It is Christ who better than airmen
wings his flight
Holding the record of the world for height
Pupil Christ of the eye
Twentieth pupil of the centuries it is no novice
And changed into a bird this century soars like Jesus
The devils in the deeps look up and say they see a
Nimitation of Simon Magus in Judea
Craft by name by nature craft they cry
About the pretty flyer the angels fly
Enoch Elijah Apollonius of Tyana hover
With Icarus round the first airworthy ever
For those whom the Eucharist transports they now and
then make way
Host-elevating priests ascending endlessly
The aeroplane alights at last with outstretched pinions
Then the sky is filled with swallows in their millions
The rooks come flocking the owls the hawks
Flamingoes from Africa and ibises and storks
The roc bird famed in song and story soars
With Adam's skull the first head in its claws
The eagle stoops screaming from heaven's verge
From America comes the little humming-bird
From China the long and supple
One-winged peehees that fly in couples
Behold the dove spirit without alloy
That ocellate peacock and lyre-bird convoy
The phoenix flame-devoured flame-revived
Un instant voile tout de son ardente cendre
Les sirènes laissant les périlleux détroits
Arrivent en chantant bellement toutes trois
Et tous aigle phénix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus être aimé
Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un
monastère
Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une
prière
Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire
pétille
Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C'est un tableau pendu dans un sombre musée
Et quelquefois tu vas le regarder de près
Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont
ensanglantées
C'était et je voudrais ne pas m'en souvenir c'était au
déclin de la beauté
Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m'a regardé
à Chartres
Le sang de votre Sacré-Cœur m'a inondé à Montmartre
Je suis malade d'ouïr les paroles bienheureuses
L'amour dont je souffre est une maladie honteuse
Et l'image qui te possède te fait survivre dans l'insomnie
et dans l'angoisse
C'est toujours près de toi cette image qui passe
All with its ardent ash an instant hides
Leaving the perilous straits the sirens three
Divinely singing join the company
And eagle phoenix peehees fraternize
One and all with the machine that flies
Now you walk in Paris alone among the crowd
Herds of bellowing buses hemming you about
Anguish of love parching you within
As though you were never to be loved again
If you lived in olden times you would get you to a
cloister
You are ashamed when you catch yourself at a
paternoster
You are your own mocker and like hellfire your laughter
crackles
Golden on your life's hearth fall the sparks of your laughter
It is a picture in a dark museum hung
And you sometimes go and contemplate it long
To-day you walk in Paris the women are
blood-red
It was and would I could forget it was at
beauty's ebb
From the midst of fervent flames Our Lady beheld me
at Chartres
The blood of your Sacred Heart flooded me in Montmartre
I am sick with hearing the words of bliss
The love I endure is like a syphilis
And the image that possesses you and never leaves your
side
In anguish and insomnia keeps you alive
Maintenant tu es au bord de la Méditerranée
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'année
Avec tes amis tu te promènes en barque
L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux
Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d'écrire ton conte en prose
La cétoine qui dort dans le cœur de la rose
Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit
Tu étais triste à mourir le jour où tu t'y vis
Tu ressembles au Lazare affolé par le jour
Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en écoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tchèques
Te voici à Marseille au milieu des pastèques
Te voici à Coblence a l'hotel du Géant
Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon
Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves
belle et qui est laide
Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde
Now you are on the Riviera among
The lemon-trees that flower all year long
With your friends you go for a sail on the sea
One is from Nice one from Menton and two from La Turbie
The polypuses in the depths fill us with horror
And in the seaweed fishes swim emblems of the Saviour
You are in an inn-garden near Prague
You feel perfectly happy a rose is on the table
And you observe instead of writing your story in prose
The chafer asleep in the heart of the rose
Appalled you see your image in the agates of Saint Vitus
That day you were fit to die with sadness
You look like Lazarus frantic in the daylight
The hands of the clock in the Jewish quarter go to left
from right
And you too live slowly backwards
Climbing up to the Hradchin or listening as night falls
To Czech songs being sung in taverns
Here you are in Marseilles among the water-melons
Here you are in Coblentz at the Giant's Hostelry
Here you are in Rome under a Japanese medlar-tree
Here you are in Amsterdam with an ill-favoured maiden
You find her beautiful she is engaged to a student
in Leyden
On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je m'en souviens j'y ai passé trois jours et autant à Gouda
Tu es à Paris chez le juge d'instruction
Comme un criminel on te met en état d'arrestation
Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge
Tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans
J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments
je voudrais sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté
Tu regardes les yeux pleins de larmes ces
pauvres
émigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages
Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine
Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune
Une famille transporte un édredon rouge comme vous
transportez votre cœur
Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels
Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs
Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
There they let their rooms in Latin cubicula locanda
I remember I spent three days there and as many in Gouda
You are in Paris with the examining magistrate
They clap you in gaol like a common reprobate
Grievous and joyous voyages you made
Before you knew what falsehood was and age
At twenty you suffered from love and at thirty again
My life was folly and my days in vain
You dare not look at your hands tears haunt my eyes
For you for her I love and all the old miseries
Weeping you watch the wretched emigrants
They believe in God they pray the women suckle their
infants
They fill with their smell the station of Saint-Lazare
Like the wise men from the east they have faith in their
star
They hope to prosper in the Argentine
And to come home having made their fortune
Collected Poems in English and French Page 6